Table des matières
FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Martin Page (texte) et Quentin Faucompré (images)
Titre : La mauvaise habitude d'être soi
Éditeur : Éditions de l'Olivier
Collection : -
Année : 2010
Éditions ultérieures : -
Désignation générique : aucune
Quatrième de couverture :
Un homme, fatigué d’être lui-même, décide de disparaître un temps pour expérimenter le plaisir de n’être plus personne ; un autre, au hasard d’une analyse de sang, voit sa vie basculer car on a découvert qu’il n’était pas un véritable homo sapiens mais un spécimen en voie de disparition ; un dernier déménage pour s’installer à l’intérieur de lui-même, en toute intimité.
Entre Dino Buzzati et Roald Dahl, ces sept histoires, écrites par Martin Page et dessinées par Quentin Faucompré, mettent en scène des personnages à l’identité vacillante. Les deux artistes partagent un imaginaire plein de noirceur et d’humour. De leur rencontre naît un livre hors normes, où les dessins de l’un viennent intensifier l’étrangeté des histoires de l’autre.
Martin Page est né en 1975. Son premier roman, Comment je suis devenu stupide, est un énorme succès critique et public. Suivront cinq autres romans, dont La Disparition de Paris et sa renaissance en Afrique (prix Ouest-France Étonnants Voyageurs 2010), publié à l'Olivier. Ses livres sont traduits dans une dizaine de pays.
Quentin Faucompré a un trait souple et minimal, ses dessins ont souvent une dimension onirique. Véritable électron libre, il mène de front expositions, performances, projets collectifs (L'Armée noire, éditions Al Dante, 2010), bandes-dessinées et recueils de dessins (aux éditions MeMo, les Requins Marteaux, le Dernier Cri, etc.).
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
La mauvaise habitude d'être soi est constitué de sept nouvelles qui ont toutes un côté insensé. Voici un résumé de chacune d'elles:
« Le contraire d'un phasme »
Un lieutenant de police déboule dans l'appartement de Raphaël, lui annonce qu'il enquête sur son assassinat. Raphaël passe un bon moment à tenter de convaincre le policier qu'il est encore bien vivant, mais l'autre a toujours réponse à tout : « - Réfléchissez. Je ne suis pas mort, puisque je vous parle. - Ce sont vos derniers réflexes. Juste des influx nerveux. Comme les canards à qui on coupe la tête. » (18) Le lieutenant suggère même qu'un juge l'accusera de faux témoignage s'il persiste à nier son décès et que la seule manière de prouver qu'il est en vie serait de fournir un alibi. Même si au départ Raphaël doute de la santé mentale du lieutenant (on le comprend) parce qu'il se sent bien vivant, plus le récit avance et plus il est forcé de se rendre aux arguments du policier. Rien de ce qu'il peut dire ou faire n'arrivera à convaincre ce dernier. D'ailleurs, Raphaël se sent de plus en plus faible…
« La mauvaise habitude d'être soi »
Philippe est assis à la terrasse d'un café. Soudain un homme vient s'asseoir devant lui et lui annonce qu'il veut être lui : « je vous propose d'être quelqu'un d'autre et de me céder la place. Me laisser être vous. » (55) L'homme prétend qu'il serait plus doué pour être Philippe que Philippe ne l'est : « je vois le potentiel qu'il y a en vous. Je vois des capacités mal utilisées. À plus d'un titre, vous êtes exceptionnel et vous l'avez oubli. » (57) L'homme dit à Philippe que celui-ci n'est lui-même que par habitude, « par mauvaise habitude », et lui propose d'être son voisin pendant que lui prendra sa place pendant deux jours. Philippe accepte, mais ne souhaite pas être le voisin; il « préfère n'être personne », ce qui, selon son interlocuteur, offre « la plus grande des libertés ». Le récit se conclut ainsi : « Il va n'être personne et il se sent revivre. » (63)
« L'homme qui était une espèce en voie de disparition »
Deux scientifiques débarquent chez Tristan pour lui annoncer qu'il n'est pas un homo sapiens sapiens comme les autres humains modernes, mais le dernier représentant des homo sapiens insularis et qu'avec sa mort s'éteindra cette sous-espèce. Mais Tristan demeure quelque peu perplexe devant cette singularité qu'il posséderait : « Je ressemble à tout le monde », se défend-t-il (72). Les scientifiques le rassurent en lui promettant que sa différence est négligeable, mais sont tout de même déçus quand, après une batterie d'examens, ils sont forcés d'admettre que Tristan n'est différent que dans son phénotype. « Tristan, lui, [est] heureux de se trouver conforté dans une normalité dont il n'avait jamais douté » (75). Sa vie reprend alors un cours normal, jusqu'à ce qu'il soit inscrit comme espèce protégée et qu'il perde définitivement le contrôle de son existence (77). Une bande de hippies finira par l'emmener loin de son appartement devenu quasiment un zoo et le ramener dans son « milieu naturel », sur un île déserte, au grand dam de Tristan.
« Vocation pour une occupation perpétuelle »
Marc passe une entrevue pour être coupable. C'est son rêve depuis l'enfance. Mais Marc a la peau trop pâle, un nom trop français, une personnalité équilibrée, n'a pas de dossier criminel ni de problème mental, etc. En somme, on le trouve trop normal. Mais pour Marc, la culpabilité est véritablement un idéal à atteindre: « J'ai besoin de quelque chose de supérieur à moi, qui me définisse. […] La société m'apparaît comme un immense désert dénué d'oasis. Il n'y a plus aucune idéologie à laquelle adhérer. Seule la culpabilité est encore pure et ne se renie pas. » (92)
« L'intérieur de moi-même »
Un personnage se met à vivre à l'intérieur de lui-même. Étrangement, il peut faire à l'intérieur de lui-même tout ce qu'il pouvait faire auparavant : jouer de la musique, lire, courir, etc. Ne me demandez pas comment, ça demeure obscur. Évidemment, il doit sortir lorsqu'il veut rencontrer des amis, mais il est toujours heureux de revenir à l'intérieur de lui-même : « Le soir, après avoir essuyé mes pieds sur le paillasson, j'entre et j'enlève mes chaussures; je me prépare un thé et je m'installe dans mon bon vieux fauteuil en cuir avec un livre. Immédiatement mes épaules se relâchent. Je suis ici chez moi; et je ne fais que commencer à entrevoir ce que cela signifie. » (109)
« La fuite animale »
Tous les animaux sans exception fuient une ville. Seuls les humains restent, désemparés. « C'était incompréhensible : si tous les animaux avaient senti un péril, pourquoi nous, les animaux humains, n'avions-nous rien deviné? Il nous semblait avoir perdu quelque chose, une capacité. Nous étions incomplets. Tous, je crois, nous éprouvions la fragilité et la maladresse de notre espèce. Son isolement aussi. » (126-127)
« Nous vivions une époque dénuée de sens, et c'était intolérable. » (128)
Finalement, le personnage principal décide lui aussi de quitter la ville.
« Le monde est une tentative de meurtre »
Un homme au chômage retrouve un sens à sa vie en se défendant contre le monde. Il remplace les fils électriques dénudés, installe des filets sous ses fenêtres, démonte des voitures, etc.
Thème(s) : Identité, disparition
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix :
Toutes les nouvelles du recueil (sauf peut-être la dernière) mettent en scène une disparition: un personnage qui se croit vivant, mais est mort ; un qui donne sa vie à quelqu'un d'autre et devient personne ; un qui est une sous-espèce en voie de disparition et aboutit sur une île déserte ; un qui souhaite passer le reste de ses jours en prison ; un qui se met à vivre à l'intérieur de lui-même ; des animaux qui fuient tous une ville, jusqu'à ce que le personnage leur emboîte le pas. C'est un peu mince pour parler de déconnexion du personnage, mais si on considère seulement les cinq premiers récits, on constate que les personnages ont tous un problème avec leur identité et/ou leur individualité. Par exemple, le personnage de l'homme en voie de disparition essaie de prouver sa normalité en même temps qu'il est flatté de l'attention qu'il reçoit en tant qu'être singulier (« il prit conscience de son statut d'individu unique et du fait qu'il était un peu plus que celui qu'il avait été jusque-là. Le poids de la responsabilité s'abattit sur ses épaules. Cette unicité lui était pesante. » (79)), mais cette attention finira par causer sa perte. En fait, tous les personnages du recueil sont traversés par une tension entre normalité et individualité, entre se fondre dans la masse et se démarquer.
Appréciation globale : Très agréable à lire, notamment grâce au ton léger et à l'étrangeté présents dans toutes les nouvelles du recueil.
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
a) actionnelle : Les personnages principaux des trois premiers récits (“Le contraire d'un phasme”, “La mauvaise habitude d'être soi”, “L'homme qui était une espèce en voie de disparition”), sont particulièrement à la remorque des événements et des autres personnages. C'est toujours quelqu'un qui débarque dans leur vie pour leur annoncer une nouvelle qui entraînera un changement drastique auquel ils ne peuvent pas grand-chose. Prenons, encore une fois, le personnage de l'homme en voie de disparition: il est chez lui, éminemment normal, quand deux scientifiques viennent le voir et chambouler son existence. Plus tard, alors qu'il s'est presque habitué à sa vie d'animal en cage, un hippie le “kidnappe” pour l'abandonner sur une île déserte. Jamais il ne fait montre de la moindre initiative.
b) interprétative : Toutes les nouvelles bercent dans une atmosphère un peu étrange et contiennent des événements peu compréhensibles, mais ce ne sont pas tous les personnages qui s'en offusquent. Celui du “Contraire d'un phasme” et de “La mauvaise habitude d'être soi”, par exemple, sont d'abord réticents face à ce qui leur arrive (annonce de la mort et annonce d'un échange de vies), mais l'étrangeté de la situation finit par ne plus être un obstacle majeur. Les explications qu'ils reçoivent, pour tordues qu'elles soient, suffisent tout de même à les convaincre, l'un qu'il est bel et bien mort, l'autre qu'il devrait vraiment donner à sa vie à quelqu'un d'autre pour un temps.
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Rien de marquant. Certaines nouvelles à la troisième personne, d'autres à la première…