Fiche de lecture
1. Degré d’intérêt général
Bel exemple de fragmentation du roman pour se rapprocher de la perception sensorielle (ici, la vue).
2. Informations paratextuelles
2.1 Auteur : Paul Fournel
2.2 Titre : Un homme regarde une femme
2.3 Lieu d’édition : Paris
2.4 Édition : Seuil
2.5 Collection : -
2.6 (Année [copyright]) : 1994
2.7 Nombre de pages : 188 p.
2.8 Varia : L'auteur est actuellement président de l'Oulipo.
3. Résumé du roman
Elle est comédienne, déborde de tract à propos des scènes qu'elle s'apprête à jouer, des rôles qui se font parfois rares, de la vieillesse qui la gagne lentement. Lui la regarde. Il la regarde jouer et il la regarde vivre. Chaque regard qu'il pose sur elle semble être une tentative de la saisir, de la comprendre le plus complètement possible, mais une telle entreprise est heureusement vouée à l'échec et toujours à recommencer: « Te regarder n'est pas te prendre. Te prendre n'est pas te prendre non plus. Avoir la main posée sur ta cuisse pendant que tu conduis n'est pas te prendre. Avoir mon sexe, mes doigts, ma langue dans toi n'est pas te prendre. Goûter ce que tu as dans ton assiette au restaurant n'est pas te prendre. Je stocke tous tes leurres pendant que tu vagabondes. » (p. 61)
4. Singularité formelle
Le roman est découpé en fragments intitulés dont la longueur varie d'une ligne à deux pages et demie.
5. Caractéristiques du récit et de la narration
Le narrateur, autodiégétique, s'adresse à un tu, la femme qu'il aime et regarde. Car chaque fragment correspond à un regard que le narrateur pose sur cette femme et constitue donc un bref tableau (ou une scène, un “drame intime aux obscurs ressorts”, comme dans l'extrait suivant) dépeignant leur vie commune, certes, mais exprimant surtout une déclinaison de l'amour qu'il éprouve pour elle. Dans le fragment intitulé “Un drame”, on sent bien ce tableau que le narrateur brosse du regard : « Je n'ai jamais posé sur toi un seul regard moyen. Chacun d'entre mes regards est plein. Je suis incapable de porter sur toi un jugement, une mesure. Lorsque tu entres dans la douche, c'est déjà de la danse : ton pied gauche, d'abord, et tes deux bras levés pour nouer tes cheveux et les fourrer dans le bonnet de plastique. Lorsque tu surprends mon regard, tu me souris pour me signifier qu'il est une caresse. Je ne souris jamais en retour car chacun de mes regards est un drame intime aux obscurs ressorts. »
Le découpage en fragments, tableaux, scènes ou regards donne au lecteur l'impression d'être collé à la rétine du narrateur et donne une plus grande force sensorielle/sensuelle à l'écriture.
6. Narrativité (Typologie de Ryan)
6.1- Simple
Justifiez : Un seul narrateur, une seule intrigue découpée en fragments.
7. Rapport avec la fiction
8. Intertextualité
Quelques références à des comédiennes et à des pièces de théâtre françaises ainsi qu'à trois ou quatre anciens acteurs américains. Rien de très extravagant ou révélateur.
9. Élément marquant à retenir
Pouvoir créateur du regard, fragmentation du récit pour coller à l'appréhension sensuelle du monde (jolie formule, non ?).
Autre citation
Exemple du pouvoir créateur du regard:
« Ce qui me trouble le plus c'est lorsque tu me dis que tu étais une si belle adolescente, ou, plus exactement, lorsque tu me dis que tu as été, jadis, plus belle que tu n'es aujourd'hui. Comme ce jadis raconte l'époque où je ne te connaissais pas encore, j'ai le cœur serré, le sexe aussi. Non pas que j'imagine être pour quelque chose dans ta supposée dégradation (il va de soi qu'elle est pure fiction), il ne s'agit pas non plus de cette jalousie rétrospective qui peut, parfois, faire un travail sournois, mais plutôt du sentiment d'une frustration, du sentiment d'un impossible. Par quel incompréhensible miracle pouvais-tu exister en dehors de ma vue? Ou plutôt, comment pouvais-je alors exister sans chercher à te voir? À quoi occupai-je mon temps? À quel gâchis d'indifférence se résumaient mes jours? » (174-175, je souligne)