FICHE DE LECTURE « Les postures du biographe »
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Christophe FOURVEL (1965 - ) Titre : Montevideo, Henri Calet et moi Lieu : Nancy, France Édition : La Dragonne Collection : — Année : 2006 Pages : 74 Cote : Appartient au groupe de recherche.
Biographé : Henri Calet
Pays du biographe : France
Pays du biographé : France
Désignation générique : La désignation « récit » est inscrite sur la couverture.
Quatrième de couverture ou rabats : La quatrième de couverture est divisée en trois parties. La première consiste en une citation du livre (tirée de la préface) qui rend compte de l’étonnement de l’auteur devant la vie mouvementée d’Henri Calet. La deuxième partie fait état de la démarche particulière de Christophe Fourvel : [reproduction intégrale du paragraphe] « initiant une démarche pour le moins singulière, l’auteur est parti à Montevideo sur les traces d’Henri Calet, écrivain mythique dont peu savent qu’il eut une première vie “inavouable” en Uruguay. Entre confession et reportage, c’est donc cette première vie qui nous est ici relatée. » Enfin, la troisième partie de la quatrième de couverture fait office de courte notice biographique de Christophe Fourvel.
Préface : Le début de la préface correspond au texte placé en quatrième de couverture : l’auteur nous révèle comment, un jour, en écoutant la radio, il a appris qu’il existait une face cachée à l’existence d’Henri Calet. Les premières lignes de la préface sont ainsi largement biographiques alors que l’ensemble du livre n’est insidieusement que très peu biographique… Par la suite, l’auteur traite de sa démarche, de son intérêt pour son biographé : « Je suis allé en Uruguay tenter d’apercevoir l’ombre improbable de l’écrivain. Voir si possible ce que ses yeux avaient vu et chercher les traces éventuelles laissées par ceux qui servirent de modèles pour son roman, Un grand voyage […] » (10). Il explique par ailleurs son attirance pour Montevideo, son « attraction pleine de fantasme » (11) pour cette ville australe : « Calet-Montevideo produisait un frottement pour me séduire, j’avais un vrai désir de remplacer la pénombre par des images sûres, des rencontres et de l’ennui. » (11) En réalité, la ville de Montevideo occupe une place si grande au cœur de ce livre qu’elle occulte presque la figure de l’écrivain, ce que l’auteur reconnaît d’emblée : « Ce livre ne fait pas œuvre de biographe […] Je me disais que l’histoire de ce livre, mon livre cette fois, était celle de la constitution d’une ville » (12). La préface s’achève sur quelques remerciements adressés aux personnes qui ont participé à la conception du livre.
Autres informations : Le livre comprend trois lettres inédites écrites par Henri Calet et adressées à Luis Eduardo Pombo et cinq photographies couleur prises par Lin Delpierre à Montevideo en 2001 – Fourvel nous révèle dans la préface que ces photos lui ont paru indispensables à la conception de son livre. En outre, à la fin de l’ouvrage figurent une série de remerciements adressés aux gens qui ont contribué de près ou de loin à son projet (par exemple, Fourvel y remercie Perlita Bertani, cette amie de Luis Eduardo Pombo qui, très jeune, avait rencontré Henri Calet lors de son passage à Montevideo, en 1931).
Textes critiques sur l’auteur : —
SYNOPSIS
Résumé ou structure de l’œuvre : Le récit est construit comme un amalgame de notes éparses, présentées sous la forme de paragraphes très brefs, liés les uns aux autres de façon plutôt fragmentée. La forme du récit fait parfois songer à celle d’un récit de voyage – voyage double au cœur de Montevideo et au cœur de la vie de Calet – où apparaissent ici et là quelques bribes biographiques concernant Calet, de même que quelques citations tirées de ses œuvres. Le récit ne comporte ni chapitre ni aucune autre forme de cloison narrative traditionnelle. Le texte oscille entre la ville de Montevideo et la vie de Calet, entre les années 1930-1931 (années du séjour de Calet à Montevideo) et 2002 (année du séjour de Fourvel dans la même ville). Les indications temporelles y sont clairement marquées, de sorte qu’il n’y a jamais (con)fusion entre les deux époques. Les passages consacrés à Montevideo sont essentiellement descriptifs, tantôt poétiques (par exemple, à la page trente-huit, on trouve un poème sur la lande), tantôt critiques (à la fin du récit, Fourvel fait l’inventaire des changements qui ont affecté la géographie montevidéenne depuis soixante-douze ans). Les passages consacrés à Calet mettent en scène Fourvel, tandis qu’il rencontre tour à tour (dans le réel ou par l’entremise de témoignages) plusieurs personnages qui ont peuplé le roman de Calet, Un grand voyage. Ainsi, il fait la connaissance de Perlita, une vieille dame, dont la famille avait servi de modèle à Calet dans Un grand voyage, ainsi que celle de Manuel Espínola Gómez, qui avait peint à quelques reprises Luis Eduardo Pombo, l’ami uruguayen de Calet dont on retrouve également l’incarnation dans Un grand voyage. Au passage, Fourvel se livre à quelques rêveries à partir d’une nouvelle de Calet, America, ainsi qu’à partir de la figure de Luis Eduardo Pombo. Il traite par ailleurs assez longuement de la correspondance épistolaire qui a uni Calet et Pombo pendant plus de vingt ans et s’intéresse également à la correspondance à laquelle s’étaient livrés Perlita et Pombo. Fourvel apprend ainsi que ces deux derniers avaient très mal reçu le roman Un grand voyage, dans lequel Calet dépeint certains milieux montevidéens sans ménagement. Ici et là, quelques éléments biographiques saillent : par exemple, nous apprenons que Calet a dû effectuer un voyage de retour forcé avec son demi-frère, en 1931, duquel il s’est finalement échappé pour retourner à Montevideo; nous apprenons également que Calet aimait les transports en commun, qu’il roulait à Montevideo dans une Chrysler, que son nom de plume correspondait avant tout à son nom de fugitif et qu’il s’appelait, en réalité, Raymond Théodore Barthelmess. Le récit se termine par l’évocation de la mort de Calet et par le départ de Fourvel de Montevideo.
Topoï : « Sur les traces de… », Montevideo, l’Uruguay comme pays d’ombres et de fantômes – le livre fait notamment allusion à Lautréamont, ce « feu follet» (57) – la ville, le voyage, le rapport entre la vie et l’œuvre d’un écrivain, les faux noms et les identités falsifiées.
Rapports auteur-narrateur-personnage : Dès les premières lignes du récit, il est évident que l’auteur et le narrateur ne font qu’un (la voix de la préface, associée d’emblée à l’auteur, est indifférenciée de la voix qui poursuit le récit). La narration est en alternance homodiégétique et hétérodiégétique, suivant l’oscillation perpétuelle du récit entre 1930-1931 (années du séjour de Calet à Montevideo) et 2002 (année du séjour de Fourvel dans la même ville). Le jeu de la focalisation suit également ce mouvement oscillatoire : elle se fait interne lorsque Fourvel nous fait part de ses propres affects, de ses propres impressions au cœur de Montevideo, puis externe lorsqu’il raconte certains éléments propres à la vie de Calet ou des gens qui l’ont côtoyé. Tout au long du récit, Calet n’est jamais entrevu comme un personnage, il n’y prend pas corps : il demeure une ombre fuyante que tente d’approcher l’auteur.
I. ASPECT INSTITUTIONNEL
Position de l’auteur dans l’institution littéraire : Écrivain dont la production est encore jeune (il y a seulement huit ans qu’il a commencé à publier; depuis, une demi-douzaine de ses titres ont vu le jour). Il n’a apparemment pas rapporté de prix littéraire jusqu’à présent.
Position du biographé dans l’institution littéraire : La vie mouvementée d’Henri Calet en a fait un écrivain marginal qui n’appartient pas, malgré son talent notoire, à la littérature dominante du vingtième siècle. Considéré aujourd'hui comme un écrivain méconnu, il figure toutefois aux côtés des grands écrivains voyageurs et déambulateurs du vingtième siècle.
Transfert de capital symbolique : En écrivant ce livre, Fourvel obéit surtout aux effets d’une double séduction, « Calet-Montevideo » (11), comme il l’écrit dans la préface. S’il apparaît clairement que Fourvel voue une grande admiration à Calet, cette admiration ne suffit pas à insinuer, à elle seule, qu’il existerait une relation transférentielle de capital symbolique entre les deux écrivains.
II. ASPECT GÉNÉRIQUE
Oeuvres non-biographiques affiliées de l’auteur : La production littéraire de Fourvel est constituée de textes courts, de récits et de nouvelles : Derniers paysages avant traversée (nouvelles); Anything for John (textes courts qui consistent en quatre exercices d’admiration portant sur des cinéastes – Cassavetes, Bresson, Guédiguian – et sur une pièce de Strindberg, Mademoiselle Julie); Des hommes (récit); Dumky (nouvelles); Journal de la première année (récit); Tous les cinq (album jeunesse).
Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : Montevideo, Henri Calet et moi serait le seul récit à tendance biographique de Fourvel ayant pour sujet un écrivain. Il resterait à savoir dans quelle proportion l’ouvrage Anything for John est investi par le biographique.
Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : La poésie occupe une place importante au cœur du récit, à tel point que l’on pourrait presque considérer l’écriture qui le sillonne comme de la prose poétique : tantôt quelques vers ponctuent le texte, court-circuitant la narration, tantôt la narration se mue en poème, dérogeant pour un instant à sa disposition graphique originelle. Je ne sais si ce phénomène est assez prégnant pour que l’on puisse parler d’hybridation; toujours est-il qu’il m’apparaissait digne de mention… En outre, une stratégie d’écriture m’a paru significativement active au cœur du récit : la mise en relation de la vie et de l’œuvre de Calet. En s’élançant sur les traces de Calet, Fourvel part d’abord et avant tout en quête des protagonistes d’une fiction, ceux d’Un grand voyage, avec l’aide desquels il tentera de connaître son biographé. La vie et l’œuvre de Calet deviennent ainsi intrinsèquement liées : « Il y a entre le livre et la réalité l’épaisseur d’une feuille de papier ou d’un nom » (19). La stratégie qu’emprunte Fourvel pour peindre son biographé renvoie à celle qu’avait employée Calet pour écrire son roman, cinquante ans auparavant : il s’agit de s’approprier des personnages réels pour les immerger dans la fiction. En allant à Montevideo pour y rencontrer les personnages réels de Calet, Fourvel les plonge à son tour dans son propre récit, dans sa propre fiction. En ce sens, le récit tient même un métadiscours sur cette stratégie : « Les personnages réels devenus modèles pour un roman sont longtemps blancs et noirs. Ils ont des pointillés autour de leurs silhouettes. La fiction leur a tout pris » (20). Il en était ainsi de Perlita et de Pombo pour Calet; il en est devenu de même de Perlita, de Pombo et de Calet pour Fourvel.
Thématisation de la biographie : Il n’est fait mention qu’une seule fois de la biographie, dans la préface, lorsque l’auteur déclare que son travail n’est pas biographique : « Ce livre ne fait donc pas œuvre de biographe » (11).
Rapports biographie/autobiographie : Le récit comporte une certaine part de subjectivité qui frôle quelquefois l’autobiographie. Il en est ainsi notamment lorsque l’auteur traite de sa perception personnelle de la ville, de son appréciation de Calet, de ses rencontres avec les personnes réelles qui ont inspiré le roman Un grand voyage. En revanche, Fourvel participe à son récit sans jamais dévoiler ses propres “biographèmes”… En fait, la subjectivité de l’auteur prend parfois tant de place qu’il nous vient l’envie de changer le titre de l’ouvrage : s’il n’était pas incorrect, au point de vue grammatical, de placer la personne pronominale en premier lieu dans une énumération, ce livre aurait pu s’intituler « Moi, Montevideo et Henri Calet »… Par conséquent, la teneur biographique du récit n’est pas aussi élevée que la quatrième de couverture le laisse entendre.
III. ASPECT ESTHÉTIQUE
Oeuvres non-biographiques affiliées du biographé : Il est très souvent question, dans Montevideo, Henri Calet et moi, d’un roman de Calet, Un grand voyage. Largement autobiographique, ce roman a été inspiré par le voyage de l’écrivain en Uruguay, en 1930-1931, et écrit à rebours, vingt ans plus tard. Fourvel accorde une grande importance à l’accointance de cette partie de la vie et de l’œuvre de l’écrivain, à tel point qu’il part lui-même sur les traces des personnages d’Un grand voyage, qui avaient été conçus à partir des personnes réelles qu’avait rencontrées Calet lors de son périple, soixante-dix ans auparavant. Par ailleurs, Fourvel fait mention, à quelques reprises, d’une nouvelle écrite par Calet, America, dont l’intrigue prend également place en Uruguay. Enfin, Fourvel cite quelques passages de lettres que Calet avait écrites à Luis Eduardo Pombo.
Œuvres biographiques affiliées du biographé : Aucune. La production littéraire d’Henri Calet ne comporte, en soi, aucune biographie.
Échos stylistiques : Il m’est impossible d’en traiter puisque je n’ai rien lu d’Henri Calet.
Échos thématiques : Montevideo me semble être le principal écho thématique qui unit Un grand voyage et Montevideo, Henri Calet et moi. Il existe peut-être d’autres échos thématiques entre ces deux œuvres, mais il m’est difficile de les déceler puisque je n’ai rien lu d’Henri Calet.
IV. ASPECT INTERCULTUREL
Affiliation à une culture d’élection : Fourvel, malgré son attrait pour Montevideo, ne s’affilie pas à la culture uruguayenne; l’étude de cet aspect ne s’applique pas à la lecture de cet ouvrage.
Apports interculturels : Quelques détails allusifs à la culture uruguayenne : le tango, l’importance du football, le maté, la rambla, les gauchos, le Río de la Plata, etc. Aussi, aux pages trente-quatre et trente-six, Fourvel énumère ce qu’il ne faut pas enlever à Montevideo (« Le carillon de la Plaza Independencia. Les tambours de la calle San Salvador. La devanture haute de trois étages de l’Instituto Pablo Ferrando de Optica.[…] »). Mais, en définitive, Fourvel s’intéresse bien davantage à la mythologie de la ville de Montevideo et au personnage mythique d’Henri Calet, qu’à la culture uruguayenne.
Lecteur/lectrice : Audrey Lemieux