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Marginalité Revendiquée
Marginalité Revendiquée se définit par une non-appartenance à son milieu. Souvent cynique ou largué face aux idées admises, la contre-culture est son milieu de prédilection, un emploi stable n'est pas une priorité et ses habiletés sociales sont très limitées. Son univers est sordide et peu reluisant. Toutefois, sa fierté se construit sur le fait de ne pas être comme les autres, de se distinguer clairement de son entourage, source de mépris. Sa différence ostentatoire est la base de sa personnalité et de ses actions.
Ce personnage est souvent traité de manière un peu absurde ou humoristique et ne se retrouve, dans notre corpus actuel, que chez les Québécois.
Des exemples notables :
Sacha et Charlotte dans Charlotte before Christ d'Alexandre Soublière ; Les deux adolescents amoureux sont en posture d'opposition à leurs univers respectifs. Issu d’une famille aisée, Sacha vit en réaction à ce milieu dont il profite pourtant toujours. Ayant été abandonnée par son père et vivant avec le revenu très modeste de sa mère, Charlotte s’évade quant à elle dans la danse contemporaine. Tous deux se perdent dans la drogue, les sensations fortes et les excès, revendiquant une certaine lucidité face à la société, dans laquelle il ne souhaite pas s’intégrer. Ils ne se retrouvent que l'un dans l'autre. Leur liste de choses à essayer ensemble témoigne de cette rupture avec la société, comptant notamment tuer quelqu'un, n'avoir que des amis chats de race et ne pas se survivre l'un l'autre.
Alexandre Soublière, Charlotte before Christ, Montréal, Boréal, 2012, 224 p.
Fiche Orion
Tess et Jude dans Document 1 de François Blais ; Tess, travaillant chez Subway, et Jude, recevant des prestations de l'aide sociale, maintiennent des ambitions assez limitées et des loisirs plutôt particuliers comme ceux de voyager via Google Maps et Family Watch Dog. Lorsqu'un projet plus complexe les interpelle, voyager à Bird-in-Hand, sans véritable motif, ils utilisent les sentiments qu'un jeune auteur entretient pour Tess afin d'obtenir une subvention du Conseil des Arts. Le projet ne se concrétisera toutefois jamais, étant donné les décisions discutables deux deux amus. Dépensant leur argent, et celui des autres, à tort et à travers, ils n’ont que faire des qu’en dira-t-on. Leur sarcasme évident est aussi symptomatique de leur mauvaise foi envers les projets qui s’offrent à eux.
François Blais, Document 1, Québec, L’instant même, 2012, 182 p.
Orion
Gésu Retard dans Gésu Retard d'André Carpentier ; La marginalité de Gésu Retard est ostentatoire. Elle passe non seulement par son excentricité vestimentaire, mais aussi comportementale. Il exprime un je-m’en-foutisme évident. Affublé d’une érection permanente et un peu tête-en-l’air, il erre à vélo avec un casque et des lunettes d'aviateur de la Première Guerre mondiale. Il cherche entre autres par cet accoutrement à être reconnu par son père, un matelot qu'il n'a jamais connu. Il fait partie du réseau Spek, « mouvement poétique international dont la vocation consiste à épier la banalité coutumière ». Il échappe à la société et à ses normes : « Ils ont dû me prendre pour ce que je suis, un de ces hippies d’autrefois qui ont cru à un monde meilleur et qu’ils méprisent tant, ou pour ce que je ne suis pas, un de ces artistes diplômés qui tournent autour de ce spectacle qui les dispense d’assumer eux-mêmes leur révolte, et ils m’ont renvoyé une seconde fois, comme on éconduit un grand frère agaçant » (p. 112). Tino Mongras le décrit, dans le Liminaire, comme « un fouineur qui effrayait les enfants et attirait sur lui la suspicion plutôt que l'affection, un itinérant de cœur, un marginal par la force des choses ; seul toujours parce que trop épuisant pour les autres et trop éreinté par tous pour frayer. ».
André Carpentier, Gésu Retard, Montréal, Boréal, 1999, 253 p.
Fiche Orion
Morvan Trépanier et Anonciade Milicska dans Trépanés de Patrick Brisebois ; Morvan Trépanier ne resent aucune appartenance à son monde, se considère comme un être de noirceur et de destruction. Il a été trépané dans sa jeunesse après un accident de moto. De passage à Montréal, il tombe amoureux de la sœur de sa fiancée. Ils vivent une histoire d'amour passionnée, mais tumultueuse, unis par leur décalage. Elle aussi trépanée lors d'un accident de voiture, Annonciade est une marginale : elle traîne ses bottes d'armée dans les squats de Montréal et fréquente des punks. Elle entraine Morvan dans un faux parti nazi. Tous deux consomment volontairement beaucoup de drogue et d’alcool, ce qui brouille leur compréhension du monde et entraîne énormément de violence.
Patrick Brisebois, Trépanés, Montréal, Éditions de L’effet pourpre, 2000, 197 p.
Réédition au Quartanier (Série QR), 2011, 194 p.
Fiche Orion
Aïcha dans Et au pire on se mariera de Sophie Bienvenu ; Aïcha a treize ans et mène une vie en marge du monde. Ses émotions et ses perceptions décalées prédominent sur les normes de la société. Elle essaie d'éviter sa mère qu'elle croit jalouse de la relation intime qu'elle entretenait avec son ancien beau-père et traîne dans le parc avec ses seules amies, des prostituées transsexuelles. Elle invente de larges pans de sa vie, ment et divague ; elle arrange les faits pour qu'ils concordent avec ses pensées. Amoureuse folle de Baz et convaincue qu'il l'aime en retour, elle est prête à tout pour le protéger, même tuer ou dire qu'elle a tué la copine du jeune homme pour le bien de ce dernier. Sa marginalité prend son siège dans ses perceptions faussées qui prennent le pas sur les normes sociétales.
Sophie Bienvenu, Et au pire on se mariera, Montréal, La mèche, 2011, 151 p.
Le jour des corneilles – Jean-François Beauchemin ;
Le père (Courge) est physiquement coupé du monde. Il vit avec son fils en forêt, loin de toute civilisation. La marginalité découle de ce petit monde à part. Le personnage s’invente une spiritualité, voire une mythologie qui lui est propre. Un langage qui lui appartient et qu’il partage avec son fils est lui aussi facteur de marginalisation et de coupure face à la société et sa langue.
Tarmac – Nicolas Dickner.
Michel Bauermann choisit une amie en la personne de Hope et s’y colle, se coupant avec elle du reste de la société. Ils regardent la télé ou s’occupent la plupart du temps avec des activités passives et inutiles. Les deux adolescents sont volontairement reclus.
L'enchantée - Pierre Drachline
Le mortimiste et l’enchantée se rencontrent au cimetière et vont dans un café où l’enchantée s’endort sur la table. Elle passe ensuite la nuit chez lui. Au matin, lorsqu’il revient avec le petit-déjeuner, elle a saccagé son appartement. Parce que ce sont deux misanthropes marginaux, ils sentent une liaison très forte entre eux. Mais avant de le rencontrer, l’enchantée a passé quelques jours avec un vieil homme qu’elle surnomme L’ami. Ce dernier fut un séducteur et un joueur, lui aussi marginal et misanthrope. Une étrange relation s’instaure entre eux et ils partent en Normandie, jouent au Casino et éprouvent quelque chose comme de la tendresse et du divertissement lorsque l’autre est présent.Les personnages sont capables d’agir, mais ils savent que tout ce qu’ils font ne rime à rien, que l’existence humaine ne vaut pas la peine. Ils méprisent leurs contemporains et la société qu’ils habitent, donc refusent de s’y insérer. Le vieil homme se sent étranger à son corps malade et vieux. Mais à la dernière minute, il se suicide pour ne pas laisser la mort gagner. Ils sont tous les trois prisonniers d’eux-mêmes, de la vie, de toute cette absurde noirceur qui empoisonne leur existence. Ils démontrent également une inaptitude à vivre normalement et à agir socialement: « Tous deux étaient des personnes déplacées parmi leurs contemporains. Ils ne s’étaient pas reconnus. Ils s’étaient flairés. À l’instinct. » (p.71)
Nous autres ça compte pas - François Blais
Un couple misanthrope, composé de Arsène (un homme) et Mitia (une femme, la narratrice), décide de quitter la ville (quartier Saint-Roch, à Québec) pour aller se cloîtrer dans un chalet isolé en Mauricie (dans les environs de Saint-Paulin. Ils vivent tous les deux de l'aide sociale et n'ont pas de voiture. Ils rencontrent Jacinthe, une jeune emo de 14 ans qui reste près de chez eux, mais on se rend compte vers la fin du roman qu'il s'agit d'un personnage inventé. Ce récit est intradiégétique à l'écrivain qui l'écrit et qui subit la présence d'un vieil homme très critique. La marginalité volontaire de ces deux personnages découle de leur conscience d'être profondément médiocres, tant dans l'univers du récit que s'ils se comparent à la plupart des personnages romanesques canoniques. La narratrice affirme: « Mitia et moi, on est pas mal à côté de la track. Au début on n'était pas certains, on s'éloignait à petits pas, en faisant bien attention comme quand on marche sur une croûte de neige puis, quand on se rendait compte qu'on était assez loin, que plus loin c'était le point de non-retour, on revenait en courant. On s'éloignait mais on ne perdait jamais tout à fait la track de vue, puis un jour on s'est dit fuck et maintenant on est rendus si loin de la track qu'on n'entend même plus passer le train. » (19)
La nuit des morts-vivants - François Blais
À Grand-Mère, Pavel et Molie sont payés pour écrire leur quotidien, sans qu'ils ne sachent pourquoi. La vacuité de leurs existences de zombies modernes est traitée sur un ton dérisoire. Même s'ils sont allés à l'école secondaire ensemble, Pavel et Molie n'ont plus le moindre contact depuis cette époque, ce qui est étonnant étant donné leurs nombreux points communs. Cela constitue un des seuls ressorts de l'intrigue. Pavel vit et travaille la nuit, à l'entretien d'un centre commercial alors que Molie est essentiellement noctambule, mais n'a volontairement pas d'emploi. Pavel et Molie ne se rencontrent jamais, mais ils ont plusieurs interactions théoriques. L'absence d'ambition des personnages et leur désir de ne pas s'inscrire dans le monde est totalement assumée. Dans le cas de Pavel, on a peu d'informations à propos de l'origine de son comportement de marginal, mais on peut tout de même affirmer qu'il pourrait évoluer en société et qu'il est somme toute intelligent. Ne pas être un adulte responsable relève de sa propre décision. Quant à Molie, elle est totalement désabusée en ce qui concerne les autres. Par exemple, Raphaël lui dit : « je pensais que tu te donnais un genre que tu faisais ta sauvage pour te rendre intéressante mais depuis que je te connais un peu je vois bien que le monde te fait peur pour vrai et parfois ça te fait agir bizarrement comme à l'instant », ce à quoi elle répond: « non tu te trompes c'est pas de la peur c'est autre chose c'est disons de l'ennui le monde m'emmerde et ça ne fait pas de moi un cas spécial toi aussi le monde t'emmerde j'en suis persuadée mais toi tu es un porc-épic frileux et moi un porc-épic pas frileux et c'est la seule différence entre nous. » (p.155-156)
Révolution - Grégoire Courtois
Même si le roman est l'oeuvre d'un auteur français, il a été publié par une maison québécoise, le Quartanier. Un groupe d'amis, qualifié par l'auteur comme étant “ce groupe d'individus que nous connaissons tous, cette jeune bourgeoisie contemporaine, branchée et bavarde, qui ne trouve pas incongru de dénoncer l'oppression capitaliste tout en courant les boutiques, à la recherche du dernier vêtement à la mode”, décide de faire la révolution. Le groupe a des intentions floues qui, au bout de la ligne, un peu comme un horoscope, ne veulent pas dire grand chose : “trouver des solutions pratiques au mal-être qui le rongeait” (p.7), “Il faut changer tout ça, prendre en main notre destin” (p.7-8) Ils restent longtemps dans la seule idée de faire la révolution et ne pensent pas à comment, ne pensent qu'à l'action sans penser à la réalisation : “ “Pourquoi”, “comment” et “à quel prix” étaient des questions secondaires, car pour l'instant ne demeurait que la soif de voir l'injustice annihilée et le système s'écrouler” (p.37). Ainsi, ils sont motivés par un fort désir, bien que plus ou moins légitime, de se désinscrire de la société de laquelle ils font partie.
Mercure sous la langue