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CHAPITRE « ÉCRITURE DU PASSÉ » RAPPORT PRÉLIMINAIRE DE RECHERCHE 1 de 2

Par Manon Auger (10 mai 12)

Question de la rencontre du 30 avril : - Sur quoi précisément doit porter la conférence qu’il entend faire? Sur l’écriture du passé ou la question de l’écriture de l’Histoire? Pour ma part, je pense plus sage de s’en tenir à la question de l’Histoire. Rép : Oui, sans doute. Le contraste Qc/France, les différentes formes de gestion de l’Histoire et du passé (par exemple : aller chercher l’histoire des autres – ou encore la méfiance vis-à-vis de l’histoire comme chez Hamelin, Chassay et Ouellette-Michalska + les romans historiques proprement dit?)

BILAN

A) La théorie sur l’Histoire

Du côté de la théorie, j’ai lu :

- HARTOG, François (2003), Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle ». - De CERTEAU, Michel ([1975] 2002), L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire ». - HAMEL, Jean-François (2006), Revenances de l’histoire. Répétition, narrativité, modernité, Paris, Les Éditions de Minuit.

J’ajouterai à cette liste un bref essai de Fernand Dumont, L’avenir de la mémoire, Nuit Blanche, 1995) et, éventuellement, Martine Emmanuelle Lapointe. Emblèmes d’une littérature (pour la question des filiations littéraires).

Pour l’instant, je remarque surtout à quel point toutes ces études sont complémentaires, vont dans le même sens, et que les romans contemporains semblent refléter de manière exemplaires les différents constats théoriques.

B) À la recherche d’un corpus québécois

J’ai lu deux romans qui problématisaient la question de l’histoire (Les taches solaires [2006] et La maison Trestler [1984]), mais en lien avec un certain passé familial. Ce n’est pas beaucoup pour faire des généralisations mais quelques pistes me semblent offertes (voir partie C).

Dans la recherche de titres pertinents, j’ai également lu quelques articles portant sur la question de l’Histoire dans des œuvres québécoises contemporaines :

- RANDALL, Marilyn (1997), « Histoire, roman et texte national. Comment lire L’été de l’île de Grâce », Voix et Images, vol. XXIII, no 1 (67), automne, p.65-83. [notons que ce roman ne met pas en place un discours métahistorique, mais que certaines allusions à l’Histoire sont faite à l’intérieur de la diégèse. Randall suggère : « L’été de l’île de Grâce peut bien se passer de faire la critique de l’Histoire dans la mesure où l’histoire de la Grosse Île n’existe presque pas : elle fait à peine l’objet d’un discours officiel, encore moins celui d’un mythe national. » (1997 : 81)]

- FALARDEAU, Érick (1997), « Fictionnalisation de l’histoire, Le premier jardin d’Anne Hébert », Voix et Images, vol. XXII, no 3 (66), printemps, p.557-568. [Cet article confirme la pertinence d’inclure cette œuvre au corpus : « Même si ce roman n’appartient pas en propre au genre du roman historique, puisque la diégèse est contemporaine à l’énonciation, une large place y est laissée à la représentation fictionnelle de l’Histoire. » (1997 : 560) / « Flora Fontanges, personnage central du roman, s’intéresse à l’Histoire parce que celle-ci répond au puissant besoin d’altérité qui la ronge » (1997 : 559)]

- J’ai aussi feuilleté les deux tomes de À la carte. /tome 1 : DUPUIS, Gilles et Klaus-Dieter ERTLER (dir.) (2007), À la carte. Le roman québécois (2000-2005), Frankfurt, Peter Lang. tome 2 : (2005-2010). Si je n’ai pas trouvé d’œuvres problématisant l’Histoire, j’ai pu en pointer quelques-unes qui pourraient nous intéresser dans la rédaction de l’entièreté du chapitre.

C) Les constats et les pistes

1) Le lien à l’Histoire dans les romans québécois me semble problématique. En fait, on ne peut parler, pour le Québec, que d’ « Histoire mineure » et c’est avec elle que les romanciers semblent vouloir composer. Ils tentent souvent de se la réapproprier, de la faire surgir même, par le biais des « oubliés », en réactivant des figures particulières qui n’ont pas forcément valeur de héros. À ce sujet, Hamel évoque en conclusion de son livre un intérêt contemporain pour « l’oubli » (la mémoire de l’oubli qu’il considère être un lieu de mémoire) = ça pourrait être à creuser, non pas tant à partir des propositions d’Hamel mais comme hypothèse d’une nouvelle configuration de l’Histoire dans les romans contemporains. À ce sujet également, Marilyn Randall établit des liens entre le roman historique et la mémoire nationale (à partir de l’exemple de L’été de l’île de Grâce de Madeleine Ouellette-Michalska), ce qui pourrait aussi être une piste de travail intéressante : « Ce faisant, le roman devient en même temps un exemple du “texte national” : il fait sortir l’Histoire des limbes officielles pour la faire rentrer dans l’imaginaire et dans le mythique par le biais de ces dessous qui font émerger la mémoire nationale. Si le texte national vit par le mythe, par ce qui ne saurait être que de la fiction, de l’invention, il ne saurait non plus ignorer les incontournables “fictions” de l’Histoire officielle. » (Randall, 1997 : 76)

2) Les romans qui problématisent l’Histoire sont écrits « depuis le présent », par un narrateur qui en fait ne cherche qu’à reconstituer sa généalogie fictive (fictive dans un double sens : ce sont des personnages fictifs, mais la généalogie peut être celle que le personnage se « crée » et qui n’est pas biologique) et à se réapproprier son passé, régler ses comptes avec celui-ci mais aussi pallier à certaines lacunes de son identité en lien la plupart du temps avec sa famille. Le Premier jardin d’Anne Hébert s’inscrit aussi tout à fait dans cette mouvance. Éric Falardeau écrit à son sujet : « Le présent a fortement réinterprété le passé; et le passé, dans un perpétuel mouvement d’aller-retour, a réinterprété le présent; la médiation de l’Histoire s’est faite dans les deux sens : du présent au passé et du passé au présent. » (1997 : 568) Dans ces romans, le passé « fait retour », donc, constamment, mais la dimension subjective et fictionnelle de ce passé est totalement assumée (souvent par les protagonistes eux-mêmes qui, en fin de parcours, vivent mieux leur identité présente). En cela, on est pas loin des réflexions de de Certeau sur le « méta-méta » qui attirait l’attention sur le fait que tout n’est somme toute que subjectivité (prise au sens large), que l’histoire elle-même est historique.

3) Dans le même esprit que le point précédant, je remarque que beaucoup de romans contemporains (du moins, c’est ce que j’ai pu constater des différents survols faits à gauche et à droite), sont des romans de quête d’identité et présente des personnages à l’identité morcelée, troublée par le passé, mais pris dans un présent qui ne fait pas sens et qui ne se rattache à aucun véritable passé ni à aucun véritable futur. Cela reflète bien, ce me semble, le « présentisme » dont parle François Hartog.

4) Par ailleurs, le roman québécois contemporain semblent (sur)peuplés de fils perdus, dont les pères sont disparus ou décédés, et qui, justement, sont en quête d’identité. Les trajectoires identitaires au féminin semblent moins présentes, mais surtout différentes, davantage ancrée dans l’Histoire et la recherche d’une généalogie féminine (Ouellette-Michalska, Brossard, Hébert).

5) J’ai également lu le roman Du bon usage des étoiles de Dominique Fortier (2008), qui n’allait pas précisément dans le sens d’une mise en place d’un métadiscours, mais qui me semblait renouveler en quelque sorte le roman historique traditionnel. Cette fois, c'est dans la façon elle-même de raconter l'Histoire que quelque chose de “contemporain” se glisse; le récit n'est plus lisse, chronologique, donné d'avance, mais est construit en forme de mosaïque ou interviennent divers éléments exogènes. Ici, tout est mis sur un même pied d'égalité (par exemple, la tragédie de l'aventure narrée par le Capitaine Crozier et une recette de Plum Pudding, fort complexe, qui demande environ 21 jours de préparation… ) Sans doute y aurait-il lieu de réfléchir aux “nouvelles façons de raconter l’histoire”. D’ailleurs, je me demande si on ne pourrait pas faire certains liens entre ces nouvelles façons de raconter l’Histoire et les formes de l’Histoire au quotidien (l’envers de la grande Histoire), telle que la pratique et la préconise Madeleine Ouellette-Michalska (dans La maison Trestler mais aussi dans L’été de l’île de Grâce), comme permettant justement de renverser l’Histoire officielle. Au sujet des histoires « au quotidien » (donc, à hauteur de personnages), Marilyn Randall écrit : « Ainsi se fait une distinction claire entre l’Histoire, force abstraite mais déterminante de la vie quotidienne, et cette vie banale où les individus se lient dans une lutte commune contre cette force inhumaine qui les contrôle et avec laquelle ils refusent toute complicité. » (1997 : 77)

6) Dans son article sur Le premier jardin d’Anne Hébert, Érick Falardeau se réfère à l’ouvrage de Régine Robin, Le roman mémoriel : de l’histoire à l’écriture du hors-lieu. Dans celui-ci, Robin parle des types de mémoire. Falardeau en retient quatre : 1. La mémoire savante 2. La mémoire nationale 3. La mémoire identitaire (faite de traditions familiales ou de témoignages oraux) 4. La mémoire culturelle. Peut-être serait-il intéressant de se servir de cela comme piste de lecture?

fq-equipe/ecriture_du_passe_-_rapport_de_recherche_preliminaire_1_de_2.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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