Notice bibliographique : ASSOULINE, Pierre, Double vie, Paris, Gallimard, 2001, 212 p.
Résumé de l’œuvre :
Rémi est un homme marié à Marie, une avocate spécialisée en droits de la famille, et père de deux enfants. Or, il est aussi l'amant de Victoria, une femme fascinante rencontrée dans une soirée. Les amants se sont donné des règles strictes afin que leurs deux vies restent bien séparées. Toutefois, quand Victoria disparaît soudainement, le poids du secret devient écrasant pour Rémi. Obsédé par l'idée qu'une enquête sur la disparition de la femme remontera immanquablement jusqu'à lui et dévoilera au monde sa double vie, il fouille tous les lieux qu'ils ont fréquentés pour effacer leurs traces. Durant la même période, Marie mène un procès opposant un mari et sa femme. Les techniques à l'éthique douteuse qu'utilise son épouse poussent Rémi encore plus profondément dans sa paranoïa : que sait-on de ce que les autres savent de nous ?
Narration : extradiégétique, hétérodiégétique
Explication : Le narrateur ne se manifeste jamais dans le récit. La focalisation sur Rémi est constante.
Personnage(s) en rupture : Rémi
A) Nature de la rupture :interprétative, actionnelle
Explication : Écrasé par le poids de son secret, Rémi Laredo devient vite obsédé par ce que les autres savent de lui. Sa paranoïa le mène à interpréter certains signes et certains comportements de façon erronée. Ces interprétations le font réagir de toutes sortes de manières : en s'isolant à l'intérieur de lui-même durant des soupers mondains, en provoquant les gens, en retraçant ses propres faits et gestes datant de sa liaison avec Victoria.
B) Origine de la rupture : mondaine
Explication : Rémi est présenté comme un marginal, un homme qui a de la difficulté à s'intégrer à son époque. Cette marginalité s'accentue car le protagoniste est obsédé par l'idée que les gens pourraient connaître sa liaison avec Victoria. C'est alors l'impression d'être sans cesse épié, analysé, qui pousse Rémi à se couper du monde. L'acouphène qui l'afflige dure aussi tout le temps que dure son obsession pour le secret.
C) Manifestations : cognitives
Explication : bien que Rémi pose parfois des gestes irrationnels ou impulsifs, les principales manifestations de sa rupture au monde sont cognitives : il s'évade dans ses pensées, extrapole sur des détails de la vie quotidienne, etc. En société, il agit comme un automate (voir la troisième citation, point F). Suite à la disparition de sa maîtresse, son pilote automatique semble moins bien fonctionner tant les hypothèses et les craintes le tourmentent.
D) Objets : ...
Explication :
E) Manifestations spatiales :
Lieux représentés : Un stationnement souterrain, un appartement au septième étage, quelques quartiers bourgeois de Paris, des grottes, le Palais de Justice, l'Institut où travaille Rémi.
Explication : La rupture du personnage avec la société de son époque est représentée par l'opposition récurrente entre les milieux bourgeois parisiens et les souterrains. Spécialiste des peintures rupestres, Rémi est plus en paix dans les endroits sombres et vides. À cet amour des lieux clos, hors du temps, s'oppose son aversion profonde pour les réceptions bourgeoises et pour le monde des affaires et de la justice.
De plus, chaque type de lieux correspond à un pan de sa double vie : alors que les souterrains lui permettent de voir Victoria en sécurité, les quartiers de Paris, eux, pleins de monde, truffés de caméras et d'agents de sécurité, mettent leur secret constamment en danger. Cette opposition tend à s'amoindrir à mesure que la paranoïa s'empare de Rémi. Il ne lui reste alors que les grottes où se retrancher; il ne le fait toutefois qu'en imagination.
F) Citations pertinentes :
p. 13 (incipit) : « À peine eut-il pénétré dans le souterrain qu'il se sentait dans sa bulle. Soudain il respirait, là où d'ordinaire tant d'autres étouffent, à croire qu'il ne souffrait de claustrophobie qu'au grand air. Au rez-de chaussée il se sentait déjà pris de vertige. Rien ne lui donnait de l'assurance comme de se soustraire à la lumière du grand jour. Il s'épanouissait dans les entrailles de la ville mieux que nulle part ailleurs. Non pas hors du monde, mais hors de vue. Échapper aux regards, se dérober aux jugements, s'absenter de la société, c'était cela qui, par moments, lui importait plus que tout. »
p. 30 : « Quand la porte s'ouvrit, il hésita avant de franchir le seuil tant il avait conscience d'abandonner le sous-sol pour les hauteurs, l'univers des ténèbres pour le monde des halogènes, le noir pour le blanc. Il se scindait en deux, l'un congédiant l'autre, en attendant de se resouder. »
p. 35 : « Rémi embrassa son fils sur le front et l'envoya se rasseoir. Assez lucide pour comprendre que la crise couvait, il jugea impératif de revenir parmi eux, bien qu'il eut préféré rester quelque part dans l'inachevé. Dans ces moments-là, Rémi se branchait sur son pilote automatique. Cette indispensable machine à débiter des lieux communs lui permettait de s'accommoder de la société dans ce qu'elle a de plus futile en donnant l'illusion de s'y intégrer. Sauf que ce soir-là l'épreuve lui sembla insurmontable. »
p. 38 : « Chez lui, il était tenu à l'écart, tel un diablotin comique dans les marges d'un livre d'heures. Il n,en allait pas autrement dans son milieu ; on l'y considérait comme un excentrique, sans songer un seul instant à quel point c'était vrai. Ne se faisait-il pas régulièrement expulsé du centre vers la périphérie ? […] Mais plus on pointait son originalité, plus il se murait dans son exil intérieur. Non celui d'un solitaire, mais celui d'un esseulé. »
p. 60 : « Rémi en [sa femme Marie, bourgeoise conformiste et prospère] était le négatif. Son existence ne se déroulait pas hors du monde mais dans ses marges. À la réflexion, il apparaissait moins comme un marginal que comme un irrégulier. Non conformiste plutôt qu'anticonformiste. On l'avait toujours connu ainsi. À croire que sa vie avait fait un pas de côté à la naissance. Le fait est qu'en toutes choses il passait pour l'homme du petit écart. »