FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Claude Delarue Titre : Edgar Allan Poe : Scènes de la vie d’un écrivain Lieu : Paris Édition : Balland Collection : aucune Année : 1984 Pages : 374p. Cote : UQAM : PS2631D45 Désignation générique : aucune, mais le titre ne laisse pas de doutes : c’est une biographie
Bibliographie de l’auteur : Chez Denoël : Les collines d’argile (récit), La lagune (roman), L’opéra de brousse (roman). Chez Balland : Le fils éternel (roman), Le grand homme (nouvelle), La chute de l’ange (roman), Le dragon dans la glace (roman). Chez Tchou : Vivre la musique (essai). Aux Éditions de l’Aire : L’Herméneute ou le livre de cristal (récit).
Biographé : Edgar Allan Poe
Quatrième de couverture : vierge (volume relié)
Préface : aucune
Rabats : aucun
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : La narrateur, qui se dévoile en menant, au « je », quelques réflexions sur la biographie au début et à la fin de l’ouvrage, semble bien être l’auteur, Delarue.
Narrateur/personnage : Même s’il y a une instance au « je », celle-ci ne peut être considérée comme un personnage. La narration est plutôt omnisciente (ou presque) et hétérodiégétique.
Biographe/biographé : Il semble que le biographe, même s’il ne cache pas les défauts de Poe, veuille rétablir la vérité, mise à mal par certains biographes contemporains de Poe, R. W. Griswold en particulier (un ennemi de Poe qui s’est vengé en écrivant une biographie diffamatoire posthume).
Autres relations :
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : La biographie, qui s’ouvre et se clôt sur les derniers jours et les dernières heures d’Edgar Allan Poe, raconte la vie de l’écrivain de manière assez détaillée (presque exhaustive), de sa naissance jusqu’à sa mort. Elle reconstitue la vie de ce fils de comédien né à Boston, qui n‘a jamais connu son père et dont la mère meurt devant lui alors qu’il n’a pas encore trois ans. Recueilli par les Allan, qui habitent la Virginie, Edgar nourrira un amour réciproque avec sa mère adoptive mais sera aussi animé d’une haine réciproque envers son père adoptif, un commerçant écossais assez aisé. Jeune homme, Poe mendie pendant des années de l’aide (financière, surtout) de ce père qui ne lui donne presque rien, même si le futur écrivain fait des compromis pour lui plaire (comme de se joindre à l’armée américaine). Déjà tout jeune, Poe veut toujours être le meilleur dans tout, et il y réussit souvent. Malgré cela, toute sa vie, dans le Nord (New-York, Philadelphie) comme dans le Sud (Richmond), il accumule les dettes et les échecs de toutes sortes (littéraires, professionnels, amoureux, financiers, etc.). Il devient un critique fort acerbe et fort populaire, mais il se fait tellement d’ennemis qu’il fini par être rejeté d’à peu près toutes les revues littéraires. Il veut fonder son propre magazine mais l’argent lui manque toujours. Il devient connu pour un seul poème (le Corbeau) alors que le reste de son œuvre est en général méprisé. Poe marie sa cousine de quelques vingt ans plus jeune que lui et l’aime comme sa sœur, et sa belle-mère comme une mère (selon Delarue, il cherchera une mère toute sa vie durant). Mais elle finit par mourir, comme tous autour de Poe. Vers la fin de sa vie, l’écrivain accumule les relations avec les femmes, qu’il veut marier mais auxquelles il renonce finalement toujours. Gravement malade physiquement, mais surtout mentalement (dans les dernières semaines de sa vie, il est atteint d’un terrible complexe de persécution), il meurt à Baltimore et n’aura une sépulture digne de lui que vingt-sept ans plus tard.
Ancrage référentiel : Delarue semble s’appuyer sur des documents et des faits pour construire sa biographie. Il cite plusieurs lettres et témoignages. Il fait état des lacunes documentaires. Il mentionne les différentes hypothèses qui existent sur certains moments de la vie de Poe, sans souvent trancher. Bref, il s’en tient le plus souvent aux faits.
Indices de fiction : Toutefois, Delarue dit bien au début que « Les biographes sont menteurs. » (p.12), qu’ils présentent chacun leur propre vérité sur un personnage. À la toute fin, il dit aussi qu’en tant que biographe, « […] peut-être s’agit-il moins de connaître que de recréer, de re-constituer. » (p.362) Il rajoute même ceci : « Le paraître nous est peut-être gagné par le trvail d’apprenti sorcier qu’est la re-création d’un individu, mais l’être s’est dérobé et son essence évaporée. » (p.362) Pourtant, le corps du texte de Delarue est plutôt classique et, comme je l’ai dit plus haut, bien appuyé par des faits et des documents. Les seuls indices de fiction qui m’apparaissent sont la narration omnisciente (le narrateur livre souvent les pensées de Poe et des personnages de son entourage) et certains paradigmes poétiques. Parmi ces derniers figurent les mères « spectrale » (la mère biologique que Poe n’a vu que mourante) et « féerique » (sa mère adoptive qui, comme une fée, l’a recueilli et aimé). Souvent, les titres de chapitre (« La mère spectrale », « La mère féerique », « Le chevalier décomposé », « Sang et Lumière », « L’or et le plomb », etc.) annoncent ces élans poétiques qui ne sont cependant que très peu développés dans le texte en soi. Mais ils le sont tout de même un peu. Par exemple, l’image du sang et de la lumière traduit cette phobie poesque de voir le sang hors du corps, à la lumière, comme le sang de sa mère biologique et celui de Virginie, sa femme, lors de leur mort. L’or et le plomb sont pour leur part une métaphore de l’amour de Poe pour Annie Richmond (l’or) et de son amour pour Sarah Helen Whitman (le plomb).
Rapports vie-œuvre : Le biographe insiste à un moment pour dire qu’il conçoit la vie et l’œuvre comme étant indissociables : « Beaucoup se sont efforcés de dissocier chez Poe la vie et l’œuvre; ils ont voulu démontrer que si la maladie régentait l’une, la lucidité et le génie régentait l’autre. Or la vie et l’œuvre s’imbriquaient dans cet état de perversité que la lucidité dénonçait et que la maladie entretenait. » (p.286) De fait, dans sa pratique biographique, Delarue montre bien cette imbrication et de quelle manière « le démon de la perversité » régnait autant sur l’œuvre que sur la vie. Le biographe n’utilise jamais l’œuvre pour expliquer la vie et presque jamais la vie pour expliquer l’œuvre, mais il utilise les deux types d’extériorisations pour parler de l’intériorité de l’individu, de l’ « être », de la souffrance continue de Poe.
Thématisation de l’écriture et de la lecture : Le Poe que nous décrit Delarue est avant tout un écrivain (comme le titre l’indique). Ainsi, la vie de Poe est ici en partie une évolution de la pensée, une quête littéraire. Delarue explique comment celui-ci a inventé le roman policier. Il montre bien que l’écrivain s’est d’abord approprié les idées d’autrui (de Byron et d’autres) avant de trouver ses propres idées. Il explicite l’obsession anti-plagiat de Poe et ce qu’il considère être son grand but littéraire en rapport avec cette obsession (ce qui ne manque pas d’être intéressant) : « S’il avait persévéré – s’il avait poussé son obsession jusqu’en ses extrêmes conséquences – peut-être eût-il découvert qu’il n’y a sur terre que des hommes et des artistes soumis à des influences historiques multiples et permanentes, que le seul créateur vraiment original est Dieu. Créer ex nihilo, voilà ce à quoi aspirait Poe. » (p.266)
Thématisation de la biographie : Comme j’ai commencé à l’expliquer dans la rubrique « Indices de fiction », pour Delarue, la biographie ne peut éviter la fiction. Elle est une re-constitution, une re-création. Selon Delarue, les biographes sont tous des menteurs (même si certains, comme Griswold, sont plus menteurs que d’autres). « Ou plus précisément, rajoute-t-il même, il n’y a pas de biographie. » (p.12) Il n’y a que des canulars, comme ceux que Poe aimait à répandre (on les appelait des « canards »). Par exemple, il s’inventa un voyage en Grèce, alors qu’il était à Boston, et « Cette biographie imaginaire [qui est en fait une autobiographie]. Beaucoup y croiront, Baudelaire y compris. » (p.102)
Topoï : La biographie, l’enfant bâtard, les disputes familiales, la mondanité, l’éveil de la conscience, le père, les mères, le plagiat, la maladie, la critique, l’écriture, la pauvreté, la souffrance, le Nord et le Sud, la déchéance, la folie, la mort.
Hybridation : Il n’y a que peu de critique d’œuvres importantes. Peut-être y a-t-il un mince emprunt au roman (la narration omnisciente, par exemple) et à la poésie (en ce qui concerne les images suggérée par les titres de chapitres). À l’essai aussi : le début et la fin servent à argumenter qu’il n’y a pas de biographie entièrement vraie et objective.
Différenciation :
Transposition :
Autres remarques : Pour travailler sur cette biographie, il n’y a pratiquement que le premier et le dernier chapitre qui vaillent la peine d’être lus : presque toutes les réflexions intéressantes sont là; le corps du texte est plutôt traditionnel.
LA LECTURE
Pacte de lecture : Le premier chapitre laisse croire qu’il s’agit d’une biographie très originale, qui assume sa fictionnalité. Au lieu de cela, fors le dernier chapitre, le reste de la biographie est plutôt classique et offre peu de surprises, en ce qui concerne la forme du moins. Le pacte n’est pas vraiment respecté.
Attitude de lecture : Lecture intéressée par la vie de Poe plus que par la biographie de Delarue. Autrement dit, j’ai préféré la matière à la manière.
Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage