Notice bibliographique : LENOIR, Hélène (2001), Le magot de Momm, Paris, Éditions de Minuit, 2001, 191 p.
Résumé de l’œuvre : Après la mort accidentelle de son mari, Nann, âgée de presque 40 ans, retourne vivre chez sa mère maintenant veuve, Momm, avec ses trois filles : Lili, 16 ans, puis Violette et Wanda, des jumelles de 10 ans. Un soir, Lili fugue avec Dan, son petit ami. Ils emportent avec eux, sur leur scooter, un magot de plus de cinq mille billets, qu’ils ont volé à Momm dans l’une des nombreuses cachettes de la maison. Momm, elle, croit simplement que sa petite-fille est partie à la plage pour la fin de semaine. En parallèle de la fugue de Lili, on assiste au quotidien, aux faits et gestes, puis aux pensées de celles qui sont restées à la maison, dans un cercle familial qui paraît dispersé, tendu, voire insupportable : les jumelles aident leur grand-mère à faire certaines tâches ménagères sous peine de réprimandes, Nann attend avec impatience la venue de son amant, Vincent, qu’elle aimerait tant voir plus souvent, et Momm s’occupe de la maison, de la cuisine, des comptes, et espère, en vain, qu’on reconnaisse tous les efforts qu’elle fait pour les autres. Malgré l’absence d’hommes habitant dans la maison, la figure masculine prend une place considérable dans l’existence de ces femmes : les hommes vont et viennent, ils sont des ouvriers qui viennent réparer une clôture, des comptables qui viennent gérer les finances, des amants qui ne restent pas longtemps, des voisins qui fouinent, et c’est vers eux que les principales actions de ces femmes sont dirigées. Au final, elles sont toutes à la recherche du bonheur, mais échoueront une à une, restant prisonnières de leurs pensées, refusant de se parler entre elles, et n’auront plus d’autres choix que de fuir, ou alors de se replier sur elles-mêmes.
Narration : Extradiégétique, hétérodiégitique
Explication : Le narrateur ne se manifeste pas dans le récit. On raconte ce qui se passe à la troisième personne. La focalisation se fait, tour à tour, sur les trois figures féminines principales du roman, ce qui en fait un récit à plusieurs voix : les diverses situations sont observées selon le regard de Nann, ensuite celui de Lili, puis celui de Momm. On assiste, la plupart du temps, à l’état intérieur des personnages et à leurs pensées, souvent confuses, inachevées, fragmentées.
Personnage(s) en rupture : Nann, Momm, Lili
A) Nature de la rupture : Interprétative
Explication : Nann, de retour chez sa mère en raison de la mort de son mari, est confrontée à une situation familiale qui lui pèse, elle qui, âgée de 40 ans, se retrouve face aux regards de sa mère, qui ne cesse de l’épier et de la juger. Ainsi, pour éviter tout cela, elle se réfugie dans ses pensées et dans la solitude. Elle se présente comme une mère souvent dépassée par les événements, s’occupe peu de ses filles, laisse les autres, comme Momm, le faire à sa place. C’est avec Vincent, son amant, qu’elle voudrait être, souvent, un peu comme s’ils étaient un couple. Cependant, il semble plus ou moins se soucier d’elle. Une fois les ébats sexuels terminés, Vincent s’en va, sans lui parler, et Nann, elle, reste là à espérer qu’il revienne bientôt. « [Nann] voudrait demander [à Vincent] de rester quelques minutes encore […], juste le temps de fumer une autre cigarette ensemble, de parler, pas longtemps, mais un tout petit peu, se parler. […] Il l’écarte et l’envoie culbuter sur le lit où elle plonge et demeure sans bouger […] jusqu’à ce qu’elle entende la portière s’ouvrir puis claquer en bas dans la rue. Elle enfouit alors son visage dans l’oreiller et se met à crier pour couvrir le bruit du moteur qui s’éloigne […]. Elle crie son nom et l’insulte en mouillant la taie fleurie […] » (p.13) « Très occupée par son travail, où elle espérait une promotion, sa chance, la chance de sa vie, les filles n’avaient pas le droit de la lui gâcher, elles devaient l’aider, être patientes, la soutenir, c’estàdire faire des sacrifices, elles aussi, […] tout ça leur serait bientôt rendu au centuple… mais quand, bientôt, quand? » (p.47-48)
Momm, quant à elle, semble exaspérée par tout ce qui l’entoure. Elle semble souvent en désaccord avec les manières d’agir de Nann, la façon dont sont élevées Lili et les jumelles, se lamente sans cesse qu’elle s’occupe de tout, et, lorsqu’on veut l’aider, préfère s’en charger pour qu’on s’aperçoive de sa grande bonté. Son présent n’a pas l’air de lui convenir : elle est vieille, veuve, et peu respectée par ceux qui l’entourent. Elle se réfugie dans son passé, celui passé avec Rémi, son mari. « [Les filles de Nann] étaient fausses, paresseuses, mais surtout fausses, comme leur père, plus elles grandissaient, plus on sentait l’atavisme inquiétant, chez les jumelles c’était encore pire que chez Lili, et ce soir elles empestaient le mensonge, les cachotteries sous leurs petites manières de gamines serviables et propettes […]. » (p.21)
Lili cherche également à fuir son quotidien, ce qui explique la raison pour laquelle elle décide de fuguer. Elle déteste sa mère, et, espère, en s’en allant de cette maison, pouvoir se tourner enfin vers l’avenir, avec Dan, loin de sa famille, et avec tout l’argent qu’elle a volé à Momm. Toutefois, il n’en sera rien : Dan, un soir, complètement saoul, est violent, méchant avec elle. Sans vêtements, sans argent, courbaturée, blessée, apeurée, elle réussit à retourner chez elle, dans un climat de tension, encore plus froid que d’habitude, en raison du vol qui a été commis.
B) Origine de la rupture : Familiale, relationnelle
Explication :
Le cercle familial dans lequel les cinq figures féminines du roman sont plongées semble ne convenir à personne. Le monde qui les entoure, par le fait même, ne convient pas à leurs besoins, et doivent tour à tour renoncer à leurs désirs. Toutes à la recherche du bonheur, Momm, Nann et Lili connaîtront la déception : Momm ne pourra revivre son passé, devra vivre dans ce présent qui lui pèse, Nann ne vivra pas la relation qu’elle désire avec Vincent, se verra juger par sa mère et détester par sa fille, et Lili, qui fuit pour enfin être heureuse devra retourner à la maison, déçue, apeurée, blessée.
C) Manifestations : Manifestations cognitives, fuite, tension, colère, solitude
Explication : Nann, Momm et Lili se réfugieront dans leurs pensées, souvent confuses. Lili tentera de fuir, en vain, Nann devra se contenter de vivre une relation purement sexuelle qui ne lui convient pas, et Momm vivra dans un quotidien morne, le regard tourné vers son passé avec Rémi. Un climat de tension, de froideur régnera dans cette maison où chacune cherche le bonheur sans le trouver.
D) Objets :
Leur projet de bonheur n’aboutira pas. Les femmes resteront seules, dans leurs pensées, sans avenir prometteur, dans un cercle familial où la tension s’intensifie de plus en plus. Le manque dû à la présence de l’autre se fera ressentir, encore, à la fin du roman. Toutefois, pour la première fois, dans les dernières pages, on assistera à un véritable échange entre les personnages, qui ne sera pas qu’un dialogue futile, anecdotique. « Qui peut ici? Qui de nous peut supporter cette situation infernale ? […] Si toi tu ne peux pas?! Et laquelle de nous aura un jour le courage de taper un grand coup pour qu’on en sorte ?», demande Momm à sa fille. « Toi? Toi qui n’est ni chair ni poisson ici, ni mère ni fille, rien, entre les deux, à louvoyer dans une eau tiédasse, responsable de tout et de rien, absente, molle, ailleurs, éternellement ailleurs, tu flottes, tu planes, tu es la dernière ici sur laquelle on peut compter…! » (p.185)
E) Manifestations spatiales :
Lieux représentés : La maison familiale par rapport aux autres lieux
Explication :
La maison familiale semble être le lieu des tensions, chicanes, déceptions, mensonges, de la solitude. Lorsque les personnages vont ailleurs, comme Lili, il semble y avoir une promesse de bonheur, qui sera pourtant vite mise de côté. « Il suffisait de partir, il suffisait de monter sur un scooter avec Dan pour que le monde se révèle tel que [Lili] l’avait parfois lu dans les livres, accueillant et beau. » (p.53)