Table des matières
Mise à l'épreuve de la grille de pré-analyse sur article journalistique sur Chevillard - théorie implicite du récit
HAVERCROFT, Barbara, et Pascal RIENDEAU, « Les jeux intertextuels d'Éric Chevillard ou comment (faire) Démolir Nisard par lui-même », dans Pascal RIENDEAU (dir.), dossier « Éric Chevillard. L'oeuvre posthume de Thomas Pilaster, du hérisson, Démolir Nisard », Roman 20-50. Revue d'étude du roman du XXe siècle, n° 46 (décembre 2008), p. 77-89. PDF [GD]
- Grille de pré-analyse - Chevillard
- Mise à l'épreuve - Chevillard académique
Note dans la mise à l'épreuve de la grille : Être attentif à l’ordre dans lequel sont traitées les différentes composantes du récit abordées par la critique. Par exemple, parle-t-on de la composante discursive à défaut de pouvoir dire quelque chose de l’histoire (dont on a d’abord tenté, justement, de rendre compte)? Se rabat-on sur le personnage à défaut de pouvoir établir la cohérence de l’ensemble?…
Caractéristiques du récit à observer chez la critique :
Personnage
* Quels éléments retient la critique pour présenter le personnage? S’attache-t-elle à sa description physique ? À ses actions ? À son rôle dans le récit ? En quels termes ?
- Le personnage est présenté dès le début de l'article : “Démolir Nisard met en scène un auteur (anonyme) qui conçoit le dessein d'écrire un livre entièrement consacré à Nisard pour qu'advienne enfin un livre sans Nisard, libéré de Nisard.” (p. 77) Le personnage est présenté d'emblée mais il n'y a pas de description physique qui en est faite. La présentation demeure de l'ordre du récit et du discours. Bref, on se concentre sur la fonction du personnage dans le récit.
- Un autre personnage qui occupe une grande place dans l'article est celui de Nisard. Or celui-ci n'est pas présenté à titre de personnage mais plutôt à titre d'objet du discours. Sa fonction dans l'oeuvre va comme suit : “Le fait de se concentrer uniquement sur Nisard permet d'accentuer la monomanie de cet auteur et confère ainsi à Démolir Nisard une texture plus romanesque.” (p. 77-78) La fonction de Nisard n'est pas explicité de manière appronfondie sur le plan de l'action et sur le plan du récit. On ne s'attarde pas sur la notion de personnage comme tel pour le présenter. Que signifie le terme “romanesque”? En quoi la présence de Nisard, d'un écrivain, dans le texte rend le récit plus “romanesque”? Est-ce lié à la nature de ce personnage comme tel qui est un écrivain lui conférant ainsi un statut littéraire et de surcroît romanesque? Cela semble un peu nébuleux.
* Comment réagit-elle au traitement du personnage chez Chevillard ?
- Outre la présentation du narrateur et de l'objet de son discours, on ne s'attarde pas à la notion de personnage. Il est donc difficile de déterminer quelle réaction y est associée.
* De ces informations, quelle conception du personnage est véhiculée par la critique ?
- Hypothèse : le statut du personnage a perdu de son intérêt au profit du narrateur et de l'objet de son disocurs. L'accent semble mis davantage sur le récit et le discours, plutôt que sur l'histoire et les événements qui la fondent. Toutefois, précisons qu'il s'agit d'un article sur l'intertextualité ce qui implique forcément que l'on soit davantage dans une approche discursive qu'actantielle.
[VA : l'importance du discours est également soulignée dans la critique journalistique…]
Intrigue / histoire
* Quels éléments retient la critique pour proposer un résumé de l’histoire ?
- Le narrateur et l'objet de son discours (Nisard).
- On s'attarde également à l'élément déclencheur : “On peut postuler qu'il existe encore un esprit Nisard, conservateur, voire réactionnaire, qui laisse le loisir à ceux qui l'adoptent de réitérer des lieux communs notamment autour de l'appauvrissement de la littérature française. C'est précisément une des idées récurrentes de Nisard, une de celles qui sont parvenues jusqu'à nous, sur laquelle insiste Pierre Larousse dans la notice sur Nisard que l'on trouve dans son Grand Dictionnaire du XIXe siècle, et qui sert d'élément déclencheur au roman de Chevillard” (p. 78).
- On précise également que l'oeuvre de Chevillard se déclide selon deux modes, narratif et discursif : “Il est vrai que le registre argumentatif est récurrent durant tout le roman et qu'il alterne avec le discours plus strictement narratif.” (p. 78)
- Ces précisions quant à la nature du texte surviennent relativement tôt dans l'article, ce qui nous porte à croire que ce sont des données importantes pour cerner le texte de Chevillard et ce, même si on les délaisse par la suite (données : présentation du narrateur et de l'auteur auquel il s'attarde, élément déclencheur, nature de l'oeuvre). On remarque aussi que l'on tente, dans une moindre mesure certes, de cerner l'intrigue : “C'est donc à ce préjugé tenace que Chevillard s'attaque, en remodelant la forme romanesque avec comme point de départ une idée fixe qu'il exploite jusqu'à son comble : inventer toutes les façons possibles de redonner vie à Nisard et à son oeuvre pour mieux les démolir, que ce soit sur le plan des idées ou des événements.” (p. 78)
* Comment réagit-elle au traitement de l’histoire chez Chevillard ?
* De ces informations, quelle conception de l’intrigue / histoire est véhiculée par la critique ?
- Elle semble assez conventionnelle. On dénote la présence d'une quête : “Le constat de l'absence de ce texte mystérieux a deux conséquences : il fait avancer l'action, l'empêche de tourner en rond, car le narrateur partira lui-même à la recherche du récit disparu, et cette quête deviendra une seconde obsession à l'intérieur du projet principal : détruite Nisard.” (p. 81)
Narrateur / narration / discours
* Quels éléments retient la critique de la figure du narrateur et/ou de son discours ?
- On distingue le narrateur et l'auteur en précisant quelle est la position de l'auteur sur la littérature, position défendue à hauteur d'oeuvre : “Nous entrons ici au coeur d'une problématique centrale du roman modulable chez Chevillard : mettre en scène un auteur qui écrit un livre afin de réfléchir à la littérature grâce au principe de la confrontation. La conception de la littérature de Nisard (valoriser les claissiques, abhorrer les modernes) est décriée par le narrateur et s'oppose à cellte qui est implicitement privilégiée par Chevillard, qui récuse non seulement le réalisme, mais aussi toute norme ou prescription.” (p. 79) Or, à la fin de l'article, on établit la proximité entre les deux instances. Auteur et narrateur sont assimilés l'un à l'autre et joints par un trait d'union, alors qu'ils étaient différenciés plus tôt dans l'article : “Ainsi le livre sans Nisard ne deviendra-t-il possible que par cette entreprise scripturale collective, où le narrateur-auteur chevillardien engendre d'autres auteurs qui écriront, eux aussi, sans Nisard – donc, libérés d'une conception étroite de la littérature –, là où Nisard lui-même n'aura aucune descendance.” (p. 88)
- Le narrateur est de mauvaise foi et n'est pas neutre : “Certaines des stratégies que le narrateur adopte (réfutation, violence verbale, satire) rapprochent inévitablement son texte du pamphlet, mais en plaçant injustement Nisard dans une position de victime à qui il n'accorde qu'un droit de se défendre par lui-même, dont la réplique est immédiatement tournée en ridicule, le narrateur montre clairement sa mauvaise foi.” (p. 83)
- La narration a recours à l'intertextualité comme procédé narratif et discursif : “Le narrateur ne cache jamais l'origine de ses documents, ne procède pas non plus à une forme de linéarisation. Au contraire, il laisse paraître le texte hétérogène et signale clairement sa différence avec le sien, soit en l'introduisant, soit en choisissant des caractères typographiques différents.”
- L'intertextualité répond à un projet : “L'exposition des sources, qui proviennent principalement de contemporains de Nisard, permet d'éviter la “raideur toute monologique” (Laurent Jenny, “La stratégie de la forme”, dans Poétique, vol. 27 (1976), p. 273) que la linéarité de la mise en forme de l'intertexte impose habituellement. Les commentaires ou réponces que le narrateur ajoute aux textes de Larousse, Bigot ou Barbey d'Aurevilly créent un véritable dialogue avec eux. En les citant, il ne déforme jamais leurs paroles, tout au plus change-t-il un pronom auquel il peut manquer un antécédent ou alors ajoute-t-il une digression qui se distingue clairement. En revanche, il omet d'inclure tout élément susceptible de nuancer leurs opinions parfois tranchées. En effet, sa stratégie principale consiste à recourir de façon très précise à l'ellipse, c'est-à-dire un découpage du texte qui conserve l'idée de progression chronologique ou de construction argumentative et l'ensemble des éléments jugés essentiels. Or ces nombreuses ellipses surviennet précisément au moment où l'article propose un autre point de vue de Nisard. Par un montage textuel assez savant, leurs écrits, purgés de tout élément positif sur Nisard, deviennent alors un ensemble bien ficelé et inflexible qui répond parfaitement au dessein du narrateur.” (p. 80)
- L'intertextualité fait avancer l'action : “Le constat de l'absence de ce texte mustérieux a deux conséquences : il fait avancer l'avancer l'action, l'empêche de tourner en rond, car le narrateur partira lui-même à la recherche du récit disparu, et cette quête deviendra une seconde obsession à l'intérieur du projet initial : détruire Nisard.” (p. 81), “La tentative présumée de Nisard de faire disparaître son ouvrage ne provoque d'abord aucune action chez le narrateur – à peine quelques commentaires ironiques –, mais elle deviendra plus tard une source de motivation narrative significative” (. 81), “C'est donc l'intégration des passages du Convoi qui permet au narrateur de Démolir Nisard de faire avancer son propre récit, tout en transformant complètement le ton et les isotopies du texte de Nisard par l'emploi de certaines opérations intertextuelles précises” (p. 84).
* Comment réagit-elle au traitement de la figure du narrateur et/ou du discours chez Chevillard ?
- Difficile de déceler une réaction.
* De ces informations, quelle conception du discours, dans son rapport au récit et/ou à l’histoire, est véhiculée par la critique ?
- On peut penser que l'on a une prédisposition positive pour la teneur narrative du texte plutôt que pour la teneur argumentative.
Digression
* Impact sur la progression de l'intrigue, sur la structure narrative ?
- Ce n'est pas très clair. On précise que le narrateur “s'attarde trop longuement à la rumeur (“on prétend”) et lui accorde une importance démesurée” (p. 81). Cela suppose que l'on déroge à un schéma conventionnel, à une doxa narrative. Mais on ne signale pas en quoi il s'agit de démesure. On s'écarte d'une norme, mais sans la mentionner.
- La progression logique est à conserver. C'est un autre critère, comme la cohérence, à respecter dans la mise en récit : “En effet, sa stratégie principale consiste à recourir de façon très précise à l'ellipse, c'est-à-dire un découpage du texte qui conserve l'idée de progression chronologique ou de construction argumentative et l'ensemble des éléments jugés essentiels. Or ces nombreuses ellipses surviennet précisément au moment où l'article propose un autre point de vue de Nisard. Par un montage textuel assez savant, leurs écrits, purgés de tout élément positif sur Nisard, deviennent alors un ensemble bien ficelé et inflexible qui répond parfaitement au dessein du narrateur.” (p. 80)
* Réaction de la critique
Fragmentation
* Impact sur la progression de l’intrigue, sur la structure narrative, sur l’œuvre ?
- Le fragment apparaît comme une propriété du texte sans représenter une entrave à la cohérence, critère important dans la mise en récit : “Si son discours, motivé par la haine, affiche une consistance et une cohérence inébranlables, la construction souple du roman favorise l'hétérogénéité, la fragmentation, l'abondance de citations, la multiplication des fictions ou le montage baroque.” (p. 77)
* Réaction de la critique
…
Cohérence de l’ensemble
- Il s'agit d'un critère déterminant sur lequel repose un récit : “Les dix extraits du dictionnaire (…) découpés de façon thématique et répartis sur l'ensemble du roman forment un tout cohérent grâce à la précision des ellipses.” (p. 80)
Varia
- -
Stratégies rhétoriques à observer chez la critique
(Par rapport aux caractéristiques indiquées ci-dessus, mais aussi de façon générale ; ces stratégies tendent à trahir les limites des théories narratives dont fait usage la critique pour tenter de saisir l’œuvre de Chevillard) :
Usage de la métaphore
Citations de l’œuvre
* Reprises et citations de l’œuvre de Chevillard pour décrire celle-ci, dans un geste circulaire. Autrement dit, la critique utilise (ou transforme ?) l’œuvre de Chevillard comme matière théorique pour commenter l’œuvre.
…
Déclarations de l’écrivain
* Recours aux entrevues de l’écrivain pour appuyer ses idées – comme figure d’autorité ou pour d’autres usages qu’il faudrait identifier, le cas échéant.
…
Comparaisons / rapprochements intertextuel(le)s
* Lesquel(le)s ? Vérifier si ces rapprochements intertextuels sont énoncés faute de pouvoir rendre compte de l’œuvre (incapable de décrire celle-ci, la critique se résout à comparer pour donner au moins « une idée » de l’œuvre). Vérifier si ces rapprochements sont seulement énoncés ou expliqués.
…
Vocabulaire approximatif
* Étrange, singulier, bizarre, incongru, déroutant, insaisissable : les qualificatifs passe-partout qui empêchent d’avoir à décrire l’œuvre.