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Michel BIRON (2010), La Conscience du désert. Essais sur la littérature au Québec et ailleurs "Notes de lecture"

Montréal, Boréal (Papiers collés).

« Avant-propos » (7-10)

Imaginaire de la perte (chez les critiques) versus ce qu’il y aurait de positif dans la littérature contemporaine : « Quand un critique se demande ce qu’il en est de la littérature ou de la culture aujourd’hui, que ce soit ici ou ailleurs, c’est généralement pour regarder de la côté de la colonne des pertes : absence de grands auteurs, désengagement des écrivains, triomphe de l’image sur le texte, hégémonie de l’industrie culturelle, etc. Mais n’y a-t-il pas quelque part une colonne des gains? N’y a-t-il pas tout de même, dans certaines œuvres littéraires contemporaines, non seulement une conscience de ce que nous sommes devenus, mais aussi une nouvelle manière d’envisager les œuvres du passé? » (7)

Ouvertures plutôt que ruptures, qui mènent à une culture-buffet : « Depuis trente ou quarante ans, ces ruptures ont plus ou moins disparu, laissant place à toutes sortes d’ouvertures, comme si la culture contemporaine rompait avec l’idée même de rupture ou s’interdisait d’interdire, pour reprendre un des slogans de Mai 68. On peut se représenter la situation à partir de l’image d’un buffet offrant une variété incroyable de mets, du plus raffiné au plus commun (on y trouve en même temps de la poutine et des ris de veau, selon la formule de Suzanne Jacob). Le lecteur contemporain ne peut pas se plaindre, puisqu’il y en a pour tous les goûts. Mais cette culture soi-disant démocratisée, cette culture-buffet le laisse songeur et curieusement seul lors même que les mangeurs affluent autour de la table. Si le buffet exclut le conflit, chacun étant libre de manger ceci ou cela, la perte du conflit affaiblit le lien social et revoie chaque invité (c’est-à-dire tout le monde) à sa solitude. En refusant d’exclure quoi que ce soit, l’époque contemporaine autorise et même encourage diverses formes de liens sociaux, mais ce sont des liens extrêmement précaires et souvent vides de sens, car ils se défont aussi rapidement qu’ils se font. Ils ne reposent plus sur la force d’une tradition ou sur des pôles identitaires stables, mais sur des configurations fugaces et toujours à reconstruire. D’où la fragilité de l’individu contemporain, qui ne sait plus trop à quel groupe s’identifier et qui souffre de ce que des sociologues et des anthropologues appellent “l’excès d’identité” (Claude Dubar, Marc Augé) ou la “fatigue d’être soi” (Alain Ehrenberg). » (7-8)

L’écrivain québécois n’est pas en rupture parce qu’il écrit dans un désert : « L’écrivain canadien-français, comme l’écrivain contemporain en général, ne se définit pas comme un écrivain de la rupture. Ou plutôt si, il voudrait bien rompre, mais rompre avec quoi? Il n’y a personne autour de lui pour lui donner la réplique. Même lorsqu’il se révolte, cet écrivain se heurte le plus souvent au silence et finit par se plaindre à qui veut l’entendre qu’il écrit dans un désert. Comment écrire contre le silence? La plainte elle-même ne tombe-t-elle pas dans le néant? Si violente soit-elle, l’œuvre la plus audacieuse ne risque-t-elle pas de perdre son sens si elle ne s’oppose à rien qui lui offre une véritable résistance? » (9)

« Le désir de culture » (11-74)

« 1. À un lecteur étranger » (13-21)

Imaginer « de quoi a l’air la littérature québécoise vue de loin. » (13)

« La littérature québécoise n’existe pour ainsi dire pas du tout à l’échelle de la littérature universelle. C’est regrettable (il y a de très bons écrivains ici que l’univers aimerait sans doute découvrir), mais difficilement contestable. Nous n’avons pas de Prix Nobel de littérature. » (13)

La littérature québécoise naît avec la modernité : « C’est une littérature qui a produit ses premières œuvres seulement à partir du XIXe siècle, disons, pour aller vite, à partir du romantisme. Elle est donc née avec la modernité romantique. Non pas qu’il soit illégitime de considérer les textes de la Nouvelle-France comme faisant partie de cette littérature, mais la question ne change rien au fait que le romantisme n’apparaît pas ici comme une rupture : c’est un commencement. Encore faut-il ajouter que c’est un commencement qui a lieu ailleurs, de l’autre côté de l’océan. L’idée de “commencement” ne fait pas partie du langage canadien-français : on parle plutôt de continuité, de survie, de tradition. Le culte de la nouveauté n’a guère de sens dans le contexte national. Quand Émile Nelligan se met à écrire des poèmes baudelairiens à la fin du siècle, il passe aux yeux de Mgr Roy pour un poète emprunté, un imitateur de modernité — ce qu’il est sans aucun doute. Aux yeux de plusieurs, il faut attendre longtemps encore, certains diront jusqu’à la Révolution tranquille, pour parler d’une véritable modernité québécoise, mais tout dépend évidemment du sens que l’on accorde au monstre “modernité”. » (14)

Il n’y a pas de rupture, non pas à cause de la censure comme on serait tentés de le croire, mais bien plutôt parce que les dissidents ne sont pas pris au sérieux : « L’écrivain ne se heurte pas à une censure solidement organisée, mais il n’est guère pris au sérieux lorsqu’il fait entendre une voix dissidente. Mgr Camille Roy se moque gentiment du “pauvre et si sympathique” Nelligan dans une conférence célèbre consacrée à la “Nationalisation de la littérature canadienne” (1904). Il jugera avec la même bienveillance assassine les vers “à peu près incompréhensibles, de Saint-Denys Garneau. En 1948, le premier recueil (Le Vierge incendié) d’un jeune poète d’inspiration franchement surréaliste, Paul-Marie Lapointe, passe totalement inaperçu. C’est ce silence répété qui constitue l’horizon de sens de la littérature québécoise. » (19)

La modernité québécoise vs la modernité européenne : « On comprendra qu’une telle séparation n’est pas ressentie avec la force d’entraînement qui, dans la plupart des pays européens, oppose l’écrivain moderne à d’autres écrivains dits traditionnels. Une telle opposition se joue à l’intérieur même du milieu littéraire tandis que la séparation qui marque l’expérience de l’écriture la plus moderne au Québec implique une autre forme d’audace, liée non pas à la révolte et à la conquête, mais à une capacité de se retirer en soi-même, d’assumer cette conscience du désert qui définit sa relation au monde. » (20-21)

« 2. Comment inventer un lecteur d’ici? » (23-38)

Au XIXe siècle, il n’y a pas encore de valeur littéraire reconnue. (25-26)

Le sentiment du vide comme un mythe dépressif? : « Aujourd’hui, nous aimons regarder de haut cette attitude pessimiste, sinon carrément défaitiste qui appartient à ce que Gérard Bouchard appelle nos “mythes dépressifs”. Nous n’hésitons pas une seconde à donner tort à Crémazie, puisqu’il y aura plus tard des lecteurs d’ici, des critiques d’ici, une littérature d’ici. Mais le sentiment d’écrire dans le vide, qui était celui de Crémazie, est-il vraiment disparu? Et ce sentiment n’est-il pas aussi, à bien des égards, ce qui donne à la littérature la plus neuve et la plus lucide, comme celle de Crémazie lui-même, une certaine désinvolture par rapport aux hiérarchies esthétiques? N’est-ce pas en assumant pleinement plutôt qu’en niant ce sentiment de vide que les meilleurs écrivains d’ici font œuvre? » (28)

Caractéristique du XIXe siècle = les écrivains écrivent pour un public d’ici (ex. François-Xavier Garneau). (28-31)

On rattache difficilement les textes d’ici aux courants européens : « De tels textes sont difficiles à classer dans l’histoire littéraire et n’appartiennent que de loin aux courants majeurs qui se sont imposés en Europe. Même si le romantisme ou le réalisme sont très présents (positivement et surtout négativement) dans la conscience des écrivains canadiens-français de l’époque, ils n’y ont pas le même sens qu’en France. Les oppositions et les hiérarchies esthétiques sur lesquelles se fondent ces courants perdent en partie ou en totalité leur pertinence dans le contexte canadien-français. C’est ce qui explique le mélange des formes préconisé par des auteurs comme Philippe Aubert de Gaspé ou Octave Crémazie. » (36)

« 3. Arthur Buies : la tyrannie du silence » (39-44)

La véritable liberté intellectuelle n’est pas possible au Québec (selon Arthur Buies et Jean Larose) : « Il est assez frappant que, dans des contextes qui semblent à première vue complètement différents, deux essayistes arrivent, à un siècle de distance, à la même conclusion aussi scandaleuse qu’offensante : la liberté, la vraie liberté intellectuelle, n’est pas possible au Québec. Le climat général ne la permet pas, comme si régnait un despotisme sournois, aussi indétectable que certains produits dopants. […] Le danger, chez nous, vient du calme qui règne, non des esprits révolutionnaires ou des lois répressives. Buies a peur de ce qui ne bouge pas, il se méfie du silence des siens. Il me semble que c’est par là, plus encore que par ses idées modernistes ou son anticléricalisme, que Buies est toujours notre contemporain. » (44)

« 4. Portrait de l’écrivain québécois en autodidacte » (45-61)

Particularités de l’autodidacte québécois (par rapport à l’autodidacte sartrien, par exemple) : « Au Québec, les personnages d’autodidacte ou les écrivains qui se présentent comme des autodidactes sont nombreux dans l’histoire littéraire, et ils ressemblent au portrait rapide qu’on vient d’esquisser ici. À ceci près toutefois qu’il n’y a guère de Roquentin pour leur donner la réplique. Ou, s’il y en a, c’est un Roquentin affaibli, souvent ridicule et snob. On assiste ainsi à un spectaculaire renversement de valeurs. Si l’avenir de l’Autodidacte sartrien est fermé, ce ne semble pas être le cas des personnages d’autodidactes qui, au Québec, participent, sans se disqualifier, à une tradition d’écriture fondée sur l’invention et la spontanéité. Loin d’être exclus de la culture, ils en sont, d’une façon paradoxale, les porte-parole les plus authentiques et les plus féconds. Ce sont eux qui, exerçant librement leur goût pour la culture, échappent au conformisme de la transmission scolaire et constituent, sans le revendiquer et parfois même sans le savoir, une filiation intellectuelle particulièrement riche. Parce que la culture ne leur est pas donnée sous la forme d’un héritage ou imposée sous la forme d’une dette, ils peuvent s’adonner en toute liberté à l’écriture comme à une passion nouvelle qui s’accorde à un rêve de culture plus général, partagé par l’ensemble de la jeune nation québécoise. » (48-49)

« Pour expliquer cette valorisation de l’autodidacte comme personnage, il faut rappeler que les écrivains eux-mêmes ont longtemps été des autodidactes. » (51)

L’autodidacte devient l’idéal de l’écrivain d’ici : « À partir de 1945, le privilège accordé au Québec à l’autodidacte se confirme de façon surprenante. Dans le cas des écrivains mentionnés jusqu’ici, de François-Xavier Garneau à Saint-Denys Garneau, ce sont leurs critiques ou leurs biographes qui les présentent comme des autodidactes. Les choses vont changer avec la Seconde Guerre mondiale, car désormais les écrivains vont revendiquer eux-mêmes ce statut et célébrer, en des termes variés, la figure de l’autodidacte. Celle-ci n’est plus seulement une donnée biographique ou sociologique : elle devient un enjeu symbolique. Paradoxalement, plus le Québec se scolarise — rappelons que l’instruction obligatoire date de 1943 —, plus la figure de l’autodidacte s’impose comme modèle. L’autodidacte correspond alors à une sorte d’idéal de l’écrivain d’ici. C’est un rescapé d’un monde ancien, mais dégagé des schémas idéologiques et littéraires transmis par les collèges classiques et projeté dans un monde où le désir de culture est plus fort que jamais. L’autodidacte est celui qui entre au royaume des lettres paré d’une virginité intellectuelle, dans un état de disponibilité totale. En cela, il représente bien l’écrivain de l’avenir, celui qui incarne, mieux que l’écrivain de métier, les valeurs de la littérature moderne au Québec. » (53-54)

Relation claire entre les autodidactes et les valeurs de la Révolution tranquille : « On voit ainsi s’établir une corrélation nette entre la figure de l’autodidacte, pour qui la culture est une affaire personnelle, et les valeurs littéraires propres à la Révolution tranquille. L’autodidacte appartient à cette époque plus qu’à toute autre, car il est le mieux placé pour incarner la liberté à l’égard du passé et de la tradition littéraire et pour placer la littérature québécoise, fraîchement baptisée, sous le signe de l’invention. L’autodidacte est exemplaire parce qu’il constitue l’être du commencement, celui qui se construit un héritage de toutes pièces, par la seule force de son désir. Non seulement il entre par lui-même dans le monde de la culture, mais il donne l’impression d’être toujours en train d’y entrer. Quoi qu’on dise à son propos, il se perçoit comme un éternel débutant. » (58)

Et l’autodidacte dans la littérature contemporaine : « La figure de l’autodidacte, à l’époque contemporaine, constitue une anomalie, une fantaisie, un anachronisme, un retour aux valeurs archaïques. Celui qui apprend autrement que par l’école est hors la loi : il vit ou espère vivre en marge de la société, comme les personnages plus ou moins primitifs et nord-américains de Hamelin, Soucy ou Lalonde. S’il a quelque chose d’excentrique et d’asocial, comme l’Autodidacte sartrien, il n’est jamais ridicule ou méprisable. Il rêve d’aller de la culture vers la nature, de refaire à l’envers le chemin de la civilisation, de retrouver une identité perdue, des racines enfouies, des histoires oubliées. D’où la filiation qui se crée à rebours entre certains écrivains d’aujourd’hui et cette figure ancienne de l’autodidacte pour qui la tradition est une coquille plus ou moins vide qu’il s’agit de remplir avec les moyens du bord. Si l’écrivain québécois n’a cessé de se reconnaître dans cette figure, si l’autodidacte jouit au Québec d’une faveur impensable dans un univers comme celui de Sartre, n’est-ce pas justement parce que le rapport fragile qu’il entretient avec le passé, avec la tradition, avec l’héritage classique ressemble à celui qui prévaut à l’échelle de la littérature québécoise? » (61)

« 5. Paris n’existe pas » (63-74)

Absence de milieu spécifiquement littéraire dans le Québec du XIXe siècle : « Comme en Belgique, il n’y a pas eu au Québec, avant tout récemment du moins, un marché national suffisamment vaste pour permettre de croire en une forme de succès commercial comparable à ce qu’on observe en France depuis le XIXe siècle. À la différence de la Belgique, cependant, le Québec du XIXe siècle (et d’une partie importante du XXe) n’a pas produit un milieu spécifiquement littéraire, en dépit de quelques expériences ponctuelles et en dépit surtout des efforts de plusieurs bourgeois professionnels pour qu’un tel milieu voit enfin le jour. Comme en Europe, la littérature canadienne-française du XIXe siècle fait écho au problème de surplus de la main-d’œuvre locale, et l’on sait que des centaines de milliers de jeunes ont dû émigrer aux États-Unis à partir de 1840. Parmi ceux qui sont restés, il y a bel et bien eu une élite politique qui a exprimé le rêve de fonder ce qu’un journaliste libéral comme Étienne Parent (1802-1874) appelait une “aristocratie de l’intelligence”. Mais ce rêve était moins un projet politique qu’une utopie, et si l’idéologie libérale s’est répandue au Canada français dès la fin du XIXe siècle, cela a été un libéralisme d’abord et avant tout économique. La culture classique a rapidement été discréditée au profit d’un enseignement plus pratique, structuré autour de l’industrie et du commerce. Alors que l’école a été au cœur de la stratégie d’ascension sociale de la petite-bourgeoisie belge ou allemande, pendant longtemps au Québec elle a été associée à l’échec social : “S’instruire, c’est quasi se condamner à la pauvreté”, conclut Robert Major à la lumière de quelques romans canadiens-français du XIXe siècle. » (67-68)

« Il faudra attendre un siècle pour assister à l’émergence d’une société intellectuelle un tant soit peu comparable, toutes proportions gardées, à celle qui a vu le jour en France et en Belgique au XIXe siècle. » (68)

Mais, nuançons! : « Encore faut-il remettre les choses dans une juste perspective et nuancer ce constat, tant les situations diffèrent, voire s’opposent : à l’époque de la Révolution tranquille, le Québec, tout comme la plupart des pays industrialisés, bénéficie d’une formidable croissance économique. De nouvelles institutions d’État se développent (Radio-Canada, l’Office national du film, les musées, les universités, la fonction publique, etc.) et recrutent leurs cadres parmi la nouvelle génération de diplômés, souvent avant même qu’ils aient obtenu leur diplôme. Que se crée alors un véritable espace de socialisation pour l’écrivain, cela ne fait aucun doute. Voilà enfin une vraie société littéraire comme pouvait en rêver Crémazie, dotée de surcroît d’une fonction essentielle : cette société dans la société, loin de résister au système qui l’encadre, participe directement à la “fondation du territoire” (Paul Chamberland). D’où le lyrisme avec lequel s’exprime la nouvelle génération de poètes et de romanciers, un lyrisme qui, pour être mêlé de colère et de négativité, n’en constitue pas moins le signe d’un élan prodigieux et d’une incontestable présence au monde. On imagine mal comment un écrivain de ce temps pourrait se reconnaître pleinement dans le sentiment, propre à l’écrivain bohème, d’être sans avenir et d’occuper ainsi une position à jamais marginale (du moins à l’intérieur d’une société de type bourgeois). À moins de renoncer à fonder ce territoire qu’il appelle de ses vœux, l’écrivain peut difficilement partager le sentiment d’inutilité sociale éprouvé par l’écrivain moderne français du XIXe siècle. Engagé dans sa société, sommé de prendre parti selon le mot d’ordre sartrien, est-il moins libre et indépendant pour autant? Il le serait peut-être si la modernité n’était définie qu’en fonction de l’expérience française. Or il existe d’autres façons d’être un écrivain moderne que celle incarnée par l’écrivain bohème, coupé de la société bourgeoise, à la fois fier et contraint de s’inventer un personnage distinct. » (69)

« Il s’agit moins d’abattre les murs d’un monde déjà là que d’entrer dans un espace neuf, mal délimité encore. » (69-70)

Et maintenant : « Puisqu’il se sent étranger au salon du livre de Paris, l’écrivain québécois doit compter sur ses propres salons du livre pour se créer un milieu dans lequel il se reconnaisse. Il y en a beaucoup : à Montréal, à Québec, à Sherbrooke, à Rimouski, en Outaouais, sans parler des festivals littéraires annuels qui ont lieu à Trois-Rivières, à Laval et dans plusieurs autres villes. La vie littéraire au Québec ne manque pas d’événements de toutes sortes, et, en ce sens l’écrivain québécois dispose bel et bien d’un milieu de socialisation comparable à ce qui existe ailleurs. De toutes les régions littéraires francophones, nulle ne prétend avec autant de conviction à l’autonomie idéologique et matérielle que le Québec. Nulle part ailleurs au monde, peut-être, une littérature de si petite dimension ne s’est-elle dotée d’une institution littéraire aussi visible et aussi vivante, à tel point d’ailleurs qu’elle est vite apparue, de l’extérieur, à la fois comme un modèle enviable et comme une sorte d’aberration sociologique, l’exception qui confirme la règle du centralisme parisien. » (71)

Mais il y a quand même une certaine solitude et « [t]out se passe comme si l’institution littéraire québécoise ne reconnaissait pleinement que les écrivains qui refusent de se laisser enfermer dans la littérature. » (72)

Il y a même à l’aube de la Révolution tranquille un certain « vide intellectuel » (73).

« La tentation de s’effacer » (75-170)

« 6. L’héritage de la folie : le père Chapdelaine » (77-90)

Une forme de modernité dans le personnage de Samuel Chapdelaine : « L’étrangeté du personnage de Samuel n’est pas sans rapport avec celle de Louis Hémon. La séparation revendiquée par ce personnage est l’expression d’une distance d’ordre esthétique, laquelle implique toujours forcément une distance d’ordre social. Le remords que Samuel éprouve en pensant à sa femme, qui s’est pliée toute sa vie à sa folie, n’est-il pas un peu celui de l’écrivain qui se sent coupable, en écrivant, de se détacher des siens, de manquer au devoir de participation, d’être ailleurs, mais qui n’a guère le choix, s’il veut être véritablement artiste, de se séparer de ses proches? On touche ici à une des valeurs centrales de la modernité, qui est l’autonomie de l’écrivain par rapport à des obligations d’ordre religieux, politique ou économique. C’est là une vieille histoire et un vaste débat auquel le personnage de Samuel conduit malgré lui, en poussant l’idée de détachement jusqu’à la folie. Prendre le maquis, dans la littérature québécoise, ce n’est pas d’abord faire la révolution ou résister à un pouvoir répressif : c’est s’arracher à la communauté, c’est écrire ou vivre loin du groupe, c’est trahir la nation. » (87-88)

Cette solitude serait une réponse à la question nationale, en quelque sorte () : « La recherche paradoxale de la solitude constitue peut-être une forme de réponse à l’éternelle question nationale ou à l’épuisante demande de sens politique. Cela est vrai d’écrivains marginalisés par la Révolution tranquille, comme Saint-Denys Garneau, Gabrielle Roy ou Anne Hébert, mais ce l’est tout autant d’écrivains célébrés par la Révolution tranquille. Toute l’œuvre d’un Réjean Ducharme, pour prendre l’exemple le plus évident, thématise cet effort désespéré du sujet pour se dégager du groupe, pour éloigner du héros “les amateurs et les amatrices de fleurs de rhétorique” ou ceux qui s’obstinent à vouloir son bien. » (88) Toute la modernité québécoise aurait quelque chose de non romanesque : « À bien y penser, c’est peut-être la modernité québécoise tout entière qui a quelque chose de non romanesque : le personnage y est presque toujours un déserteur, il tourne le dos à la société au lieu de jouer les intrus. À l’enracinement dans le “nous” communautaire il substitue un enracinement plus mystérieux, plus archaïque et plus poétique que romanesque. Il va là où la société n’est pas, là où le conflit n’est pas. Pas de voisins, pas de groupe à l’horizon. Sa solitude chronique est son seul héritage. » (90) === « 7. Le personnage non conflictuel chez Michel Houellebecq » (91-107) === L’effacement des personnages est l’une des caractéristiques du roman contemporain (aussi : le roman contemporain, par rapport au personnage, serait une variante radicale du Nouveau Roman) : « L’exemple de Houellebecq suggère qu’un personnage non conflictuel, dépourvu de volonté, ne peut jamais que tendre vers son effacement et devenir, malgré lui, une sorte d’abstraction souffrante. Même si tous les personnages romanesques ne sont sans doute pas aussi enclins que ceux de Houellebecq à disparaître, la force de cet effacement n’en demeure pas moins une des caractéristiques du roman contemporain. En ce sens, le congédiement du personnage au temps du Nouveau Roman n’est peut-être pas seulement une brève parenthèse expérimentale dans l’histoire du roman. La situation actuelle constituerait plutôt une variante radicale du même processus. Sauf que le personnage n’a plus besoin d’être écarté de force en vertu d’un programme esthétique : il s’évanouit de lui-même, corps et âme, il se déteste comme il déteste le monde dans lequel il se trouve. Ce qui, vers 1950, pouvait constituer une expérimentation formelle est devenu aujourd’hui une nécessité ontologique. Pour exister dans un monde non conflictuel, le personnage n’a d’autre choix que de prendre congé et de creuser le gouffre qui s’étend à ses pieds. Certes, il court le risque d’entraîner le roman dans sa chute, et ce n’est pas un hasard si le roman actuel va naturellement vers le récit de soi et des formes d’écriture très personnelles plutôt que vers de grandes fresques sociales. Puisqu’il semble impossible d’entrer dans le monde et de crier : “À nous deux, Paris”, il ne reste plus qu’à en sortir. D’où l’allure testamentaire d’un tel roman qui semble s’écrire d’on ne sait trop quel au-delà spatial ou temporel. Comme Michel Djerzinski, figure par excellence de l’ère post-individuelle, le personnage contemporain ne cherche plus à rétablir le lien avec la société : il s’invente un point de vue extérieur d’où regarder librement les ruines du monde. Il préserve ainsi l’essentiel, à savoir la distance romanesque. » (106-107)

« 8. La grammaire amoureuse de Réjean Ducharme » (109-117)

« 9. Ris de veau et poutine : Rouge, mère et fils de Suzanne Jacob » (119-129)

Imaginaire de la fin, pas de futur : « C’est le propre de la culture contemporaine que de reconnaître pour héritage un futur en loques, en morceaux, un futur décomposé, réduit à des fragments et réfractaire aux formes anciennes de récit. Le roman contemporain, si tant est que le mot “roman” convienne toujours, se présente comme une mosaïque ou, mieux encore, comme la toile du Web, forme complexe et surtout non linéaire, libérée de la servitude de la causalité rigide du post hoc ergo propter hoc, indifférente aux systèmes explicatifs. Ne cherchez pas dans quelle direction ça pointe : une mosaïque ou une toile ne pointe jamais. Ça va dans toutes les directions, par ramifications successives, comme dans la fresque romanesque de Marie-Claire Blais inaugurée par Soifs (voir infra), qui rêvait au départ constituer une trilogie et qui se poursuit aujourd’hui au-delà du troisième roman. Ici comme ailleurs, il n’y a pas de suite prévisible, pas de destin fixé d’avance, mais il n’y a rien non plus à conquérir, no future. L’écrivain contemporain a le sentiment d’arriver après une sorte d’immense catastrophe. » (119-120)

[réconciliation du savant et du populaire]

Autre caractéristique du contemporain : « Une anomie aussi profonde finit par faire de ce personnage un héros énigmatique, socialement indéchiffrable. “C’est un spécial, celui-là, spécial du jour, on ne sait jamais si le mélange va finir par prendre, on ne peut pas prévoir s’il va commander le ris de veau ou la poutine”, dira le Trickster, un brigand rencontré sur la route et qui semble venu du fond des âges, porteur de vérités enfouies. L’image de Luc qu’il propose vaut qu’on s’y arrête un peu. Il n’existe probablement pas de restaurant où l’on trouve sur le menu à la fois des ris de veau et ce plat national québécois qu’est la poutine. Mais le côté “spécial” de Luc est en fait ce qui le rend si typique. Son portrait suppose un syncrétisme parfaitement intégré par l’imaginaire contemporain : de même qu’on peut aimer le ris de veau et la poutine, pourquoi n’écouterait-on pas Louis Lortie et Céline Dion, pourquoi ne lirait-on pas Suzanne Jacob et Marie Laberge? Entre la culture de diffusion restreinte et la culture populaire, la distinction tend à s’abolir, ou du moins à s’atténuer, à se diluer. L’individu contemporain n’aime rien tant que de se promener entre ces deux sphères que les sociologues de la culture opposaient naguère. Il ne veut pas se laisser situer, il n’aime pas paraître prévisible, il ne renonce pas aisément à être un autre que lui-même. Il est socialement mobile et conteste la frontière qui sépare les groupes. » (123-124)

Encore (sur le romancier contemporain) : « Que faire avec un personnage aussi manifestement privé d’intérêt romanesque? C’est la même question que soulèvent nombre de romanciers contemporains, de Jean-Philippe Toussaint à Michel Houellebecq. On peut penser que le sort de ce héros étrangement déprimé illustre celui de l’écrivain actuel, dont on ne sait jamais s’il va proposer du ris de veau ou une poutine, s’il va écrire un poème confidentiel ou un roman à succès. Le romancier comme son personnage habitent un monde où les anciens conflits se sont émoussés, où l’on ne sait plus pourquoi il faudrait choisir entre ris de veau et poutine. Comme Luc, le romancier contemporain ne rencontre nulle part celui que Nietzsche appelait le “loyal adversaire”. De plus, il n’a pas une conscience très nette de sa place dans l’Histoire. Il arrive après d’autres, et c’est à peu près tout ce qu’il peut dire avec assurance. Pour le reste, le passé se présente à lui comme un immense buffet dans lequel il est invité à se composer une assiette de son choix. Chacun se sert suivant son appétit, ses goûts, ses habitudes, ses mœurs, sa culture. Les histoires vraies et les histoires inventées se mêlent les unes aux autres et ont le même coefficient d’efficacité. » (126-127)

Souci de structure vs éclatement postmoderne : « Reste que le passage d’un récit à l’autre, s’il s’accomplit dans l’absence de revendications esthétiques explicites, implique un changement profond de structure. Car le roman ne peut pas se contenter de zapper d’une histoire à l’autre : il y a malgré tout chez Jacob, comme chez la plupart des romanciers contemporains importants, un souci de convergence, de lisibilité. Les histoires ne font pas que s’accumuler : elles se croisent, s’imbriquent les unes dans les autres. Il est faux de penser que ce roman mime l’éclatement postmoderne : l’étoilement repose sur un art de la composition. Il faut un centre, ou plusieurs centres, pour que le roman soit autre chose qu’un espace informe. Et ces petits centres, à l’image des petits récits qu’ils produisent, n’ont l’air de rien, si minuscules, si peu contraignants, si peu visibles en somme qu’on finit par les oublier. » (127-128)

« 10. Évitons les conflits » (131-139)

Disparition de l’adulte dans la société postmoderne : « La disparition de l’adulte serait à nos sociétés postmodernes ce que la décadence a été à la fin du XIXe siècle : une sorte de lieu commun, un récit prêt-à-raconter, une évidence indémontrable et, partant, indiscutable. Chacun a sa théorie, son opinion, ses exemples. Devant nos enfants ou nos étudiants, nous ferions quotidiennement l’expérience de ce “drame” contemporain. Le professeur de mon fils nous explique par exemple, à nous les parents, que le professeur est mort : “Je suis un accompagnateur”, affirme-t-il avec sérénité. Un peu moins de verticalité, un peu plus d’horizontalité, ajoute-t-il de façon sibylline. Finis les murs, il n’y a plus de hiérarchie. Vive la transversalité. On ne discute pas : on approuve ou on se tait. » (131)

Mais il n’est pas disparu des romans : « Or, dans les deux romans cités, l’adulte n’est pas disparu. C’est sa force conflictuelle qui s’est évanouie, sa capacité d’ordonner le monde et de le soumettre à une logique de l’action. Ces deux romans (mais les exemples pourraient se multiplier) donnent l’impression que les choses ne changeront plus, que le désir même de changement n’y est plus. Le roman contemporain est le contraire d’un roman d’apprentissage dans lequel un héros entre dans le monde adulte au prix de la perte de son innocence. » (134-135)

L’individu contemporain ignore qu’il vit en société : « “L’individu contemporain, écrit Marcel Gauchet dans La Démocratie contre elle-même, aurait en propre d’être le premier individu à vivre en ignorant qu’il vit en société.” Pas besoin de s’adapter à la société : chacun adapte celle-ci à ses besoins individuels, à sa sphère privée. Comme pour lui donner raison d’agir ainsi, la société le laisse faire, n’y voyant rien de mal. Dans le registre de l’intime, il n’y a pas de place pour la faute ni pour la honte. La société existe, bien sûr, mais elle a perdu de son pouvoir de sanction. Les personnages comme Luc et le narrateur de La Salle de bain flottent dans un tel monde. Même quand ils commettent un geste socialement inacceptable (Luc, on l’a vu, se met à quêter dans un cimetière; le narrateur de Toussaint, lui, envoie carrément une fléchette dans le front de son amie), ils ne subissent aucune punition. Leur folie n’étonne personne. » (135)

« 11. L’exotisme du proche : André Major et Pierre Nepveu » (141-155)

L’intimisme au Québec, comme un désengagement de l’écrivain : « Parce que l’intimisme investit le “lointain intérieur”, il est tentant de conclure qu’il évacue le monde extérieur, la scène sociale, au profit de la seule sphère privée. Historiquement, et cela est particulièrement vrai au Québec, l’intimisme coïncide avec un certain “désengagement” de l’écrivain après des années d’effervescence politique. Une poète comme Marie Uguay illustre tout à fait ce moment historique : elle rejette le lyrisme des années 1960 tout comme le formalisme des années 1970, au profit d’une écriture qui se nourrit de l’expérience vécue et cherche à capter l’évidence “taciturne” du réel. Elle ne se reconnaît ni dans les combats politiques du féminisme ni dans l’exaltation de la poésie du pays. Chez elle, comme chez plusieurs autres poètes, romanciers ou essayistes des années 1980, de Jacques Poulin à Pierre Vadeboncoeur, l’écriture intimiste ne passe pas par la contestation ouverte des idéologies. C’est un regard tourné vers soi-même, et souvent vers l’expérience artistique telle que l’écrivain la vit, et non un discours d’opposition. La vieille dichotomie entre l’art pour l’art et l’art utile se répéterait ainsi, l’art intime étant peut-être une façon d’occuper la case ancienne de l’art pour l’art, mais en la débarrassant de son tape-à-l’œil, une façon de ne demander à l’art que ce qu’il peut donner au milieu du silence et de la solitude. C’est pourquoi sans doute l’intimisme est apparu aux yeux de certains comme un repli de l’écrivain sur lui-même, un refus d’embrasser le monde extérieur et d’assumer une fonction sociale qui avait été pendant vingt ans au cœur de l’activité littéraire. Mais ce retour sur soi, cette attention soutenue accordée aux détails de l’existence plutôt qu’aux grands événements historiques sont lourds de signification sociale. » (142-143) → Il s’agit de l’hypothèse qu’il veut défendre dans cette partie.

« 12. Écriture et compassion : Soifs de Marie-Claire Blais » (157-170)

Marie-Claire Blais à part des écrivains de sa génération : « Marie-Claire Blais se trouve ainsi identifiée tout autant aux années 1960 qu’à la période actuelle [avec Soifs, qui ouvre en quelque sorte « un cycle romanesque considéré par plusieurs comme une sorte de monument littéraire contemporain »]. En cela, elle se distingue des autres écrivains québécois de sa génération, même ceux qui n’ont jamais cessé de publier, car ils demeurent associés, quoi qu’on dise, soit aux années 1960, comme Réjean Ducharme, soit aux années 1980, comme Jacques Poulin. Seule Marie-Claire Blais participe aussi fortement à la fois au renouveau esthétique de la Révolution tranquille et à celui de la période contemporaine. » (159)

« Devant la littérature » (171-208)

« 13. Mallarmé et nous » (173-178)

L’absence Mallarmé dans la littérature québécoise dit quelque chose sur cette même littérature : « Pourquoi donc parler de Mallarmé à propos de la littérature québécoise s’il est vrai qu’il n’entretient aucun rapport significatif avec elle? Est-ce si incongru? Il me semble, à tort ou à raison, que l’absence de Mallarmé au Québec est particulièrement instructive. Elle permet de considérer la littérature québécoise de l’extérieur, en attirant le regard sur ce qu’elle tend à exclure. Mallarmé, par son étrangeté radicale, dit quelque chose sur la littérature québécoise, ou plutôt sur ce que n’est pas, sur ce que n’a pas voulu être la littérature québécoise. » (174)

« 14. Le devoir d’enthousiasme » (179-187)

« 15. Le modèle belge » (189-197)

But de l’article : « Je voudrais tout de même défendre ici, sans ironie, ce paradoxe d’un modèle littéraire belge, qui pourrait être instructif ailleurs dans la francophonie littéraire et en particulier au Québec. » (189)

Mais : « Posons les choses de façon grossière : quand je pense à la littérature francophone de Belgique, je vois des noms : Verhaeren, Maeterlinck, Rodenbach, Simenon, Ghelderode, Michaux, pour ne prendre que des auteurs internationalement reconnus; quand je pense à la littérature québécoise, je vois l’ensemble de cette littérature, je vois la littérature comme entreprise collective plutôt que des auteurs singuliers (même si quelques noms surgissent, comme ceux de Miron ou de Ducharme). La grande vedette de la littérature québécoise reste la littérature québécoise elle-même, et non pas tel ou tel auteur. En ce sens, la comparaison avec d’autres littératures francophones, comme la belge, a quelque chose de trompeur. C’est que la littérature québécoise existe plus fortement que n’importe quelle autre littérature francophone, et plus encore si on la compare à la littérature belge, dont le statut a été et demeure extrêmement problématique. » (190)

La littérature québécoise se comporte comme une grande littérature : « Ainsi la littérature québécoise, on l’a souvent constaté, se comporte comme une grande littérature. Ce ne sont pas que des paroles en l’air : la littérature québécoise se donne vraiment les moyens d’une littérature de grande dimension, une littérature qui se développe, sur le plan de l’organisation institutionnelle, comme si Paris n’existait pas. Cette autosuffisante étonne habituellement les étrangers, et particulièrement les Belges, qui y voient une forme de résistance presque héroïque au centralisme parisien. » (191)

Leçon à tirer : « Il y a ici une leçon à tirer pour les études québécoises, qui auraient intérêt à considérer l’exemple belge comme un modèle atypique — et d’autant plus intéressant qu’il est atypique. L’écrivain belge ne cherche pas à liquider le pacte avec la nation : il n’y a à peu près jamais eu de tel pacte en Belgique. Ce n’est pas forcément un malheur. Il arrive que l’on y pousse le culture du grand contexte jusqu’à nier l’existence (tout de même bien réelle) du petit contexte. Cela donne des œuvres souvent mineures à force d’universalisme abstrait, des œuvres comme le roman néoclassique Saint-Germain ou la Négociation de Francis Walder, prix Goncourt 1958. Toutefois, en règle générale, il y a quelque chose de salutaire dans le désir du grand contexte qui caractérise l’histoire littéraire belge depuis le naturalisme et le symbolisme jusqu’aux surréalismes des années 1920 et 1930 et au minimalisme contemporain. Il y a une sorte de miracle belge si l’on regarde la richesse artistique de ce petit pays. Certes, plusieurs écrivains ou intellectuels belges diraient qu’ils sont simplement “condamnés” à l’international, étant donné la faiblesse du pôle national, l’exiguïté de leur espace littéraire et leur position décentrée, donc toujours malaisée, par rapport à Paris. Pour parler comme Bourdieu, on dira que les écrivains belges font de nécessité vertu. Mais la littérature y gagne beaucoup, et je me demande si le Québec n’aurait pas avantage non pas à se déclarer tout à coup libéré du pacte exclusif avec la nation (ce qui n’aurait guère de sens), mais à s’inspirer plus modestement du modèle belge, c’est-à-dire à miser moins sur la littérature québécoise en tant que projet collectif et davantage sur les écrivains singuliers, dégagés de leur fonction représentative, exposés pleinement au grand contexte. » (196-197)

« 16. La cassure invisible » (199-208)

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