Ceci est une ancienne révision du document !
Les personnages qui peuvent être associés au type du Traumatisé partagent, bien plus que des caractéristiques psychologiques ou socio-économiques, un parcours semblable qui a un impact majeur sur leur façon d’être. À la suite d’un évènement de coupure, le personnage dit traumatisé perd ses repères habituels et le contrôle sur son existence. Cet évènement de coupure peut se manifester de plusieurs façons – accident, dépendance, nouveau milieu, accusation, mort d’un proche, rejet – et modifie de façon brusque le rapport que le personnage entretient avec son univers. Il conçoit d’une nouvelle façon son environnement, le découvre hostile, hypocrite ou insignifiant, ce qui influence grandement sa façon d’y évoluer. Il n’y est plus maître de son propre destin, celui-ci est désormais contrôlé à distance par ces Autres, dont il se retrouve soudain le jouet. En quelques cas, le regard qu’il voit les autres poser sur lui se colle progressivement à la façon dont il se perçoit lui-même, jusqu’à se questionner sur ce qu’il est véritablement.
Des exemples notables :
Un homme effacé – Alexandre Postel ;
À la suite d’une accusation de pédophilie, Damien North, un professeur d’université qui mène une vie triste et solitaire, tire sa vulnérabilité du doute qui suivra cette accusation. Les gens devenant méfiants face à lui, l’isolement le rendra véritablement fragile. Le traumatisme lui fait perdre la notion de vérité et de mensonge, ce qui brouille les piste quant à son regard sur lui-même et la question de sa culpabilité ou son innocence. L e doute est constamment présent : « Il avait failli tuer un homme en prison. […] il était semblable aux autres : violeurs, pédophiles […]. Était-il un homme dangereux ? De quoi était-il capable ? »(Page 207)
Les Affreux – Chloé Schmitt ;
Un accident cardio-vasculaire fait basculer la vie du personnage narrateur. Dépendant des autres, il doit vivre les péripéties que ces autres personnages décident de vivre. L’isolement devient très pesant quand ses proches l’abandonnent. Il sera alors logé par son frère alcoolique et violent. Confiné à son rôle d’observateur, le personnage vit constamment le traumatisme de l’immobilité.
Au piano – Jean Echenoz ;
Max, pianiste est tué violemment. L’évènement traumatique est en fait la mort. Il sera dirigé vers une espèce de purgatoire. Le personnage, une fois mort, ne peut plus décider de son sort. Cette rupture a lieu dans la deuxième partie du roman. Il ressuscite et se retrouve à Paris, barman dans un hôtel de passe. À la fin, il comprend qu’il est en enfer. [Lors de son meurtre] « il lui vient à l’idée de crier, oh pas crier vraiment, crier juste un petit peu, sait-on jamais, pour la forme, si cela pouvait faire venir quelqu’un », « puis d’ailleurs à vrai dire voici qu’il s’abandonne, qu’il aime mieux prendre le parti de se laisser aller, de se laisser faire, enveloppé soudain par une résignation presque confortable, presque honteusement voluptueuse, dans le renoncement à tout et la vanité de tout. » (84)
Un cœur à l'étroit – Marie Ndiaye ;
Nadia et son mari, Ange, sont professeurs dans une école primaire d’une petite communauté. Très soudainement, le regard que leur entourage porte sur eux change drastiquement. Tout à coup, on les insulte et les rejette. Pour Nadia, le comportement insaisissable du corps social est en quelque sorte l’évènement traumatique. Le regard que les autres portent sur elle et leur comportement influent alors grandement sur la vie du personnage, qui perd possession de ses moyens. Elle ne se rendra même pas compte qu’elle est enceinte.
Compression – Nicolas Bouyssi ;
Traumatisme : La disparition de la sœur du personnage, un aveugle anonyme, dépendant de celle-ci par le fait de sa cécité, le plongera dans une grande détresse. En effet, celle-ci devait le rencontrer dans un café, mais elle n’est jamais venue. Commence alors une enquête dans laquelle le personnage n’a que peu de pouvoir, étant donné sa situation physique. La recherche de sa sœur est en quelque sorte une expérience traumatisante, bien que la réelle rupture vienne de l’évènement qu’est sa disparition. Étant complètement subordonné au personnage de la sœur, l’aveugle vit la rupture dans la perte de son seul repère : « Autant l'admettre : compte tenu de mon âge, de mes essais, de leur avortement, je ne serai jamais quelqu'un d'autonome. Ou bien c'est autre chose. Il y a des habitudes que je n'ai pas acquises dans mon enfance, et les limites de mon émancipation dresseront toujours des bornes à l'existence des gens qui sont d'accord pour partager la mienne. » (page 23)
Espaces – Olivia Tapiero ;
Une jeune femme retrouve sa colocataire pendue dans sa chambre. Par la suite, elle se réfugie un peu partout, chez qui veut bien la voir, elle est constamment en fuite, ombre d’elle-même. La vision traumatique mène directement le personnage vers un errance symptomatique de la rupture.
Pour une dernière fois, je m’abaisserai dans tes recoins – Patrick Drolet ;
Un homme est habité d’une phobie de sa propre mémoire qui n’est pas justifiée par un quelconque évènement. Son comportement violent et impulsif n’est alors pas explicable, bien qu’il soit probable qu’il suive un certain traumatisme. L’homme semble être contrôlé par une force invisible qui lui dicte ses actes, bien que cette entité ne soit pas définie non plus. Le traumatisme n’est pas décrit, les symptôme seuls le sont : “j'avais un acouphène qui dictait mes pas […]. Je ne sentais plus mes jambes, je n'avais aucun contrôle sur celles-ci.” (p. 95), “Il y a quelques nuits… Ma nausée me dirigeait… ou ma mémoire… Il y avait quelqu'un qui me dictait mes actions… Je me souviens des gestes, mais pas de la personne qui les déclenchaient…” (p. 66)
Le jour des corneilles – Jean-François Beauchemin ;
Coupé très jeune de la civilisation, le personnage est handicapé par ce fait. Sa capacité langagière est extrêmement limitée. À la suite de l’accident de son père, qui le contrôle, il devra faire face au monde et se rendre dans le village le plus près, ou il sera incapable de communiquer avec les autres.
Vu d’ici – Mathieu Arsenault ;
En suspens
Faire l'amour – Jean-Philippe Toussaint
La rupture relationnelle entre le narrateur et Marie, son amoureuse, est clairement l’évènement traumatique du roman. L’errance du personnage en découlera. Se sentant impuissant, on pourra assister à une rupture actionnelle, le personnage a désormais un comportement inexplicable et incohérent, souvent très passif, contemplatif. Il démontre à plusieurs reprise son incapacité de passer à l’action : « Marie […) approchait ses lèvres très près de ma bouche et me demandait en tremblant pourquoi je ne voulais pas l’embrasser, et, la gardant dans mes bras, je répondais à voix basse en lui caressant les épaules et les cheveux pour l’apaiser que je n’avais jamais dit que je ne voulais pas l’embrasser, que je n’avais jamais dit ça […] Mais je ne l’embrassais pas, je ne me penchais pas vers elle pour l’embrasser, pour la caresser, la calmer et l’empêcher de pleurer […] Mais pourquoi tu ne m’embrasses pas alors? Et je ne répondis pas, je ne savais que répondre, je me souvenais très bien de la réponse que je lui avais faite alors, mais je ne pouvais pas lui dire maintenant que je ne voulais ni l’embrasser ni ne pas l’embrasser après les instants dramatiques que nous venions de vivre […] Et pourtant Dieu sait combien j’avais envie de l’embrasser maintenant… » (p. 88-89)
Visages retrouvés- Wajdi Mouawad
Le jeune Wahad rentre chez lui le jour de son quatorzième anniversaire et ne reconnait plus les lieux, ni l'aspect physique de sa soeur et de sa mère. À partir de cet évènement, il soupe chez sa voisine et décide de ne plus rentrer chez lui, ayant peur de se faire gronder. L'errance du personnage découle de cette fugue initiale. Il a des visions d'une femme de bois qui pourrait représenter sa mère. Les symboles sont nombreux dans le récit. L'incohérence actionnelle du personnage est attribuable à ce nouveau milieu, ou au fait qu'il ne se souvienne plus du milieu dans lequel il a grandi car cela n'est pas expliqué clairement dans le récit: « Qui est-elle? Est-ce que c’est ma sœur? Wahab ne pouvait pas tout à fait dire oui, mais le contraire aurait été surprenant. Si cette femme n’est pas ma sœur, si l’autre, dans la cuisine, n’est pas ma mère, alors tout serait bouleversé dans la logique des choses : on laisserait une invitée seule à broder pendant que mon père, le chef de la famille, serait là, à regarder la télévision? Et ma mère, censée s’occuper d’un mari et de trois enfants, où est-elle passée? Que se passe-t-il? » (p.43)
La société - Dan Franck
Off vit dans un local à bicyclettes et parle de sa vie d'avant, parfaitement normale. Il fait mention d'un accident qui a bouleversé sa vie: la mort de sa femme et ses enfants. Errant, oisif et malheureux, il se promène, par exemple, dans la ville avec un caddie. Il finit par se suicider à la fin du récit.Tout ces évènements sont attribuables au traumatisme de qu'a occasionné la mort de sa famille: « Peut-être aussi ne suis-je plus monté dans les étages du bâtiment D parce que les sous-sols me conviennent mieux, m’enferment dans une solitude sans ombres, me réduisent à la portion congrue d’une existence défaite contre laquelle je ne peux rien. » (p.92)
Le travail de l'huître - Jean Barbe
Au XIXe siècle, Andrei, un jeune paysan sibérien qui avait préalablement le dessein de tuer le tsar Alexandre II, devient invisible suite à une blessure à la tête lors d'une réunion de conspirateurs. À partir de ce traumatisme, le personnage devient complètement coupé du reste du monde. Il ne peut plus communiquer avec personne et sa vie change en ce sens qu'il n'est plus un personnage à proprement parler. Sans interactions possibles, il s'isole, mais rencontre une jeune femme qu'il suit sans qu'elle ne s'en rende compte. Il n'a plus aucune prise sur son existence, si ce n'est que « d’être condamné à n’exister que par lui-même, en lui-même, sans jamais l’aumône d’un regard ou d’un geste. » (49)
Corps perdu - Laurent Chabin
Une femme dont l'âge est incertain, nommée Blanche, vit cloîtrée dans la chambre de la maison de ses parents âgés. Ceux-ci l'y ont enfermée à l'adolescence dans l'espoir de dissimuler sa grossesse au voisinage et, subséquemment, de réfréner ses pulsions sexuelles malsaines. Blanche est enfermée dans sa chambre pendant une bonne partie du roman et ses actions visent uniquement à satisfaire des besoins sensibles: nourriture, sexe, caresses, odeurs. Son traumatisme vient probablement de cet enfermement et de son initiation malsaine à la sexualité par cet amant souvent évoqué.