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Madeleine Monette, Le Double suspect, Montréal, Typo, 1996, 228 p.

Édition originale : « Montréal, Les Quinze (coll. Quinze/prose entière), 1980. »

1. Degré d’intérêt général

Pour le projet de quête et enquête : Fort

Pour le projet de diffraction : Moyen

En général : Écriture quelque peu explicative, mais jeu intéressant sur les doubles.

2. Informations paratextuelles

2.1 Auteur : Madeleine Monette

2.2 Titre : Le Double suspect

2.3 Lieu d’édition : Montréal

2.4 Édition : Typo

2.5 Collection : -

2.6 (Année [copyright]) : 1996 (1980)

2.7 Nombre de pages : 228 p.

2.8 Varia : premier roman de l’auteure, Prix Robert-Cliche en 1980.

3. Résumé du roman

Présentation de l’éditeur :

« Dans ce roman sur la séduction, qui emprunte à l'intrigue policière et au roman psychologique, Madeleine Monette exploite le thème du double pour faire apparaître les rapports secrets qui se tissent entre les êtres. S'étant donné rendez-vous à Rome, deux compagnes de travail doivent voyager ensemble vers le sud. Mais Manon abandonne Anne, et son départ ne déguise pas longtemps un suicide. A partir du journal intime que Manon laisse derrière elle, Anne entreprend de percer son énigme, tout en fabriquant la sienne… Imaginez: s'approprier la vie et la mort d'autrui, et ce qu'elles contiennent de fascination. »

Résumé pour le projet (remarques)

Le roman « Le double suspect » présente une enquête, dans la mesure où le personnage d’Anne se lance dans l’écriture d’une sorte de « roman », comme elle semble le concevoir, qui retrace les dernières années de sa collègue Manon, morte dans un accident. Manon a laissé derrière elle deux cahiers et Anne va s’en inspirer pour écrire son histoire. On peut comprendre qu’Anne ne décortique pas vraiment les cahiers pour en trouver des indices et mener une vraie enquête. Elle va plutôt s’intéresser à quelques informations retrouvées dans le journal et tisser sur papier une vie plus près de l’imaginaire que de la réalité. Donc, il n’y a pas d’enquête au sens propre pour trouver la vérité. L’enquête est néanmoins notable dans une sorte de recherche de signes ou d’indices, par Anne, des signes qui vont lui permettre de tisser des liens et d’inventer une version qu’elle conçoit comme étant une version possible de la réalité, en vertu de ses propres impressions.

Au-delà de cette semi-enquête, on peut dénoter la présence d’une enquête plus visible dans le récit de Manon, où le personnage vraisemblablement « fictif » de Manon tente de comprendre ce qui a mené son conjoint Paul à commettre le suicide. Elle découvre une réalité – Paul serait homosexuel – qui remet en question son existence, et ses propres relations et désirs. On peut comprendre par contre que, le récit de Manon étant écrit par Anne, l’enquête menée par Manon n’est peut-être pas réelle, et les découvertes sont peut-être de simples interprétations.

Enfin, l’enquête du lecteur est présente mais pas tellement prononcée, en ce sens que les informations fournies au lecteur sur Manon sont présentées comme plus ou moins fictives. Anne indique qu’elle s’inspire du journal, mais on ne sait jamais ce que contient le journal exactement, donc le lecteur ne peut s’accrocher à rien de concret. Il est amené à considérer le récit de Manon comme une complète réalité, ou comme une complète fiction, ce qui est préférable. La place des blancs dans ce roman est majeure : on parle de fragments pour décrire le journal, puis on insiste sur le fait qu’il manque des informations et que la plupart sont transformées. Autrement dit, une grande part d’incertain, d’incomplétude, de fragmentaire, mais le lecteur n’a que peu de prises à travers ce chantier de désordre.

4. Singularités formelles

Le récit qui concerne Anne pendant son séjour à Rome est interrompu à quelques reprises par le récit de Manon, annoncé par les mentions « Cahiers à tranches rouges 1 » et « Cahiers à tranches rouges 2 ». On revient néanmoins aux impressions d’Anne à la suite de chacun des cahiers. Le début du roman est écrit à l’imparfait, donc il revient sur un passé proche, un passé qui précède la mort de Manon. La mort de Manon devient l’événement qui déclenche l’écriture au présent. Ainsi peut-on imaginer que Anne se met à écrire son propre récit, dès la mort de Manon, puis le récit de Manon.

5. Caractéristiques du récit et de la narration

Roman à double voix narrative et pourtant à une seule. La première voix narrative, celle de Anne, explique son rapport avec Manon et le contexte de sa mort ; puis elle épluche les cahiers intimes de Manon. La deuxième voix narrative aurait dû être celle de Manon, puisqu’il s’agit de son journal, mais c’est vraisemblablement la voix d’Anne qui calque celle de Manon en s’inspirant des notes prises dans le cahier. Anne affirme clairement qu’elle écrit à partir du journal de Manon, en y intégrant quelques éléments fictionnels basés sur sa propre subjectivité.

« Entre la femme qui a entrepris de récrire à la première personne l’histoire d’une autre, et cette autre qui est devenue un personnage fictif, bientôt s’établit la relation d’un sujet à son alter ego, à son double sur lequel peuvent être reportés tous les soupçons. » - p. 215. (« La tentation du désordre », Madeleine Monette)

6. Rapport avec la fiction

Réflexion très frappante sur l’identité, les limites entre ordre et désordre, la vérité, l’écriture, qui interroge les liens entre fiction et réalité, puis qui suggère qu’il n’y a pas d’histoires vraies. De fait, le travail « biographique » qui est fait par Anne est remis en doute complètement puisqu’elle insiste sur le fait qu’elle invente une partie de l’histoire, qu’elle n’utilise le journal que pour confirmer l’authenticité de ses inventions. Les nombreux blancs du journal l’amènent à interpréter et à transformer les faits. Les nombreux blancs du roman que nous lisons nous amènent à douter de la vérité, ce qui nous empêche de tracer les ponts nécessaires entre réalité et fiction.

7. Métatexte

Dans la partie qui est consacrée à Anne, plusieurs allusions à l’écriture et au processus de rédaction à partir du journal de Manon. Anne réfléchit à sa posture d’écrivaine et porte des commentaires sur le fait qu’elle retient des éléments du journal et en invente d’autres.

8. Intertextualité

Rien à signaler, sinon que ce roman « emprunte à la fois à l’intrigue policière, au discours critique moderne et au roman psychologique traditionnel. » - p. 217. (Madeleine Ouellette-Michalska, Le Devoir)

9. Extraits significatifs

« Parce qu’il fallait vouloir la recomposer, cette histoire, malgré les blancs dont elle était semée, les zones d’ombre où elle semblait prendre tout son intérêt. Manon dévoilait rarement l’objet de ses préoccupations, n’étalait jamais ses sentiments et ne fournissait jamais de justifications. D’où mon malaise lorsqu’elle s’était entêtée à détailler les motifs de son départ. Mais tandis qu’elle pataugeait dans ses excuses, je ne me suis pas doutée un seul instant que, dans son souci cuisant de me cacher ses réelles intentions, elle s’appliquait à me les suggérer. » - p. 37.

« Quand mon imagination semble m’entraîner trop loin, je la rappelle à l’ordre, en m’efforçant de m’en tenir à la lettre des cahiers. Toutefois, c’est justement parce qu’ils ne disent pas tout que j’ai tendance à inventer. Ainsi, je ne peux m’empêcher de voir un rapport entre la mort de Manon et celle de Paul, car il s’est tué comme elle alors qu’il roulait seul sur une autoroute, par un matin ensoleillé du mois de juin. » - p. 42.

« À les lire, je ressens une anxiété que je refoule et un enthousiasme que je réfrène. J’ai mis du temps à le saisir, mais ce qui cause l’une et l’autre, c’est d’Abord mon désir de transformer ces fragments en un texte achevé, ensuite mon impatience, comme une insatisfaction d’auteur, devant l’ouvrage défectueux ou bâclé. J’ai envie de reprendre le journal de Manon, d’enchaîner les parties dans un ordre différent et d’en réparer les négligences, d’en combler les vides, d’en supprimer les redondances, les purs ornements, comme on le fait d’un premier manuscrit maladroit. » - p. 45.

« Non, je préfère ne rien dire plutôt que de m’exposer à des interprétations incontrôlables. D’ailleurs, une fois l’ouvrage terminé, ma préoccupation initiale n’y sera peut-être plus lisible, l’écriture pouvant m’éloigner ou me rapprocher de Manon et de moi-même. Et si, comme devant un miroir déformant, moi seule pouvais alors faire la différence entre fiction et réalité ? Et si je disais à mon retour que, Rome m’ayant inspirée, j’y suis restée pour écrire ? « C’était donc ça ! – Oui. – Et c’est de la poésie ? Un roman ? – Oui. Disons un roman. » » - p. 49.

« Lorsque j’écris cependant, j’oublie que ce que je raconte n’entretient avec le réel que des rapports ténus et lointains : les représentations de Manon épuisent toute sa réalité. Quant au journal dont je m’inspire, je me surprends parfois à le consulter comme un document dont la seule utilité serait de me fournir après coup, mais après coup seulement, la preuve que ce que j’avance est authentique. Tout se passe comme si mon récit prenait les devants et que, doté d’une énergie propre, il anticipait sur ce qu’affirment déjà les cahiers de Manon. » - p. 117.

« Bien sûr, en me pliant ainsi aux besoins de la mise en scène, je m’écarte du vécu. De toute façon, l’authenticité ne m’intéresse qu’indirectement, mon récit visant plus à redoubler le point de vue de Manon qu’à raconter les faits tels qu’ils ont eu lieu. Ce qui me travaille, c’est d’abord ce qu’elle en a dit, ensuite ce qu’elle aurait pu en dire. Peu importe donc que ma narration prenne des allures de fiction, devienne même incontrôlable, puisque la réalité sur laquelle je me penche n’existe pas ailleurs que dans les cahiers numérotés, dont je n’ai aucun moyen de vérifier ici, à Rome, l’exactitude ni la sincérité. Du reste les enquêtes ne sont pas mon affaire. La vérité non plus, si elle ne doit être que la qualité de ce qui est vérifiable. » - p. 119.

« J’allais peut-être trop loin, j’accordais peut-être trop d’importance à une seule circonstance, mais pour la première fois ce soir-là j’avais vu Lemire faire un geste affectueux. Dans d’autres conditions sa vie privée m’aurait laissée froide, et je ne me serais pas donné la peine de faire une enquête. Mais il y avait Paul, et le jeune blond. Mais il y avait le flou que les insinuations de Lemire avaient créé autour de l’accident. Et il y avait le désarroi trop sincère de ce dernier, lorsque nos regards s’étaient croisés dans ce bar. » - p. 164.

« Sans doute plus démunie que jamais auparavant, je ne trompe le temps qu’en lisant des romans policiers. Empilés dans un coin de l’appartement, ceux que j’ai terminés forment déjà une colonne d’un demi-mètre de haut. Si je ne m’arrête pas, j’aurais bientôt épuisé la réserve du marchand de journaux et n’aurai plus qu’à passer aux romans illustrés. » - p. 182.

« Deux semaines. Et j’ai le sentiment que ma vie ne tient plus à rien, pas même à la curiosité d’identifier le meurtrier… Les romans policiers ont fait leur temps, et je n’ai plus le cœur d’en tourner les pages. » - p. 182.

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