Outils pour utilisateurs

Outils du site


fq-equipe:hebert_par_gosselin

Anne Hébert par Michel Gosselin

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Michel Gosselin Titre : En route et pas de sentiment. Anne Hébert, entre Paris et Montréal Lieu : Montréal Édition : Hurtubise Collection : Aucune Année : 2010 Pages : 447

Biographé : Anne Hébert Pays du biographe : Québec Pays du biographé : Québec

Désignation générique : Récit

Quatrième de couverture : Extrait de l’ouvrage, où Anne Hébert fait ses adieux à sa pharmacienne parisienne, et conclut par la phrase qui sert de titre au livre : « En route et pas de sentiment. » Il y a également une brève présentation de l’auteur. On y souligne qu’il a été un témoin privilégié des dernières années de la vie de l’écrivain. Il est également mentionné qu’il a publié des romans, dramatiques radiophoniques et un essai, en plus d’avoir été l’instigateur du Centre d’études Anne-Hébert de l’Université de Sherbrooke.

Préface : Aucune.

Autres informations :

Textes critiques sur l’œuvre et/ou l’auteur : Comptes-rendus parus dans les journaux : - FESSOU, Didier, « Anne Hébert dépossédée de l’amour », Le Soleil, « Livres », 10 octobre 2010, p. 31. - GUY, Chantal, « Les colères de madame Hébert », La Presse, « Arts et spectacles », 9 octobre 2010, p. 18. - LAURIN, Danielle, « Anne Hébert, la fin », Le Devoir, « Livres », samedi, 2 octobre 2010, p. F3.

SYNOPSIS

Résumé ou structure de l’œuvre : L’œuvre se présente sous forme de deux récits linéaires intercalés. Le récit cadre se passe en 2009-2010. L’auteur-narrateur, à la toute première page, se fait annoncer par son médecin qu’il souffre d’un cancer et qu’il n’a plus que quelques mois à vivre. Le souvenir des dernières années passées avec Anne Hébert se met alors à refluer, et le narrateur se dit qu’il doit profiter du peu de temps qui lui reste avant de mourir pour livrer ce récit. Il se plonge alors dans la lecture du journal qu’il tenait méticuleusement à cette époque. Le journal, retranscrit en italiques, occupe la majeure partie de l’ouvrage. Le récit cadre sert surtout à commenter (de manière plutôt sentimentale, en général) les événements rapportés dans le journal. Le narrateur y note aussi des détails de sa vie quotidienne, la progression de sa maladie, les visites de sa voisine, la compagnie de son chien Louky. Mais surtout, l’auteur commente les transformations subies par la nature environnant sa maison à la campagne, sur la période où se déroule le récit, c’est-à-dire entre le solstice d’hiver et l’été. Le livre se termine sur le trépas du narrateur.

Le récit enchâssé, le journal, s’échelonne sur une période débutant en janvier 1997 et se terminant le 22 janvier 2000, date du décès d’Anne Hébert. Les deux sections du livre, « Paris » et « Montréal », renvoient aux événements qui se passent dans le récit enchâssé. Dans la première partie, l’auteur raconte les trois mois qu’il a passés à Paris à l’hiver 1997 afin d’aider Anne Hébert à organiser son prochain déménagement à Montréal, après quarante ans passés dans la capitale française. C’est surtout grâce aux dialogues qui sont retranscrits – difficile toutefois de déterminer avec quelle fidélité – que nous découvrons une Anne Hébert rongée par l’anxiété de ce déménagement dont elle sait la nécessité, mais qui lui brise le cœur d’autant plus qu’elle appréhende avec angoisse la perte du relatif anonymat dont elle jouit à Paris. C’est pour mourir, répète-t-elle à maintes reprises, qu’elle va s’établir à Montréal. La femme que nous présente Gosselin est la fois vulnérable, sensible, cassante et capricieuse par moments, voire colérique, enthousiaste dès qu’il est question de son œuvre (qu’elle semble connaître par cœur en entier), heureuse de partager ses souvenirs mais en même temps très mystérieuse, timide et réfractaire aux honneurs qu’on lui témoigne.

La seconde partie, « Montréal », est beaucoup moins condensée que la première (et par conséquent, à mon avis, moins intéressante). Le narrateur et Anne Hébert n’ayant plus de contact quotidien, leurs rencontres sont plus espacées et moins intimes, excepté en ce qui concerne un voyage de trois mois qu’ils font ensemble à Menton à l’hiver 1998. Le livre s’achève sur une note plutôt sombre : l’agonie du narrateur alterne avec le récit du décès de sa mère – dont la situation est souvent mise en parallèle avec celle de l’écrivain –, puis celui du dernier séjour d’Anne Hébert à l’hôpital, atteinte du cancer des os.

Tout au long du récit, c’est une amitié pour le moins obséquieuse que le narrateur témoigne à Anne Hébert, lui taisant ses désaccords – par exemple quelques erreurs qu’il a décelées dans Kamouraska et dont il ne lui fera jamais part –, lui dissimulant ses frustrations, ses désagréments, certains questionnements, négligeant sa vie personnelle – la séparation du narrateur et de son amant est évoquée très souvent dans le texte – et professionnelle au profit de son amie.

Topoï :

Rapports auteur-narrateur-personnage : La narration est homodiégétique pour les deux niveaux de narration. On peut supposer que le journal n’a pas fait l’objet d’une réécriture très importante. En ce qui concerne le récit cadre, il semble s’agir d’une narration autofictionnelle, l’auteur n’ayant pu écrire le récit de sa propre agonie et de sa mort. La désignation « récit » cultive cette l’incertitude quant au statut fictionnel ou référentiel du récit cadre.

POSTURES DU BIOGRAPHE

Position du biographe et du biographé dans l’institution littéraire et, s’il y a lieu, transfert de capital symbolique : Le biographe est le fondateur du Centre d’études Anne-Hébert. Il enseigne la littérature au CÉGEP de Sherbrooke. Il a également publié quelques ouvrages (voir ci-haut). Il est possible que l’auteur ait été motivé par un transfert de capital symbolique, puisqu’il met l’accent sur sa relation d’amitié intime avec Anne Hébert.

Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : Il semble s’agir du seul ouvrage biographique écrit par l’auteur.

Thématisation de la biographie : Au début de l’ouvrage, le narrateur explicite son projet. Après avoir mis la main, après maintes recherches, sur son journal, il écrit : « Il faut que je raconte ces années avec elle avant de partir. J’ai déjà trop tardé et n’ai encore rien dit. » (2010 : 19) (Problème : le narrateur, dans le récit cadre, ne raconte pas réellement : il revisite son journal en y ajoutant quelques commentaires ici et là.)

Les réticences d’Anne Hébert par rapport au biographique sont évoquées à quelques reprises. Elle redoute que des chercheurs – qu’elle semble mépriser – fouillent dans ses papiers après sa mort, bien que, paradoxalement, elle fasse don de ses archives personnelles à l’Université de Sherbrooke.

Le narrateur et Anne Hébert échangent spécifiquement par rapport au biographique lorsqu’elle lui parle de la biographie de Marguerite Duras qu’elle vient de lire. Alors que le narrateur soutient que la biographie peut conduire le lecteur à lire ou à redécouvrir une œuvre, Anne Hébert adopte une position contraire : « Je conçois que certaines références biographiques peuvent aider à comprendre une œuvre, mais je refuse qu’on s’appuie sur celles-ci pour expliquer l’œuvre en entier […]. » (2010 : 151) Plus loin : « Les critiques souvent ne cherchent que des détails croustillants dans la vie d’un auteur qui expliqueraient certains paragraphes d’une œuvre. Bien sûr que l’on retrouve des allusions, des souvenirs et même des événements que l’auteur a vécus, mais se borner à ces anecdotes restreint la portée de l’œuvre et frise la malhonnêteté. » (2010 : 151) Enfin, à la page suivante : « Contrairement à ce que vous dites, je ne crois pas que le lecteur sera intéressé à découvrir l’œuvre. Au contraire, il aura l’impression de n’apprendre rien de nouveau dans les fictions de l’auteur. En privilégiant telle piste plutôt que telle autre ou en insistant sur un aspect quelconque de la vie de l’auteur, le biographe dirige la compréhension du lecteur d’une manière que je qualifierais d’indélicate. Voilà ! » (2010 : 152) L’auteur, suite à cette phrase, commente dans le récit cadre que malgré une telle opposition au biographique, Anne Hébert lisait pourtant de nombreuses biographies. « Pourquoi s’intéressait-elle à un si grand nombre de biographies alors qu’elle refusait qu’on écrive la sienne ? À cette époque-là, je ne comprenais pas. » (2010 : 152) Il n’explique cependant pas ce qu’il a découvert depuis qui ait pu lui faire comprendre spécifiquement pourquoi elle s’opposait à ce qu’on écrive sa biographie.

Affiliation à une culture d’élection et apports interculturels : Non pertinent, quoique l’ouvrage se passe en grande partie en France.

FIGURES D’ÉCRIVAINS

I- LES SCHÉMAS ARGUMENTATIFS

Convocation d’un discours critique? Présence d’un argumentaire expliquant, justifiant ou contestant les rapports vie-œuvre? Aucun discours critique n’est convoqué et il n’y a pas réellement d’argumentaire concernant les rapports vie-œuvre. On remarque que le narrateur suppose que les événements de la vie, et en particulier les événements de la jeunesse d’Anne Hébert, ont influencé son œuvre, mais il ne cherche pas à défendre ce point de vue.

II- LES STRATÉGIES DIÉGÉTIQUES

Identifier le « dispositif structurant » (s’agit-il d’une biographie imaginaire d’un écrivain réel, d’un texte mettant en scène un écrivain réel dans une fiction ou d’un texte mettant en scène un écrivain fictif?) et les répercussions du choix du « genre » sur la façon de traiter le rapport vie-œuvre. Biographie d’un écrivain réel où la seule part fictionnelle semble être dans le récit cadre et où la perspective est celle d’un témoin. Le fait que le récit se penche surtout sur le quotidien et sur le déménagement d’Anne Hébert fait en sorte que l’œuvre reste finalement assez peu convoquée. Lorsqu’il en est question, c’est au cours de discussions entre le narrateur et Anne Hébert, mais, compte tenu du point de vue de celle-ci sur l’interprétation de l’œuvre par la vie, il n’est pas réellement question du rapport vie-œuvre. La vie et l’œuvre sont abordés séparément, le plus souvent par Anne Hébert elle-même, dont les propos sont rapportés.

Mise en scène de l’écrivain : comment est-il mis en scène en tant qu’écrivain (par exemple : le voit-on en train d’écrire?) Lorsque le récit débute, Anne Hébert est en train d’écrire Est-ce que je te dérange ? Elle fait part de ses progrès et de ses difficultés au narrateur qui mentionne qu’elle consacre ses matinées à l’écriture. Lorsqu’ils se rencontrent, généralement pendant l’après-midi, elle lui récite souvent des bribes de ce qu’elle a écrit pendant la journée. Plus tard, lorsqu’elle entreprend l’écriture de Un habit de lumière, le lien entre son personnage, Rose-Alba Almevida, et la concierge de l’immeuble où elle habitait à Paris est soulevé, Anne Hébert soulignant qu’elle souhaite atténuer les ressemblances entre elles. L’importance de l’acte d’écriture dans la vie d’Anne Hébert est souvent évoquée par celle-ci.

Mise en scène de l’œuvre : l’œuvre est-elle convoquée? Si oui, sert-elle de support à l’ « explication » de la vie? Retrouve-t-on des échos thématiques ou stylistiques de l’œuvre de l’écrivain dans la biographie?

Écho thématique : les indices qui sont constamment évoqués par l’auteur rappellent en quelque sorte le doute qui plane dans les romans d’Anne Hébert, où la révélation du drame originel qui fonde le récit est toujours ajournée. Cependant, ici, il n’y a pas de révélation brutale et on n’a droit qu’à la phrase prononcée par Anne Hébert sur son lit de mort : « J’ai été une enfant dépossédée de l’amour par une volonté antérieure à la mienne. J’ai été une enfant dépossédée de l’amour à jamais ! » (2010 : 439) qui évoque bien sûr l’incipit du Torrent mais qui ne suffit pas à tout éclaircir. On peut également établir un lien entre le reflux mémoriel que vit le narrateur et avec celui d’Élisabeth D’Aulnières dans Kamouraska, deux trames temporelles se chevauchant également dans les deux ouvrages, ou encore entre la nécessité de raconter qui s’impose à l’approche de la mort tant pour le narrateur que pour Stevens Brown, dans Les Fous de Bassan.

Échos stylistiques : De nombreuses citations d’Anne Hébert sont convoquées dans l’ouvrage (les références complètes sont toujours fournies en note de bas de page, et une bibliographie figure à la fin de l’ouvrage).

La vie vient-elle expliquer l’œuvre ou, inversement, l’œuvre vient-elle expliquer la vie? Plus ou moins. La colère qui habite les romans est mise en relation avec les deux grandes colères qui ont marqué la jeunesse d’Anne Hébert. Alors que la seconde n’est jamais explicitée, la première correspond au sentiment qu’elle a ressenti lorsque sa mère lui a annoncé le décès de son cousin Saint-Denys Garneau. Ces deux grandes colères sont interprétées comme la source de la colère qui fait partie de l’œuvre.

III- LES MODÈLES EXPLICATIFS

Le biographe fait-il le choix d’un modèle explicatif (sociologie, psychanalyse, histoire) qui permet de réactualiser le rapport entre vie et œuvre, de l’observer sous un certain angle et, dans une certaine mesure, de poser la question des déterminations (ex : telle œuvre n’aurait pu avoir lieu que dans tel contexte social, historique, psychique, etc.)?

Non. En fait, l’auteur tente moins d’expliquer que de présenter Anne Hébert. Il y a bien sûr une certaine forme d’analyse dans le compte-rendu des rencontres entre lui et elle, mais il s’agit plutôt de l’analyse de sa personnalité en tant qu’individu plutôt qu’en tant qu’écrivain.

IV- LES DÉTERMINATIONS ÉTHIQUES

Observe-t-on une volonté de réhabilitation, de valorisation et/ou de démythification du biographé mis en scène et/ou de son œuvre? Si oui, sur quelles bases (engagement politique, moralité douteuse, ambition démesurée, etc.) dresse-t-on la vie contre l’œuvre ou inversement (l’un justifiant, condamnant ou sauvant l’autre)?

L’auteur est explicitement influencé par ce qu’il considère comme un devoir de raconter, de partager les moments qu’il a vécus auprès d’Anne Hébert, les confidences qu’elle lui a faites. Cependant, les implications éthiques de son projet sont un peu ambiguës, ou du moins contradictoires : d’une part il évoque cette responsabilité de transmettre sa connaissance intime d’Anne Hébert, mais la trahit d’autre part en publiant un ouvrage qui va explicitement à l’encontre de ce qu’elle pensait de la biographie.

Autres commentaires :

Le livre est agréable à lire, mais il manque de profondeur. Le récit cadre n’a pas réellement d’utilité : les commentaires du narrateur sont souvent oiseux (le texte regorge de « je ne pouvais pas savoir à ce moment-là… », etc.) et tout ce qui concerne sa maladie n’est pas d’un grand intérêt. De plus, j’ai l’impression que le livre aurait été meilleur si l’auteur avait laissé tomber la dernière partie, qui est nettement moins intéressante et qui rompt l’unité d’action, celle-ci étant centrée dans toute la première partie sur le déménagement à Montréal. Des événements qui avaient été annoncés dans la première partie de l’ouvrage et sur lesquels l’auteur semblait vouloir développer dans la deuxième partie n’ont pas été abordés à nouveau. C’est le cas de tout ce qui concerne l’ouverture du Centre d’études Anne-Hébert : l’auteur mentionne au début de l’ouvrage, dans le récit cadre, que l’inauguration a donné lieu à de fâcheuses péripéties, mais lorsqu’il parvient dans le récit enchâssé au moment de l’ouverture du centre, il y consacre à peine quelques lignes. En somme, l’auteur n’est pas réellement parvenu à me convaincre de la pertinence de son ouvrage.

Lecteur/lectrice : Mariane Dalpé

fq-equipe/hebert_par_gosselin.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

Donate Powered by PHP Valid HTML5 Valid CSS Driven by DokuWiki