Table des matières
FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Roy, Patrick
Titre : La ballade de Nicolas Jones
Éditeur : Le Quartanier
Collection : Polygraphe
Année : 2010
Éditions ultérieures : -
Désignation générique : roman (1ère de couverture)
Quatrième de couverture :
Nicolas Jones a la trentaine noire et une peur bleue des rapports humains : le passé l’a laissé dans un sale état. Il est aussi vaguement poète, ce qui n’arrange pas les choses. Une femme l’attend, mais lui se coupe chaque jour davantage de ses semblables, d’un monde qu’il éprouve par le prisme d’une mythologie échevelée où se croisent le hockey, les cow-boys et le rock qui rit jaune. Un soir de vapes, où Jones est au plus bas, un vieux paria un peu ours, couturé de défaites lui aussi, le relèvera. Sans se connaître, ils se reconnaîtront frères de déglingue.
Western métaphysique où les duels avec soi conduisent à enjamber le garde-fou des ponts, La ballade de Nicolas Jones raconte en parallèle les amours ratés, les humiliations et les violences qui ont fait ces deux déclassés magnifiques — jusqu’à l’épreuve d’une mort annoncée. Mais il raconte aussi les échappées où tout à coup plus rien n’est joué d’avance.
Si La ballade de Nicolas Jones, par son style cinétique, dessine un monde où la beauté naît dans l’âpreté et la hantise, on reste du côté des vivants, du côté de ceux que la vie touche jusqu’à l’os mais qui, contre toute attente, tiennent jusqu’à la vingt-cinquième heure.
Né en 1977 à Danville, en Estrie, Patrick Roy vit à Québec. La ballade de Nicolas Jones est son premier roman.
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Nicolas Jones, la trentaine, habitant de Québec, pose sur sa vie un constat d'échec et ne va à peu près nulle part jusqu'à ce qu'il rencontre Marie-Sarah, au tout début du roman. Il ne sait pas trop comment il doit agir avec elle, tiraillé qu'il est entre l'attirance et la peur, mais plombé par la solitude en toutes circonstances, même devant une partie de hockey avec ses amis. La seule personne qui semble savoir communiquer vraiment avec lui, même sans parler, c’est Roger Allard, un pilier de bar rencontré un soir de cuite et qui finira par mourir du cancer. Les nombreuses remises en question de Jones seront l'occasion de connaître par bribes son passé d'être à la dérive depuis l'enfance: ses anciennes amours Saphir Saint-Onge, Anne-Marie et Brigitte, son père pour qui il n'éprouve aucune affection, etc. Finalement, Jones réussit à faire la paix avec son passé (ses “vieux fauves”, comme il les appelle) pour enfin passer à autre chose et réussir à recontacter la fameuse Marie-Sarah.
Thème(s) : Enfance, maladie, hockey, amour, mort.
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Rupture actionnelle assez évidente. Le présent occupe si peu de place dans ce récit tout en rétrospections et en introspections qu'il ne se passe par conséquent pas grand-chose, ce qui s'explique par le fait que le personnage principal, Nicolas Jones, est frileux de nature, pétri de regrets et de timidité, habitué à trouver des échappatoires à la moindre action susceptible d'échouer.
Appréciation globale : Lecture exigeante, notamment à cause du ratio trois métaphores pour une phrase, qui fait qu'on en perd des bouts, mais on ne peut que s'incliner devant la virtuosité de l'écriture. Tout de même, on souhaiterait un peu moins d'auto-apitoiement et plus d'événementiel.
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
actionnelle :
L'inaction est un thème récurrent dans le roman. Jones, dans sa jeunesse, a été souvent trop timide, trop lâche, trop pessimiste, trop faible pour agir, ce qui explique pourquoi, âgé de maintenant quelque trente années, il est imbibé de regrets et de honte et peut toujours aussi peu agir, empêtré qu'il est dans ses échecs antérieurs: « il vaudrait mieux tout débrancher, mes veines et l'électricité, que ce n'est pas en dépendant des succès de Gagné que je lèverai mes statu quo pour liquider ma flemme, la force d'inertie dont les échecs m'ont pétri. Je caille. Du mouvement. » (59)
À la mort de Roger, qui est décédé abandonné de tous sauf de Jones, celui-ci décide de se reprendre en main, peut-être pour éviter de finir comme Roger: « M'en revenant du cimetière Belmont, les poings serrés dedans mes poches, je balance le long d'une rue bordée d'érables qui n'a pas la vérité, mais me mènera bien quelque part. Au centre-ville de rien. À la remorque d'un grand écran où les acteurs penseraient pour moi tant ma tête n'en peut plus d’analyser. À la fin d'un cycle, que seul soit possible le recommencement. À la porte de Marie-Sarah, à supposer qu'elle veuille bien… » (179)
Pour ce faire, Jones ne va pas tout d'un coup devenir un champion (comme l'aurait voulu son père), il choisit plutôt de s'accepter tel qu'il est, de cesser de vivre dans l'utopique et faire un peu plus de place au pragmatique dans sa vie: « L'heure avait sonné de boucler la comédie des idéaux, de confirmer que je n'étais devenu ni Lafleur ni Esposito, mais un joueur de troisième trio, un être acharné qu'on frappe et qui se relève, qui doit parfois donner les coups pour s'en tirer, et j'allais reculer, me priver ? Dire que s'éloignait de moi l'étoffe des champions était un euphémisme. Même les actes censés m'être des formalités se révélaient des épreuves. Dans toutes les sphères de ma vie, des gens passaient et je les regardais sans réplique, l'air lunaire, désinvesti de tout. » (182)
Le roman se termine sur Jones qui réussit à faire la paix avec son passé (ses “vieux fauves”, comme il les appelle) pour enfin passer à autre chose et prendre le contrôle de sa vie (« il faut bien, éventuellement, parler plus fort que les événements » (189)), en réussissant enfin à recontacter Marie-Sarah: « je m'en allais chez Marie-Sarah. J'avais apporté tous mes vieux fauves pour ne rien oublier, j'avais gardé ma barbe et ce serait ma dernière tête, celle avec laquelle, désormais, j'appellerais les vivants, celle qui passe ou qui casse, et j'ai cogné. » (221) Pour Nicolas Jones, le fait de renouer avec le monde se concrétise par une action: cogner à une porte.
rupture actionnelle en résumé
- Intention: problématique pendant la majeure partie du roman parce que Jones, à la dérive, n'ose à peu près rien faire de peur d'échouer et passe son temps à revisiter son passé pour essayer de comprendre son comportement actuel
- Logique sensible: mettons, étant donné que ça ressemble souvent à un flux de conscience qui va et vient entre présent et passé
- Noeud d'intrigue pas évident mais présent: trouver la force d'avoir une relation avec Marie-Sarah
- Résolution: cogner à la porte de Marie-Sarah
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Voix: La narration alterne d'un chapitre à l'autre. Tantôt c'est Jones qui raconte à la première personne, tantôt c'est un narrateur hétérodiégétique qui raconte à la troisième personne en se focalisant sur Jones (en restant vraiment très très près de ses pensées, en fait)
Configuration narrative : La ballade de Nicolas Jones est constitué d'une série de rétrospections (l'enfance, l'adolescence, la vingtaine, les filles fréquentées ou frôlées, la mort du père, etc.), d'une série d'introspections (Jones qui s'analyse et analyse sa vie, sans en tirer grand-chose de positif) et d'actions au présent (une minorité). Les frontières entre ces différentes trames ne sont toutefois pas clairement définies. Parfois, dans un même paragraphe, on passe allègrement d'une trame à l'autre, particulièrement lorsque Jones narre à la première personne.
Certaines transitions temporelles ressemblent à celle-ci: « Les obsèques sont terminées, mais leur ambiance me suit comme une traîne lorsqu'un bouledogue de plâtre sur un terrain résidentiel me renvoie loin derrière, à mon premier refuge après que j'eus brisé la laisse des parents. » (183)
D'autres sont cependant moins évidentes et il faut parfois plusieurs lignes pour savoir s'il est question du présent ou du passé, de l'enfance ou de l'adolescence, de Brigitte ou de Marie-Sarah.
VI – AUTRE EXTRAIT
« Que je finirais pas payer pour ma peur bleue d'aller au front, que je ne pouvais tracer ma voie en marchant sur des œufs, je le savais, mais j'attendais déjà, il me semble, qu'on me tende une perche ou un sens. » (185)