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Viorel-Dragos Moraru (2009),« La littérature face à la mondialisation »

dans René Audet (dir.), Enjeux du contemporain, Québec, Nota Bene, p. 219-234

Note : Je ne retiens ici que ce qui est pertinent pour la réflexion sur les « étiquettes ». Pour un résumé, je recopie plus bas la partie de la fiche de lecture qu’O.Dufault avait faite pour cet ouvrage.

I- OBSERVATIONS SUR LE « CONTEMPORAIN »

Comparaison entre les historiens et les « historiens du présent » :

« L’historien du contemporain semble plus téméraire, parce qu’il se refuse une clôture : la période qu’il isole n’est pas achevée. Si l’on regarde plus attentivement, l’on observera tout de même qu’il est obligé de mettre un terme à la “contemporanéité” et que ce terme est dicté par le moment où l’historien doit remettre son travail à l’éditeur. […] Ensuite, à l’intérieur même de la période analysée, l’historien veut définir les “lignes de force”, et c’est d’habitude à l’intérieur du contemporain qu’elles sont le plus difficile à discerner. » (2009 : 219)

Reconnaître le « début » du contemporain (nouvelle période) :

« Et la condition nécessaire et suffisante pour qu’une nouvelle période soit reconnaissable par l’historien de la littérature est que des agents du champ littéraire veuillent opérer des changements dans leur rapport à l’écriture. Bien sûr que l’ancienne période semblera demeurer dans années durant malgré la proclamation d’une nouvelle période : le début de l’une n’entraîne pas nécessairement la fin de l’autre. Nulle époque ne commence, d’ailleurs, à une date exacte. Mais l’historien (de la littérature) délivre des actes de naissance symboliques. » (2009 : 220)

Moraru pose l’hypothèse d’une nouvelle période de l’histoire littéraire, qui aurait « commencé vers la fin du “contemporain” détaché par Viart et d’autres critiques français » et « apparue de concert avec ce qui se passe dans d’autres littératures, précisément parce que son trait principal est d’être le fruit de la mondialisation. » (2009 : 220-221)

Il en donnera quelques traits, mais je retiens ceux-ci : - « Mais si la postmodernité a ruiné la confiance dans une culture transmise par la tradition, de quelle boussole l’homme actuel se servira-t-il? Eh bien, le cadre de référence spatio-temporel éclaté, la boussole des grands récits rejetée, l’homme d’aujourd’hui s’oriente, soit en l’acceptant, soit en s’en méfiant, ou bien en l’ignorant, à l’aide d’une culture mondialisée, c’est-à-dire à l’aide d’un hybride à traits globaux et locaux. » (2009 : 221-222) - « La mort du grand écrivain que Henri Raczymow (1994 :156-157) impute à cette démocratisation, n’était que la suite naturelle du changement de la vision hiérarchique en une vision hétérarchique de la littérature contemporaine. » (2009 : 227)

Caractéristiques du contemporain en France (autour de 1980) :

- 1976 : Foucault annonce déjà la disparition du grand écrivain (« Vers 1980, la mort d’une période semble encore plus sûre. », p. 228) - 1980 : Constat sévère de Pierre Nora dans Débat : « les modèles intellectuels des décennies antérieures sont dépassés et n’ont rien à dire au nouveau public. » (la formulation est de Moraru, p. 228; référence : « Que pensent les intellectuels? », Le Débat, no1, p. 3-19) [note : la biblio donne 1980 et le corps de l’article 1990] - 1980 : Philippe Sollers déclare : « C’est devenu académique, l’avant-garde, vous comprenez » (dans « On n’a encore rien vu », Tel Quel, no 85, 1980, p. 9-31) - 1982 : Fin de Tel Quel en 1982, mais début de la parution de L’Infini chez Denoël, puis chez Gallimard. « Ce titre, qui a une résonnance métaphysique, semble prendre le contre-pied du positivisme sous-jacent à Tel Quel. Il suggère (1983) un rejet de la théorie totalisante (“la pensée de l’infini contre celle du Tout”). L’on se souviendra que Alain Robbe-Grillet appelait Jean-Paul Sartre le “dernier penseur de la totalité” (1984 : 67) - 1982 : colloque à New York de « nouveaux romanciers », dont plusieurs dénoncent le « terrorisme » de Jean Ricardou et réclament le droit à la représentation. - « Les choses se muent en même temps en poésie, surtout à partir de la fondation par Miche Deguy de la revue Po&sie en 1977 » (228)

Concept de l’ « Extrême contemporain » :

- 1986 : « En 1986, Michel Chaillou y lance l’idée d’“extrême contemporain”, vu comme “marché aux puces de la modernité” (Po&sie, 1987 : 6), où l’idée moderniste de progrès est remplacée par le sentiment d’une limite. » (228) - « Plusieurs se réclament de “l’extrême contemporain” (Denis Roche, Chaillou, Michel Deguy, Jacques Roubaud, Florence Delay, Natacha Michel), ils se regroupent en 1989 sous l’égide de la collection “Fiction & cie” et publient en 1990 un recueil, L’Hexaméron, il y a prose et prose, censé repenser le rapport à l’écriture. » (228) [note : ne dit-on pas qu’il n’y a plus de regroupements et plus de manifestes à cette période??] - « Presque en même temps, Sollers revient à la narration de forme traditionnelle, se présente comme un “joueur” (Portrait du joueur, 1984) et, réagissant contre certaines tendances “dépressives” de son temps, il devient “l’emblème même de l’écrivain postmoderne, brillant, éclectique, désabusé, profitant d’un système qu’en même temps il dénonce” (Tonnet-Lacroix, 2003 : 272). » (228-229)

Ces phénomènes (si je comprends bien Moraru) seraient du « contemporain ». Le nouveau, serait ce qui vient « après », en réaction à ça : « Depuis peu, il y a des écrivains plus jeunes qui critiquent la société postmoderne comme si elle n’était pas la leur, mais une création de la génération précédente. Bien qu’il ne s’agisse pas de groupes organisés, il n’est pas difficile de reconnaître aujourd’hui une sorte de nouvelle vague (l’on se méfiera du terme d’avant-garde) qui a commencé à publier pendant les années 1990 et qui se caractérise par une critique de la société postmoderne et de la revitalisation des valeurs qu’elle a instaurée : Michel Houellebecq et Pierre Jourde en France, Irvine Welsh et le mouvement théâtre In-yer-face en Angleterre, Douglas Coupland, David Foster Wallace, William Vollmann et d’autres en Amérique du Nord. » (229) Le paragraphe suivant donne d’autres précisions, notamment de nombreux manifestes à travers le monde.

RÉSUMÉ TIRÉ DE LA FICHE FAITE PAR OLIVIER DUFAULT :

C’est à une réflexion d’ordre historique − sur le contemporain, en l’occurrence la littérature contemporaine, sur l’extrême-contemporain, sur la postmodernité, sur la post-postmodernité (ou hyper-modernité) − que nous invite Moraru.

Selon son hypothèse, qu’il ne commente qu’après plusieurs pages, la postmodernité serait finie (il y aurait encore des représentants mais d’autres groupes de sous-champs littéraires − groupes qui, reconnus, permettent de faire l’histoire littéraire du présent − permettraient de postuler cette hypothèse). (« Bien sûr que l’ancienne période semblera demeurer des années durant malgré la proclamation d’une période nouvelle : le début de l’une n’entraîne pas nécessairement la disparition de l’autre. » (220))

Son introduction a pour sujet la difficulté de toute histoire (littéraire ou pas) au présent. Ce qui distinguerait, surtout, les écrivains des avant-gardes modernes et les écrivains postmodernes serait les groupes : il y en a (accompagnés de manifestes, de revues, etc.) chez les modernes, tandis que chez les postmodernes, non : « Cette deuxième figure est celle d’un écrivain […] qui ne songe pas à lancer des manifestes collectifs et qui ne combat pas l’écriture des « anciens », mais plutôt dialogue avec elle. » (220) Cette figure, avance Moraru, n’est pas, elle non plus, incontestée. D’un même élan, il affirme : « la condition nécessaire et suffisante pour qu’une nouvelle période soit reconnaissable par l’historien de la littérature est que des agents du champ littéraire veuillent opérer des changements dans leur rapport à l’écriture. » (220) Autrement dit, il faut qu’un nouveau sous-champ littéraire soit reconnaissable par la pratique (par la publication, par la formation de groupes ou au moins par des discours qui se recoupent…).

Son hypothèse : « je suggère qu’une nouvelle période de l’histoire littéraire a commencé vers la fin du « contemporain » détaché par Viart et d’autres critiques français et qu’elle est apparue de concert avec ce qui se passe dans d’autres littératures, précisément parce que son trait principal est celui d’être le fruit de la mondialisation. » (220-221)

Moraru se lance ensuite dans une partie plus générale qui parle du concept ou phénomène de mondialisation − le monde devient plus petit et le temps s’accélère (sinon l’information circule plus rapidement).

Avec la mondialisation postmoderne, il y a la disparition de la tradition, des grands récits culturels. La culture mondialisée devient donc un « hybride de traits globaux et locaux ». (222) En gros, continue Moraru, deux tendances culturelles (littéraires) se dessinent maintenant (car la culture locale circule globalement et, surtout, la culture globale devient illisible pour certaines cultures locales (texte sans contexte)) : le récit neutre (world fiction) et l’exotisme. Moraru poursuit dans la partie suivante en soulignant le « paradoxe fondamental de la mondialisation qui fait que, avec la constitution d’une culture globale, s’accentue la diversité culturelle. » (224) Cette diversité exacerbée produit une société plus fragmentée en cultures sous-cultures (Moraru préfère polyculturel à multiculturel pour définir les sociétés), voire en sous-sous-cultures ou sous-sous-champs sociologiques (par exemple, une littérature africaine américaine gay).

Moraru en vient à parler de hétérarchie et non plus de hiérarchie, ce qui lui permet de réintégrer en histoire littéraire le groupe, de génération, qui permettent le discours historique… Où ça devient vraiment intéressant pour nous : « Depuis peu, il y a des écrivains plus jeunes qui critiquent la société postmoderne comme si elle n’était pas la leur, mais une création de la génération précédente. Bien qu’il ne s’agisse pas de groupes organisés, il n’est pas difficile de reconnaître aujourd’hui une sorte de nouvelle vague […] qui a commencé à publier pendant les années 1990 et qui se caractérise par une critique de la société postmoderne et de la relativisation des valeurs qu’elle a instaurée […] » (229) (Houellebecq, Pierre Jourde, Irvine Welsh, Douglas Copland, David Foster Wallace, William Vollaman…)

« L’écrivain combattant ré-émerge, en partie peut-être grâce à la préservation de la figure de l’auteur, naguère contestée, mais qui connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse […]. » (229)

Conclusion : « Je pense qu’une grande partie du discours actuel sur la postmodernité que nous vivons décrit, en réalité, une période qui a succédé à la postmodernité […]. Une période qui garde beaucoup des caractéristiques de la postmodernité, mais qui devra peut-être s’appeler l’ère globale et que […] Lipovetsky [2004] désigne par le terme de temps hypermodernes. […] Des écrivains ont formé un groupe, comme autrefois, en augmentant la fragmentation du champ littéraire ; ou des individus ont simplement décidé de rompre avec la période précédente […]. » (231)

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