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FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Mikhaïl BOULGAKOV Titre : Monsieur de Molière, suivi de La cabale des dévots , traduit du russe et présenté par Paul Kalinine. Lieu : Paris Édition : Robert Laffont, coll. «Pavillons» Année : [1933] 1972. La préface révèle que cette œuvre en est une de commande. En effet, la collection «Vie des grands hommes», qui avait confié la rédaction d’une biographie de Molière à Boulgakov rejette aussitôt le manuscrit parce qu’il «rompt ouvertement avec la tradition du genre biographique tel qu’elle l’entend et le pratique» (p.10). La biographie sera alors reléguée aux tiroirs de l’écrivain jusqu’en 1964 et publiée avec la pièce dans une biographie de Boulgakov (curieux parallèle, non ?). Pages : 234 p. pour le roman / 333 p. pour le livre. Cote : PG 3476 B78 Z314 1972 Désignation générique : Roman biographique

Bibliographie de l’auteur : Il est à la fois romancier (Le roman théâtral ; Le maître de Marguerite ; La garde blanche ; etc.) et dramaturge (La fuite, les journées des touristes ; L’Île pourpre ; Le songe de l’ingénieur Rhein ; les tourbines ; etc.)

Biographé : Jean-Baptiste Poquelin dit Molière.

Quatrième de couverture : On justifie d’abord la combinaison du roman et de la pièce en affirmant que «l’un et l’autre se complètent» et que «la pièce est l’illustration en action de la biographie». On établit ensuite l’importance du rapport entre le biographe et le biographé, rapport qui se fonde sur une certaine parenté esthétique puisque tous deux étaient homme de théâtre. On ajoute que le ton donné ici au prologue de la biographie relèverait d’un phénomène de transposition qui se loge tant dans l’énoncé que dans l’énonciation : «Il faut le lire comme une de ces “parades” auxquelles excellaient jadis ces bateleurs qu’étaient les comédiens, et qui résonnent dans tant de scènes d’exposition de Molière. Elle a le même train endiablé.» On revient, à la fin, sur ce rapport entre biographe et biographé, pour affirmer que «parallèlement au drame de Molière, court à travers les deux œuvres le drame de Boulgakov.» On parle ainsi d’un «douloureux cheminement parallèle qui fait la force et la puissante originalité de ce livre» : «C’est parce que Boulgakov a vécu Molière que l’œuvre présentée ici est maîtresse et si poignante et si belle.» Le pacte de lecture se scelle aussi dans cette quatrième de couverture : «On sait d’emblée […] que l’on ne va pas trouver ici une vie de Molière orthodoxe. Et c’est bien un roman que l’on va lire, un roman dont le héros est un Molière cent fois plus convaincant et réel que celui des biographes officiels et dits exacts.»

Préface : (de Paul Kalinine) Kalinine y raconte la réception générale des œuvres de l’auteur, ses démêlés avec les autorités russes, puis l’infortune de la pièce La cabale des dévots . Il définit ainsi le genre auquel nous avons affaire, roman et pièce confondus : «On s’apprêtait à entendre un exposé biographique, on attendait une machine historique, et on est assailli par une vision, une rêverie insolite sur la vie d’un grand homme.» (p.14)

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Une ambiguïté s’instaure entre ces deux instances puisque l’œuvre oscille ostensiblement entre la biographie et le roman. À la limite, on peut affirmer que le narrateur est une instance fictive mais qui représente l’auteur. Le narrateur, prenant tantôt une posture de biographe tantôt une posture de romancier, ne peut que laisser planer le doute sur les affirmations qu’il fait. D’ailleurs, le texte est fortement ponctué par sa présence sous la forme d’un «je» qui «ose affirmer sans risque d’erreur» (p.19) ou parfois sous forme d’un «nous» rhétorique et qui prend fermement position contre la plupart des biographes de Molière : «Je me refuse à croire d’aussi vains ragots ! Le dramaturge Molière n’a pas plus offensé la mémoire de son père [en le peignant sous les traits d’Harpagon] que je ne suis disposé à ternir la sienne.» (p.26)

Narrateur/personnage : Le narrateur est parfois omniscient (il a accès aux pensées de tous les personnages) parfois obligé de se perdre en conjectures parce qu’il ne dispose pas d’informations sur les allés et venus de «son héros» : «Je ne sais avec exactitude s’il y séjourna longtemps et, quand, précisément. Selon toute apparence, c’était au début de 1641» (p.50)/ «À compter de ce moment, un épais brouillard englouti mon héros.» (p.52) ; ou laissant volontairement planer un doute on ne peut plus romanesque : «Ensuite, les amants se mettent à chuchoter et ils se parlent ainsi à l’oreille jusqu’au matin. Mais ce qu’ils ont imaginé cette nuit-là, comment le saurions-nous ?» (p.65) / « Ma plume se refuse à tracer ce qui se passa dans la maison. » (p.56) / « Nous nous abstiendrons de tout commentaire, mais nous restons persuadés, en notre for intérieur, que les plus remarquables étaient sans doute Sganarelle, interprété par Molière, Pancrace et Marphurius de Brécourt et Du Croisy. » (p.161) La narrateur raconte et commente, donnant ses impressions et sentiments sur les personnages (il évacue ainsi le côté objectif de la biographie scientifique) : «Tout de même j’éprouve de la peine pour le pauvre Poquelin !» (p.40) ; (Voir aussi p.202-203) À quelques occasions, on voit même le narrateur apparaître brièvement sur la «scène» pour regarder évoluer ses personnages (mise en scène du biographe) : «Et voici qu’à présent, à la lumière de la bougie, par la porte qui s’ouvre, apparaît devant moi, vêtu d’un habit modeste mais digne, coiffé d’une perruque, une canne à la main et fort ingambe pour son âge, un monsieur d’allure bourgeoise, aux yeux vifs et aux manières urbaines. Il est le père de la défunte Marie Cressé et par conséquent, le grand-père du petit Jean-Baptiste.» (p.30) «À présent, il n’y a plus de gamin au jabot tuyauté ni de scoliaste aux longs cheveux. Devant moi, se tient un jeune homme à l’ample perruque blonde. Comment ne pas scruter ses traits avec une attention particulière ? » (p.50) « “- Monsieur Molière ! Dites-nous à l’oreille, personne ne nous écoute, quel âge avez-vous ? Trente-huit ans et elle seize ? Mais qui sont ses père et mère ? Vous êtes bien certain qu’elle est la sœur de Madeleine ?…” Il refuse de répondre. Peut-être ne sait-il rien de ce que nous lui demandons. Inutile de nous attarder là-dessus. Parlons d’autre chose. » (p.116) « Les deux hommes dont j’observe la vie, le Roi de France et le directeur de la troupe du Palais-Royal, en tirèrent profit pour mettre chacun une idée au point. » (p.183)

Biographe/biographé : Comme l’affirme le préfacier, on peut sans doute établir un certains nombres de parallèles thématiques entre la vie de Molière et celle de Boulgakov. Son rapport difficile avec le tyrannique Staline rappelle celui de Molière et de Louis XIV qui, tout en se montrant complaisant envers Molière, régnait en maître absolu sur sa destinée de dramaturge. Bien que je ne connaisse pas d’autres œuvres de Boulgakov, il me semble que l’on peut faire aussi un autre parallèle entre le ton très ludique de sa biographie contrastant avec celui plutôt lugubre de sa vie, tout comme les comédies de Molière masquaient sous un voile ironique les opinions subversives de Molière. Dans le texte même, on retrouve de nombreuses traces du rapport intime qui se tisse entre le biographe et son biographé : «Les pièces de mon héros sont jouées depuis trois siècles sur toutes le scènes du monde et on ne voit pas la fin de ce succès. Voilà ce qui m’intéresse !» (p.22) Le biographe ne se gêne pas pour appeler le biographé «mon héros» ou «mon homme» ou même « notre quinteux tousseur » (p.170), se l’appropriant en quelque sorte pour en faire son personnage romanesque. Le narrateur construit également sa propre rhétorique de biographe, mettant de côté l’objectivité et la neutralité, pour ponctuer son récit de ses émotions : « Pour la suite, je n’ose tout simplement pas la raconter. C’est que je ne me souviens pas d’un échec aussi noir dans les annales dramatiques universelles ! » (p.61) Il conclut ainsi sa biographie : « Le voici à présent devant nous. C’est lui, le Comédien du Roi aux escarpins enrubannés de bronze. Et moi, à qui jamais il ne sera donné de le voir, je lui adresse mon salut d’adieu. » (p.234)

Autres relations : Le «je» du narrateur ne se targue d’aucune objectivité ni dans son propos ni dans sa façon de rapporter son propos. Gagné par l’enthousiasme, il lui arrive de glisser quelques «prolepses», parfois sur un ton des plus déclamatif : «Tonne, Pont-Neuf ! J’entends dans ton vacarme venir au monde, d’un père charlatan et d’une mère artiste, la Comédie-Française. Elle crie à tue-tête et son frustre visage est barbouillé de farine.» (p.34) ; parfois sur un ton prophétique : «Dans ces conditions, je vous le dis, il aura une existence difficile et il s’attirera beaucoup d’ennemis ! Mais qu’il commence donc par vivre !» (p.51) ; parfois sur un ton plus neutre : «À l’Hôtel Bourgogne, Jodelet ignore qu’un jour viendra où il jouera dans la troupe de ce gamin. Pierre Corneille ne se doute pas qu’au déclin de l’âge, il sera heureux que le même accepte de monter une de ses pièces.» (p.35) Le narrateur s’adresse ainsi à un «lecteur» qu’il désigne sous le pronom «vous».

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Le synopsis suit une ligne chronologique, de la naissance à la mort du biographé. Tout en laissant place à la vie personnelle de l’auteur, le biographe s’intéresse surtout à sa vie professionnelle. On suit donc le parcours de Molière, du moment où il fait ses études, travaille dans la boutique de son père et décide de devenir comédien, ce qui met son père dans tous ses états. Molière, avec des amis, fondent sa première troupe et commence à jouer dans les foires et dans des salles louées, accumulant les échecs, jusqu’à ce qu’il soit arrêté pour non paiement de ses dettes et c’est la fin de l’Illustre Théâtre. Puis, Molière disparaît pendant un an, mais il est fort probable selon le biographe qu’il ait commencé sa carrière de comédien errant et écrit alors ses premières pièces. Réussissant à obtenir la protection de quelques nobles, Molière et sa troupe font leur chemin et deviennent de plus en plus populaires jusqu’au jour où ils retournent à Paris. Au théâtre du Palais-Royal, ils accumulent succès après succès (à condition que Molière joue la comédie et non la tragédie) et obtiennent la protection du roi de qui ils dépendent constamment. Après son mariage avec la jeune Armande Béjart, la santé de Molière commence à décliner et il est d’autant plus ravagé que la « cabale des dévots » est toujours des plus acharnée. Il meurt après avoir été victime d’une attaque sur scène et ses amis sont incapables de trouver un seul médecin qui veuille se rendre à son chevet puisque Molière s’est ouvertement moqué d’eux dans ses comédies. La femme de Molière parvient finalement à obtenir une place pour ce dernier au cimetière, mais dans le carré des suicidés puisque l’Église ne veut pas le recevoir dans sa terre.

Ancrage référentiel : Nombreux personnages historiques (Cyrano de Bergerac, Pierre Corneille, Jean Racine, Louis XIV, Marquise-Thérèse Du Parc, etc.) ; le biographe se réfère à de nombreux documents d’époque, dont le Registre du Palais-Royal, théâtre de Molière : « S’il n’y avait eu ce précieux Registre rédigé de la main de La Grange et orné de dessins symboliques, nous en saurions sur notre héros encore moins aujourd’hui, ou plus exactement nous ne saurions presque rien. » (p.108) ; ou encore des registres d’églises consignant la date du mariage de Molière et celle de son décès. Les dates sont également très précises.

Indices de fiction : 1) Le prologue présente une discussion entre l’accoucheuse de la mère de Molière et le biographe et se donne ainsi entièrement comme une fiction en s’ouvrant ainsi : «Imaginez la scène : je porte un habit aux poches immenses…» (p.19) Boulgavok joue alors les visionnaires : «Les paroles de votre marmot seront traduites en allemand, en anglais, en italien, en espagnol [etc.].[…] Mais votre mioche, non seulement on le traduira, mais on écrira des pièces sur lui. […] Dans votre pays, et ailleurs, on imitera et on adaptera ses œuvres. Des érudits de tout poil effectueront des recherches minutieuses sur ses œuvres et s’efforceront de suivre pas à pas son énigmatique existence.» (p.21-22) 2) Présence de nombreux dialogues qui ne peuvent être que des inventions. 3) Accès aux pensées de plusieurs personnages, dont le roi Louis XIV : « Dans sa tête, vagabonde une idée du genre : “- Il n’empêche que ce monsieur de Molière constitue un phénomène plutôt intéressant !” » (p.166) 4) Le narrateur adopte deux positions, celle de biographe et celle de romancier. Le changement de l’une à l’autre de ses positions s’opère souvent par un changement de temps grammatical ; ainsi, les sommaires sont au passé simple et à l’imparfait et les scènes sont au présent. 5) Le biographe s’offre des libertés de romancier : «Et entre Cressé et Poquelin se déroula un très grave entretien. Je me dispense de le rapporter. Qu’il me suffise de clamer bien haut : ô Louis Cressé, de bienheureuse mémoire !» (p.42) 6) La scène d’agonie est décrite avec l’accès aux pensées du personnage (p.225)

Rapports vie/œuvre : Peu présents. L’auteur n’établit pas de rapport direct entre la vie et l’œuvre, bien au contraire puisque la vie de Molière, difficile à bien des égards, contraste avec le ton comique de ses œuvres. Quelques liens sont toutefois notés : « Les spectateurs ne manquèrent pas de relever la tirade. Certains avec compassion ; d’autres, avec une joie maligne, assuraient qu’elle exprimait les sentiments personnels de monsieur Molière. S’il en est ainsi – et c’est fort probable – qu’on juge de la discorde qui régnait rue de Richelieu ! » (p.151)

Thématisation de l’écriture et de la lecture : En tant que vecteur de la venu au théâtre, la lecture est un peu thématisée : «La lecture de Corneille enflammait l’imagination de mon héros des nuits entières.» (p.54) ; mais, plus encore, ce sont les spectacles auxquels à assisté le jeune homme qui le conduisent à sa vocation. / L’écriture est tout aussi peu thématisée puisque le biographe s’intéresse davantage à la vie théâtrale de l’époque, ce qui donne l’impression que les pièces de Molière s’écrivent toute seule. À un seul moment, il est fait mention de leur écriture : « “- Vous devriez plutôt vous contenter de la satisfaction que vous donnent vos œuvres !” “- Elles ne m’apportent rien. De ma vie, je n’ai jamais rien écrit qui me procurât la moindre satisfaction.” » (p.212)

Thématisation de la biographie : 1) Tel que mentionné plus haut, l’entreprise biographique est thématisée entre autres par la posture que prend le biographe vis-à-vis des autres biographes de Molière ; le plus souvent, il récuse leurs affirmations d’une manière un peu frivole : «Sous prétexte qu’elle [la belle-mère de Molière] était entrée dans la famille avec le titre de marâtre, nombreux parmi les biographes de mon héros sont ceux qui affirment que Jean-Baptiste a connu une existence difficile sous son règne.» (p.29) / « Cette décision peut être considéré, de l’avis de ceux qui ont étudié plusieurs siècles durant la biographie de mon héros, comme d’une superlative sagacité. » (p.108) 2) L’auteur s’amuse aussi à jouer des conventions du biographique en ponctuant son récit de toutes les variantes possibles et d’anecdotes invraisemblables attribués à des sources fantomatiques : « Il ne restait plus à Poquelin qu’à se précipiter chez un prêtre pour lui demander, avec force larmes, de détourner Jean-Baptiste de son dessein. Le serviteur de Dieu accéda à la requête de son honorable paroissien. Il essaya bien de dissuader le jeune homme, mais le résultat de ses objurgations paraît si étonnant qu’on éprouve quelque embarras à en parler. On assure qu’après un ou deux entretiens avec ce fou de Jean-Baptiste, le prêtre jeta sa soutane aux orties, et s’enrôla dans la troupe dont souhaitait justement faire partie le jeune Poquelin. Je le déclare tout net, voilà qui paraît peu vraisemblable. » (p.56-57) 3) Une démarche inférentielle, propre à l’entreprise biographique, est également présente, comme, par exemple, lorsque le biographe présente les diverses hypothèses concernant l’identité de la femme de Molière (p.142-149) 4) Par toutes sortes de revers, le biographe présente aussi l’impossibilité de l’objectivité dans l’entreprise biographique : « À vrai dire, comment pourrions-nous imaginer sans quelque éclat un seul ouvrage de lui ? » (p.178)

Topoï : Rapport de l’artiste et du pouvoir, la censure, la vie personnelle et professionnelle de Molière, l’inceste, le théâtre, la compétition, la trahison, etc.

Hybridation : Kalinine affirme dans sa préface : «Le refus de l’histoire en tant que donnée immanente, aussi bien que l’interpénétration des genres romanesque et dramatique, caractérisent l’écriture de Boulgakov.» (p.13) Cette œuvre est en fait le produit de trois genres : la biographie, le roman, mais aussi le théâtre. On retrouve certains chapitres très théâtraux (voir, par exemple, le chapitre trente)

Différenciation : Présence d’un prologue, comme au théâtre, qui fait penser que le rapport à l’œuvre de Molière se trouve aussi dans l’énonciation ou, du moins, la forme que prend l’énonciation. Volonté très certaine de se différencier de la biographie traditionnelle, d’où le refus de la collection de le publier.

Transposition : Transposition de l’œuvre comme recréation de l’univers parisien dans lequel grandi Molière. Par exemple, une scène sur le Pont-Neuf fait surgir de l’ombre «quelque Sganarelle» qui engage une conversation avec un marchand de remèdes pendant que le jeune Jean-Baptiste se promène avec son grand-père (p.35) ; et le narrateur de conclure plus loin : «Il est également fort possible que le soir, rue Saint-Denis, se joue la final d’une future comédie de Molière. Pendant que Sganarelle ou Gorgibus fait l’emplette d’orviétan pour guérir Lucinde de son amour pour Clitandre ou un Cléonte, la péronnelle prend la poudre d’escampette pour épouser son galant ! Gorgibus se déchaîne et fulmine. On l’a trompé ! On a bridé la bécasse ! Il jette, à la tête de la soubrette, l’orviétan maudit. Il tempête et menace ! Mais de joyeux violons surgissent, le valet Champagne se met à danser, Sganarelle se résigne à l’inévitable. Et Molière combine un dénouement heureux avec accompagnement de flambeaux.» (p.36) Même type de transposition, cette fois comme vécu alternatif possible d’un personnage secondaire : «Si l’on avait demandé la raison au professeur, je soupçonne fort qu’il aurait répondu comme un dénommé Chrysale, héros d’une future comédie de Molière, à la trop savante Philaminte : “ –Oui, mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin : Guenille, si l’on veut ; ma guenille m’est chère.”» (p.48)

Autres remarques : Mise en scène du corps : le physique de Molière est décrit, mais à une seule occasion : «En un mot, il est extrêmement mal fait de sa personne. Mais les yeux sont remarquables. J’y lis un perpétuel sarcasme en même temps qu’un étonnement renouvelé devant le monde. Il y a dans ce regard une passion et une volupté féminines et, tout à fait au fond, une maladie qui se cache. Croyez-moi, une sorte de ver est déjà installé dans cet homme de vingt ans et le ronge.» (p.50)

LA LECTURE

Pacte de lecture : Le pacte de lecture est ambigu. Le texte s’ouvre d’ailleurs sur une épigraphe d’Horace qui dit : «Qui m’empêchera de dire la vérité en riant ?», ce qui donne le ton à la lecture. Donc, on s’attend à une biographie qui s’appuie sur des sources mais qui transfigure celles-ci pour la présenter de manière plaisante. Un autre épigraphe, attribué à un mystérieux Antioche Cantémir (probablement un anagramme), affirme : «Molière était un auteur fameux de comédies sous le règne de Louis XIV.» ; cet épigraphe résume ainsi l’importance que le biographe accorde à l’Histoire et à la gloire de son personnage.

Attitude de lecture : Cette biographie convient à merveille et semble être le genre de texte qui justifie le projet. Chaque phrase est un pur délice et s’y trouve, à mon sens, beaucoup de ces clefs que nous recherchons avidement à travers notre corpus. Si nous devions, éventuellement, découper ce dernier en tranches chronologiques, une œuvre comme celle-ci apparaîtrait parmi les précurseurs, au côté des œuvres de Virginia Woolf et des New Biographers. La fiche préliminaire rédigée par Élisabeth Haghebaert relève que l’énonciation ressemble fort à celle qu’on trouve dans le Rimbaud de Michon : des remises en cause, des allégations, des incertitudes.

Lecteur/lectrice : Manon Auger

fq-equipe/moliere_par_boulgakov_2.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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