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ranx:week-end_familial_a_clichy-sur-mer

Résumé et commentaire de l’œuvre :

Bref texte mettant en scène un vieil écrivain, cloué à un fauteuil roulant depuis 2042, qui se remémore son existence passée. Le tout se passe au XXIIe siècle à Clichy-sur-mer. Le réchauffement climatique a fait en sorte que Clichy est devenue un village balnéaire bordé par la mer. Ce vieillard discute avec sa fille de 77 ans, nommée Igloo qui vient le visiter chaque vendredi avec sa progéniture beaucoup trop nombreuse pour qu’il se souvienne du nom de chacun.

Pour lui, la littérature se résume à être un objet de promotion pour une hygiène par le livre; grâce au livre, le lecteur ne saura jamais à court de papier, et donc toujours propre.

Jauffret use d’ironie pour critiquer le système existant et la sclérose de la société comme dans l’extrait suivant :

« Parfois, je me surprends encore à aimer la vie. Vous me direz qu’elle est parfois bien moche, qu’ici et là, elle a un goût de sang et de chair brûlée, mais la vie est une question d’habitude. On s’habitue à tout, il en est même qui se sont habitués à boire leur urine, et à lui trouver un goût de sancerre.»

De plus, le personnage mis en scène par Jauffret est très confus et mélange les mots et ses souvenirs, car de toute manière, le résultat est le même. Au final, l’homme vieillit sans que personne ne s’y intéresse et la société continue de péricliter sans que sa descente soit freinée.

Voici un passage qui illustre bien la confusion du personnage :

« – On me respectait, figure-toi. J’étais un écrivain institutionnel, un flatteur, un salonard. Un dandy toujours fourré dans les cocktails avec mes costumes en alpaga et mes cravates Hermès. On m’appelait l’arbitre des élégances, et on m’avait attribué en 2005 le prix Gomina. – Le prix Femina, papa. – On disait que j’avais du talent. – On exagérait. – Tu peux rire, je suis publié dans la Branlade. – La Pléiade, papa. Je ne trouve plus mes mots. Je les confonds les uns avec les autres comme les noms des miens. Bientôt, je déciderai de tout appeler Kévin, même les portes et les chaises. Avec un seul mot, on doit pouvoir écrire quand même. Je finirai ma vie Oulipien, après tout Georges Perec n’était pas un maladroit. »

Bien que ce texte rassemble plusieurs éléments absurdes, il offre une réflexion critique sur le travail d’écrivain et sur le mercantilisme de la profession.

Cet extrait reprend avec humour une critique qui a dû être formulée à l’égard de l’œuvre de Jauffret :

« Ma fille m’explique que la municipalité projette de faire construire un palace flottant, et qu’afin d’attirer la riche clientèle asiatique elle a fait appel à une ribambelle de brillantes plumes pour écrire un livre collectif à la gloire de Clichy-sur-mer. – Ils auraient pu me demander. – Tu aurais écrit des horreurs. – Je me suis toujours appliqué dans mes livres à essayer d’embellir la vie. (…) – (Jauffret) :J’ai essayé d’écrire honnêtement. – (fille) : J’en ai plus qu’assez de tes fanfaronnades. (…)»

La fin du roman est empreinte de nostalgie et éclaire le lecteur sur les difficultés que l’écrivain a rencontrées pour arriver à vivre de sa plume, dont celle de l’appât du gain où l’auteur écrivait n’importe quoi pourvu que cela soit bien payé.

« Ville muette par ailleurs. On ne donnait la parole qu’à ses habitants les plus cabots (…) On faisait parler les pitres. Ils suscitaient des rires et de l’indignation, qui sonnaient à mes oreilles comme un bruit de bottes. Vous me direz, avec raison, que les paroles que j’ai écrites en 2008 sur Clichy ne valaient pas plus cher. Ce n’est que trop vrai. Ma seule excuse, c’est qu’elles m’avaient été payées davantage. Nous étions tous complices. (…)

Je ne me souviens plus. Ma mémoire s’écroule comme un mur aux joints détrempés par cent années de pluie. Peut-être que l’explosion avait eu lieu. Un effet de souffle qui avait même embrasé Paris. Ceux à qui on n’avait rien donné avaient fini par prendre. Lasses de voir leurs effectifs décimés, lasses de faire de leurs épouses des veuves, de leurs enfants des orphelins, de leurs chiens de pauvres ères qui de désespoir se jetaient dans le brasier du Jeu de Paume incendié, les forces de police ont abandonné la ville à l’armée. L’ordre a régné de nouveau, et pendant vingt ans les artistes ont fait leurs choux gras de ce massacre. J’ai peut-être d’ailleurs écrit à ce propos une farce humaniste dont le retentissement m’a permis d’entrer à l’Académie. Hélas, la Coupole a été transformée depuis en centre commercial où l’on vend des culottes et des cancers qu’achètent les obèses pour devenir maigres comme des coucous.»

Appréciation de l’œuvre :

L’intérêt de ce texte est la réflexion critique sur la littérature et sur le métier d’écrivain que le vieil homme formule. Bien qu’il s’agisse du sujet principal des réminiscences de ce dernier, le texte est confus et difficile d’approche. Les personnages peinent à captiver l’attention du lecteur et le récit est trop peu situé spatialement et temporellement pour être limpide. Même si le roman gagne en intérêt à la toute fin et que certains traits d’ironie font sourire, le reste du texte fut une pénible lecture. Week-end familial à Clichy-sur-mer semble être le premier jet d’une idée qui n’a pas abouti.

Quatrième de couverture :

« Peu d'entre nous pour se risquer radicalement à la critique sociale. Trop de pièges ouverts, terrain malsain. On y laisse des plumes : voir Céline. Pourtant, c'est une instance de toujours dans la littérature, et toujours avec ce muscle. C'est Aristophane, Lucien et Martial, c'est les tiradesdu Gargantua. Plus tard, les caricaturistes du 19e, et comment Daumier ou Monnier se retrouvent chez Balzac. Reste que le terrain politique est miné, qu'il touche à l'urbanisme, aux moeurs, à la façon dont on nomme les enfants à l'état-civil, et que rien de l'univers culturel n'échappe à cette peau ou cette croûte du siècle. Régis Jauffret a construit ses livres dans cette épaisseur-là, sans contourner, longtemps qu'on le sait. Pas étonnant d'ailleurs si, dans ce récit, passe un instant Lydie Salvayre. Le trait est gros, pour ça qu'il mord. Ainsi, un petit zeste de réchauffement climatique, et voilà la banlieue à Trouville, ou le contraire. Le temps est vague : l'écrivain qui raconte, ou ce qu'il en reste, vissé sur chaise roulante et confondant Gomina avec Femina (prix qu'a eu Jauffret) ou Branlade avec Pléiade (c'est chez Gallimard qu'il publie) est lui-même une sorte de résidu d'un système condamné à mourir, aussi bien que l'académie française devenue boutique à fringue. Mais si, sous tout cela, anticipation, déformation, jeu dialogique distordu jusqu'à l'anamorphose, c'est les plus lourdes pulsions sous-jacentes du présent qu'on laissait émerger? Un rire jaune, qu'on entend depuis longtemps dans la littérature, qu'on n'entend pas forcément assez souvent au présent. »

Mon extrait préféré du roman :

« Je me souviens. Je ne me souviens plus. Je faisais partie de la mafia des lettres. Ma mémoire est une émeute. J’ai commencé prolétaire dans un atelier d’aphorismes. L’affaire a périclité, et avec mes indemnités de licenciement j’ai fait l’acquisition d’un lopin de langage. Ce sont mes souvenirs qui se battent sur le port comme des matelots ivres. Je cultivais des histoires, des courtes dont j’avais des bosquets, des garrigues, des landes. D’autres hautes comme les platanes qui poussaient à Marseille quand j’étais minot dans la cour de l’école. J’entends mes souvenirs tombés du quai, ils se débattent, ils n’ont jamais su nager. Voilà que ma raison prend l’eau, c’était un petit bateau, un youyou. Je naviguais comme je pouvais, mon cerveau était un bras de mer qui servait d’entrepôt aux tornades. Je ne sais si je coule, ou si je m’évapore dans la nuit chaude.

(…) Pourtant, je n’étais pas des mots, je n’étais pas des phrases. Mon cœur n’était pas une pompe qui pulsait l’alphabet. Ne vous souvenez pas de moi comme d’un paragraphe. Oubliez-moi comme on oublie un type à qui on donne une tape dans le dos pour le remercier de vous avoir indiqué le chemin de la gare.»

Notice bibliographique :

Régis Jauffret, Week-end familial à Clichy-sur-mer, Publie.net (coll. Ouvrez…), 2012, http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503731/week-end-familial-a-clichy-sur-mer [en ligne], 28 pages.

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