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JOUVE, Vincent, L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses universitaires de France, 1992, 271 p.
Avant-propos
Résume les études précédentes sur la notion de personnage - met en lumière les impasses de l'immanence. Formalisme, structuralisme, sémiotique (Greimas, mais aussi Hamon); Jouve fait peu de nuances. Son objet d'étude : repenser la question du personnage à travers la lecture. À la question de savoir ce qu'est un personnage doit se succéder cette autre : qu'advient-il de lui dans la lecture ? Comment et à quelles fins le lecteur l'appréhende-t-il ? Notre vision d'une personnage dépend d'abord (avant son portrait physique et moral) de la façon dont il nous est présenté par le texte. Il n'est pas de roman sans personnage. Méthodologie : personnage en tant que figure anthropomorphe (extra-terrestre, oui, billet de banque, non); romans « de qualité » ou non (ceux-ci sont les plus lus, ils ne faut pas les exclure); première lecture (naïve, qui se conforme au déroulement linéaire du récit).
3 parties : Perception (analyse de la représentation qui supporte le personnage au cours de la lecture); Réception (examen des relations qui se nouent entre le lecteur et le personnage); Implication (phénoménologie de l'interaction lecteur/personnages et analyse des prolongements extratextuels qui en découlent).
Perception
Jouve s'intéresse à la caractérisation du personnage, forcément incomplète (quelle serait la limite pour une caractérisation complète?), et dont au moins une propriété du personnage peut être reliée au monde réel. Autrement, le personnage serait inassimilable pour le lecteur. Le texte et le lecteur ont chacun leur part dans la caractérisation. Celle du texte : présence/absence de caractéristiques, manières de les énoncer; celle du lecteur : pallie l'incomplétude du texte en construisant l'unité de chaque personnage. Principe de l'écart minimal(Marie-Laure Ryan) : en l'absence de prescription contraire, le lecteur attribue au personnage les propriétés qu'il aurait dans le monde de son expérience.
Le personnage n'est jamais le produit d'une perception mais toujours d'une représentation; le lecteur construit une « image mentale » du personnage. Le texte en est le matériau de base, mais cette image produit du « hors-texte ». Le portrait du personnage tel qu'il est construit progressivement dans la lecture est tributaire de la compétence extra-textuelle et intertextuelle du lecteur. C'est donc un jeu de balancier entre la détermination textuelle (personnage peu ou très caractérisé), la progression linéaire du roman et la créativité du lecteur qui module l'image-personnage. (Le narrateur-je serait le personnage le moins déterminé qui soit et permettrait une grande identification de la part du lecteur.) Perçu simultanément à travers des structures narratives, génériques et discursives.
Le personnage est conditionné par sa place dans la structure actantielle du récit, mais ne s'y limite pas; il est à l'origine de l'action narrative.
Ontologie : Jouve distingue les personnages ayant un modèle dans le monde extérieur des personnages « surnuméraires », sans correspondant dans la réalité. Mais le personnage n'est ni complètement réel (reste une création), ni complètement irréel.
Grille d'analyse, basée sur la théorie de Pavel :
Examen des frontières du personnage à travers 1) sa parenté avec des figures mythiques 2) la mise en évidence de son caractère fictionnel (l'importance ontologique que le narrateur lui concède) 3) son degré de réalité (certain, probable, possible).
Examen de la distance qui sépare le monde fictionnel du monde du lecteur à travers 1) l'éloignement culturel 2) la tonalité (style, écriture distante) 3) lisibilité (personnage plus ou moins facile à situer)
Examen de la densité référentielle du personnage 1) ouverture des personnages aux données extra-textuelles 2) orchestration narrative simple ou complexe 3) rapport entre récit (mode diégétique) et scènes (mimétique) 4) finalité narrative plus ou moins forte (plus elle est forte, plus grande sera la densité).
Examen de l'incomplétude du personnage : soulignée par des procédés antimimétiques ou compensée par 1) des procédés mimétiques 2) l'intégration à un mythe de la complétude.
Le pouvoir, le vouloir et le savoir sont des modalités qui orientent, en dessinant des isotopies, le devenir des personnages.
Réception
La représentation, construite et reconstruite à partir du texte, comment le lecteur la reçoit-elle?
Trois régimes de lecture (trois parts d'un même lecteur), modulés à partir de la théorie de Picard, La lecture comme jeu.
Lectant : Tout texte est d'abord une construction; c'est ce que garde toujours à l'esprit le lectant. Se dédouble en lectant-jouant (qui s'essaye à deviner la stratégie narrative du romancier) et lectant-interprétant (qui vise à déchiffrer le sens global de l'oeuvre). Les littératures modernes, métafictives, plus que les littératures classiques, s'adressent au lectant. Considère le personnage comme un pion. L'effet-personnel. Tenter de prévoir comment le personnage évoluera; s'attendre à un type de traitement narratif selon l'auteur et le genre. Lire c'est aussi élucider : tenter de comprendre, l'instinct interprétatif de tout lecteur. Personnage comme indice et support d'un projet sémantique inféré par le lecteur.
Lisant : La part du lecteur victime de l'illusion romanesque. Le lecteur est en perpétuel clivage : il croit et ne croit pas en même temps, privilégiant une position plutôt qu'une autre selon les oeuvres, selon les passages d'une même oeuvre. L'effet-personne, personnage reçu par le lecteur comme une personne, effet de vie. Repose sur des procédures bien définies : onomastique, richesse psychique du personnage, déterminations modales (pouvoir, savoir, vouloir) qui donnent une dimension humaine au héros, logique narrative. Caractère fondamental de la modalité volitive : le vouloir transforme le personnage en sujet-actant orienté vers un but. Structure de suspense et illusion d'autonomie.
Personnage comme objet d'investissements affectifs du lecteur. Le système de sympathie envers un personnage repose sur la participation du lecteur orientée et déterminée par le montage textuel. Reprise de la théorie modale de Greimas : le parcours narratif est déclenché par un actant-opérateur dont le vouloir instaurant un programme, détermine les actions et l'enchaînement de l'histoire. La suite se présente comme suit : vouloir vers savoir vers pouvoir aboutit au faire.
Pour la lecture : savoir vers vouloir vers pouvoir aboutit au faire (participation du lecteur). Le savoir du lecteur repose sur 1) le faire des personnages, qui équivaut au code narratif 2) l'être des personnages, qui équivaut au code affectif et 3) la distinction culturelle et subjective entre le bien et le mal, qui équivaut au code culturel.
L'identité du personnage se ramènerait à celle des rapports entre qualifications et fonction. Il y a redondance parfaite (permanence du personnage dans son être) ou décalage. Les personnages pourraient donc se répartir en types (pouvoir-faire ou qualifications = vouloir-faire ou fonction), caractère (pouvoir-faire = vouloir-faire mais conscient de sa fonction (savoir)), individu (pouvoir-faire n'égale pas le vouloir-faire) et personne (pouvoir-faire n'égale pas le vouloir-faire et conscient de sa fonction (savoir)).
Lu : La part du lecteur qui satisfait, par la lecture, certaines pulsions inconscientes. Curiosité, mélancolie, voyeurisme. L'effet-prétexte. L'être romanesque n'intéresse plus comme tel mais comme élément d'une scène. Le lecteur est confronté à ses propres pulsions. 3 formes de la libido : sciendi; sentiendi; dominandi.