FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Dickner, Nicolas
Titre : Nikolski
Éditeur : Alto
Collection : -
Année : 2005
Éditions ultérieures : Alto, collection « Coda », 2007, 316 p.
Désignation générique : Roman (rabat)
Quatrième de couverture :
« Printemps 1989.
À l’aube de la vingtaine, Noah, Joyce et un narrateur non identifié quittent leur lieu de naissance pour entamer une longue migration. Fraîchement débarqués à Montréal, ils tentent de prendre leur vie en main, malgré les erreurs de parcours, les amours défectueuses et leurs arbres généalogiques tordus. Ils se croient seuls; pourtant, leurs trajectoires ne cessent de se croiser, laissant entrevoir une incontrôlable symétrie au sein de leurs existences.
Nicolas Dickner aime enchevêtrer les récits et les images avec une minutie qui frôle parfois celle d’un zoologue fêlé. Dans Nikolski, il prend un malin plaisir à rassembler des archéologues vidangeurs, des flibustiers de tous poils, des serpents de mer, plusieurs grands thons rouges, des victimes du mal de terre, un scaphandrier analphabète, un Commodore 64, d’innombrables bureaux de poste et un mystérieux livre sans couverture.
Un récit pluvieux, où l’on boit beaucoup de thé et de rhum bon marché. »
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Ce roman entremêlent trois récits : le premier est celui du narrateur au « je » qui travaille dans une librairie. En faisant le ménage des affaires de sa mère qui vient de mourir, il retrouve son compas Nikolski, le seul souvenir qu’il ait de son père, Jonas Doucet. Son destin croise ensuite brièvement celui de Noah, d’Arizna et de leur fils, alors que le vieux bouquin à Trois têtes de Noah est oublié à sa librairie ; puis celui de Joyce, sa « voleuse de livres » préférée à qui il prêtera un guide de voyage sur la République dominicaine avant que la jeune femme ne disparaisse, faisant l’objet d’une enquête de la GRC. Il décide finalement de quitter la librairie et de voyager.
Le deuxième récit est celui de Noah, élevé dans une roulotte sillonnant le Canada par sa mère, Sarah Riel. Tout ce qu’il garde de son père, Jonas Doucet, c’est un vieux livre rafistolé ainsi qu’une correspondance qui prend fin lorsque Noah a 13 ans ; la dernière carte provient de Nikolski. À 18 ans, Noah quitte sa mère nomade pour s’installer à Montréal où il s’inscrit à l’université, en archéologie. Il rencontre une fille, Arizna, mais celle-ci le laisse sans nouvelles durant plus d’un an. Entre-temps, Noah réalise une maîtrise avec un enseignant pour le moins excentrique, Thomas Saint-Laurent, le maître des ordures (au sens propre : le savant s’emploie à étudier les poubelles, les dépotoirs, etc.). Arizna et Noah se revoient. Elle lui explique qu’elle était partie au Venezuela où elle a créé sa propre maison d’édition. Elle est aussi maman d’un bambin de trois mois, Simon, dont la paternité est vraisemblablement attribuable à Noah. Ils partent tous les trois vivre au Venezuela ; Noah prétexte une thèse sur la relocalisation des Garifunas, ce qui lui donne l’occasion de passer du temps avec Simon. Puis, la petite famille se retrouvant en danger, Arizna demande à Noah de quitter le Venezuela et d’amener Simon avec lui. Elle lui signe alors des documents de reconnaissance de paternité. Noah et son fils s’installent donc à Montréal.
Le dernier récit est celui de Joyce Doucet, originaire de Tête-à-la-Baleine. Elle y vit seule avec son père, sa mère l’ayant abandonnée une semaine après sa naissance. Elle a aussi pour oncle un certain Jonas qu’elle n’a jamais connu. Elle se réfugie souvent chez son grand-père qui lui raconte des histoires de pirateries de ses ancêtres, ce qui lui donne le goût de l’aventure. Lorsque son grand-père décède et que sa vieille maison s’effondre, Joyce part à la polyvalente de Sept-Îles, puis à Montréal, où elle trouve un emploi dans une poissonnerie. De la pêche maritime, elle passe à la pêche aux ordures, particulièrement informatiques. De ses ancêtres flibustiers, elle garde ainsi un penchant pour la piraterie et devient pirate informatique. Lorsqu’elle sent que la GRC enquête sur elle, elle fuit en République dominicaine.
Les trois destins se scellent donc par un ultime départ/voyage et un nouveau commencement.
Thème(s) : Identité et territoire, voyage, nomadisme, filiation, piraterie, pêche, mer, ville
Fiche de l’œuvre sur Orion
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Les personnages sont fortement définis par le savoir encyclopédique qui leur est propre. Pour le narrateur, ce sont les livres de sa librairie, pour Noah, ce sont les savoirs géographiques et pour Joyce, les savoirs maritimes au sens large (de la pêche à la piraterie).
Appréciation globale : J’ai bien aimé ma lecture de Nikolski, tout particulièrement la seconde moitié du roman. On s’attache à ses personnages et il est intéressant de constater quel chemin ils décident d’emprunter, même si quelques détails demeurent en suspens à la fin du roman…
Cote : 2
IV – CONSTRUCTION GÉNÉRALE DE L’ŒUVRE : Le roman est divisé en cinq sections qui représentent l’avancée dans le temps : 1989, 1990, 1994, 1995, et 1999. Chacune de ces parties comportent plusieurs chapitres (de deux à quatorze chapitres) de longueurs variables. Il n’y a pas vraiment de régularité dans l’alternance des trois récits, si ce n’est que le roman s’ouvre et se clôt sur le récit du narrateur « je ».
V – ENCYCLOPÉDISME : Contenu (Types de données imbriquées, à quoi servent-elles dans l'économie générale du roman, dans la construction des personnages, etc.):
Chaque personnage est défini par un ou plusieurs savoir(s) encyclopédique(s) :
Narrateur : À peu près tout ce qu’on connaît du narrateur est son métier de libraire. Plusieurs pages servent d’ailleurs à expliquer ses tâches ou le classement de la librairie. Les savoirs géographiques définissent aussi ce personnage. En effet, les cartes routières et le fameux compas Nikolski sont autant d’indices pour retracer son passé et, par le fait même, son identité. La cartographie de la ville de Nikolski ainsi que l’explication détaillée de la fabrication et du fonctionnement du compas défectueux qui pointe toujours 34° à l’ouest du nord prennent toute leur importance lorsqu’on sait que ces éléments se rattachent au père du narrateur (père qu’il n’a jamais connu).
Noah : Dès sa naissance, Noah est marqué par les savoirs géographiques : « il aurait pris sa première respiration au Manitoba, quelque part entre Boissevain et Whitewater, près de la ligne de chemin de fer, à un endroit qui, sur les cartes routières, semblait occuper le centre géographique exact du Canada. » (p. 35-36) Ayant été élevé sur la route, il est obsédé par les cartes routières ; même son travail de livreur devient l’occasion de cartographier son nouveau quartier. Les noms et numéros des comptoirs postaux constituent aussi des savoirs indispensables, car ceux-ci lui permettent d’envoyer des lettres à son père, puis à sa mère. Même les descriptions reflètent cette obsession de la géographie et du détail : « Au centre du village, les trois institutions habituelles formaient un triangle équilatéral : l’édifice de la coopérative agricole (Founded in 1953), le bureau de poste (S0C 0R1) et le restaurant Brenda’s (Today : fish n’ chips, dessert, beverage, 3,95$). » (p. 40) Lors de ses études en anthropologie, d’autres savoirs seront mis de l’avant : peuples (les Garifunas !) et territoires, méthodes utilisées en archéologie, fonctionnement de la gestion des déchets, etc. Finalement, la science permet parfois d’imager ce que ressent ou ce que vit Noah (fonctionnement de l’odorat, p. 107 et test d’ADN, p. 229).
Joyce : Les savoirs encyclopédiques qui définissent Joyce rejoignent tous de près ou de loin la vie maritime de sa famille/de ses ancêtres, qu’il s’agisse de pêche ou de piraterie. En effet, la pêche fait partie intégrante de la vie de la jeune fille, de Tête-à-la-Baleine jusqu’à son emploi dans une poissonnerie à Montréal. Les énumérations de variétés de poissons et de techniques de pêche ne se font donc pas rares. Les termes liés à la navigation prennent tellement de place dans l’histoire de Joyce que l’auteur les utilise même lorsque cela est hors contexte, par exemple : tribord, bâbord pour gauche et droite. Côté piraterie, plusieurs pirates véritables sont cités. Joyce semble sentir le besoin de raconter l’histoire de ses ancêtres (nombreux dérivés du nom « Doucet » p. 58) et, par le fait même, la Grande Histoire, afin de se définir. Un article de journal (p. 76) décrivant l’arrestation d’une pirate informatique est décisif dans le parcours de la jeune fille : elle deviendra pirate comme ses ancêtres ! De la pêche aux poissons, elle passe à la pêche au matériel informatique. Pour ce faire, deux types de savoirs lui sont utiles : la cartographie de la ville et de ses poubelles (p. 207) ainsi que des savoirs informatiques.
Forme (narration, comment elles sont intégrées):
La plupart du temps, l’encyclopédisme est inséré à même la narration. L’accent est souvent mis sur de petits détails en apparence insignifiants, mais qui révèlent une fixation du personnage. Certaines informations sont toutefois reproduites à part du texte. C’est le cas notamment de l’article de journal (p. 76) qui incite Joyce à devenir pirate informatique, de l’annonce d’appartement à louer (p. 92) où s’installera finalement Noah et de la plaque de la fournaise du narrateur (p. 273). Il faut toutefois spécifier que ces informations sont fictionnelles…