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FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Claire Malroux Titre : Chambre avec vue sur l’éternité. Emily Dickinson Lieu : Paris Édition : NRF Gallimard Année : 2005 Pages : 291 Cote : BNQ 811.4 D5533m 2005 Désignation générique : Aucune explicite. La quatrième de couverture permet de voir qu’il ne s’agit pas d’une biographie traditionnelle.

Bibliographie de l’auteur : L’auteur est traductrice de la poésie d’Emily Dickinson, de Wallace Stevens et de Derek Walcott. Elle a aussi écrit de la poésie, qui a été publié en France et aux Etats-Unis (en version bilingue)

Biographé : Emily Dickinson

Quatrième de couverture : Extrait du prologue (voir plus bas)

Préface : Un prologue qui permet de présenter le projet biographique. [Reproduction intégrale :] « Au moment de m’engager dans une aussi intimidante aventure – parler d’Emily Dickinson – j’en mesure tous les dangers, moi qui ai seulement parlé jusqu’ici pour elle, en traduisant sa poésie et sa correspondance. Nos langues se sont mêlées, nos écritures : quelle audace, déjà! J’ai cherché du mieux que j’ai pu à restituer son langage, sans rester à la surface des mots, en essayant de pénétrer l’épaisseur bruissante de sa création, de remonter à la source de ce qui chaque fois déclenchait en elle le désir et le besoin d’écrire le poème ou la lettre. Cette tâche était ardue, mais somme toute sûre. Mettre ses pas dans les pas de celle qui parle. Être le témoin muet, garder le silence tout en parlant à sa place. J’aurais pu en rester là. Si j’outrepasse mon rôle, c’est que quelque chose obstinément m’y incite. Parfois, cédant à l’illusion, il m’arrive de penser qu’un être, là-haut, là-bas, dans le firmament ou l’humus de notre planète, me pousse en avant d’un geste. Ce geste, je sais bien que c’est l’autre en moi, la silencieuse, qui le fait. Trêve de tergiversations, me dit-elle. L’heure est venue pour toi, que tu le veuilles ou non, de prendre la parole. » (11-12) Ce prologue, malgré sa brièveté, est bien sûr très riche, surtout par le réseau sémantique qu’il dresse dans le rapport de la biographe à la biographée : « intimidante aventure », « j’en mesure tous les dangers », « Si j’outrepasse mon rôle », etc.

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Le livre est divisé en 3 parties : 1/ « Sa vie » 2/ « L’appartement de l’âme » 3/ « Le temps éternel »; chacune d’elle porte plus ou moins sur un objet spécifique : la première est plus biographique, la deuxième s’intéresse davantage à la poésie et la troisième est une analyse des grands thèmes qui traversent l’œuvre de Dickinson. Pour chacune d’elle, le rapport auteur/narrateur est différent. La plupart du temps, c’est bien Malroux qui conduit la narration mais selon des postures différentes. Par exemple, dans le premier chapitre, elle raconte sa première visite à Amherst, la ville d’Emily; celui-ci est donc à teneur autobiographique. Dans toute la première partie, Malroux fait son travail de biographe en racontant la vie d’Emily, mais en soulevant constamment le soupçon « fictionnel » de toute entreprise qui cherche à comprendre et interpréter une vie. Dans la deuxième et la troisième partie, elle emploie un ton qu’on pourrait qualifier de plus « essayistique ». Il est à noter, également, que certains chapitres sont faussement autobiographiques, puisque c’est Emily Dickinson elle-même qui prend la parole d’outre-tombe pour raconter sa vie.

Narrateur/personnage : Cette relation est celle qui se tisse dans l’essai biographique, soit celle où se mélangent les voix de la biographe et de sa biographée mais où celle de la deuxième semble toujours demeurée insaisissable. Par contre, dans les passages où Emily est narratrice, le fait qu’elle raconte son histoire d’outre-tombe donne une perspective intéressante à son propos. Elle dit, par exemple : « …j’ai écrit à Susan, bientôt “Sue”, “Susie”, “ma Susie” (ces diminutifs ont le don d’irriter mes commentateurs), des lettres d’amour… » (57) Ces commentaires, placés entre parenthèses, lui donne un avantage sur tous les autres, lui donne une position de « surplomb » qui fait l’originalité de ces passages. D’ailleurs, Emily garde son mystère et se moque un peu, comme de son vivant, de ceux qui cherchent à la connaître et à la cerner : « Vous aimeriez tous savoir quel est le personnage à qui j’aurais pu adresser trois lettres dont on a retrouvé à ma mort les brouillons. Le destinataire apparaît désigné dans la seconde sous l’appellation “Maître”. Vous les avez donc logiquement appelez Lettres au Maître et avez tenté de les dater, puisque je n’ai jamais usé quant à moi de repères temporels. D’après vous, je les aurais écrites respectivement en 1859, 1861 et 1862. N’attendez pas de moi que je vous le confirme ni que je vous révèle l’identité du destinataire. Libre à chacun d’y aller de sa supposition. » (73) La narratrice qu’est Emily se moque même gentiment de sa propre biographe… : « Voici ce que dit par exemple l’auteur du présent livre dans sa préface à ma correspondance avec les hommes… » (74) Et s’adresse ouvertement aux lecteurs de Chambre avec vue sur l’éternité… qui sont des Français : « … vous vous reconnaissez davantage, gens du XXIe siècle, lorsque je parle non seulement des catastrophes du siècle, les explosions des volcans, les crues, les séismes, les guerres (oui j’ai été bien plus sensible qu’on ne l’a dit à la guerre de Sécession), mais de notre commune condition de dénuement. À l’heure où les poètes se tendaient chez vous, en France, vers un idéal nouveau, se gargarisaient de la puissance du langage, j’ai mis mon pouvoir des mots à votre service en explorant à partir de mon expérience de femme (elle a souvent manqué en ce domaine) notre même fonds de souffrance et d’impuissance. Je vous ai armés, vous tous qui comme moi voudriez échapper au temps, pour le vivre. » (228-229) Il est à noter que ces morceaux autobiographiques sont essentiellement présents dans la première partie et sont absents dans la deuxième. Ils reviendront toutefois de façon plus sporadique dans la troisième. Ils sont, à mon avis, un des aspects les plus riches et les plus intéressants de la relation biographique.

Biographe/Biographé : Cette relation se joue beaucoup sur le lien entre la poète et sa traductrice. D’ailleurs, à de nombreuses reprises, Malroux évoque le caractère fuyant et complexe de la traduction. Ex : « But no Man moved Me, “Mais nul homme ne M’émut” ou“ne me fit bouger”, “ne m’ébranla”. Cinq accents martelés, constat qui brise la narration et incite le lecteur à réfléchir. Faut-il donner à “Homme” une identité masculine? Emily emploie souvent le mot précédé d’un adjectif négatif pour signifier “personne”, “nul être”, de même qu’“homme” en français peut englober le genre féminin. La question demeure ouverte. » (67) Cette différence de langue et de langage entre la biographe et sa biographée rend cette dernière encore plus difficile à saisir. Voir aussi les autres exemples : p.78-79 / 156-157/ 179/221

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Comme je l’ai mentionné, le recueil est divisé en trois parties (voir autres sections) qui ne suivent nullement un ordre chronologique et ne racontent pas forcément. Chaque partie est également composée de courts textes avec titres qui tendent à imiter la forme du recueil poétique.

Ancrage référentiel : Quelques éléments, mais ils sont plutôt ténus. Tout se joue dans le rapport biographe/biographée et non dans la recherche d’une vérité tangible.

Indices de fiction : Les faux fragments autobiographiques sont bien sûr la marque la plus probante de fiction. Pour le reste, on ne peut à proprement parler de fiction, si ce n’est que la biographe assume en grande partie sa subjectivité.

Rapports vie-œuvre : Centraux ici – voir section transposition.

Thématisation de la lecture et de l’écriture : Peu thématisé, ce me semble.

Thématisation de la biographie : Très peu thématisée, à l’exception de quelques marqueurs indiquant l’impossibilité de la compréhension complète de la biographie : « Je m’interroge… » (106) / « Il est impossible de répondre à ces questions, faute de témoignages » (119) Elle mélange ainsi, ce me semble, la posture du biographe traditionnel à celle du biographe « fictif ».

Topoï : les grands thèmes qui traversent l’œuvre d’Emily Dickinson sont les principaux topoï.

Hybridation : entre essai, biographie et poésie.

Différenciation : il y a une volonté de se différencier de la biographie traditionnelle.

Transposition : La transposition de l’œuvre est ici centrale, c’est même elle qui domine toute l’écriture et qui, pour tout dire, est à l’origine du projet biographique. C’est en traduisant et en s’appropriant les mots d’Emily que la biographe a eu envie de parler d’elle et pour elle. Pas étonnant, dans ces conditions, que l’œuvre devienne, dans la première partie, la première source de la connaissance et de l’explication biographiques, en dépit de l’équivoque que cela peut faire naître. La biographe va même jusqu’à l’avouer très franchement : « Toutes les spéculations n’ont pas réussi jusqu’ici à dissiper le mystère, à supposer qu’elles y parviennent un jour. Il n’est d’autre ressource que de se tourner vers les poèmes pour tenter de voir comment Emily a vécu et transposé son ou ses amours successifs et, pourquoi pas, simultanés. C’est eux qui peuvent éclairer la biographie, non l’inverse. Je les lis comme les extraits d’un journal intime où, malgré leur complexité, affleure parfois une réalité simple et à peine déguisée. » (77-78) La transposition de l’œuvre jouera même au niveau de la forme, par exemple lorsque le commentaire et l’explication de l’œuvre se fera sous forme poétique (ex : 87-89)

En fait, le commentaire sur l’œuvre est si dominant qu’il en vient peu à peu (soit après la première partie) à éclipser presque totalement la biographie proprement dite. Ainsi, la deuxième et la troisième partie se concentrent essentiellement sur divers aspects de l’œuvre de Dickinson qui, sans doute, sont pour la biographe la vraie part de la biographie. La deuxième partie s’ouvre d’ailleurs sur les mots suivants : « J’ai longtemps cherché la clef de cette œuvre. […] Je suis toujours en quête de la clef, quoique sans illusions. Je me doute qu’il n’y en a pas une, mais plusieurs, et autant que de lecteurs. Je cherche donc désormais une clef, la mienne, et non plus la clef. » (127-128, souligné dans le texte) Toute cette partie est, en fait, aussi la clef pour expliquer la suite du projet biographique et herméneutique : « Elle serait [la clef] plutôt de la nature d’un passe, un instrument qui me permettrait de m’introduire comme par effraction dans l’immense demeure qu’est l’œuvre d’Emily et d’y circuler discrètement, en ouvrant la porte de telle ou telle salle, un peu au hasard. […] Mon passe, je le cherche du côté du temps. Je n’en vois pas d’autre qui puisse s’ajuster aux dimensions de l’édifice, cette vaste parenthèse chez Emily jamais refermée. Je m’en tiendrai d’abord à mon projet de circulation, au gré d’un hasard à peine contrôlé. Je pousserai de-ci de là quelques portes familières avant de m’aventurer plus avant. » (128, je souligne) Ce qui signifie, grosso modo, que la deuxième partie s’aventure en terrain plus familier, la biographe partageant ce qu’elle connaît de l’œuvre d’Emily, ce que sa position privilégiée de traductrice lui a permis de découvrir, tandis que la troisième est plus exploratrice, tisse un lien plus complexe entre biographe et biographée. En somme, la biographe cherche le sens de l’œuvre à travers une lecture de l’œuvre qui évacue de plus en plus le biographique au profit de la seule interprétation. La troisième partie reprend toutefois quelques biographèmes qui permettent de développer l’interprétation (ex : p.247-248)

Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture : mi-fictionnel mi-référentiel; il y a un jeu ici, qui n’est pas toujours assumé, entre ces deux postures.

Attitude de lecture : Livre intéressant, très pertinent pour le projet, particulièrement en ce qui concerne le chapitre sur la transposition de l’œuvre (!). J’avoue, toutefois, m’être un peu perdue au fil de la lecture, soit à partir du moment où le biographique est évacué au profit de la seule interprétation de l’œuvre. Par cet aspect, ce livre m’a fait penser au V.W. de Brisac et Desartes.

Lecteur/lectrice : Manon Auger

fq-equipe/dickinson_par_malroux.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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