Table des matières
Éric DUPONT (2012), La fiancée américaine
ORION + POROSITÉ - FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Éric Dupont
Titre : La fiancée américaine Éditeur : Marchand de feuilles
Collection :
Année : 2012
Éditions ultérieures :
Désignation générique : roman (couverture)
Quatrième de couverture : Un gâteau renversé à l'ananas peut-il changer le cours de l'histoire? Louis dit « le Cheval » Lamontagne est né en pleine messe de minuit alors que sa mère était figurante dans la crèche vivante. Son père, le plus bel homme de Rivière-du-Loup était follement amoureux de sa nouvelle femme Madeleine dite « l'Américaine » cuisinière hors pair dont le livre de recettes transformera la vie de toutes les femmes dans la famille sur 4 générations. Leur fils se trouvera mal marié mais les yeux sarcelle de sa mère continueront à se répandre dans la région tout comme en Europe où il est déployé et dans l'État de New York où il gagnera sa vie comme homme fort dans les foires. Dans ce village pentu encore sous l'emprise du curé qui annonce la fin du monde aux enfants pour le 10 novembre les racontars abondent.
Eric Dupont nous offre un magnifique roman où les histoires d'un siècle de Madeleine s'entrelacent comme pour former une pelote de laine. L'expression «histoire d'amour » ne rend pas justice aux méandres de ce récit émaillé de rebondissements.
Notice biographique de l’auteur : Éric Dupont est né à Amqui (Gaspésie) en 1970. Il est l'auteur de “Voleurs de sucre” (2004, Prix Senghor de la francophonie), “La Logeuse” (Lauréat du Combat des livres 2006) et “Bestiaire”. Il enseigne à l'Université McGill.
II - CONTENU ET THÈMES
Résumé de l’œuvre : L’œuvre – d’envergure! – est découpée en 13 parties en plus d’un épilogue. Voici : 1. « Sarcelle » = Louis Lamontagne, un soir de 1958, raconte à ses trois enfants l’histoire de sa naissance le soir de Noël à l’église. Sa mère, une Américaine du nom de Madeleine et qui a les yeux couleur sarcelle, est débarquée à Rivière-du-Loup pour épouser Louis-Benjamin Lamontagne qu’elle ne connaissait pourtant pas – mais il est de tradition qu’il y ait une madeleine par génération dans la famille. L’Américaine meurt après avoir mis au monde Louis, une sorte de colosse, et Louis-Benjamin, inconsolable, se suicide. 2. « Un œil noir te regarde » = cette partie raconte la vie de Louis Lamontagne, alors qu’il participait à diverses foires aux États-Unis à titre d’homme fort. Y est raconté aussi comment il s’est retrouvé dans l’armée américaine et a participé à la 2e Guerre mondiale, ce qui l’a en quelque sorte conduit à son métier d’entrepreneur de pompes funèbres 3. « La voisine » = Tourne autour de l’histoire de l’amitié qui unira Solange, la voisine des Lamontagne, à la fille de ceux-ci, Madeleine pendant leur jeunesse et leurs années de couventines. 4. « Un nouveau confesseur » = Le père Lecavalier est engagé à Rivière-du-Loup pour peindre un nouveau chemin de croix. Il prend alors Madeleine et Marc, fils aîné de Louis Lamontagne, comme modèle. On nous laisse également croire que le frère et la sœur vivent une relation incestueuse ce qui explique, d’une part, la grossesse de Madeleine et, d’autre part, sa haine envers son frère qu’elle assassine en lui préparant en secret une tarte au sirop d’érable qui lui sera fatal, puisqu’il est atteint d’un diabète non diagnostiqué. Irène, la mère de Madeleine, l’envoie à New York avec Solange pour qu’elle se fasse avorter, mais Madeleine finit par fuir et les deux filles se retrouvent à Montréal d’où elles partiront leur premier restaurant de déjeuners grâce au livre de recette de Madeleine-l’Américaine et à l’aide de Monsieur Zucker, un fournisseur alimentaire itinérant, d’origine autrichienne. 5. « Appelez-la Venise » = courte partie qui raconte la visite de Venise Van Veen, célèbre animatrice de télévision, au restaurant des deux jeunes femmes, ce qui en propulsera la popularité, lançant la prodigieuse carrière de femme d’affaire de Madeleine. 6. « Le voleur de livres » = Gabriel, un des jumeaux de Madeleine, écrit des lettres à son frère Michel et lui raconte divers pans de sa vie depuis qu’il est parti de la maison, est devenu professeur d’éducation physique dans une école catholique de Toronto pour finalement se retrouver en Allemagne sur un coup de tête amoureux. 7. « Premier cahier de Magdalena Berg » = En Allemagne, Gabriel a rencontré Magdalena Berg (ce qui signifie plus ou moins Madeleine Lamontagne), une ancienne Allemande de l’Est dont l’histoire de vie est d’abord consignée dans cette partie. 8. « Épîtres romaines » = Michel, chanteur d’opéra en tournage à Rome, répond aux lettres de son frère 9. « Le zèbre de Königsberg » = Quelques lettres allemandes de Gabriel 10. « Deuxième cahier de Magdalena Berg » = Suite de l’histoire de cette femme, depuis son enfance jusqu’au début de la Deuxième Guerre où elle se réfugie chez sa tante à Königsberg en Prusse orientale d’où ils durent fuir devant l’avancée de l’Armée Rouge. L’histoire est suivie de lettres de Gabriel qui tente de retrouver Terese Bleibtreu, l’ancienne professeur de chant de Magdalena et sœur aînée de Ludwig, premier amoureux de Magdalena. Il la retrouve dans une pension pour vieillards, et le récit qu’elle lui raconte fait douter des propos de Magdalena. 11. « Troisième cahier de Magdalena Berg » = Fin du récit d’exode de Magdalena 12. « America Forever » = Le soir du 31 décembre 1999, on retrouve Madeleine Lamontagne en haut de sa tour d’affaires, victime d’une attaque après avoir lu par erreur la correspondance de ses fils et les « Cahiers de Magdalena Berg ». Elle se remet aussitôt à l’hôpital et, avec Solange, elle se rend à New York inaugurer un nouveau restaurant et redonner des croix qu’elle avait volé au médecin lors de son premier passage. Puis, elles prennent l’avion pour Rome, retrouver Michel. 13. « Confession d’une diva » : c’est le climax final, où tous se retrouvent et où ce qui doit nous être révélé est révélé, dont la paternité du père Lecavalier et la jalousie de Madeleine à l’égard de son frère Marc, autre amant de Lecavalier. Le tout se terminant par le suicide de Magdalena, qui tue du même coup Bruno-Karl d’Ambrosio, un réalisateur narcissique qui préparait une version nazie de l’opéra Tosca.
Thème principal : la jalousie et l’héritage au sens large (hérédité)
Description du thème principal : Il est difficile de véritablement dégager une thématique principale tant l’œuvre est foisonnante et en même temps parfaitement cohérente et organisée. La jalousie constitue toutefois bien souvent un des leitmotive principaux des protagonistes. L’héritage et l’hérédité me semblent aussi très importants puisqu’on est au cœur d’une saga familial. Qui hérite de quoi et qui ressemble à qui (surtout, qui a les yeux sarcelle) sera déterminant pour le destin de chacun. Notons également que les mères échouent bien souvent dans leur rôle, si ce n’est Madeleine-la-Mére [sic], soit la grand-mère de Louis qui s’occupera de l’enfant et dont la figure semi-bienveillante est omniprésente tout au long du roman (puisque, même si elle meurt, son personnage demeure en attente d’une « seconde » mort).
Thèmes secondaires : la mort, l’amour, la Guerre, le chant, l’opéra, l’Histoire, les relations entre frères et sœurs, parents-enfants, etc.
III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE
Type de roman (ou de récit) : saga familiale – récit historique
Commentaire à propos du type de roman : Il s’agit véritablement d’une saga familiale sur toile de fonds historique (particulièrement la 2e Guerre mondiale) à mi-chemin entre la littérature savante et la littérature populaire. Ce roman s’inscrit dans la lignée des Filles de Caleb, d’Au nom du père et du fils et d’Autant en emporte le vent, ce qui explique sans doute son succès (grande maîtrise de l’écriture et érudition, mais histoire populaire).
Type de narration : plusieurs types de narration
Commentaire à propos du type de narration : Narration hétérodiégétique dans plusieurs parties et narration autodiégétique dans le cas des échanges épistolaires. Les « cahiers de Magdalena Berg » sont une recomposition de Gabriel d’après le récit autodiégétique de Magdalena (procédé peu vraisemblable mais malgré tout conventionnel). On note également que la narration hétérodiégétique n’est pas neutre et que le narrateur a lui-même des allures de conteurs.
Personnes et/ou personnages mis en scène : dans la mesure où une partie de l’histoire se passe en Allemagne et en Prusse orientale, la trame de fond historique est importante. Le personnage réel mis en scène le plus important est Magda Goebbels, à qui Magdalena vole une boucle d’oreille et à qui elle vouait un véritable culte, tout comme sa tante Clara.
Lieu(x) mis en scène : Rivière-du-Loup (anciennement Fraserville), New York, Montréal, Toronto, Berlin, Potsdam (New York), Berlin, Königsberg, Rome.
Types de lieux : multiples. Nommons : Salon funéraire (maison des Lamontagne), couvent, église, appartements de la RDA, Foire états-unienne, restaurant, école secondaire, etc.
Date(s) ou époque(s) de l'histoire : 1900-2000 (XXe siècle). L’histoire se déroule en effet sur un siècle, avec la naissance de Louis-Benjamin Lamontagne le 14 janvier 1900 et se termine autour du 3 ou 4 janvier 2000. La chronologie du récit ne suit toutefois pas cette linéarité mais procède par bonds, retour en avant et en arrière.
Intergénérité et/ou intertextualité et/ou intermédialité : L’Opéra Tosca est omniprésent, revient comme une sorte de leitmotiv de différentes manières. Plusieurs personnages s’identifient à cet opéra ou à sa protagoniste, ou encore il constitue leur œuvre préférée. Au niveau thématique : la question de la jalousie qui est au cœur de la pièce est reconduite. Plusieurs personnages sont également de grand chanteur d’opéra : Stella, une élève de Gabrielle, passera son audition à Julliard avec celui-ci, Magdalena Berg et Michel sont chanteurs d’opéra, etc.
Particularités stylistiques ou textuelles : Écriture fluide et très bien maîtrisée. On est en présence ici de ce qui fait le grand best-seller, soit une saga familiale sur fond historique soutenue par une écriture et un style maîtrisée. On peut également noter le fait singulier que deux personnages sont présents tout au long du siècle : Madeleine-la-mére et sœur Marie-de-l’Eucharistie (une religieuse au visage affreux qui va donner naissance, en sa qualité de sage-femme, à Louis Lamontagne). Elles vont toutes deux mourir « enfin » dans la nuit du 1er janvier 2000, après une « première » mort plusieurs décennies plus tôt. Cet espèce de « réalisme magique » (est-ce le terme?) donne des allures de conte au roman.
IV- POROSITÉ
Phénomènes de porosité observés : Histoire et Fiction; Ici et ailleurs.
Description des phénomènes observés : Au premier abord, je trouve difficile d’identifier des phénomènes de porosité. Le genre de la saga familial n’est pas nouveau et il se trouve ici totalement assumé. Sans doute une forme de porosité est-elle observable entre Histoire et fiction en ce qui a trait à la reconstitution de la vie de Magdalena Berg, spécialement son exode de Köningsberg qui reconstitue un épisode méconnu de la 2e Guerre mondiale. La mise en scène de Magda Goebbels comme figure charismatique est aussi intéressante. On peut sans doute aussi parler d’une forme de porosité entre l’ici et l’ailleurs, dans la mesure où le véritable centre de l’histoire est Rivière-du-Loup, centre autour duquel gravite les autres lieux, pourtant beaucoup plus célèbres (New York, Montréal, Berlin, Toronto, etc.). Cela donne sans doute à ce roman ses « origines »; c’est un roman québécois.
Auteur(e) de la fiche : Manon Auger