Notice bibliographique : CATHRINE, Arnaud, La disparition de Richard Taylor, Paris, Verticales, 2007, 195 p.
Résumé de l’œuvre :
À Londres, en 1998, Richard Taylor a trente ans et vient d'emménager dans un nouvel appartement en compagnie de son épouse Susan, enceinte d'une petite fille. Un soir où la jolie voisine se masturbe férocement contre le mur mitoyen à leur chambre à coucher, Richard Taylor réalise brusquement qu'il en assez et s'en va. Il part sans donner de raison précise à sa femme, mais en sachant parfaitement qu'il doit partir. Il erre pendant presque dix ans sans prendre de nouvelles de son ancienne vie, reniant famille et amis, vivant tantôt sur ses économies tantôt au crochet d'amantes de passage. Enfin, il revient chez lui pour revoir sa femme et surtout sa petite fille. Dans l'escalier, il croise la jolie voisine adepte de plaisirs solitaires bruyants qui lui annonce que Susan s'est jetée par la fenêtre, sa fille dans les bras, six mois après le départ de Richard.
Narration : polyphonique, homodiégétique
Explication : La vie de Richard Taylor à partir de sa disparition est racontée tour à tour par une dizaine de femmes qui l'ont côtoyé, chaque chapitre correspondant à une femme: “L'infortune de Susan Taylor”, “La bonne volonté de Rebecca Swift”, “Le contentement de Jennifer Wilson”, etc. Ces femmes ne racontent cependant pas véritablement la vie de Richard Taylor (qui demeurera pleine de trous), mais plutôt la leur et Richard en fait, directement (Susan, Rebecca, Lydia, etc.) ou indirectement (Sarah Kane), partie. Ces chapitres sont regroupés en quatre parties : la première se déroule à Londres en 1998 ; la deuxième raconte une partie des errances de Richard Taylor hors de Londres, de 1998-2002 ; la troisième s'intéresse aux années 2002 à 2005, et l'épilogue raconte le retour de Richard Taylor chez lui, lorsque Jennifer Wilson lui apprend le suicide par défenestration de sa femme (2002).
Personnage(s) en rupture : Richard
A) Nature de la rupture : actionnelle
Explication : Richard met brusquement un terme à la vie rangée mais insupportable qui était la sienne: sa femme, sa fille, son emploi à la BBC en compagnie d'une collègue(Rebecca) qui l'aime de façon excessivement compliquée - complexe, dirait-elle -, sa mère à tendance castratrice… Dans une attitude qui s'apparente probablement un peu à de la lâcheté, Richard refuse d'assumer ce qui avait jusque là constitué sa vie et se tourne vers une existence plus dissolue, instable, fréquentant des bars louches, accumulant les amantes pour finir par vivre presque en reclus (“Les visites d'Avalyn Danes”) pour s'adonner à la peinture, une passion d'enfance que son père désapprouvait. En quelque sorte, Richard Taylor embrasse une existence en apparence plus libre, mais sa quête lui apparaît vite vaine: “Je ne suis pas libre. Sorti de la gangue, je ne respire plus. Il y a quelque chose qu'on ne m'a pas appris peut-être.” (p. 99). Peut-être est-ce pour cela qu'il essaie de revoir sa femme et sa fille, mais, hélas, sa liberté a eu de graves conséquences et il ne peut plus revenir en arrière.
B) Origine de la rupture : actorielle
Explication : Quand Richard quitte l'appartement où il vivait avec Susan et leur fille, il ne donne pas de raison autre qu'une sensation d'étouffement qu'il décrit dans une lettre à sa mère. Au cours des récits qui suivent, on a toutefois quelques précisions. Dans une autre lettre, à sa soeur cette fois, il écrit : “je les mimais [mes parents] et obéissais à cette machine à l'oeuvre depuis tellement d'années, la machine à fabriquer le modèle. […] Avais-je un jour seulement été moi-même ?” (p. 127). Puis, dans le récit “L'invité de Molly Hunter”, Richard retourne à la maison de son enfance, maintenant habitée par Mrs Hunter. Il lui avoue qu'“Il n'y a qu'ici où j'ai l'impression d'avoir vécu vraiment à ma mesure. Je n'étais pas un enfant innocent ni bienheureux. Mais je n'étais pas encore l'étranger.” (p. 118). Richard a donc vécu sa vie de façon extrêmement conformiste et c'est ce qui la rend brutalement insupportable à ses yeux. Puisqu'il a la sensation de n'avoir jamais tracé son propre chemin depuis son enfance, il renoue avec la passion qui l'animait quand il était jeune, la peinture, afin de retrouver celui qu'il était alors et qu'il aurait dû, selon lui, devenir.
C) Manifestations : posture désorientée
Explication : Richard se retrouve en effet désorienté, au sens où, une fois sa vie rangée quittée, sa famille reniée, le moule de la conformité brisé, il ne lui reste plus rien de stable à quoi se raccrocher, c'est pourquoi il erre apparemment sans but, comme un satellite qui perd sa planète. Les rôles qu'il endossera au cours de ses années d'errance finissent tous par lui paraître lassants. Après avoir été étranger à sa vie, il devient étranger à tout.
D) Objets : désintéressement
Explication : Ce n'est pas que les projets de Richard ne se forment pas, c'est simplement qu'il n'a pas de projet… Il erre aussi longtemps que ses économies le lui permettent, sans attaches, sans conséquences. Vaguement, il semble peut-être avoir certaines aspirations artistiques, mais il refuse d'exposer ses toiles et ainsi répondre aux exhortations d'Avalyn Danes.