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FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Claudine BEAUSSANT Titre : La comtesse de Ségur ou l’enfance de l’art Lieu : Paris Édition : Robert Laffont, collection «Elle était une fois» Année : 1988 Pages : 323 p. Cote : PQ 2427 S5Z58 Désignation générique : Aucune

Bibliographie de l’auteur : Elle est spécialiste de la comtesse de Ségur. Je n’ai pu retrouver la trace d’autres livres qu’elle aurait écrits.

Biographé : La comtesse Sophie de Ségur, née Rostopchine

Quatrième de couverture : Malheureusement, l’édition de la bibliothèque est cartonnée. Comme cette œuvre s’inscrit dans la collection «Elle était une fois», il est probable que la quatrième de couverture pose un certain nombre de jalons permettant de comprendre le rapport biographe/biographée.

Préface : Aucune

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Des planches de photographies, des arbres généalogiques et une bibliographie. Dans la section Œuvres de la comtesse de Ségur, on retrouve la note suivante : « Lettres brûlées par Gaston de Ségur le lendemain de la mort de sa mère. Autres lettres et écrits, perdus ou à retrouver. Journal fictif attribué à la comtesse de Ségur par Claudine Beaussant. » (p.312) / Dans la Bibliographie, on retrouve la note suivante : « J’ai omis volontairement guillemets et notes dans le texte pour ne pas couper la lecture. Des phrases, entières parfois, des membres de phrases, des expressions, voire même une orthographe particulière, ont été empruntés aux œuvres de Sophie et à sa correspondance. Il ne s’agissait non de la plagier mais au contraire de lui laisser la place. » (p.317)

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Dans son ensemble, cette biographie se présente sous une forme plus ou moins romanesque, ce qui empêche l’auteur de s’immiscer dans l’histoire, mais le dernier chapitre de la troisième partie l’introduit de façon éloquente, celui-ci prenant une posture à la fois biographique et essayistique, parlant au « on » et au « nous », racontant la réception critique des œuvres de Ségur à travers le 20e siècle, se positionnant donc elle-même avec un certain recul (p.300-304).

Narrateur/personnage : Il y a différents types de focalisations ; dans la première partie, la plus biographique, la narration est en mode hétérodiégétique avec accès aux pensées du personnage principal ; dans la deuxième partie, le journal fictif, la narration est évidemment en mode autodiégétique ; dans la troisième partie, possiblement la plus intéressante pour le projet, les voix se mêlent constamment entre celle du narrateur et celle du personnage principal, passant du « elle » au « je » sans la moindre transition et sans le moindre contexte justifiant ce choix (comme l’emploi du journal dans la deuxième partie).

Biographe/biographé : L’absence de quatrième de couverture fait en sorte que ce rapport ne peut s’établir ici essentiellement que sous le mode de la conjecture. Il y a, comme le veut la collection, une sorte d’échange entre les deux femmes, une volonté de recréation de cette figure mitigée qu’est la comtesse de Ségur. Le dernier chapitre m’apparaît éloquent à cet égard ; affirmant que « son inexplicable succès irrita les écrivassiers, les hommes, les femmes, les parents, les éducateurs, les docteurs en médecine, en psychologie et en philosophie » (p.302) et que par la suite on l’accusa de tous les maux et la traita de tous les noms, la biographe soutient que Sophie n’en avait cure puisque désormais « elle avait retrouvé son rire de petite fille » (p.303). Ce rire - symbole de son identité - qu’avait étouffé son exil au milieu de la société française et son mariage décevant, a donc pu être retrouvé grâce à ses livres. Soumettant son art aux codes de la société dans laquelle elle évoluait, elle a tout de même pu exprimer sa vision singulière de l’enfance à travers ses écrits. C’est donc sans fanatisme que la biographe peint son portrait d’une femme dont elle admire énormément l’œuvre et conservant toujours un équilibre entre création et vraisemblance. La comtesse de Ségur est une femme de son temps, dévouée à sa famille, conservatrice mais pleine de bon sens, une femme énergique qui ne croit pas que « écrire sur l’enfance c’est écrire pour les enfans » et qui ne croit pas que les « enfans aient besoin que soient expurgées pour eux les réalités de la vie. Les enfans doivent apprendre la vérité, saprelote ! » (p.207).

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Tel que mentionné plus haut, le récit est divisé en trois parties qui répondent chacune à une esthétique particulière. Dans la première partie, « Le malheur de Sophie », la nouvelle mariée qu’est Sophie Rostopchine retourne dans sa demeure des Nouettes qui sera pour toute sa vie son refuge privilégiée et doit subir les réprobations de son mari vis-à-vis de sa conduite un peu trop « russe », c’est-à-dire de son désir de s’amuser et de créer une certaine familiarité avec les gens autour d’elle, ceux-ci fussent-ils de simples paysans. Un retour en arrière, au quatrième chapitre, nous fait entrer dans les données factuelles de la biographie traditionnelle : « Sophie est née… » et nous fait revivre les étapes marquantes de son enfance : sa vie dans un château de la campagne russe, l’incendie de Saint-Pétersbourg commandé par son père pour repousser les troupes de Napoléon, la conversion de sa mère au catholicisme, la propre conversion de Sophie pour se rapprocher de sa mère, l’exil de la famille Rostopchine en France, le mariage de Sophie au comte de Ségur, etc. La deuxième partie, « Le journal de Sophie », est constituée d’un journal fictif qui couvre les années 1826 à 1857. Journal très factuel, il relate, parfois en sautant quelques années, les moments importants de la famille Ségur, soit les naissances, les mariages, les études des enfants, leurs vocations, etc. et se termine au moment où Sophie, devenue grand-mère et étant moins accaparée par les devoirs familiaux est tentée par l’écriture. La troisième partie, «Les livres de Sophie», couvre la dernière partie de sa vie et, conséquemment, la partie où elle se consacra à l’écriture en livrant à son éditeur un livre presqu’à tous les ans. Entremêlant la vie et l’œuvre, le fictionnel et le factuel, cette partie s’attarde plus particulièrement à l’écriture de Sophie de Ségur, à son esthétique, à sa réflexion sur son travail, etc.

Ancrage référentiel : Le cahier de photographies est sans doute le point d’ancrage le plus important, tout comme les noms des écrivains et des personnages historiques qui foisonnent dans l’univers des Rostopchine et des Ségur (Henri Beyle, Pouchkine, Mme Swetchine, Eugène Sue, Chateaubriand, Tourgueniev, Tolstoï, Louis Veuillot, etc.). On retrouve des pages manuscrites et autographes à travers la deuxième et la troisième partie comme, par exemple, une copie du premier contrat de Sophie avec les éditions Hachette, copie qu’elle colle dans son journal («Je ne peux m’empêcher de coller ici la preuve de ma victoire.» p.153-154) ou des reproductions de ses manuscrits (p.193-195) qui s’intègrent à la narration.

Indices de fiction : Le journal est fictif, comme l’atteste une note sur les « œuvres de la comtesse de Ségur » ; focalisation interne, accès aux pensées des personnages grâce, entre autres, aux monologues narrativisés. Recréation de dialogues. Scène d’agonie (Cohn) décrite comme suit : « […] Sophie mourait, prononçant en russe quelques paroles que personne ne comprend : ils disent tous que j’entre en agonie. Sac à papier. Quels imbéciles. Ils disent que je délire parce que je pense, et que je vois, et que j’entends tout à la fois. Gaston, à genoux près de moi s’est levé, je regarde sa main qui va me bénir et me donner l’absolution. Vite, vite, vite, saperlotte, encore un petit péché. Non un gros, puisque cela sera le dernier et qu’il va me le pardonner. Je n’écrivais pas pour les enfans, Gaston, je n’ai jamais écrit pour les enfans, j’ai écrit pour être éternelle, parce que j’avais peur de la mort, parce que le bon Dieu, tu sais, tant que je ne l’aurai pas vu, je ne serai jamais sûre que… tandis que mes livres…» (p.299)

Rapports vie-œuvre : Peu marqués, à l’exception du fait que la comtesse (narratrice-personnage) aime à se transposer dans ses propres personnages afin de vivre dans ses œuvres ce qu’elle ne peut vivre dans sa vie (par exemple, avec son personnage Gaspard Féréor, p.277-279). La troisième partie mélange également commentaires sur la vie et commentaires sur l’œuvre.

Thématisation de l’écriture et de la lecture : 1- Écriture : L’écriture est thématisée par petites bribes dans les deux premières parties alors que Sophie découvre tranquillement le plaisir de l’écriture mais surtout de raconter («L’amour de son père était sans conditions. Sophie lui écrivait et, en lui écrivant, découvrait le bonheur de se raconter. » p.50) ; alors qu’elle admire son père, le grand général, avant tout pour ses talents d’écrivain (p.72) et alors que (et là il s’agit manifestement d’une invention de l’auteur) son écriture commence à prendre forme au moyen du journal. C’est aussi dans le journal qu’elle conçoit ses premiers projets d’écriture et en commence la rédaction (par exemple, un livre de médecine pour les mères, p.142) parce que l’absence de ses enfants crée un vide que seule l’écriture parvient à combler : «Heureusement, je découvre la joie et peut-être l’utilité qu’il y a à écrire.» (p.144) Lorsqu’on lui commande des contes pour la librairie Hachette, elle s’interroge sur cet art particulier (p.148). Par la suite, elle devra constamment composer entre la censure (en tant que grand-mère, elle doit éduquer) et son art (en tant que conteuse, elle doit divertir) (ex, p.150) et entre son désir d’avoir «une heure à soi» pour écrire et ses devoirs familiaux : «Je suis dans une impatience intérieure continue de n’avoir pas une heure tranquille pour écrire, d’autant plus irritée que je contiens ma désolation en me disant que je suis ici pour me consacrer à Nathalie.» (p.159) Et lorsqu’elle se consacre finalement à l’écriture (dans la troisième partie), elle se rend compte que pour créer ses personnages, toutes les figures de sa vie se superposent (p.172) et qu’enfin l’écriture lui permet de libérer ce que, dans sa vie, elle a dû réfréner, telle sa spontanéité (p.178). Mais la censure des hommes la guette et elle ne s’y soumet pas toujours de bonne grâce, surtout lorsqu’elle devient un auteur à succès : «Mais enfin, maintenant que je suis devenue un auteur à succès, je peux bien commencer à écrire ce qui me plaît, non ?» (p.213) / Notons également que l’écriture est thématisée par le biais de la graphologie de la comtesse qui évolue selon son rapport avec l’acte créateur (ex : p.170). 2- La lecture est un peu thématisée, selon les lectures que fait et commente la comtesse. C’est particulièrement ses lectures de récits d’Eugène Sue qui font renaître en elle un désir d’écrire, mais elle craint de se heurter aux difficultés des femmes écrivains (p.119-120) ; Sue l’encourage explicitement à écrire des romans, ce qui donne à la Comtesse l’idée des Petites filles modèles (p.165) ; ou encore sa lecture de Madame Bovary de Flaubert qui la trouble particulièrement : «Si j’étais homme, et si j’avais l’âge de ce Flaubert, j’essayerais, je crois, d’écrire des romans.» (p.162) ; ou encore sa lecture d’Histoire de ma vie de George Sand qu’elle prend un peu comme contre modèle et dont elle commente certains extraits : «C’est bien écrit, mais je trouve cela trop lent. Le style doit être en accord avec ce qu’il décrit. La violence ne doit pas être atténuée par de jolies formules. Il faut que l’expression en soit aussi directe que le traitement. À geste brutal style réaliste. À geste doux, style sensible. Je trouve ma description meilleure que la sienne. On ne gagne guère à essayer d’écrire trop bien. Moi, je fais vite et bien, ou lentement et mal. Je suis aussi prompte à écrire que Mme Fichini à frapper. Je ne réfléchis pas plus qu’elle avant de m’y mettre, et quand je commence à penser, j’ai déjà terminé mon ouvrage.» (p.180)

Thématisation de la biographie : N’est pas thématisée.

Topoï : la condition féminine au XIXe siècle, le choc des cultures (russe et française), la famille, l’écriture pour enfant, le conservatisme, la censure (la comtesse affirme, à propos de la censure : «J’ai quelquefois l’impression qu’on m’oblige à écrire une langue morte, au lieu de me laisser parler par écrit une langue vivante.» p.276), le fanatisme religieux, la liberté par l’écriture, etc.

Hybridation : Entre biographie et fiction.

Différenciation : Volonté de se différencier de la biographie traditionnelle par le recours à la fiction, non pas pour inventer des situations, mais pour accéder à la subjectivité de la biographée.

Transposition : - Transposition de l’œuvre de Ségur à travers le discours (la forme de l’histoire), soit dans l’énonciation : Dans la troisième partie, chaque chapitre décrit, comme le veut la coutume des romans et contes pour enfants, ce que le chapitre va contenir. Mais Beaussant l’utilise d’une manière ludique, prenant plaisir à jouer de cette convention et en imitant l’esprit du conte . Les chapitres sont également très courts et, surtout, utilise en partie l’esthétique préconisée par la Comtesse : «Sophie avait commencé à l’imparfait, comme on commence toutes les histoires, mais voilà que les petites filles se sont mises à courir au présent, pour aller plus vite. […] Le premier “disait-elle” du tout premier dialogue a suffi à lui montrer l’inutilité de ces verbes. Que ce procédé est donc artificiel et littéraire ! Quand on parle, on parle. On ne dit pas : disait-elle, répondait-elle, reprenait-elle, s’écria-t-elle, continua-t-elle ! Pour savoir qui parle, pourquoi ne pas faire comme dans les pièces de théâtre, ou plus simplement encore comme Platon ? Ainsi je pourrai écrire plus vite, aussi vite que l’on parle. Je rajouterai les noms après. Et les passages dialogués pourront être joués en société, comme les saynettes [sic] de Berquin.» (p.170-171) Ainsi, la troisième partie commence à l’imparfait et se poursuit au présent et les dialogues sont présentés à la manière d’une pièce de théâtre. Il arrive même que les propres dialogues de Sophie s’entremêlent avec ceux qu’invente la biographe (ex : p.209-210) - Transposition d’extrait de l’œuvre à l’intérieur du journal

LA LECTURE

Pacte de lecture : Pacte ambigu, qui oscille entre le fictionnel et le factuel. La part référentiel se trouve davantage au niveau de l’histoire et la part fictionnelle au niveau du discours, c’est-à-dire dans la façon de raconter l’histoire (voir les premières rubriques sur les relations auteur/narrateur, narrateur/personnage). On peut donc tirer une certaine forme de savoir tout en devant avancer avec prudence dans le discours fictionnel.

Attitude de lecture : Biographie intéressante, surtout dans sa façon d’aborder une même vie selon trois perspectives différentes : biographique, intimiste fictif et –je ne sais trop comment qualifier la dernière partie- … essayistique ? romancée ? biographique ? autobiographique ? Mais c’est cette indétermination même qui rend cette partie si intéressante et peut lui offrir une place au sein du corpus.

Lecteur/lectrice : Manon Auger

fq-equipe/segur_par_beaussant.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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