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La Maison du Docteur Dee

FICHE DE LECTURE « Les postures du biographe »

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Peter Ackroyd Titre : La maison du Docteur Dee [The House of Doctor Dee] Lieu : Paris Édition : Le Promeneur Collection : Année : 1996 [1993] Pages : 339 p. Cote : BNQ Ackroyd A1829m

Biographé : John Dee

Extrait de Wikipedia

John Dee (July 13, 1527 — 1608 or 1609) was a noted English mathematician, astronomer, astrologer, geographer, occultist, and consultant to Queen Elizabeth I. He also devoted much of his life to alchemy, divination, and Hermetic philosophy. Dee straddled the worlds of science and magic just as they were becoming distinguishable. One of the most learned men of his time, he had lectured to crowded halls at the University of Paris when still in his early twenties. John was an ardent promoter of mathematics, a respected astronomer and a leading expert in navigation, having trained many of those who would conduct England's voyages of discovery (he coined the term “British Empire”). At the same time, he immersed himself deeply in magic and Hermetic philosophy, devoting the last third of his life almost exclusively to these pursuits. For Dee, as with many of his contemporaries, these activities were not contradictory, but particular aspects of a consistent world-view.

Pays du biographe : Angleterre Pays du biographé : Angleterre

Désignation générique : roman Quatrième de couverture ou rabats : résumé de l’intrigue. « Quand Matthew Palmer hérite d’une vieille maison du quartier londonien de Clerkenwell, il se sent devenir partie intégrante du passé de l’endroit. Alros qu’il se livre à des recherches historiques sur l’ancien propriétaire, la maison elle-même semble s’animer et d’autres forces s’éveiller autour de lui – une ville antique est-elle ensevelie sous Londres, et qu’y a-t-il de vrai derrière la légende de la créature éternelle que recherchèrent les alchimistes? En répondant à ces questions, Matthew Palmer découvre la vérité sur son père, dont il a hérité cette vieille maison, ainsi que la sienne propre. Présence brûlante et secrète au cœur de cette quête initiatique : l’étrange figure du docteur Dee, célèbre alchimiste du XVIe siècle que la rumeur publique accusait de magie noire et qui compta parmi les grands philosophes et mathématiciens de son époque. Dee crut aux fantômes, à la circulation des âmes, à la possibilité de communiquer avec les esprits et les génies des lieux, et c’est, à travers le temps, les échos de cet étrange savoir que semble recueillir Peter Ackroyd, dans une fiction fascinante où il ne peut y avoir, comme toujours chez lui, de nette distinction entre le présent et le passé. » Préface : Aucune Autres informations : Aucune

Textes critiques sur l’auteur : Barry LEWIS : Résumé détaillé de l’intrigue. Je retiens ici ce qu’il dit à propos de l’obsession apparente d’Ackroyd pour ce qui touche à l’occultisme (que l’on retrouve aussi dans Hawksmoor) : « Alchemy and other arcana are nothing but metaphors for a writer who wishes to explore the transformations wrought by times and texts. The real magic in the book lies not with the dabbling of Dee and Palmer. It is through the necromancy of words and language that the past is resurrected. » (2007: 80) J’ajouterais que l’obsession d’Ackroyd pour le biographique est davantage le fondement de son entreprise et que le reste n’est souvent que prétexte, fioriture.

Susana ONEGA : Insiste plutôt sur les aspects «mythique» et «mystique» de l’œuvre.

Jeremy GIBSON et Julian WOLFREYS: Sur le rôle de Londres dans l’œuvre de Peter Ackroyd. Insiste d’abord sur quelques biographies, puis parle de HDD et de Dan Leno. Retenons l’idée d’ensemble : « … for Ackroyd, the act of writing the city is not one of describing a stable and predetermine image or identity. Instead, as intimated above, writing the city involves responding to the dictations of London, hearing the London voices, to borrow Kaveney’s phrase, or, perhaps more precisely, tracing or attempting to read the multiple and semi-legible, often cryptic inscriptions out of which the city is formed. » (2000: 171) Il utilise l’expression suivante, tout à fait appropriée pour décrire l’oeuvre d’Ackroyd : «haunting of the other within the same» (2000 : 190)

SYNOPSIS

Résumé ou structure de l’œuvre : Je renvois à l’article de Lewis pour le résumé détaillé de l’intrigue. En somme, il y a deux temps narratifs qui se partagent les chapitres : dans le présent, Matthew Palmer qui vient d’hériter de son père une maison étrange dans le quartier de Clerkenwell, maison « hantée » qui appartenait à John Dee; dans le passé, l’histoire de John Dee, de son intérêt pour les sciences occultes et l’alchimie – dont son désir de donner vie à un homme artificiel appelé « homoncule », de sa trahison par Edward Kelley qui s’est infiltré chez lui et est devenu son assistant dans le but de lui voler ses secrets. D’un côté, la recherche par Matthew des origines de la maison – et qui coïncide avec la propre recherche de son identité (il découvre à cette occasion qu’il est un enfant adopté, que son père menait une double vie, qu’il avait abusé de lui, que sa mère adoptive qu’il n’aimait pas avait au bout du compte été la seule qui l’avait aimée et protégée, que son seul ami Daniel avait été envoyé par son père – son amant – pour veiller sur lui, etc.) et, de l’autre, la quête égoïste de John Dee qui le conduira d’un monde sans amour (pas d’amour pour son père mourrant, sa femme, ses domestiques) à un monde d’amour (dont sa femme, empoisonnée, sera le guide d’outre-tombe). Le roman en entier semble être, bien davantage qu’un roman fantastique, un roman d’initiation, une immense métaphore sur la recherche de l’identité, de la vérité, du savoir… voire, de la quête (auto) biographique. Ce roman est donc terriblement déroutant : pas d’histoire linéaire (on ne sait jamais où l’auteur veut en venir), pas de nœud dans l’intrigue ou de véritables rebondissements et, surtout, une fin plus métaphorique que réaliste qui entremêle les voix des deux protagonistes principaux, mais aussi celle de Peter Ackroyd (voir photocopies complètes). Cette fin, positive, trace toutefois une morale un peu obscure, voire même un peu exaltée… Le monde enseveli sous Londres (que Dee rêvait de retrouver) se révèle être un espèce de paradis où passé et présent s’entremêlent, c’est « la cité éternelle de votre propre temps [Dee] et du mien [Ackroyd] ! » (327), le lieu de l’accomplissement de la quête ackroydienne (?). C’est une renaissance pour Dee, comme le lui annonce sa mère : « -Vous êtes né de nouveau, John Dee, et vous grandirez dans une cité nommée Londres.

  1. Mais je connais Londres…

- Cette cité, vous ne pouvez la connaître. Un autre y prendra votre place et, bien que vous viviez de nouveau en lui, il ne vous reconnaîtra pas, sinon de réputation. Mais il se peut qu’il vous trouve au moment même où il essaiera de se trouver lui-même. » (326) [On voit ici la double référence au personnage de Matthew et à Ackroyd, qui se trouve à travers l’expérience biographique.]

Dans ce monde, Dee retrouve aussi son père et sa femme (tous deux décédés), croisent plusieurs personnes, dont Matthew et Daniel et… Ackroyd. Celui-ci commence par expliquer sa démarche pour l’écriture de ce roman et en questionne la valeur épistémologique, le rapport entre vérité et fiction, objectivité et identification, etc. : « Mais le docteur Dee n’est-il désormais qu’une projection de ma tournure d’esprit et de mes propres obsessions, ou bien est-il une figure historique que j’ai essayé de recréer avec authenticité? » (327)

Ackroyd tente de retrouver son personnage à travers cette cité : « Ô docteur Dee! sortez de cette ruelle où je vous ai aperçu un instant, errant dans la cité éternelle de votre propre temps et du mien! Averti que je l’attendais, il ne me parla pas ou ne voulut pas me parler lorsqu’il s’avança, sans aucun doute affecté d’avoir été utilisé à meubler cette histoire. Je pensais pourtant ne pas avoir mérité ce profond mécontentement, et nous déambulâmes ensemble dans la ville en discutant cette question. Il me reprocha mes multiples récits erronés ou mensongers, à quoi je répondis en observant que je l’avais ramené à la vie et dans la mémoire de l’humanité. – Vous pouvez duper ainsi le monde, me dit-il. Mais je sais bien que vous m’avez présenté et dépeint d’une façon inexacte, et même sous un jour désuet pour satisfaire votre goût du suranné. Votre chanson sonne faux. » Le personnage de Dee va même jusqu'à revendiquer son autonomie : « Je ne suis pas votre petit homme. Je ne suis pas votre homoncule. » (327) La métaphore, ici, est évidente… Dee confronte même Ackroyd : « - Pourquoi ne pas écrire sur votre propre époque? Pourquoi la fuyez-vous? Est-ce parce que vous vous fuyez vous-même? Je sentis bien la pertinence de cet argument, qui fut suivi d’un grand rire. » (327) Mais tout cela me semble-t-il est hautement ludique; il s’agit d’un jeu bien davantage qu’une dénonciation totale de sa propre entreprise; le personnage de Dee qui lui fait des reproches est tout aussi faux que le personnage mis en scène, et, très certainement, Ackroyd en est conscient. Cependant, ce qu’il faut retenir ici, c’est l’effet visé : une dénonciation de l’illusion référentielle, la perte de repères pour le lecteur (l’éventuelle frustration…), une remise en cause qui se situe non pas dans le paratexte (et qui aurait préparée la lecture), mais dans l’œuvre elle-même, une fois la lecture presque achevée.

Dans ce chapitre, toujours, Ackroyd continue son chemin seul et retrouve tous ses personnages (328), puis on retourne à un dialogue entre Matthew et Daniel. Le paragraphe final pourrait être attribué à Ackroyd, comme encore une fois une superbe métaphore : « Ô vous qui avez essayé de trouver la lumière au sein de toutes les choses, aidez-moi à créer un autre pont entre les deux rives [Matthew avait rêvé d’un pont entre les deux rives de Londres, pont sur lequel se trouvait des maisons]. Et unissez-vous à moi pour une louange. Approchez, venez vers moi afin que nous puissions devenir un. Alors Londres sera rédimée, maintenant et pour toujours, et tous ceux avec lesquels nous demeurons – vivants ou morts – deviendront la cité mystique universelle. » (329)

Londres, encore une fois, occupe le centre du roman. D’ailleurs, l’amour d’Ackroyd pour Londres me semble être celui qui motive en surplomb toute son entreprise biographique. En ce sens, la publication de London : the Biography en 2000 serait une consécration et il faudrait voir comment, par la suite, la quête biographique se réoriente. Londres est présente dans tous les romans ou biographies d’Ackroyd, mais chaque fois différente, comme le personnage impossible à saisir d’une biographie, avec ses multiples facettes qu’il s’agit de superposer. Dans ce cas-ci : « Indeed Palmer might well be read as one more emblematic figure of London inasmuch as, by the end of the novel, he has come to know how intimately connected his identity is to specific parts of the city. » (Gibson et Wolfreys, 2000: 191) Le rapport d’Ackroyd à Londres ferait surgir les mêmes schèmes que son rapport au biographique : « In this manner, Ackroyd reveals how there is always another figure within the perceived structure. The other of an identity is maintained within, even as that identity, whether of a person, building, an area or, by extension, London as a whole, only comes to be traced by the persistent resonance and projection of the other. » (2000: 197)

Topoï : le transfert entre passé et présent est encore ici prédominant : « [Matthew] Lorsqu’on retrouva le corps d’un voyageur du néolithique dans un glacier des Alpes, effondré, le visage contre terre, dans la posture de la mort, on tint cela pour une extraordinaire découverte historique. Mais le passé nous est en permanence restitué tout autour de nous, dans les corps que nous habitons ou dans les mots que nous prononçons. Et il y a certains décors ou certaines situations qui, une fois entrevus, semblent perdurer pour l’éternité. Non, ce n’est pas la bonne façon de dire. Ces situations sont déjà partie intégrante d’une histoire continue au moment même où elles se produisent, et, comme je l’ai dit, il arrive que je marche dans la ville d’aujourd’hui et que je la reconnaisse pour ce qu’elle est : une autre époque historique, avec toutes ces mystérieuses caractéristiques, contraintes ou possibilités. » (50-51) « Comme une soie changeante qui, tournée vers le soleil, fait voir maintes couleurs et, détournée de la lumière, n’en montre plus aucune, le temps présent contient toutes les teintes et nuances d’époques depuis longtemps enfuies qui ne sont visibles que pour celui qui les considère comme il convient. » (82)

Dans le même esprit, les deux protagonistes principaux ont beaucoup de traits en communs (Onega, 1999 : 116)

Quelques éléments sur la perte de l’héritage catholique : « …que la destruction des grandes bibliothèques monastiques, avec tous leurs manuscrits et leurs trésors, signifiait qu’avait été aussi perdue une grande partie de l’histoire de cette île. Non seulement toute une culture catholique avait été effacée, mais, de manière tout autant dommageable, avaient été détruits tous les anciens documents monastiques sur les débuts de l’histoire de la Grande-Bretagne. En effet, un immense pan du passé avait été enseveli. » (52) D’ailleurs, John Dee a rassemblé dans sa bibliothèque plusieurs œuvres, documents et manuscrits majeurs (un chapitre entier est consacré à la description de la bibliothèque qui contient plus de 4 000 ouvrages, au souvenirs et rêveries qu’elle évoque – « La bibliothèque », bibliothèque qui sera détruite tant dans la réalité que dans le livre par un incendie) afin de les préserver de la destruction : «… mais cette perte n’est rien comparée au pillage, à l’incendie et à la destruction générale de tant de bibliothèques remarquables sous le règne du roi Henry : la totalité du fonds de notre passé fut près de disparaître entièrement, et notre antique savoir fut utilisé aux latrines ou servit à astiquer les bougeoirs ou à frotter les bottes. Ce que j’ai gardé et préservé ici, ce sont les joyaux insignes que j’ai trouvés dispersés à travers le pays, si bien que dans cette bibliothèque repose une part du trésor de l’antiquité de l’Angleterre, la semence immortelle de son excellence continue, les vestiges du fonds autrefois immense de l’œuvre au plus haut point admirable de nos aïeux. Au rivage d’Albion abordèrent jadis les géants et, après eux, les rescapés de la submersion de l’Atlantide. Leurs grandes vérités ne doivent jamais être oubliées. » (80)

Sur Londres : le personnage de Matthew raconte son rapport mystique à la ville = « Je peux vous raconter la première fois où j’ai commencé à comprendre Londres. […] Mais ce feu était aussi en moi, et je me pris à courir dans les rues comme si je les possédais. D’une certaine manière, j’avais été présent à leur commencement; où, plutôt, j’éprouvais en moi une présence qui avait toujours existé en ce sol, en cette pierre, en cet air. Ce feu originel m’a quitté maintenant, et c’est peut-être pourquoi je me sens si étranger à moi-même; lentement, au fil des ans, la ville s’est obscurcie en moi. » (53) VOIR photocopies.

Rapports auteur-narrateur-personnage : Ackroyd met en scène des personnages qui partagent sa fascination pour le passé et le présent, pour la métaphore biographique de l’identification, de la continuation, pour l’inscription de soi dans un tout, dans la figure de l’autre. Ici = 1/ le personnage de Matthew Palmer est chercheur de profession et travaille donc avec les documents du passé : « Une camaraderie finit par s’établir entre ceux qui travaillent avec les vieux livres et les vieux papiers – en grande partie, je pense, parce que nous comprenons que nous sommes brouillés avec le reste du monde : nous allons à reculons alors que tous ceux qui nous entourent continuent d’aller de l’avant. Je dois avouer que je trouve cette sensation agréable. Un client peut me demander de faire des recherches sur des faits du XVIIIe siècle, tandis qu’un autre peut avoir besoin de renseignements sur un taillandier du XIXe siècle, mais pour moi le plaisir est le même : c’est comme si je pénétrais dans un lieu que j’avais autrefois connu, puis oublié, et que, soudainement illuminé en le reconnaissant, je me rappelais quelque chose de moi-même. Dans certains cas, cela avait des conséquences curieuses, mais qui n’en étaient pas moins très agréables : je levais les yeux des livres ou documents que je lisais, et je trouvais que le monde environnant était devenu à la fois plus distant et plus distinct. Il était devenu partie prenante du processus continu de l’histoire, aussi mystérieux et aussi inaccessible que n’importe quelle autre époque, et je regardais autour de moi avec la même attention ravie que celle que j’aurais eue si je m’étais subitement retrouvé dans un décor du XVIe siècle. Si mon travail impliquait que je regarde souvent le passé comme mon présent, en retour le présent devenait partie intégrante du passé. » (20-21) Il a aussi l’impression – comme le personnage fictif d’Ackroyd qui apparaît à la fin du roman – de fuir le présent en se réfugiant dans le passé. Dans une conversation avec son ami Daniel : « - J’aimerais avoir ta passion […]

  1. Mais tu as une passion. Tu te passionnes pour un passé plus général. Tu te passionnes pour ton travail.
  2. Et tu vas me dire que je me fuis. Ou que j’évite le présent.

Il ne répondit rien, et il se mit à examiner ses ongles soigneusement coupés.

  1. Bien, repris-je, tu as raison. Je ne peux supporter de me regarder moi-même… » (97)

Plus loin, Daniel lui dira : « Je pense que le temps est une substance aussi réelle que le feu ou l’eau. Il peut changer de forme. Il peut se déplacer. » (98)

2/ De même, le personnage du Docteur Dee, alchimiste, a la réputation d’être « un renégat qui ressuscite les morts et qui crée une vie nouvelle » (42), un personnage fasciné par le passé qu’il tente de découvrir (une ville ensevelie sous Londres). Le long chapitre sur sa bibliothèque révèle bien son goût pour l’érudition, son amour pour l’Angleterre et sa fascination pour le passé qui aide à mieux comprendre le présent : « Mais j’ai découvert la source de toute sagesse. Je m’abreuve à la véritable fontaine car je possède ici autour de moi l’héritage de notre île. De même que je contemple le portrait de Paracelse à mon mur et que je diffuse son image à travers ces pages afin qu’elle puisse être perçue comme une faible lueur par ceux qui tournent leur regard de ce côté, de même je distille l’essence de ces livres autour de moi et je la transmets au monde. Ces volumes seront une présence silencieuse continue non seulement pour moi mais aussi pour la postérité de nombreux siècles. Le vulgaire dit et croit que des esprits vivent dans les maisons des particuliers et habitent les vieux murs et les escaliers de bois [La maison de Dee, justement, est hantée…, du moins, Matthew le croit et le vit-il] ; s’il y a toutefois un esprit dans cette bibliothèque, c’est l’esprit des âges passés. Certaines me moquent et me condamnent parce que je vis dans le passé, mais ils se trompent de beaucoup; à l’exemple du navigateur qui trace sa route sur la carte à l’aide des étoiles fixes étincelantes, ceux qui comprennent le passé maîtrisent le présent. Comme une soie changeante qui, tournée vers le soleil, fait voir maintes couleurs et, détournée de la lumière, n’en montre plus aucune, le temps présent contient toutes les teintes et nuances d’époques depuis longtemps enfuies qui ne sont visibles que pour celui qui les considère comme il convient. » (81-82, je souligne)

3/ De même, le père de Matthew, tentait, par divers rites associés à la magie noire, de ressusciter le passé : « C’était donc une autre vérité que je devais me résigner à accepter. Mon père avait pratiqué la magie à Cloak Lane, dans le vain espoir d’évoquer les fantômes du passé; du moins, telle semblait être la substance de la confession que me faisait Daniel. » (167)

I. ASPECT INSTITUTIONNEL

Position de l’auteur dans l’institution littéraire : excellente… ce qui lui laisse, ce me semble, une grande marge de liberté… Voir autres fiches.

Position du biographé dans l’institution littéraire : John Dee est un personnage controversé. Une figure importante de l’Angleterre, mais sans doute méconnue.

Transfert de capital symbolique : davantage une réappropriation de la figure du biographé (transposition de la figure du biographé)

II. ASPECT GÉNÉRIQUE

Oeuvres non-biographiques affiliées de l’auteur : Toute l’œuvre d’Ackroyd qui est majoritairement biographique.

Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : Centrale. Dans ma proposition de communication, j’émets l’hypothèse que l’œuvre d’Ackroyd, en mettant constamment en scène le biographique met aussi en scène l’impossibilité de saisir et de dire l’autre. Dans leur chapitre consacré à la place de la ville dans la biographie ackroydienne, Gibson et Wolfreys affirme à propos d’elle (ce qui rejoint mon hypothèse) : « Brief but vivid intimations can never settle into comforting patterns; we can never know the city finally, any more than we can understand the identity of a novelist, poet, or lawyer from the playful artifice of the biographical narrative. » (2000: 188)

Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : This novel is « self-reflexive […] with regard to its own process of composition. It examines its own status as a textual artifact in a variety of ways and exemplifies Ackroyd’s increasing narrative sophistication. » (Lewis, 2007 : 74). Par exemple, le Docteur Dee fait une série de rêves qui mettent en scène le livre d’Ackroyd : « Désirez-vous que je vous parle de mes rêves ? Dans mon premier rêve, j’eus la vision de nombreux livres, tout récemment imprimés et portant sur une matière très étrange ; parmi eux, il y avait un grand volume, un épais in-quarto, dont la première page portait ma maison pour titre en grandes lettres. Dans mon deuxième rêve, j’allais à pied d’Aldgate à la poterne de Tower Hill quand un grand tourbillon d’un vent impérieux se mit à me suivre, ce qui me fit dire tout haut à plusieurs grands personnages qui m’entouraient : “Je dois me rendre à cheval à Clerkenwell : quelqu’un est en train d’écrire sur un sujet qui me concerne, moi et mes livres.” […] Dans mon quatrième rêve, ma femme, maîtresse Katherine Dee, avortait : je l’aidais à trouver en elle l’enfant mort-né une heure après que je lui avais fait donner de la myrrhe dans du vin chaud, et la chose morte était un livre avec une couverture noire qui me collait aux doigts. Dans mon cinquième rêve […]. Je regardai sur moi, et je me trouvai tout couvert de lettres et de mots, et je sus que j’avais été transformé en un livre… » En dehors des quelques procédés postmodernes du roman, pas d’innovations particulières sur le plan de la biographie.

Thématisation de la biographie : Ackroyd se permet une grande liberté par rapport aux faits. Il s’en inspire, mais fictionnalise son sujet de manière à faire prédominer son propos : « Ackroyd follows the broad contours of what we know about Dee, but he freely invents facts and circumstances when it suits his purposes. » (Lewis, 2007: 75)

Dans le premier chapitre où le Docteur Dee assure la narration, il raconte aussi son enfance, à partir d’un procédé quelque peu désuet. En effet, se faisant talonner dans une taverne par un impertinent qui lui chante sur tous les tons les rumeurs et les accusations dont il est l’objet, le Docteur Dee se défend en se mettant à raconter son histoire. La mise en scène de ce récit autobiographique sera entrecoupée des remarques de l’interlocuteur, remarques qui peuvent être vues comme des commentaires sur l’entreprise biographique : « Votre naissance, dit brusquement Bartholomew Gray, n’est pas à sa place : elle aurait dû venir au commencement de votre exposé. Mettre en ordre, aussi bien qu’inventer, c’est le raisonnement véritable d’un esprit raffiné. » (45)

Aussi, le personnage de Matthew Palmer fait des recherches et consulte divers livres sur John Dee ; les livres qu’il mentionne existent et il en donne des éléments à même la narration, il raconte la vie de Dee de façon synthétique (157-161. On peut y voir une mise en abyme de l’entreprise biographique d’Ackroyd, d’autant plus que, plus loin, Matthew affirme, lors d’une discussion avec son ami : « Et tu t’étonnes que je sois si troublé […] quand chaque livre présente un docteur Dee différent ? Aucun n’est semblable. Le passé est difficile, tu sais. On croit comprendre une personne ou un événement, mais alors on tourne le coin de la rue et tout est de nouveau différent. » (163) – cette idée sera reprise presque texto à la fin du roman : « - Oh, je ne connais rien véritablement. Le passé est difficile, tu sais. On croit comprendre une personne ou un événement, puis on tourne le coin de la rue et tout est de nouveau différent. C’est comme cette maison. Rien ne semble jamais s’y trouver à la même place. » (329)

Rapports biographie/autobiographie : Pas comme tel, bien sûr, mais il semble de plus en plus évident que c’est une quête autobiographique qu’Ackroyd poursuit à travers son entreprise biographique.

III. ASPECT ESTHÉTIQUE

Oeuvres non-biographiques affiliées du biographé : toute l’œuvre de John Dee, ainsi que des écrits de la même époque (le 16e siècle). Dans le dernier chapitre, où Ackroyd prend directement la parole, il raconte comment il a écrit une partie de ce roman sur un mode intertextuel : « La maison du docteur Dee lui-même me conduit à cette conclusion : sans aucun doute vous attendiez-vous à ce qu’il soit écrit par l’auteur dont le nom figure sur la couverture et sur la page de titre, mais en fait nombre de ses mots et phrases sont empruntés à John Dee lui-même. Et si ces mots ne sont pas les siens, ils appartiennent à ses contemporains. De même que John Dee assemblait maints éléments mécaniques pour en fabriquer un scarabée qui pouvait voler, de même j’ai réuni maints textes obscurs et, en les ordonnant de nouveau, j’ai construit un roman. » (326-327) Sur le sujet, Gibson et Wolfreys écrivent : « The novel, it is insisted, is a patchwork construct. Neither simply a novel written in the latter part of the twentieth century nor merely a pastiche, this text is configured from multiple voices and multiple writings, from different places and different temporal instances. » (2000: 196)

Œuvres biographiques affiliées du biographé : Ne s’applique pas

Échos stylistiques : sans doute…

Échos thématiques : sans doute…

IV. ASPECT INTERCULTUREL

Affiliation à une culture d’élection : Angleterre, bien sûr. Londres est particulièrement présente ici.

Apports interculturels : exaltation, exaltation…

Lecteur/lectrice : Manon Auger

fq-equipe/john_dee_par_ackroyd.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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