FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Antoine Billot
Titre : Monsieur Bovary
Lieu : Paris
Édition : Gallimard
Collection : L’un et l’autre
Année : 2006
Pages : 268
Cote : Billot B5991m (BAnQ)
Bibliographie de l’auteur : Billot a publié deux autres ouvrages, parus dans la collection « L’un et l’autre » : Le désarroi de l’élève Wittgenstein et La part de l’absent.
Biographé : Charles Bovary, personnage de Madame Bovary, de Gustave Flaubert
Quatrième de couverture : Extrait du livre.
Préface : Non.
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Épigraphe, citation de Flaubert, tirée d’une lettre à Ernest Feydeau, 15 novembre 1872 : « Quand on écrit la biographie d’un ami, on doit le faire au point de vue de sa vengeance. » L’illustration de la couverture est faite d’après Jules Léonard, Le médecin des pauvres (musée des Beaux-Arts de Valenciennes). Il y a également, à la toute fin de l’ouvrage, une bibliographie des ouvrages consultés. Dans cette bibliographie apparaît notamment une édition génétique de Madame Bovary par Jean Pommier et Gabrielle Leleu parue chez José Corti en 1949. Étrangement – et j’ignore si c’est intentionnel ou non –, le titre qui apparaît dans la bibliographie n’est pas Madame Bovary, mais bien Emma Bovary. La bibliographie comprend également la Correspondance de Flaubert, ainsi que deux volumes intitulés Souvenirs, notes et pensées intimes et Novembre. Enfin, on y retrouve Souvenirs littéraires (Maxime Du Camp), Gustave Flaubert (Albert Thibaudet), Pauvre Bouilhet (Henri Raczymow) et L’Orgie perpétuelle (Mario Vargas Llosa).
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Le narrateur ne correspond à l’auteur que dans le prologue du texte. Tout le reste est attribué à un certain B., ami de Flaubert à l’identité incertaine.
Narrateur/personnage : Le narrateur, dans le prologue, apparaît plus ou moins comme un personnage, mais il s’exprime uniquement au « on » ou au « nous », ce qui rappelle forcément le début de Madame Bovary.
Biographe/biographé : Ne s’applique pas.
Autres relations : Relation entre B., l’auteur des manuscrits, et Bovary : le narrateur adopte ici une attitude beaucoup plus empathique envers son personnage que ne le fait Flaubert, qu’il ne se gêne pas pour critiquer.
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : Le texte est une réécriture de Madame Bovary de Gustave Flaubert. Dans un court prologue, l’auteur raconte que dix cahiers ont été trouvés dans un grenier de Ry au début du XXe siècle. Ces cahiers reprenaient l’histoire racontée par Flaubert et n’étaient signé que par un B. énigmatique. L’auteur pose l’hypothèse qu’il peut s’agir de Louis Bouilhet, l’ami de Flaubert, qui lui avait suggéré d’écrire Madame Bovary (et à qui le roman est dédié). Il explique ensuite comment ces cahiers mettent principalement en scène Charles, qui n’occupe l’avant-scène du roman de Flaubert que dans les premiers chapitres.
Résumé des cahiers (chaque cahier est d’abord composé d’un texte pris en charge par B. et se termine par un extrait du journal de Charles Bovary).
Cahier I : Le premier cahier s’ouvre sur la nuit où on vient demander à Bovary de se rendre aux Bertaux. C’est sous forme d’analepse, pendant le trajet vers la ferme des Rouault, qu’on prend connaissance de la jeunesse du personnage après son arrivée au pensionnat. Journal : Bovary évoque son arrivée au pensionnat.
Cahiers II et III : Il est question des visites répétées de Charles aux Bertaux, puis de l’interdiction d’Héloïse à son mari d’y retourner tant que M. Rouault n’aura pas payé. Le narrateur raconte ensuite le décès d’Héloïse. Journal : Bovary parle de son attirance pour Emma et de la manière dont, à cause de ses sentiments, il ressent à nouveau le malaise qui l’affligeait après son arrivée au pensionnat. Il raconte ensuite les funérailles d’Héloïse, puis son veuvage et son retour aux Bertaux.
Cahier IV : Le narrateur raconte les visites assidues que fait Bovary aux Bertaux, puis s’arrête aux fiançailles du personnage avec Emma. Journal : Bovary raconte les premiers temps de son union avec Emma. Il constate que sa femme est un peu déçue par sa nouvelle vie.
Cahier V : Ce cahier raconte les premiers mois du mariage de Bovary et d’Emma. L’auteur traite de la vie sexuelle du couple et parle d’Emma en tant que maîtresse de maison attentive. Il évoque aussi le désenchantement lié à la vie quotidienne qui s’installe au bout de quelque temps. Journal : Bovary raconte le bal de la Vaubyessard.
Cahier VI : Il est question des déceptions accrues vécues par Emma après son retour chez elle, après le bal. Devant son apathie et sa santé déclinante, son mari fait le projet de déménager. Journal : Bovary raconte son arrivée à Yonville avec Emma enceinte.
Cahier VII : Le narrateur parle des premiers problèmes financiers du couple et de la grossesse d’Emma. Il raconte en détails l’accouchement d’Emma, après avoir expliqué que Flaubert avait, pour sa part, escamoté cet événement. Journal : Bovary parle de la naissance de sa fille Berthe et de l’indifférence d’Emma par rapport à sa fille. Il raconte la promenade faite par Emma et Léon Dupuis, qui suscite beaucoup de ragots à Yonville.
Cahier VIII : Il est question dans ce cahier d’une visite hivernale que le couple Bovary fait avec des amis, dont Léon Dupuis, sur le site où une filature doit être construite. Bovary remarque l’affinité entre sa femme et le jeune homme. Elle devient par la suite encore plus froide envers lui. Quelque temps avant qu’il ne parte définitivement pour Rouen, Bovary demande à Léon de s’informer pour lui du prix d’un daguerréotype. Journal : Bovary raconte le départ de Léon et la maladie dont Emma est affligée après son départ. Il raconte ensuite l’arrivée de Rodolphe Boulanger et sa visite à une fillette mourante au moment des comices agricoles. Enfin, Bovary parle de son projet de faire monter Emma à cheval avec Rodolphe.
Cahier IX : Le narrateur raconte comment Bovary cautionne l’adultère de sa femme. Il est ensuite question de l’opération d’Hippolyte et du soutien dont Emma fait d’abord preuve envers son mari, avant de devenir encore plus amère lorsque l’opération se révèle un échec. Journal : Bovary raconte sa promenade à la campagne avec Emma et la rencontre avec un mendiant aveugle qui effraie la jeune femme ; le couple va ensuite se restaurer dans une masure. En voyant du lait couler sur la gorge d’Emma, Bovary se résigne à la laisser le tromper. Enfin, il parle des tensions qui s’installent entre Emma et sa mère, qui reste temporairement avec eux.
Cahier X : Le narrateur parle de la maladie dont souffre Emma après le départ de Rodolphe. Pour lui changer les idées, Bovary l’emmène à Rouen où ils retrouvent Léon. Après cette première rencontre, Emma retourne fréquemment à Rouen. Son suicide n’est évoqué que très succinctement. Journal : Après la mort d’Emma, Bovary raconte comment Félicité, la servante, prend la place de sa maîtresse : elle revêt ses robes et Bovary tente de se faire croire qu’il s’agit de sa femme.
Ancrage référentiel : Ne s’applique pas.
Indices de fiction : Ne s’applique, puisque tout le récit est fictionnel.
Rapports vie-œuvre : Ne s’applique pas.
Thématisation de l’écriture : Le narrateur commente l’œuvre de Flaubert à quelques reprises dans le texte. Voici quelques extraits, qui montrent bien l’attitude critique qu’il adopte par rapport à l’auteur de Madame Bovary : « Ici, la chronologie bafouille : Flaubert explique que Bovary retourne aux Bertaux cinq mois après sa première visite – ce qui nous amène en juin 1837 comme le confirme le Journal – mais aussi que le printemps ne va plus guère tarder – ce qui nous situe cette fois-ci plutôt en mars ! » (2008 : 79) « Flaubert noues dit d’une phrase toute laconique qu’Emma ‘‘accoucha un dimanche, vers six heures, au soleil levant’’. Puis, las déjà d’entreprendre une description dont l’objet même le dégoûte, il renonce en passant à la ligne. Il illustre ainsi cet aveu à adressé le 30 octobre 1856 à son amie Edma Roger de Genettes : ‘‘On me croit épris du réel, tandis que je l’exècre.’’ » (2008 : 162) « On retrouve là, embusqué dans le texte comme un diable dans son bénitier, le Flaubert misogyne qui, jamais à court de ces banalités savantes que l’on croirait empruntées à un Homais devenu cynique, écrit à Louise Colet le 19 septembre 1852 : ‘‘Les femmes ne sont pas franches avec elles-mêmes ; elles ne s’avouent pas leurs sens ; elles prennent leur cul pour leur cœur et croient que la lune est faite pour éclairer leur boudoir.’’ » (2008 : 193) Concernant les promenades à cheval envisagées par Emma et Rodolphe, l’auteur écrit : « Flaubert est ici profondément cynique qui précise en jouant avec la duplicité perverse des mots : ‘‘Charles écrivit à M. Boulanger que sa femme était à sa disposition, et qu’ils comptaient sur sa complaisance.’’ » (2008 : 209) À propos de l’attitude complaisante de Bovary par rapport à l’adultère de sa femme : « [O]n soupçonne, ici comme ailleurs dans le roman, que Flaubert ne veut rien savoir de la duplicité de Bovary et qu’il épouse le seul point de vue d’Emma, passant même outre la neutralité attendue qu’implique a priori sa position de narrateur externe jusqu’à proclamer qu’il ‘‘est’’ son héroïne, apostrophe fameuse empruntée à Cervantès […]. » (2008 : 258)
Thématisation de la lecture : Pas vraiment. Le narrateur parle assez peu des lectures d’Emma, sauf pour mentionner qu’elle avait lu à l’adolescence des livres de Madame de Staël, de Sainte-Beuve, de Constant. « Flaubert est injuste qui lui prête avec perfidie d’autres engouements littéraires […]. Il souhaite sans doute que les futurs exégètes de son œuvre ne se méprennent pas : ‘‘Emma est une femme de fausse poésie et de faux sentiments’’, affirme-t-il à Mme Leroyer de Chantepie dans une lettre datée du 30 mars 1857. En bref, Emma ne saurait être de ses admiratrices puisque par postulat elle a le goût ‘‘faux’’. » (1008 : 104)
Thématisation de la biographie : Dans le prologue, l’auteur met l’ouvrage en contexte.
Topoï : Amour, adultère, maladie, déception.
Hybridation :
Différenciation :
Transposition : Le texte en entier est une transposition de Madame Bovary. Alors que les événements ne divergent pas par rapport à ceux qui sont racontés dans le roman de Flaubert (en apparence, du moins, car je ne l’ai pas relu en entier et mon souvenir est un peu lointain), ce qui distingue les deux œuvres, c’est le point de vue. Alors que Flaubert s’intéresse surtout à Emma, Billot (ou B.) présente l’histoire du point de vue de son mari. Ainsi, au lieu d’apparaître comme un nigaud inconscient des infidélités de sa femme, Bovary est présenté comme un homme sensible, épris de sa femme au point où il préfère la voir heureuse auprès d’un autre que malheureuse avec lui. L’auteur lui attribue également un amour de jeunesse, Marie, une prostituée qu’il aurait connue à Rouen lors de ses études de médecine et qui ressemblait physiquement à Emma.
Autres remarques : Le texte est très différent des autres œuvres de la collection « L’un et l’autre » que j’ai lus jusqu’à présent, puisqu’il ressemble davantage à un roman qu’à un essai ou à une biographie, ce qui est généralement le cas.
LA LECTURE
Pacte de lecture : Un peu difficile à respecter puisque l’auteur recourt à la stratégie du manuscrit trouvé, qui ne dupe évidemment personne.
Attitude de lecture : Le texte revisite l’œuvre de Flaubert de manière très intéressante, en adoptant une perspective tout à fait différente et en œuvrant dans les interstices de Madame Bovary.
Lecteur/lectrice : Mariane Dalpé