Le passif indifférent fait preuve d'un total je-m'en-foutisme face à son destin et aux évènements dont il est témoin. Il se définit par une incohérence, mais surtout par un manque de présence et de substance. Que l'évolution soit positive ou négative, que les événements soient heureux ou malheureux, le personnage reste de glace et les subit souvent de manière silencieuse, quand il n'en est pas le simple témoin muet. Ici, on ne prétend pas que le personnage ne présente aucune émotion mais bien que sa neutralité et son manque d'envergure gouvernent tout ce qu'il pourrait avoir d'autre en terme d'attributs. Le personnage se caractérise aussi par son hermétisme, le lecteur n'ayant pas ou peu accès à ses pensées et sentiments, qui semblent, somme toute, assez fades. Un personnage inactif dont les pensées seraient décrites de manière exhaustive n'aurait pas sa place dans cette catégorie.
Baldam l'improbable - Carle Coppens
La société dans laquelle vit Mas Baldam est régie par un système de surveillance (des capteurs vidéo pour la sphère publique, des bulletins d'intimité à remplir quotidiennement pour la sphère privée) permettant de comptabiliser les émotions ressenties par tout un chacun. Plus « autrui » a des sentiments, vit des événements extraordinaires, se distingue par sa générosité ou sa bienfaisance, plus il cumule des points; l'objectif étant de s'illustrer au classement pour atteindre le Cercle des 5000. Le problème avec Baldam, c'est qu'il est neutre. Homme décevant, il fait honte à sa famille, incapable de profiter de ce qui lui arrive pour obtenir de l'avancement, pour « générer de l'avant ». Un jour, quelqu'un décide de prendre le contrôle de Baldam, de l'acheter, croyant qu'il a un potentiel inestimable : il est l'homme parfaitement moyen (Mas Lambda). Grâce à lui, il sera possible de déduire le goût du plus grand nombre à partir de l'opinion d'un seul. Il est le « répondant universel ». C'est la neutralité qui définit le plus fidèlement ce personnage. Ses sentiments ne sont pas explicités. Par exemple, lorsque son père meurt, Baldam reste de glace, tandis qu'un passant lui « vole » son moment, en pleurant à chaudes larmes devant le capteur.
Si j'y suis - Erwan Desplanques
Jacques, dont la mère est mourante, va se changer les idées sur une plage des Landes où il retrouve Marion, son ex-femme qui, depuis leur divorce, a refait sa vie. Il se remémore leur vie ensemble,mais finit par quitter la maison de Marion quand il réalise qu'elle l'a bien oublié.De retour à Paris, Jacques est seul avec sa mère qui se meurt à l'hôpital. La dégénérescence de celle-ci et le souvenir de Marion hantent Jacques, qui a peine à travailler et évolue dans une sorte de brume. Le dernier chapitre se déroule au Vietnam, où Jacques a décidé de prendre des vacances après le décès de sa mère. Il y fait la rencontre de May et ses amis qui l'emmènent à la plage en moto. Sur le chemin, May et Jacques ont un accident qui les isole des autres. Ils s'arrêtent sur une plage, un peu ivres. May décide d'enterrer Jacques debout dans le sable; celui-ci se laisse faire et est tout à fait serein quand May repart en moto, le laissant paralysé alors que la marée monte. Le personnage ne fait pas grand-chose, si ce n'est essayer de fuir pour oublier un peu la douleur de la perte de sa mère. Bien que l'intention et la motivation sous ces fuites répétées soient réalistes et faciles à déduire selon le contexte (le deuil), mais le tout manque de cohérence, de présence de la part du personnage. Le protagoniste subit les évènements et les décisions d'autrui silencieusement. On devine qu'il souffre parce qu'il se laisse mourir à la fin, mais le roman est elliptique et désincarné.
Dée - Michaël Delisle
Dans les années 50, dans les campagnes de la rive sud de Montréal, une jeune femme, Dée, tombe enceinte d'un homme, Sarto, et ses parents s'entendent pour qu'elle l'épouse. Coquette, grande amateure des magazines américains, Dée pense plus à imiter Marilyn Monroe et Grace Kelly qu'à la nouvelle vie qui l'attend. La maison fin prête, le couple s'installe, et Dée se retrouve seule avec un ménage à entretenir et un bébé à élever. La solitude l'écrase : elle épie les voisins sans oser les aborder et trompe l'ennui en ayant une brève aventure avec le livreur de journaux. Quand Sarto l'apprend, il entre dans une colère noire et informe la mère de Dée du comportement de sa fille. Tous la poussent à consulter un docteur, qui la gave de pilules, mais Dée et son fils restent tout de même englués dans leur profonde solitude. La passivité du personnage réside dans son absence d'intention. Elle est plongée dans une attente constante sans savoir après quoi elle attend. Ce sont les autres qui décident pour elle et elle les laisse faire, indifférente à son propre sort ou à celui de son enfant. Sans emploi ni réels projets, Dée dort souvent, longtemps, à tout moment pour tuer le temps. Enfant, elle dort d'épuisement, puis d'ennui, puis, à la fin du roman, à cause des médicaments. Le sommeil n'est pas une façon de s'évader, mais plutôt un moyen de laisser s'écouler le temps sans elle, dans la passivité. De plus, elle n'aime ni son mari ni son enfant. Finalement, elle n’a pas de réel besoin ni de réel désir de comprendre le monde dans lequel elle vit.
Rapport de visite - Laurent Graff (nouvelle)
Un client mystère résume sa visite. Cet anonyme raconte aussi à quel point ça lui plaît d’être aussi effacé. Il décrit sa vie ordinaire, tellement ordinaire qu’il est réduit à néant, mais cela lui plaît profondément. Après une visite dans un grand magasin, le client mystère s’apprête à sortir du magasin : la porte automatique ne le détecte pas, contrairement à tous les autres humains qui entrent et sortent. Ça ne le dérange pas : il s’assoit et attend. Il réessaie : la porte ne le détecte pas. Insouciant, il retourne dans le magasin, s’assoit au restaurant où, comme au dîner, on ne le remarque pas. Les miroirs renvoient son reflet, comme d’habitude. Il va à la salle de bain, un agent de sécurité lui dit qu’il l’a vu, tout à l’heure, ne pas se faire remarquer par la porte. Le client mystère est toujours aussi serein. Il erre dans le magasin, s’assoit sur un divan. Le gardien de sécurité lui dit qu’il peut rester là. Ainsi, le client mystère reste là, même quand les lumières du magasin se ferment. Il reste là et ça ne le dérange pas. Le personnage n’a aucun but, aucun motif et rien ne le perturbe. Il est si effacé que la porte automatique ne le remarque même plus. Loin de s’en découragé, il se complait dans son insipidité. Il est profondément anonyme et ne s’intéresse à rien. Rien ne retient son attention. L’élément déclencheur ne rencontre tellement aucune résistance de la part du protagoniste qu’on ne peut pas vraiment dire que c’en est un. Il est inchangeable, imperturbable dans son existence ordinaire et sans intérêt: « Parfois, je peine à dire « je ». Il m’arrive de passer toute une journée sans dire « je ». […] Ou bien je m’exprime de manière encore plus impersonnelle, à l’infinitif, sans sujet. » (p.16) « J’attends. Je crois que j’ai toujours attendu. C’est une attente sans objet précis, sans désir identifié, plus proche d’un état fondamental qu’une action consciente. J’attends un signal de départ; je me tiens prêt, disponible. J’attends sur le banc de touche en attendant d’entrer sur le terrain. Mais le terrain n’est pas à la dimension de mon attente. C’est un peu comme si j’avais envie, mais rien ne me fait envie. » (p.36)
Un bonnet - Laurent Graff (nouvelle)
Un homme perd progressivement les choses qui lui appartiennent : téléphone portable, clefs d’auto, foulard, clefs d’appartement, jusqu’à ses cheveux. Au lieu de tenter d’arranger la situation, il s’accommode de chaque perte et s’installe à l’hôtel, prend les transports en commun, met un bonnet (car il fait froid et il n’a plus de cheveux). Les objets du narrateur disparaissent, et il dit qu’il s’en accommode, mais, dans les faits, c’est faux. Il est incapable de s’acheter un nouveau foulard, d’appeler un serrurier pour débarrer son auto et son appartement. Il est incapable d’imaginer le monde transformable, il ne fait que se résigner tristement, quoi qui lui arrive. Sa passivité est poussée à l'extrême: « Après mes clés de voiture, quelques jours plus tard, j’ai perdu les clés de mon appartement. […] Je me rends à l’évidence rapidement, n’insiste pas : je ne peux plus rentrer chez moi. […] Je ne savais pas où aller. Je n’ai pas appelé de serrurier, je n’en connais pas, […]. J’ai pris le premier hôtel venu. » (p.89)
Soumission - Michel Houellebecq
Le personnage de François, professeur de littérature à Paris, nous expose en tant que narrateur sa vision de la France de 2022. Le Front National de Marine Lepen et le parti Musulman sont aux côtes à côtes dans le deuxième tour de l’élection présidentielle. Les enjeux politiques, en filigrane du récit premier, serviront de toile de fond au quotidien banal de François.Le roman met en contraste, jusqu’aux dernières pages, le gigantisme de la politique nationale avec le banal du quotidien individuel, avec pour seul lien entre les deux, le personnage de François. À la victoire du parti musulman, ce dernier perd son emploi, les institutions étant devenues religieuses et n’employant plus d’athées, mais il accepte sa situation très vite et de bonne grâce.Si un seul aspect devait décrire François, son impassibilité passerait avant tous les autres. Devant Paris, à feu et à sang, il reste de marbre et se déplace dans les rues avec un apparent sentiment de sécurité qu’on ne peut s’expliquer. Les bouleversements politiques majeurs n’ont pas plus d’effet sur lui. Devant la nouvelle de la fin de sa carrière, ou de la victoire du parti musulman, il garde une déconcertante sérénité. Il en va évidemment de même pour ses aptitudes relationnelles, amoureuses ou amicales: « Je n’avais aucun projet, aucune destination précise; juste la sensation, très vague, que j’avais intérêt à me diriger vers le Sud-Ouest. » On sent le personnage malléable et sa capacité d'adaptation dépasse l'entendement, si bien qu'il est impossible de savoir s'il a de véritables valeurs ou, même, une véritable personnalité.
L'horizon - Patrick Modiano
Bosmans se rappelle une période de son passé, quarante ans plus tôt, pendant laquelle il fréquentait une jeune femme, Margaret Le Coz, qu'il avait rencontrée par hasard. Margaret et Bosmans vivent dans une sorte de “présent éternel”: ils n'ont pas vraiment d'objectif à court ni à long terme, peu de responsabilités. Ils montrent la plupart du temps une sorte d'indifférence, de désinvolture, un désengagement qui semble ne les mener nulle part ailleurs que dans un passé soit à oublier, soit à retrouver. La confiance et la certitude m'ont pas leur place dans le roman: “Je n’ai pas de courage. Je préfère que les choses restent dans le vague.” (p. 143) Bien que le sujet du roman soit l“ancienne histoire d'amour, cet élan sentimental et les traces qu'il pourrait laisser sont pratiquement absents du récit.
Inutiles - Hervé Prudon
Jean Blanc, comme son ami Ben, a fait voeux d'inutilité. Il ne fait effectivement pas grand-chose. Il considère le fait de rechercher Ben comme une mission qu'on lui a spécialement confiée, car son père va bientôt mourir. Pourtant, il ne fait rien de spécial pour le retrouver. Il ne semble avoir aucune motivation. Il se contente d'attendre que Ben rentre chez lui de lui-même. Alors qu'il apprend que Ben est mort, il en est même soulagé. Mais Ben n'est pas mort. Quand celui-ci rentre enfin chez lui, Jean n'a plus qu'à le conduire à son père pour réussir sa mission. Mais il se conduit plutôt avec mollesse et laisse Ben faire à sa tête (Ben disparaît alors de nouveau). En d'autres mots, Il n'a qu'un but, pour lequel il fait peu de choses, et il échoue. Quant à son ami: “Ben ne faisait rien, il ne dormait pas, il ne rêvait pas, il ne s'ennuyait pas. Il respectait le vœu d'inutilité.” (quatrième de couverture)