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Fiche de lecture

1. Degré d’intérêt général

Même s'il devient lourd par endroits, le roman d'Alain Nadaud éveille l'intérêt du lecteur qui doit recomposer, à partir de 25 documents anciens, douze siècles de l'histoire d'une secte.

2. Informations paratextuelles

2.1 Auteur : Alain Nadaud

2.2 Titre : Archéologie du zéro

2.3 Lieu d’édition : Paris

2.4 Édition : Denoël

2.5 Collection : L'Infini

2.6 (Année [copyright]) : 1984

2.7 Nombre de pages : 254 p.

2.8 Varia : 2 citations en exergue:

“Le Zéro touche à l'être, car c'en est justement l'absence.” Théocritas d'Apamée (phrase et auteur fictifs)

“Comment le négatif peut-il produire un signe, le néant se signifier ?” Roland Barthes (auteur réel, mais je ne sais si la phrase l'est aussi)

3. Résumé du roman

Un professeur à l'Université d'Alexandrie découvre, enfouie sous la cave d'une maison, une nécropole dans laquelle une urne contient divers manuscrits très anciens concernant tous, de près ou de loin, la secte des “Adorateurs du Zéro”. Les documents, disposés en ordre chronologique dans le roman, révèlent certaines parties de la vie et des voyages de Pythagore de même que l'histoire subséquente de ses disciples, les néo-pythagoriciens, jusqu'à l'ultime disparition des derniers d'entre eux, les “Adorateurs du Zéro”, secte disparue en 645 ap. J.-C à Alexandrie, persécutés par les chrétiens. Certains des documents sont des descriptions de fresques, des poèmes, d'autres ont une saveur tantôt historique, tantôt philosophique et d'autres enfin s'apparentent au roman d'aventures. Il me semble aussi pertinent de mentionner que la quatrième de couverture parle d'“une oeuvre vertigineuse dont l'érudition, réelle ou supposée, constitue le ressort même de ce roman d'aventures métaphysique.”, ce qui définit assez bien une oeuvre hybride comme celle de Nadaud.

4. Singularité formelle

Le roman se présente d'abord sous la forme d'une introduction relatant la découverte de la nécropole et des documents, puis il présente, en ordre chronologique, les 25 documents anciens, chacun étant accompagné d'un commentaire de contextualisation de la part du narrateur. Un passage des commentaires du narrateur me semble particulièrement éclairant quant à la manière dont le sens est produit par la juxtaposition des différents fragments que sont les manuscrits. Malgré sa longueur, je le reproduis ici dans son intégralité, car il m'apparaît, de manière évidemment sous-entendue, comme une sorte de mini poétique de la diffraction dans “Archéologie du zéro” :

“ Arrivé presque au terme de l'examen de ces archives, le lecteur ne manquera sans doute pas de s'étonner de la rareté des textes spécifiquement consacrés au zéro. C'est qu'il a déjà été dit quelque part que la découverte du zéro, en elle-même, constituait déjà le point le plus ultime de la conscience que l'on peut avoir de ce nombre. Les membres de la secte eux-mêmes ne s'y sont pas trompés - c'est en ce sens qu'ils l'ont déifié et adoré - et ont aussi compris que la mise au jour du zéro à elle seul épuisait toutes les possibilités de ce dernier puisque, une fois connu, il apparaissait comme évident que l'essentiel de ses propriétés résidait dans la non-épaisseur et la transparence.

De cela en effet, les auteurs de ces archives n'ont pu que prendre acte, à savoir, et selon la formule consacrée, que penser le zéro, c'était atteindre le degré zéro de la pensée, que concevoir le rien, c'était déjà ne plus rien concevoir du tout.

On comprend bien alors la contradiction dans laquelle ils se sont trouvés pris et qui ne pouvait déboucher sur d'autre issue que la mort. Et nous-mêmes avons bien senti, au contact de ces textes, le dérisoire qu'il y avait à nous faire les témoins d'une entreprise par avance vouée à l'échec, en tout cas obligée de reconnaître que la pensée du zéro est par définition impossible, de toute façon le lieu d'une approche qui ne peut être qu'infinie, et pour tout dire asymptotique. Aboutir au zéro, se présenter face à cette soudaine absence de toute réalité, c'est sentir le livre se dérober sous soi, rendre l'écriture soudain sans voix.” (p. 221-222)

Peut-être suis-je devenu un peu paranoïaque, mais il me semble qu'ici, la quête du zéro peut assez aisément être perçue, de façon métaphorique, comme une quête du sens, autant dans l'existence que dans l'écriture et dans la lecture. C'est moins dans la découverte du sens que dans sa poursuite frénétique de la part du lecteur que le sens nous paraît vraiment capital ou attirant, et l'éclatement de l'histoire du Zéro en différents “documents”, parce qu'elle augmente les possibilités de fuite du sens, sa dilution, favorise justement sa recherche et accroît son pouvoir d'attraction.

Une table des matières contenant un résumé de quelques lignes de chacun des documents est présente en fin de volume.

5. Caractéristiques du récit et de la narration

L'introduction, pendant laquelle le narrateur raconte comment il a découvert la nécropole, est de facture classique: narration autodiégétique, mais temporaire. En effet, lors de la présentation des 25 documents, le narrateur se borne à décrire la provenance supposée de ces documents, laissant ceux-ci prendre chaque fois le relais de la narration. J'insiste sur le mot “supposée”, car bon nombre des informations que le narrateur présente comme réelles et historiquement admises sont totalement inventées. Pour augmenter la vraisemblance de ses commentaires et, par extension, des faits décrits dans les manuscrits, il fait entre autres appel à de faux scientifiques (p. 51 : “l'historien et archéologue allemand Friedrich Stiller-Hauser”, par exemple, n'a jamais pris une bouffée d'air sur cette Terre). Quant aux informations que l'on retrouve autant dans les commentaires que dans les documents, elles sont en général inspirées de l'Histoire et invérifiables. Par exemple, le document no 9 traite de la rivalité entre les villes de Sybaris et Crotone (Pythagore avait établi son école dans cette dernière) à partir de certains épisodes et personnages historiquement répertoriés. Toutefois, les actions et les discours soi-disant décrits dans le soi-disant manuscrit sont invérifiables et, certainement fictifs. La plupart des fictions racontées dans les documents sont ainsi inscrites dans un contexte historique avéré ou, du moins, généralement admis, ce qui permet de leur donner un surcroît de vraisemblance. De plus, puisque, dans un de ses commentaires, le narrateur accuse les “Adorateurs du Zéro”, auteurs ou transmetteurs des manuscrits, d'être “d'habiles falsificateurs de textes” et d'avoir “retouché, selon leurs propres conceptions” (p. 114) plusieurs éléments des textes (et ces doutes à l'égard des “Adorateurs” se multiplient tout au long du roman), il devient à peu près impossible pour le lecteur de savoir si ce qu'il a sous les yeux est historique ou fictif, sans faire lui-même de recherche.

Le narrateur se présente comme détenteur de l'autorité et de la vérité (notamment par ses pseudo-références et appuis scientifiques), mais il admet que les “Adorateurs du Zéro”, eux, ne sont pas fiables. Ainsi, il remet en cause la véracité de ce que les manuscrits racontent, tout en se positionnant avantageusement en position d'autorité. Le lecteur est donc amené à douter de ce qu'il lit dans les textes de la secte en même temps que sa confiance dans le narrateur augmente, ce qui permet à ce dernier de l'embobiner plus efficacement.

6. Narrativité (Typologie de Ryan)

6.1- Simple

6.2- Multiple

6.3- Complexe

6.4- Proliférante

6.5- Tramée

6.6- Diluée

6.7- Embryonnaire

6.8- Implicite

6.9- Figurale

6.10- Anti-narrativité

6.11- Instrumentale

6.12- Suspendue

Justifiez :

J'hésite entre complexe et proliférante. Le récit cadre (la découverte de la nécropole) est certes submergé par les micro-récits que constituent chacun des documents, mais cela est volontaire et ressemble davantage à une délégation de narration qu'à une submersion… Pas clair… L'intrigue dépend uniquement et dès le début des micro-récits et le récit cadre n'est véritablement qu'une introduction qui contextualise les autres récits. Par ailleurs, ces récits sont tous plus ou moins liés, autant par la chronologie que par la thématique et, parfois, par les personnages.

7. Rapport avec la fiction

Comme d'habitude, je crois y avoir répondu indirectement au point 5. Il reste qu'à aucun endroit le roman de Nadaud ne se présente explicitement comme une fiction. Il sème allègrement le doute sur la fiabilité des informations transmises au lecteur, mais la vraisemblance demeure à peu près intacte, il me semble.

8. Intertextualité

Beaucoup de fausse intertextualité avec des documents ou des personnes qui n'ont pas existé en réalité. Certaines mentions à des ouvrages et à des auteurs antiques (Platon, Cicéron et une pléthore de présocratiques) qui ont parfois pour effet d'augmenter la vraisemblance et l'illusion de fiabilité des sources.

9. Élément marquant à retenir

La manière dont la quête du sens est influencée par l'éclatement du récit en différents documents et leurs commentaires respectifs.

Le narrateur principal qui fonde son autorité en discréditant les narrateurs secondaires (ceux des documents).

* À propos d'“Archéologie du zéro” et de l'oeuvre d'Alain Nadaud, voir aussi :

Armelle Datin - Alain Nadaud, le Fil d’Ariane

Rosa Galli Pellegrini - Alain Nadaud: Voyage au centre de l’écriture, l’écriture au centre du voyage

fq-equipe/nadaud_alain_1984_archeologie_du_zero_paris_denoel._sebastien_hogue.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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