Avis d'intention — Résumé
Titre : La théorie du récit à l'épreuve du romanesque contemporain : décalage, inadéquation ou aporie méthodologique ?
Ce projet de recherche part d'une observation courante : le discours critique sur les oeuvres romanesques actuelles souffre d'un rapport décalé avec ses objets. D'une part, les configurations narratives spécifiques de ces œuvres sont pensées, presque négativement, à l’aune d’une banalité, d’un manque d'action ou d’un éclatement de l'histoire qui viendraient dissoudre l'idée même du roman (ou plutôt qui tromperaient les attentes génériques des lecteurs). D'autre part, les lectures savantes ou littéraires mentionnent souvent explicitement leurs difficultés à décrire les romans, expliquer leur fonctionnement et saisir leur poétique. Ces deux premiers constats suffisent déjà à repérer un malaise sensible dont nous souhaitons identifier les manifestations et, surtout, les motivations épistémologiques.
Dans cette conjoncture, notre hypothèse cherche à confronter les apories du discours critique et le caractère d'exception ou d'innovation qu’on reconnaît à tout un pan de la production romanesque contemporaine. Elle soutient que la construction d'une critique qui se pense en situation d’incomplétude, au-delà de son évaluation de la qualité littéraire et esthétique des objets, dépend largement d'un rapport problématique entre pratiques romanesques et notions théoriques. Dans le cas présent, ces notions sont principalement liées au champ de la narrativité (récit, intrigue, action). Elles révéleraient ainsi leur validité incertaine dans le cadre de la littérature contemporaine, du fait de leur définition sous l'empire de la modernité et du structuralisme.
Il nous intéressera donc d'explorer plus avant cette relative inadéquation de la critique dans le contexte du roman français contemporain. Il s’agira d’abord d’évaluer, sur un corpus romanesque et critique restreint, les écueils méthodologiques rencontrés par les commentateurs des romans actuels et, ainsi, d'établir le degré de validité du métalangage de la théorie du récit dans la description des phénomènes propres à ce corpus. Cette incursion dans le discours critique nous conduira ensuite à identifier, en amont, les notions cadres de la théorie du récit qui sont actuellement mobilisées dans la critique ; leurs définitions canoniques (tout comme leur arrière-plan idéologique) seront évaluées en regard des “théories implicites du récit” qui conditionnent les analyses de la production romanesque récente. Enfin, en aval, nous reprendrons ces notions jugées problématiques en les confrontant aux oeuvres, ce qui amènera à cibler, puis à opérer les recadrages ou déplacements théoriques appelés par le roman actuel. C’est ainsi par le moyen d’une investigation sur la mythologie de la critique que nous entendons sonder les fondements de la narrativité contemporaine.