Notice bibliographique : VÉZINA, Michel, La Machine à orgueil, Montréal, Québec Amérique, 2008, 212 p.
Résumé de l’œuvre :
Un peu avant ses quarante ans, la meilleure amie d’enfance de Jean-Pierre, Mado, se pend dans le garage de ses parents. Après le choc causé par la nouvelle de la mort de Mado et voyant la haine dans les yeux de la famille de la défunte, qui rejette le blâme sur lui, Jean-Pierre (DJipi) mène pendant quelque temps une vie de débauche. Il atterrit toutefois dans le chalet de ses parents, décédés vingt ans plus tôt. DJipi s’isole en forêt dans le but de se donner la mort, puisqu’il réalise lui-même sa rupture avec le monde. La mort de Mado lui fait prendre conscience de sa profonde solitude, de son incapacité à entrer véritablement en contact avec les gens et des illusions de bonheur qu’il se créait depuis sa jeunesse. Il réalise que tout ce qu’il croyait savoir sur lui-même était inventé dans sa tête pour faire de lui un personnage plus intéressant que sa véritable personne. DJipi est un ancien DJ qui a parcouru l’Europe en faisant des tournées avec des punks. Ce qu’il préférait était de créer de la musique à partir de sons de la vie quotidienne, qu’il enregistrait grâce à une machine dans son camion de tournée. Il avait pour projet de créer un Environnement Sonore Autonome, c'est-à-dire une machine qui pourrait enregistrer constamment les bruits, sans assistance humaine ou électrique. Après la mort de Mado, il prend conscience qu’il était amoureux d’elle et qu’il n’a pas été présent lorsqu’elle avait besoin de lui. Durant ses voyages, il a beaucoup abusé de substances illicites ce qui lui a fait oublier la femme qui l’aimait. Il se sent donc coupable de la mort de Mado et est au désespoir, d’autant plus qu’il ne trouve pas la force et le courage de mettre fin à ses jours. Il fait toutefois la rencontre de son voisin, Robert, surnommé l’Allumé (parce qu’il allume toujours un joint lorsqu’il va voir DJipi). Celui-ci vit en ermite dans le bois depuis des années. Les deux hommes solitaires et marginaux se lient rapidement d’amitié. Tous les jeudis matin, Allumé se rend chez DJipi avec du cannabis qu’ils fument pendant que Jean-Pierre raconte ses aventures avec Mado et ses voyages. Au cours de ces rencontres, DJipi se soigne l’âme et reprend tranquillement goût à la vie. De son côté, Allumé apprécie toutes les histoires folles de son ami. En faisant le ménage d’un des hangars de la propriété de ses parents, DJipi trouve une « machine à orgueil », un jeu de fête foraine où le joueur doit frapper sur une cible avec une masse assez fort pour qu’un poids soit propulsé jusqu’à une cloche. Allumé suggère à son ami de la réparer et de s’en servir pour faire de l’argent en la trainant à différentes fêtes foraines. Cette simple machine représente alors pour DJipi un but dans la vie et l’anime d’une grande motivation. Il recommence ensuite à enregistrer des sons à partir desquels il crée. Avec l’argent provenant de la machine à orgueil, DJipi réussit à mettre au point un système de panneaux solaires installés sur son camion qui alimentent son Environnement Sonore Autonome. Grâce à Allumé il se retrouve guéri et changé. Il reprend finalement la route, toujours marginal, mais libre et heureux.
Narration : Autodiégétique et hétérodiégétique
Explication : La majeure partie de la narration est autodiégétique et raconte des évènements qui se sont produits à deux époques. DJipi raconte en effet son présent, son isolement dans le chalet, sa réflexion sur lui-même et ses rencontres avec Allumé, et fait le récit de ses voyages et aventures avec Mado, qui se sont déroulés sur des dizaines d’années. Les deux époques se chevauchent parfois un peu librement, mais le lecteur ne s’y perd pas. De plus, de cours textes, en italique et narrés à la troisième personne par un narrateur inconnu, ouvrent chaque chapitre en offrant un résumé de celui-ci : « Vivre dans le silence. DJipi s’installe pour la première fois de sa vie d’adulte, alors qu’il ne pense qu’à rejoindre Mado. Robert, l’Allumé, lui rend visite toutes les semaines. Dans ce chalet et ces hangars, les histoires de sa famille s’étouffent. » (p. 23.)
Personnage(s) en rupture : DJipi
A) Nature de la rupture : Interprétative
Explication : Dans sa jeunesse, DJipi, bien qu’il ait vécu de folles aventures, agissait, en général, de façon normale. Toutefois, les substances illicites qu’il a consommées et une sorte d’égocentrisme l’ont déconnecté du monde autour de lui. Il se mêlait aux gens physiquement, mais était incapable d’avoir un véritable contact avec quelqu’un. Il ne pouvait pas s’attacher émotionnellement à quelqu’un et voyait tout le monde comme des présences passagères dans sa vie dont il se servait et laissait tomber lorsqu’il n’en avait plus besoin. Il était incapable de s’émouvoir : devant une lettre de son ami Fabrice, qui était à la guerre et qui lui racontait avoir trouvé une femme enceinte éventrée, à l’agonie, il a simplement répondu que cette histoire lui avait valu une mauvaise soirée avec Mado, qui était devenue hystérique. Il n’avait pas de compassion et ne voyait aucunement la douleur du monde. C’est également pourquoi il n’a pas vu que Mado allait se suicider. En forêt, DJipi est surtout en rupture, car il souhaite mourir, il réalise son incapacité à s’approcher de qui que ce soit, même de lui-même. Il est profondément perdu et n’a plus de prise sur le monde. Il est oppressé par ses souvenirs et affirme à plusieurs reprises être en train de devenir fou. Il n’est plus capable d’entendre le bruit de la ville, mais le silence du bois lui est insupportable. DJipi n’est bien nulle part. Il aimait aussi voyager pour pouvoir devenir quelqu’un de nouveau à chaque nouvel endroit. Perdu dans le bois, il est pris avec lui-même et ne peut s’endurer.
B) Origine de la rupture : Mondaine
Explication : DJipi n’a pas connu ses grands-parents et a perdu ses parents à 17 ans. Cette réalité l’a empêché de bien connaître ses origines. Il a donc de la difficulté à se connaitre lui-même et à assumer qui il est : « Depuis que la seule fondation sur laquelle j’aurais pu me fabriquer une identité a décidé de mourir, ne me reste plus que l’invention d’une famille pour me donner une raison d’exister. » (p. 99-100) Il ne se trouve pas suffisamment intéressant, ce qui l’amène à se créer un personnage : « J’ai voulu être un autre que je ne serai jamais. Je me suis construit un personnage pathétique, une impression de bonheur. Je n’ai jamais été capable de supporter l’idée de ma propre banalité. Je n’ai jamais laissé personne m’aimer. […] mon rire attirait les foules et me donnait l’impression que je n’étais jamais seul, alors que je savais que je ne valais absolument pas qu’on s’attarde à moi. » (p.190) La rupture de DJipi vient donc de cette profonde difficulté à assumer qui il est.
C) Manifestations : Affective et volitive
Explication : La rupture de DJipi se manifeste dans sa relation avec les autres, puisque plusieurs personnes tentent de se rapprocher de lui au cours de sa vie, mais il ne s’en rend pas vraiment compte ou il est incapable de leur rendre l’affection qu’elles lui portent. L’Allumé est la seule personne envers qui DJipi va prendre un certain engagement (revenir dans le bois au printemps suivant) avec l’intention de le tenir. Il a laissé très souvent tomber Mado qui était sa meilleure amie et ne s’en préoccupait pas jusqu’à sa mort. De plus, cette rupture marque la volonté de DJipi. Ses projets d’Environnement Sonore Autonome et celui de retourner au Québec pour retrouver Mado et vivre avec elle étaient toujours remis, parce que Jean-Pierre se laissait entrainer par des abus et les oubliait carrément. Ce n’est qu’après son isolement en forêt avec Allumé, après s’être guéri, qu’il réussira à mener à terme l’ESA.
D) Objets : Environnement Sonore Autonome, Machine à orgueil
Explication :Dans ce roman, la réussite de l’Environnement Sonore Autonome symbolise la guérison et la liberté de DJipi, elle est sa nouvelle porte d’entrée vers le monde : « Mon Environnement Sonore Autonome, machine vivante. Plus qu’un simple émetteur, bien plus qu’une machine à sons. Plus que de la musique, je veux un être vivant qui renouvellera les rapports du monde aux bruits. La nouvelle bande son de la réalité changera la nature perçue du monde. » (p. 136) La Machine à orgueil aussi est importante, puisque c’est à travers sa réparation que DJipi retrouve la motivation de vivre. Les deux projets se chevauchent et ramènent Jean-Pierre vers le monde : « Je pense aux sons que je construis. Je suis une Machine à orgueil. » (p. 189)
E) Manifestations spatiales : Rien de vraiment pertinent à analyser du point de vue des lieux.
Lieux représentés : Explication :