FICHE DE LECTURE « Les postures du biographe »
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : François BOTT (1935- ) Titre : Faut-il rentrer de Montevideo? Lieu : Paris Édition : Le cherche midi Collection : — Année : 2005 Pages : 155 Cote BANQ: Bott B7511f
Biographés : Isidore Ducasse, alias Comte de Lautréamont, poète (1846-1870) Fabian Lloyd, alias Arthur Cravan, boxeur et poète (1887-1918) Rik Van Steenbergen, cycliste (1924-2003)
Pays du biographe : France
Pays des biographés : Lautréamont : Uruguay (d’origine française) Arthur Cravan : Suisse (d’origine britannique) Rik Van Steenbergen : Belgique
Désignation générique : L’appareil paratextuel désigne ce livre comme un roman. Une remarque de l’auteur, dans son prologue, confère toutefois une certaine ambiguïté à cette dénomination : « Voici donc les portraits intimes, les “romans” d’Isidore Ducasse, d’Arthur Cravan et de Rik Van Steenbergen » (p. 25).
Préface : Cet ouvrage ne comporte pas de préface, mais un prologue dans lequel Bott nous présente les circonstances qui ont entouré l’écriture de son livre. Il nous révèle les raisons qui l’ont motivé à écrire un roman qui met en scène trois personnages réels que rien ne semble, a priori, rapprocher : Isidore Ducasse, dit comte de Lautréamont, poète, Fabian Lloyd, dit Arthur Cravan, poète pugiliste et Rik Van Steenbergen, coureur cycliste et flambeur notoire. Comme s’il souhaitait remédier à l’absence de liens tangibles entre ses biographés, Bott définit soigneusement le sens de cette réunion disparate en évoquant les caractéristiques communes que l’on peut leur attribuer : « Isidore, Arthur, Rik… Chacun à sa manière, ils sont revenus de Montevideo, revenus de leurs chimères et de leur jeunesse. Après avoir flirté avec la célébrité, ou l’avoir espérée, tous les trois sont morts inconnus, dans un anonymat complet et dans l’indifférence de leurs époques respectives » (p. 16). Plus loin, il ajoute : « Pour mieux égarer les soupçons, deux de mes “héros” s’étaient promenés dans le monde, sous de fausses identités » (p. 18). Il faut noter que Bott traite davantage de Lautréamont dans le prologue que des autres biographés. Il s’agit peut-être d’une stratégie visant à engager doucement le texte vers la première partie de l’ouvrage, consacrée à Lautréamont. Néanmoins, cette prédominance surprend.
Autres informations :
- La dédicace – Pour Alphonse, Bertrand, Louis et Marcel, mes amis disparus – n’est pas sans rappeler l’un des topoï principaux du roman : la disparition. - La couverture comporte une photographie de chacun des protagonistes.
Quatrième de couverture ou rabats : [reproduction intégrale] : « Les écrivains sont entourés de fantômes qu’ils entretiennent en secret, comme des danseuses ou des demi-mondaines. Parfois, certains de ces fantômes les tirent par la manche, pour devenir des personnages de roman. Voilà comment, durant le printemps 2003, Isidore Ducasse, le plus ténébreux des poètes français nés à Montevideo, Arthur Cravan, le plus fantasque des poètes boxeurs, et Rik Van Steenbergen, le flambeur des casinos et des tables de poker, ancien champion du monde cycliste, se sont retrouvés colocataires du même roman. Après avoir passé son enfance sur les bords du Rio de la Plata, Isidore Ducasse (alias comte de Lautréamont) mourut, obscur et solitaire, dans un garni, rue du Faubourg Montmartre, pendant le siège de Paris, en novembre 1870. Arthur Cravan disparut mystérieusement au Mexique, en 1918, sans avoir eu le temps d’inaugurer ces années folles dont il avait été le précurseur. Rik Van Steenbergen s’éteignit à Anvers, dans la misère et la solitude… Pendant des semaines, de Paris à Montevideo, des bords de l’Escaut à ceux du Rio de la Plata, François Bott est allé sur les traces de ses personnages. La poésie, la boxe, le cyclisme, le poker, la roulette, le jazz se mêlent dans ce roman qui s’efforce de pénétrer les secrets d’Isidore, d’Arthur et de Rik, et le mystère de leur disparition ».
Textes critiques sur l’auteur : J’ai eu recours aux articles suivants pour alimenter ma réflexion. Bien qu’ils ne soient pas, à proprement parler, d’une richesse incroyable, ils m’ont néanmoins donné une idée de la réception de Faut-il rentrer de Montevideo?…
- Josyane Savigneau, « François Bott, éternel promeneur », Le Monde, vendredi 7 octobre 2005, p.4. - Claire Julliard, « L’inspecteur Bott » , Le Nouvel Observateur, no 2133, jeudi 22 septembre 2005, p. 120-121.
SYNOPSIS
Résumé ou structure de l’œuvre : L’ouvrage est structuré en trois parties, que délimitent le prologue et l’épilogue. Dans le prologue, [voir la rubrique « Préface »], Bott met en contexte l’écriture de son livre. La première partie de l’ouvrage est consacrée à Lautréamont, l’ « obscur jeune homme » (149) : l’écrivain nous est présenté au bord du trépas, voyant défiler sous ses yeux « toutes les images de son existence » (p. 43) peu avant de mourir. Bott nous fait le portrait de Lautréamont à différents moments de son existence : tout d’abord, enfant, rêveur, orphelin de sa mère, puis jeune adolescent, taciturne et solitaire, révolté contre la religion. Plus tard, nous le rencontrons alors qu’il est étudiant, sur le point de partir pour la France afin d’y poursuivre ses études; nous suivons sa trace à Tarbes, puis à Pau, où il est lycéen, à la suite de quoi le voilà de retour à Montevideo pour une année. Ensuite, nous l’entrevoyons au moment où il repart pour Paris, où il commence à écrire; enfin, Bott nous le dépeint tandis qu’il est malade, dans un petit garni de la rue du Faubourg-Montmartre, où il finit par mourir (en 1870). En arrière-plan, la ville de Montevideo est omniprésente : Bott accorde une importance immense au lieu d’attache de Lautréamont. Il est par ailleurs fasciné par la double identité culturelle de l’écrivain (il met régulièrement en contraste l’espace européen et l’espace américain). La deuxième partie de l’ouvrage s’attache à l’existence d’Arthur Cravan, poète pugiliste. Le récit met d’abord en scène un combat de boxe qui oppose Arthur Cravan à Jack Johnson, en 1916. Cravan, durement cogné par Johnson, est envoyé au sol où, immobilisé, la tête dans le brouillard, il « [se retire] dans ses rêves » (80). Au fil du compte de l’arbitre (jusqu’à 10), Bott survole l’existence passée de Cravan. À dix, Cravan est déclaré perdant du combat; Bott embraye son récit sur le « présent » de 1916, pour ensuite passer en revue les deux dernières années de vie de Cravan, jusqu’à sa disparition mystérieuse dans le golfe du Mexique (en 1918). Enfin, dans le troisième chapitre de cet ouvrage, Bott s’intéresse au cycliste Rik Van Steenbergen, qu’il surnomme « le flambeur » (149). Il se met lui-même en scène auprès de Van Steenbergen, au cours d’une rencontre imaginaire : « J’ai imaginé que je l’avais rencontré ce soir-là, quelques mois avant sa disparition » (p. 118). Ainsi, l’ancien cycliste confesse sa vie à François Bott, tandis qu’ils sont, toute la nuit durant, attablés devant des verres dans un bar quelconque d’Anvers. À l’aube, le récit de Van Steenbergen prend fin; durant quelques pages, Bott nous fait part de considérations sur les conditions de vie du cycliste, puis il nous apprend que « le grand Rik s’est éteint dans un hôpital de cette ville, le 15 mai 2003, quelques mois après [leur] rencontre » (148). Dans l’épilogue du livre, Bott nous révèle qu’il « [n’a] (presque) rien inventé, [il a] (presque) tout imaginé » (149). En guise de conclusion, après nous avoir partagé quelques petits récits tirés de son quotidien, qui tendent à montrer que l’on ne peut jamais vraiment savoir quelles sont les raisons qui motivent l’écriture d’un livre, il nous fait part de la pensée suivante : « À la réflexion, si l’idée m’est venue d’écrire ce roman sur trois naufrages, c’est que je ne comprends pas les disparitions. Lorsque des amis meurent, c’est comme si le monde me parlait une langue étrangère. Je n’ai pas d’oreille pour les langues, mais je comprends moins encore cette langue-là que le finnois ou le bantou » (156).
Topoï : « Sur les traces de » l’écrivain flâneur (p. 17), les disparus, la disparition, la fuite, les départs, les voyages, « les derniers jours de… », la mort. Aussi, les frontières entre l’imaginaire et le réel : « Voilà. Je n’ai (presque) rien inventé, j’ai (presque) tout imaginé » (p. 149). Ou encore : « Ils avaient traversé les miroirs qui séparent le réel de l’imaginaire … » (p. 151). Les deux citations mises en exergue annoncent par ailleurs ce topos : « Ne le répétez pas, cher ami, mais je fais semblant d’être ici » (Cioran, à l’hôpital Broca) ; « Le moment était à ce point chargé de réalité qu’il en devenait irréel » (Marco Pamtani, champion cycliste italien). Enfin, le texte est ponctué, voire rythmé par ce leitmotiv : « peut-être que les gens veulent aller très loin, pour fuir quelque chose qui les rejoindra, les rattrapera toujours et partout. Peut-être… » (p. 77, p.86, p.143.)
Rapports auteur-narrateur-personnage : La narration ressortit ici assurément à l’auteur, dans la mesure où Bott aborde le récit en son nom propre, en sa qualité d’auteur qui entreprend d’écrire un livre sur Isidore Ducasse, Arthur Cravan et Rik Van Steenbergen : « J’étais à la recherche de mes personnages […] Parfois, on ne sait pourquoi, certains de ces fantômes nous sollicitent pour devenir des personnages de roman » (12-13). La relation entre l’auteur-narrateur et ses personnages est donc bien définie. Cet exemple en témoigne : « Au début, Isidore ne m’était pas très sympathique. Puis, il a fini par m’émouvoir. Je me suis mis à l’aimer. Il faut un minimum d’affection entre le romancier et son personnage » (p. 13). La narration alterne entre un point de vue externe et un point de vue omniscient. Dans les deux premières parties du roman, la narration est hétérodiégétique; en revanche, dans la dernière partie du livre, Bott intègre son propre récit aux côtés de Rik Van Steenbergen : la narration devient ainsi homodiégétique. I. ASPECT INSTITUTIONNEL
Position de l’auteur dans l’institution littéraire : François Bott est l’ancien directeur/rédacteur en chef (1983 à 1991) du «Monde des livres » (cahier littéraire du journal Le Monde). Il a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages, obtenu le prix Paul Léautaud en 1986 pour son livre Lettres à Baudelaire, Chandler et quelques autres ainsi que le grand prix littéraire de la Ville d’Antibes Jacques-Audiberti pour l’ensemble de son œuvre en 2004. (Il a forcément dû recevoir d’autres prix au fil de sa carrière littéraire, mais je n’ai pu, pour l’instant, les retracer. À suivre, donc.)
Position du biographé dans l’institution littéraire : Les trois biographés sont considérés par la critique comme des « figures hors norme » (Josyane Savigneau, « François Bott, éternel promeneur », Le Monde, vendredi 7 octobre 2005, p.4.). On attribue aujourd’hui à Lautréamont une réputation de poète obscur; au début du siècle, il incarnait davantage la figure du jeune génie mort prématurément, son œuvre ayant été reprise et célébrée par les Surréalistes. Arthur Cravan, quant à lui, semble davantage être reconnu pour le « personnage » qu’il était que pour son œuvre.
Transfert de capital symbolique : Il semble difficile, ici, de parler de transfert de capital symbolique. Les deux biographés qui nous intéressent n’ont jamais joui d’une très bonne réputation auprès de l’institution littéraire. Les choix de Bott semblent donc plutôt justifiés par des raisons thématiques – les trois biographés incarnant le thème de la disparition, si cher à Bott dans ce roman. En outre, dans de nombreuses biographies, Bott choisit de traiter d’écrivains inconnus, méconnus ou oubliés, se livrant ainsi à une sorte d’exercice de réhabilitation des œuvres qu’ils ont écrites. Bott ne chercherait donc pas à augmenter sa propre valeur sur la scène littéraire, mais bien à revaloriser ces écrivains, à leur insuffler à nouveau un certain capital symbolique.
II. ASPECT GÉNÉRIQUE
Oeuvres non-biographiques affiliées de l’auteur : L’œuvre de François Bott est plutôt diversifiée, s’étendant à la nouvelle, à l’essai, au journal, au roman et à la poésie :
Antoine et les oiseaux (1971) : Recueil de poèmes.
Traité de désillusion (1977) : Essai.
La déception historique (1979) : Récit. « La déception historique est […] le témoignage de quelqu'un qui avait dix-neuf ans en 1954 et voyait s'approcher la guerre d'Algérie. Vingt-cinq ans plus tard, en 1979, François Bott écrit ce petit récit. Il dit la déchirure de cette guerre, et dénonce l'amnésie des Français, qui, depuis, s'est beaucoup aggravée avec ceux qu'on appelle abusivement “ révisionnistes ” et qui ne sont que des négateurs de l'histoire. » (Josyanne Savigneau, Le Monde, Vendredi 12 février 1988, p. 13)
Journées intimes (1984) : Carnets 1977-1979.
Lettres à Baudelaire, Chandler et quelques autres… (1986) : Lettres adressées à quelques auteurs (Charles Baudelaire, Jean Cocteau, Philip Marlowe, George Orwell, Gilles Perros, Raymond Radiguet, la Religieuse portugaise, etc.) que Bott, rapporte-t-on (Roger Grenier, Le Monde, Vendredi 19 janvier 1990, p. 19), aurait posté à leur intention…
Éloge de l’égotisme (1988) : Essais et récits. « Volume réunissant des textes déjà publiés : Le traité de la désillusion (PUF, 1977); La déception historique (Plasma, 1979); “ Jours tranquilles à San Francisco ” (revue Le fou parle, 1980) et “ Les avantages du désoeuvrement ”, (revue Marbre, 1987) (2). » (Josyanne Savigneau, Le Monde, Vendredi 12 février 1988, p. 13)
Autobiographie d’un autre (1988) : Roman par lettres « où, choisissant de s'avancer masqué, l'écrivain fait le portrait de cet inconnu que chacun trouve en lui-même lorsque, débarrassé de toute contrainte, la loupe du bijoutier ajustée à l'oeil, il scrute son passé ». ( Hector Bianciotti, Le Monde ,Vendredi 18 mars 1988, p. 1)
Les séductions de l’existence (1990 – en collaboration avec Dominique Grisoni, Roland Jaccard et Yves Simon) : Essai collectif à tendance philosophico-moraliste qui tente de répondre à la question « La vie vaut-elle la peine d’être vécue ? ».
La femme insoupçonnée (1990) : Roman.
Le boulevard des sentiments (1991) : Roman dans lequel Bott se met en scène en tant que détective dans des filatures « littéraires » (fictionnelles).
De la volupté et du malheur d’aimer (1992 – en collaboration avec Dominique Grisoni, Roland Jaccard et Yves Simon) : Essai collectif sur l’amour, à tendance philosophico-moraliste.
Les miroirs feraient bien de réfléchir (1992) : Carnets 1980-1989.
Les demoiselles des abbesses (1994) : Roman présentant « la suite des enquêtes [du] détective littéraire “ le dévoué F. B. ” ». (Roger Grenier, Le Monde Vendredi 25 février 1994, p. 4)
Les étés de la vie : cinquante-six esquisses pour le roman d’une saison (1999) : Ouvrage à caractère autobiographique où l’auteur thématise chacun des étés de sa vie.
Une minute d’absence (2001) : Il s’agit d’un recueil de nouvelles. Certaines d’entre elles mettent en scène des écrivains réels dans des situations vraisemblablement fictives (je songe notamment à la dernière nouvelle du recueil, qui relate la rencontre entre Jérôme David Salinger, auteur de L’Attrape-cœurs, et Boris Vian, auteur de L’Arrache-cœur).
Les éclats de rire de la jeunesse à l’arrêt des autobus (2004) : Recueil de nouvelles.
Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : François Bott est l’auteur de nombreux portraits littéraires et de plusieurs biographies :
Les Saisons de Roger Vailland (1969) [UQAM PQ2643A136Z59] : Essai à faible tendance biographique portant sur l’écrivain français Roger Vailland. Il ne représente que peu d’intérêt dans le cadre du projet.
L’entremetteur. Esquisses pour un portrait de M. de Fontenelle (1991) [UQAM Q143F66B68] : Biographie de l’écrivain français Bernard Le Bovier de Fontenelle. [Fiché]
Mauvaises fréquentations (1992) [UdeM L.S.H. PQ 2662 O69 M3 1992] : Portraits littéraires, surtout d’auteurs ayant vécu au vingtième siècle. [Fiché]
Gina (1994) [BANQ Niv.1 – Romans – Bott B7511g] : Ce livre porte la désignation générique de roman. La quatrième de couverture nous indique que ce « roman » est consacré à la vie de la mère de Bott. Il s’agit d’un ouvrage essentiellement autobiographique, sans intérêt pour le projet.
Radiguet, l’enfant avec une canne (1995) [BANQ Niv.3 – Documentaires – 928.41 R1293b 2003] : Biographie de l’écrivain français Raymond Radiguet. [Fiché]
Les pantoufles de Marcel Proust : XXe siècle. Histoires littéraires I. (1995) [UQAM PQ1297B67] : Recueil d’Histoires littéraires (où sont repris des portraits ou des chroniques publiés par l’auteur dans Le Monde). [Pertinence pour le projet à déterminer]
Le cousin de la marquise : De Villon à Voltaire. Histoires littéraires II. (1996) [BANQ Niv.1 – Documentaires – 840.9 B751hi 1996 v.2] : Recueil d’Histoires littéraires (où sont repris des portraits ou des chroniques publiés par l’auteur dans Le Monde), suite de l’ouvrage Les pantoufles de Marcel Proust. [Pertinence pour le projet à déterminer]
La demoiselle des Lumières (1997) [BANQ Niv.3 – Documentaires – 920.72 L637b 1997] : Biographie de Julie de Lespinasse, femme de lettres française. [Fiché]
Sur la planète des sentiments (1998) [BANQ Niv.1 – Documentaires – 840.9 B7511s 1998] : Portraits d’écrivains contemporains. [Pertinence pour le projet à déterminer]
Dieu prenait-il du café ? (2002) [BANQ Niv.1 – Documentaires – 840.9007 B7511d 2002] : Portraits littéraires du 19ième siècle. [Pertinence pour le projet à déterminer]
Femmes extrêmes (2003) [BANQ Niv.3 – Documentaires – 920.72 B7511f 2003] : Portraits de femmes (littéraires et autres). [Pertinence pour le projet à déterminer]
Faut-il rentrer de Montevideo ? (2005) [BANQ Niv.1 – Romans – Bott B7511f] : Roman biographique où sont esquissés les portraits de Lautréamont (poète), Arthur Cravan (poète et boxeur) et Rik Van Steenbergen (cycliste). [Fiché]
Le genre féminin (2007) [BANQ Niv. 1 – Nouveautés – Bott B7511G ] : Récits mettant en scène des femmes célèbres ou non, littéraires ou non. [Pertinence pour le projet à déterminer]
Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : On retrouve diverses stratégies d’écriture à l’œuvre dans Faut-il rentrer de Montevideo? qu’il n’est pas rare de rencontrer dans certains autres ouvrages de Bott. En tout premier lieu, il faut faire mention de l’importance qu’occupe la « filature » dans ce roman (autrement dit, la transposition de la vie d’un écrivain comme parcours) : « Ce matin de presque hiver, je refaisais une fois encore le parcours d’Isidore, ses flâneries habituelles, ses dérives dans Paris : les quais de la Seine, les Tuileries, la rue Notre-Dame-des-Victoires, la place de la Bourse, la rue Vivienne, les boulevards, la rue du Faubourg-Montmartre… » (p. 17). Cet autre passage, extrait du prologue, rend également compte de ce phénomène : « Je m’étais promené avec Isidore, dans la pampa des rêves de jeunesse et sur le port de Montevideo, j’avais traîné avec lui, dans le neuvième arrondissement de Paris; j’étais allé attendre Rik sur la ligne d’arrivée de Paris-Roubaix, et je l’avais accompagné dans les tripots d’Anvers ; je m’étais trouvé dans le coin d’Arthur, avec les autres soigneurs, pendant le match contre Jack Johnson, et je l’avais suivi dans ses pérégrinations mexicaines… » (150). En deuxième lieu, Bott a fréquemment recours à la mise en scène du contexte artistique et littéraire dans lequel ses biographés ont évolué : « Il était midi, peut-être, et Paul Verlaine discutait avec ses amis, au Café du Gaz, rue de Rivoli » (43). Ou encore : « À la veille de l’été, Renoir et Monet allaient peindre dans l’île de Croissy, près de Bougival » (62). Étonnamment, plutôt que de transposer son biographé dans un contexte artistique et littéraire bien précis, on dirait que Bott implante des éléments de ce contexte – tantôt plausibles, tantôt fictifs – dans la vie de son biographé, de telle sorte que celui-ci semble parfois désincarné de son époque. Par ailleurs, cette stratégie nous donne l’impression que l’auteur mène deux projets en parallèle : celui de peindre une époque – comme s’il réalisait une sorte d’historiographie artistique et littéraire – et celui de peindre la vie d’un écrivain. Dans un autre ordre d’idées, Bott use d’une autre forme de transposition dans son roman en ayant recours à un univers fictif extérieur pour traiter d’un aspect de la vie de son biographé. Il en est ainsi, par exemple, lorsque Bott se sert d’allusions au roman de Stefan Zweig, Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme, pour raconter l’attrait qu’avait la mère de Rik Van Steenbergen pour le jeu. En troisième lieu, Faut-il rentrer de Montevideo? est une œuvre assez largement hybride : si, dans les deux premiers chapitres de son livre, le biographe s’occupe de raconter la vie de ses biographés, dans le troisième chapitre il s’efface devant son biographé pour lui laisser prendre la parole et nous raconter lui-même sa vie. En regard de cette stratégie, Faut-il rentrer de Montevideo? est donc un ouvrage qui tend clairement à se différencier de la biographie traditionnelle. Enfin, d’autres stratégies d’écriture méritent ici d’être étudiées, bien que leur usage soit plutôt ponctuel. Ainsi, plutôt que d’inventer purement et simplement certains aspects de la vie de ses biographés, Bott se contente souvent de formuler diverses hypothèses sous forme de questions, comme s’il déléguait la responsabilité de l’invention à son lecteur : « Isidore, le fils de la servante, pourquoi pas? » (35). Ou encore : « Était-ce pour se venger de ce manque d’intérêt qu’Isidore Ducasse rangea ensuite l’auteur des Misérables parmi les « Grandes-Têtes-Molles » du dix-neuvième siècle, avec Musset, Lamartine et quelques autres? » (62). Par surcroît, comme pour s’autoriser certaines extrapolations fictives, Bott privilégie la mise en scène d’un discours sur la fiction : « Après tout, un romancier a bien le droit de rencontrer ses personnages et de les écouter, de les confesser en quelque sorte » (118); « Et tant pis pour la différence d’âge (la différence d’époque) entre mes personnages. Ils faisaient désormais partie de ma famille, de mes intimes et de ma vie quotidienne. C’est le privilège des romanciers d’avoir des familles nombreuses » (150).
Thématisation de la biographie : La biographie est bien peu thématisée au sein de cet ouvrage, que l’auteur considère d’abord et avant tout comme un roman : « Individus improbables, silhouettes clandestines et fugitives, Isidore, Arthur et Rik étaient, eux aussi, des personnages romanesques, par excellence, car seul le roman pouvait les faire “exister” » (18). J’ai néanmoins retracé dans le texte deux allusions à la biographie. La première renvoie à une hypothèse formulée par un biographe que récupère Bott : « Montevideo, la ville des mouettes, m’avait dit François Caradec, le meilleur biographe de Lautréamont, ajoutant que la présence de ces oiseaux, leur grand ballet perpétuel entre ciel et mer avaient marqué sûrement l’imaginaire du petit Ducasse » (20). La seconde met en perspective la difficulté du travail biographique : « N’empêche, ce dimanche de 1916, à Barcelone, Arthur souriait en songeant au mal que se donneraient plus tard les éventuels biographes et détectives qui voudraient reconstituer l’histoire de sa vie. Comment y démêler le vrai du faux? » (87).
Rapports biographie/autobiographie : Comme la plupart des œuvres à tendance biographique écrites par Bott, Faut-il rentrer de Montevideo? comporte certaines implications autobiographiques. L’incipit du roman en témoigne: « Comment raconter le printemps 2003, le printemps où j’ai entrepris d’écrire ce livre? » (11). Par ailleurs, Bott a souvent tendance à partager avec son lecteur les motivations réelles qui l’ont poussé à écrire : « À la réflexion, si cette idée m’est venue d’écrire ce roman sur trois naufrages, c’est que je ne comprends pas les disparitions. Lorsque des amis meurent, c’est comme si le monde me parlait une langue étrangère. Je n’ai pas d’oreille pour les langues, mais je comprends moins encore cette langue-là que le finnois ou le bantou » (156).
III. ASPECT ESTHÉTIQUE
Oeuvres non-biographiques affiliées des biographés :
Lautréamont : Les Chants de Maldoror, les Poésies. Arthur Cravan : La revue littéraire Maintenant (cinq numéros), dont il était le seul directeur et collaborateur.
Oeuvres biographiques affiliées des biographés : Aucune.
Échos stylistiques : Quelques citations tirées des Chants de Maldoror ponctuent le texte, mais elles y figurent sans référence – le plus souvent, elles sont encadrées de guillemets, mais jamais il ne nous est fait mention de leur provenance. Seul le lecteur coutumier de Lautréamont en retrouve donc la trace. En voici quelques-unes : « vieil océan célibataire » (52), « trouvent très naturel de se donner la mort, ne jugeant rien sur la terre capable de les contenter » (57), « semer le désordre dans les familles » (60). À d’autres endroits, Bott récupère certaines images des Chants de Maldoror pour les transplanter à sa guise dans un tout autre contexte – et sans guillemets : « pour des clochards même pas célestes » (56), « toutes les tantes Eulalie de la planète, avec leurs machines à coudre le temps, posées au bord des fleuves, tous les consuls de France avec leurs parapluies […] » (75). Je n’ai pu observer ce phénomène d’intertextualité que dans le chapitre consacré à Lautréamont, dont l’œuvre m’est suffisamment familière pour que je puisse en reconnaître aisément les images. N’ayant pas lu Cravan, je n’ai cependant pas pu réaliser le même exercice à la lecture du chapitre qui lui est dédié.
Échos thématiques : À la page 51, une phrase évoque le bestiaire de Lautréamont : « Sur le pont du navire, il avait eu le temps d’observer les marsouins, les cachalots, les requins et les oiseaux, surtout les oiseaux… » (51). Dans les Chants de Maldoror, deux passages marquants mettent en scène des requins (l’accouplement entre Maldoror et une femelle requin) et des oiseaux (le vol des étourneaux). Par ailleurs, le thème de l’océan revient à quelques reprises dans le chapitre consacré à Lautréamont, renvoyant à la fascination de Maldoror (et peut-être de Lautréamont) pour l’océan. Enfin, à la page 69, Bott invente une scène au cours de laquelle Isidore se lie d’amitié avec une jeune prostituée, rappelant ainsi cette jeune prostituée qui s’était enhardie à poursuivre le personnage principal dans les Chants de Maldoror. Je n’ai pu rendre compte de cet aspect à la lecture du chapitre suivant, puisque je ne connais pas l’œuvre d’Arthur Cravan.
IV. ASPECT INTERCULTUREL
Affiliation à une culture d’élection : Il est impossible de déclarer que Bott s’affilie à une quelconque culture d’élection tout au long de ce livre. Il oscille entre la France, la Belgique, la Suisse, l’Uruguay, sans jamais prendre parti pour l’une ou l’autre de ces cultures. En réalité, il s’affilie davantage à la démarche du déambulateur, du voyageur, s’élançant sur diverses trajectoires le menant à ses biographés : « Pendant des semaines, de Paris à Lausanne, de Paris à Anvers et de Paris à Montevideo, je suis allé sur les traces de mes trois personnages, pour essayer de reconstituer leur histoire et d’imaginer leurs rêves et leurs pensées – les dernières surtout. » (25). Au final, on pourrait dire que Bott nourrit une passion pour « tous ceux qui, venus de loin, ont écrit en français » (Josyane Savigneau, « François Bott, éternel promeneur », Le Monde, vendredi 7 octobre 2005, p.4.)
Apports interculturels : Bien que Bott ne s’affilie jamais à une quelconque culture d’élection dans ses livres, les relations interculturelles qui y sont à l’œuvre se révèlent très nombreuses. Dans Faut-il rentrer de Montevideo?, elles sont surtout prégnantes dans le chapitre dédié à Lautréamont. Dans un premier temps, j’ai recensé les extraits qui mettaient en relation la culture uruguayenne – ou sud-américaine – et la culture française : « Il s’était amusé à plagier, à récrire à sa façon les maximes de LaRochefoucauld, de Vauvenargues, de Pascal… Cela s’appelle du détournement ou encore du piratage. L’obscur jeune homme venu d’Amérique latine avait piraté sans vergogne quelques monstres sacrés de la France littéraire » (69). Cet autre exemple n’est pas exempt d’intérêt : « Comme Jules Laforgue et Jules Supervielle, Isidore Ducasse était de ces jeunes Français nés à Montevideo – la ville des étranges rendez-vous –, et qui rentrèrent d’Uruguay, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, avec des histoires de pampa, de gauchos et de lassos » (13). Dans un deuxième temps, j’ai fait saillir du texte les passages où l’importance de Montevideo et de la culture montevidéenne transparaissait. Bott procède à une véritable appropriation du territoire étranger où son biographé a vécu en superposant, par exemple, la Montevideo réelle qu'il perçoit lors de son séjour en Uruguay, et la Montevideo imaginaire, celle à laquelle il avait longtemps rêvé. Les apports culturels montevidéens apparaissent ainsi le plus souvent sous le couvert de l’imaginaire : « Je croyais le voir, l’air sombre et voyou, se faufilant parmi les dames de la bonne société montevidéenne, qui venaient jadis prendre le frais et papoter sur les ramblas, les soirs d’été. À l’est de Montevideo, les ramblas s’étendent maintenant sur des kilomètres » (p. 22). Ou encore : « Le jeune Ducasse s’y rendait sans doute à cheval, déguisé en gaucho. » (p. 22). Dans un troisième temps, il m’a semblé essentiel de faire mention de l’importance qu’occupe la double appartenance culturelle et linguistique de Lautréamont dans le chapitre qui lui est consacré. Les exemples, à cet égard, sont très nombreux : « La langue de la rue, c’était l’espagnol uruguayen. La langue française était celle des lectures et des secrets que l’on ne partage avec personne » (p. 39) ; « Isidore repartit à l’automne et retraversa une dernière fois le “vieil océan célibataire” pour aller découvrir et, si possible, séduire Paris. Rêve provincial, le plus français de tous les rêves, avec cette dominance de la capitale et l’attrait qu’elle exerce sur les jeunes gens de Charleville-Mézières, de Romorantin, de Tarbes… et de la pampa » (p. 52-53) ; « Il voulait être, à Paris, la star du Rio de la Plata » (p. 53) ; « Est-ce que la double nationalité, le métissage des cultures engendrent une double nostalgie? Le jeune Ducasse vécut ce partage, sinon ce déchirement, entre deux cultures, deux continents, de sorte qu’il était un étranger partout» (p. 23) ; « Mais, en vérité, il n’était qu’un pauvre jeune homme, très gris, très fin de siècle, qui semblait toujours être arrivé la veille de Montevideo, tellement il était dépaysé. Sans doute amusait-il les Parisiens par son accent et ses allures de gaucho perdu sur les bords de la Seine» (p. 67) ; « Isidore fit son dernier rêve : il nageait, nageait, nageait, mais il sombrait lentement, doucement dans les eaux du Rio de la Plata, ou c’était peut-être celles de l’Adour» (p. 75). Enfin, Bott semble fasciné par cette sorte d’exotisme inversé auquel la figure de Lautréamont lui permet de rêver : « Il rêvait de Tarbes ou de Paris comme d’autres rêvent de… Montevideo. Ces derniers se demandent comment on peut rêver de Sarniguet lorsqu’on habite l’Amérique du Sud. Pourtant, le département des Hautes-Pyrénées apparaissait au petit Ducasse comme le comble de l’exotisme» (p. 39).
Dans les chapitres consacrés à Arthur Cravan et à Rik Van Steenbergen, Bott met surtout l’accent sur le cosmopolitisme de ses biographés : « poète boxeur le plus farfelu et le plus cosmopolite de la planète, Arthur Cravan, qui passa son enfance à Lausanne, était d’origine anglaise et se présentait comme le neveu d’Oscar Wilde » (15). Ou encore : « Cosmopolite par nature et par vocation, Arthur Cravan détestait l’esprit de clocher et le nationalisme » (p. 81). Plus loin, il ajoute : « Éternel fugitif, il avait une boulimie de kilomètres. Il était affamé de paysages. Il aurait voulu “prendre tous les trains et tous les navires”. Se trouver à la fois à Vienne et à Calcutta… Il était atteint de cette maladie, de cette passion très rêveuse que l’on appelle le désir d’ubiquité. De la même façon, Valery Larbaud s’imaginait que les fenêtres de sa chambre parisienne donnaient sur les rues de Lisbonne, de Florence ou de Madrid. Arthur avait quelque chose de Barnabooth. Ils avaient tous les deux l’âme internationale. Ils avaient la bougeotte, citoyens du monde, toujours en train de défaire et de refaire leurs valises » (p. 81 et 82). Quant à Rik Van Steenbergen, il le dépeint comme le « globe-trotters du cyclisme international » (p. 147). Il est intéressant de noter que la question de la double appartenance culturelle et linguistique occupe encore une certaine place dans le chapitre dédié à Arthur Cravan : « D’origine britannique, né à Lausanne le 22 mai 1887 (la même année que Blaise Cendrars), ce boxeur poète, qui mettait du jazz dans ses poèmes, écrivait et parlait mieux le français que la langue de Dickens ». (p. 80 et 81).
Lecteur/lectrice : Audrey Lemieux