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1. Degré d’intérêt général

Roman très intéressant et agréable à lire. La structure du roman peut rappeler un peu celle de Nikolski et semble pertinente pour le projet diffraction. De plus, la diffraction et la fragmentation se reflètent dans les relations qu'entretiennent les personnages et dans certains personnages eux-mêmes. Il s'agit donc d'une thématique extrêmement présente dans plusieurs facettes de ce roman.

2. Informations paratextuelles

2.1 Auteur : Catherine Leroux

2.2 Titre : Le mur mitoyen

2.3 Lieu d’édition : Québec

2.4 Édition : Alto

2.5 Collection : –

2.6 (Année [copyright]) : 2013

2.7 Nombre de pages : 337 pages

3. Résumé du roman

Résumé de la quatrième de couverture :

« Madeleine parle toute seule, même quand elle a de la compagnie. Lorsque son fils revient avec une demande qui bouleverse sa vie, elle comprend à qui elle s’adresse quand elle ne parle à personne.

En se serrant la main pour la première fois, Ariel et Marie s’évanouissent. Des années plus tard, ils sont mariés, Ariel est à la tête d’un pays en déroute et ils sont sur le point de défaillir de nouveau.

Entre deux tremblements de terre, Simon et Carmen tentent de poser à leur mère la question la plus ancienne de leur existence. La réponse qu’elle leur livre malgré elle crée entre eux une fracture digne de la faille de San Andreas.

Et quelque part dans le sud des États-Unis, deux petites filles déposent un sou sur le rail d’une voie ferrée.

Entre ces personnages, Catherine Leroux dessine une cloison fine comme un brin d’impossible qui tantôt sépare, tantôt unit, estompant la frontière entre les secrets, la vérité et l’inouï. Une histoire où l’on frappe trois coups sur un mur pour entendre en retour un mystérieux toc toc toc. »

Mon résumé :

Ce roman raconte quatre histoires qui semblent aussi éloignées dans leur propos que dans le temps. En effet, certaines histoires se produisent à notre époque, alors qu'une autre aurait lieu dans le passé et une autre dans le futur. La première histoire est celle de deux petites filles parties se promener à la demande de leur mère. Elles se rendent progressivement vers la traque de chemin de fer où l'une d'elles est victime d'un accident. La deuxième histoire appartient à Madeleine, une veuve habitant seule, et à son fils, Édouard, parti il y a bien longtemps de la maison. Édouard revient trouver sa mère, car il est atteint d'une maladie rénale et a besoin d'une greffe. Lorsque Madeleine passe les tests de compatibilité, les résultats indiquent que son ADN est incompatible avec celui de son fils et qu'elle n'est pas sa mère biologique. Le médecin trouve finalement que le corps de Madeleine est composé de Madeleine et de sa jumelle avec qui elle aurait fusionné alors qu'elles étaient encore dans l'utérus de leur mère. La troisième histoire raconte la vie heureuse d'un couple de trentenaires très amoureux, Marie et Ariel. Alors qu'Ariel devient le plus jeune premier ministre du Canada, leur relation évolue. Comme les époux sont tous les deux adoptés et qu'ils souhaitent connaître leurs antécédents génétiques avant d'avoir des enfants, Marie trouve le nom de leurs mères adoptives. Il s'agit toutefois de la même personne et les époux réalisent qu'ils sont jumeaux. Ils tentent alors de se séparer, mais ils en sont incapables. Lorsque l'histoire s'ébruite, ils sont persécutés et doivent quitter leur vie et changer d'identité. Finalement, la quatrième histoire met en scène un frère et sa sœur, Simon et Carmen, qui assistent au décès de leur mère complètement folle. En effet, en plus de faire subir à ses deux enfants d'innombrables crises, elle a toujours refusé de leur révéler l'identité de leur père. Toutefois, après le décès de leur mère, le frère et la sœur poursuivent leur quête pour découvrir leurs origines.

4. Singularité formelle

Le roman est divisé en plusieurs chapitres mettant en scène des personnages différents, une sorte d’agencement de diégèses tramées, un peu comme Nikolski. L'histoire de Monette et de Angie est la plus fragmentée, elle est divisée en plus d'extraits, beaucoup plus courts. Ces extraits ponctuent chaque passage d'une histoire à une autre. Les fragments traitant des deux fillettes coupent les autres histoires à des moments cruciaux (tout juste après la mort de la mère qui délire et ne révèle toujours pas la vérité à Carmen et à Simon, lorsque le mariage incestueux involontaire de Marie et de Ariel est connu ou quand Madeleine apprend qu’elle n’est pas la mère d’Édouard). De plus, le récit des deux fillettes est le plus mystérieux. Chaque fragment ne révèle pas ce qui caractérise cette histoire, pourquoi la raconte-t-on? Pourquoi est-elle aussi présente? On ne comprend qu'à la fin pourquoi cette histoire est si centrale et comment les deux fillettes se retrouvent dans chaque nouvelle à différentes époques de leur vie.

À l'intérieur des histoires de Madeleine et de son fils, ainsi que celle de Marie et de Ariel, il y a parfois alternance d'une histoire au présent et d'une histoire passée, le plus souvent celle d'Édouard, où on raconte ses multiples périples solitaires, ou celle de la rencontre des deux amoureux ainsi que leurs premières années de vie commune. On retrouve donc une sorte de diffraction temporelle (exemple entre les pages 191 et 192). Ces extraits ne sont pas séparés par une fin de chapitre ou un titre. Une simple petite marque, sorte de vague séparant deux paragraphes, suffit pour découper le texte en fractions d'histoire. Dans le cas de Marie et de Ariel, ces retours en arrière permettent de découvrir la force de leur union, leur rencontre, leur amour et leur faiblesse (adopté tous les deux). On remarque aussi un changement dans le ton, lorsque Ariel devient chef de son parti. Le narrateur ne raconte plus l’histoire de Marie et Ariel comme s’il était à côté d’eux, il parle d’Ariel comme du nouveau premier ministre du Canada, comme d’une actualité lointaine…

5. Caractéristiques du récit et de la narration

La narration est hétérodiégétique dans chacune des histoires racontées. La focalisation est généralement zéro. D'une histoire à l'autre et d'un fragment à l'autre, l'attention peut être mise davantage sur certains personnages (par exemple, le narrateur peut suivre un peu plus Marie que Ariel ou Simon plus que Carmen).

6. Narrativité (Typologie de Ryan)

Selon la typologie de Ryan, la narrativité de cette œuvre pourrait être qualifiée de tramée, puisque le roman est composé de quatre récits. Il n'y a pas de macro-niveau de récit, les quatre histoires cohabitent.

7. Rapport avec la fiction

À la suite du roman, on retrouve un court texte de l'auteure où celle-ci traite de ses personnages. Elle explique de quelles anecdotes réelles elle s'est inspirée pour créer certains des protagonistes ou, plutôt, certaines des intrigues. Toutefois, elle précise l'indépendance de son œuvre qui est inspirée de ces histoires sans toutefois les raconter de façon fidèle. Son œuvre en demeure une de fiction.

8. Intertextualité

Rien à signaler.

9. Élément marquant à retenir

Nous remarquons aussi que la diffraction se retrouve d’une certaine manière dans la thématique du livre : le mur; le mur mitoyen qui fractionne et qui divise les éléments d’un tout. On retrouve d'ailleurs cette thématique dans le chapitre 8 « Ne faire qu'un » : « Au moment de partir, elle jette un regard à Miteux [le chat] lové dans un fauteuil, sourd à l’agitation, une patte nonchalamment posée sur un manuel de géologie ayant appartenu à Micha. “Veillez sur lui”, ordonne-t-elle silencieusement aux murs centenaires qui depuis des générations soutiennent et veillent, divisent et guettent (p. 185). »

Ces murs divisent le roman et séparent les histoires, mais ils divisent et séparent également les personnages entre eux et même certains personnages d'eux-mêmes.

Par exemple, Marie et Ariel doivent se séparer après avoir appris qu'ils sont jumeaux, ils se forcent donc pour dormir dans des chambres à part. Ensemble, ils semblent former un tout, une unité :

« Seule cette mince paroi [un mur] les sépare lorsqu'ils se couchent. Chacun de leur côté, ils posent la main sur la cloison pour se souhaiter bonne nuit (p. 228). »

« Parfois, Ariel vient la retrouver à la fin de la journée et se poste à la porte de sa classe pour l'observer, pâle et animée devant son public captif. Puis, il contemple son propre reflet dans la vitre, gras, barbu, décevant, et s'avise une fois de plus qu'elle vaut tous les échecs, toutes les humiliations et tous les renoncements. Marie, sa moitié du monde (p. 234-235). »

De plus, la mère et son fils sont séparés par ce mur d’ADN qui ne correspond pas, alors que la mère sait que son fils est son fils biologique. Lorsque ce mur tombe, que les résultats des tests s’avèrent positifs, une sorte de mur invisible demeure, une distance, une fracture, reste présente entre eux.

Madeleine représente à elle seule ce mur mitoyen; « Vous êtes deux (p. 188). », lui annonce le médecin qui tente d’expliquer qu’elle et sa sœur jumelle ont fusionné in utero : « En fait, dire “vous aviez une sœur jumelle” n’est pas exact. Il faudrait vous dire : vous êtes des jumelles. Car ce n’est pas l’une qui a envahi l’autre. Vous êtes deux parties égales et indissociables d’un tout (p. 189). »

« “Vous n’êtes pas la seule, ajoute le médecin comme pour la consoler. Il y a quelques cas documentés, rarissimes, mais bien réels. Les patients qui sont dans cette situation sont appelés des chimères. — Une chimère… murmure Madeleine. La science a dû aller puiser dans la mythologie pour expliquer ce que je suis.

— Une des jumelles a pris possession du système sanguin; l’autre de l’épiderme et des cheveux, et ainsi de suite. Vous vous êtes en quelque sorte réparti les différentes zones d’un même corps. — Le mien ou le sien? — Le vôtre. Les deux corps. Je peux tenter de vous l’expliquer ainsi : si le processus de fusion ne s’était pas poursuivi jusqu’au bout, vous seriez devenues des sœurs siamoises. Vous saisissez? Il y a en vous la même séparation qui existe entre deux individus, entre deux jumelles. La cloison est simplement imperceptible, parce qu’il n’y a qu’un seul corps. Et un seul cerveau, bien entendu.” » (p. 189-190)

« — Alors je suppose que vous n'aviez pas entièrement tort. Je ne suis pas tout à fait sa mère.

— De quel “je” parlez-vous? Votre “je” inclut la mère d'Édouard, Madeleine. Et de toute façon, je crois que ces distinctions se perdent au-delà de vous-même (p. 190-191). »

« “Je suis deux, je suis deux, je suis deux”, répète-t-elle en enlaçant ses doigts en une prière forcenée pour déchiffrer dans l'enchevêtrement de ses phalanges l'ombre d'une évidence. “Je suis jumelle”, ajoute-t-elle, décontenancée de découvrir que la seule manière de dire la vérité est de défier la grammaire (p. 191). » Le langage même faille à exprimer la réalité de ce personnage fractionné biologiquement de l'intérieur (aspect très peu exploité en littérature, très particulier).

Lorsque Édouard reçoit une greffe de rein, il devient, un peu comme sa mère, composé d'éléments de deux personnes :

« Les victimes et les bourreaux vivent souvent en une même personne. Ce sont ceux qui leur pardonnent qui permettent que le monde guérisse (p. 215). »

« “Maintenant, nous avons tous les deux un autre être en nous.” (p. 218) »

10. Autres informations

Thème principal :
Les origines

Description du thème principal : Il s'agit d'un thème qui teinte le roman en entier. Le mystère des origines est ce qui fait découvrir à Madeleine sa nature de « chimère » et qui lui donne la force de suivre son fils et de s'abandonner. La quête des origines de Marie et Ariel mène à leur perte, d'abord professionnelle, sociale et familiale, puis à la mort d'Ariel. Puis, Carmen et Simon sont habités par ce questionnement, ils ont toujours voulu savoir qui est leur père. La réponse est finalement plus compliquée qu'ils ne le croient et elle cause une fracture entre les deux.

Dans ce roman, les origines se placent comme des murs entre les personnages. Leur absence soit les noue ou les sépare et leur présence offre l'effet inverse. Bref, il s'agit d'une articulation centrale de l'œuvre qui influence grandement les personnages et la construction narrative et formelle du texte.

Thèmes secondaires : La famille ; la fratrie ; le pardon ; la quête identitaire ; l'amour ; la solitude ; la séparation ; l'éclatement

Type de roman (ou de récit) : Récit

Commentaires à propos du type : Il s'agit d'un récit divisé en quatre diégèses bien distinctes (un peu à la manière de Nikolski de Nicolas Dickner) qui sont liées les unes aux autres par des fils subtils et délicats qui permettent de remettre de l'ordre dans la temporalité un peu éclatée de l'œuvre.

Personnes et/ou personnages mis en scène : Chaque diégèse met en scène deux personnages principaux. On retrouve les couples : Angie, Monette ; Marie, Ariel ; Carmen, Simon ; Madeleine, Édouard. Notons toutefois la présence de plusieurs autres personnages : Joanna, Yun, Paul, Franny, Jessica, Marcus, Marc, Emmanuelle, Rachel…

Lieu(x) : Savannah, San Francisco, Grande-Anse, les Prairies, le Mexique, Québec…

Types de lieux :
Souvent de grandes villes, à l'exception de la petite ville où Ariel et Marie s'exilent pour cacher leur secret et la ville dans laquelle Madeleine habite, près de l'eau.

Temporalité :
La temporalité est éclatée. Certaines diégèses semblent se passer à notre époque : au cours de l'histoire de Carmen et Simon, il est question une fois de l'actualité du moment et on mentionne le mariage royal et la mort de Ben Laden. Dans cette histoire, on retrouve Angie qui est maintenant une jeune étudiante qui s'occupe de Franny. Elle y raconte avoir perdu ses jambes à l'âge de neuf ans, ce qui place l'histoire de Angie et Monette plusieurs années avant. L'histoire de Madeleine et de son fils se déroule quelque mois après l'accident de train ayant coûté ses jambes à la petite fille, car Édouard en a été témoin et le raconte à sa mère. Finalement, l'histoire de Marie et d'Ariel, elle, se passe plutôt dans le futur, puisque la mère des deux personnages se trouve à être la jeune fille avec qui Édouard se trouvait lors de l'accident de train. On retrouve d'ailleurs dans l'histoire de Marie Monette, devenue adulte, mariée et mère d'une petite fille.

fq-equipe/catherine_leroux_le_mur_mitoyen_quebec_alto_2013._gabrielle_caron.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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