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fq-equipe:rapport_de_recherche_1_-_decembre_2007

====== REPÉRAGE ET BILAN DU DISCOURS CRITIQUE SUR LE CONTEMPORAIN AU QUÉBEC ======

Manon Auger

RAPPORT DE MI-RECHERCHE (décembre 2008)

ÉTAPE PRÉLIMINAIRE :

A) Définition du travail de recherche

Considérant que la tâche qui m’était assignée dans le p.v. de l’équipe de recherche ne comportait qu’un énoncé sans description (« repérage et bilan du discours critique sur le contemporain au Québec »), une étape préliminaire de définition du travail de recherche a été nécessaire.

Après discussion avec Robert Dion, il a été convenu que, de façon générale, ma tâche consisterait : En une sorte de métalecture du discours critique sur le contemporain. Plus précisément, l’objet de me recherche est non pas le propos des critiques (ex: ce qu'ils disent sur telle oeuvre, tel courant, etc.), mais bien comment (par une rhétorique particulière, une méthodologie ciblée, etc.), les critiques construisent un métadiscours sur la littérature contemporaine de manière à rendre celle-ci plus lisible et intelligible dans son ensemble. Autrement dit, il s’agit pour moi de voir comment la critique elle-même contribue, à travers des voi(x)(es) particulières, à « créer » le contemporain ; comment, en en proposant une interprétation, elle en conditionne l'émergence et la réception.

De façon plus concrète, nous avons convenu que ma tâche consisterait : - En l’établissement d’une bibliographie générale regroupant les principaux livres et articles critiques sur la littérature contemporaine au Québec (le discours de critiques québécois sur des auteurs québécois). Il a été entendu que, tel que mentionné dans le projet de recherche, l’attention serait portée aux œuvres publiées depuis 1980. - En la lecture et à l’analyse de ces titres (la forme que devant prendre l’analyse globale étant à déterminer ultérieurement).

B) Discussion avec Viviane Asselin

De plus, tel que demandé par le p.v., j’ai communiqué avec Viviane Asselin afin d’éviter que nos recherches se recoupent. Lui ayant expliqué en quoi consistait ma tâche (objectifs et lectures), elle m’a répondu que sa tâche consistait : « En un déblayage, aussi bien dans la réception immédiate que dans le discours scientifique, pour identifier les tendances romanesques au Québec depuis 1990. Parle-t-on de travail de la mémoire ? D'esthétique minimaliste ? D'hyperréalisme ? Etc. Autrement dit, il lui faut élaborer une synthèse de l'état du discours immédiat sur la pratique narrative au Québec, comme cela se fait de façon plus systématique en France. D'ailleurs, elle pourrait éventuellement être amenée à comparer ces deux littératures nationales. » En d’autres termes, son travail n’a pas les mêmes objectifs que le mien, puisqu’il s’agit pour elle : « D’observer le propos des critiques sur les oeuvres, en portant une attention particulière aux «courants», aux pratiques communes qui semblent se dessiner aujourd'hui. »

Cependant, puisque nous sommes appelées à consulter les mêmes ouvrages, nous avons convenu qu’il serait profitable que, éventuellement, nous échangions sur l’état de nos recherches.

PREMIERES ETAPES DE RECHERCHE :

A) Établissement du corpus

Pour les besoins de la recherche, j’ai établi (en partie à partir du projet FQRSC) une bibliographie sommaire, à laquelle pourrait se joindre d’autres titres au fur et à mesure.

Bibliographie sommaire

ALLARD, Jacques (1997) : le Roman mauve : microlectures de la fiction récente au Québec, Montréal, Québec/Amérique.

(2000) : le Roman du Québec : histoire, perspectives, lectures, Montréal, Québec/Amérique.

AUDET, René et Andrée MERCIER (dir.) (2004) : la Narrativité contemporaine au Québec. 1. La littérature et ses enjeux narratifs, Qué¬bec, Presses de l’Université Laval.

BIRON, Michel, François DUMONT et Élisabeth NARDOUT-LAFARGE (Dir.) (2007), « Cinquième partie : Le décentrement de la littérature (depuis 1980) », dans Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal, p. 529-626.

DÉCARIE, Isabelle, Brigitte FAIVRE-DUBOZ et Éric TRUDEL (dir.) (2003) : Accessoires. La lit¬té¬ra¬ture à l’épreuve du dérisoire, Québec, Éditions Nota bene.

DION, Robert (1997) : le Moment critique de la fiction. Les interprétations de la littérature que pro¬po¬sent les fictions québécoises contemporaines, Québec, Nuit blanche Éditeur (coll. « Es¬sais critiques »).

GALLAYS, François, Sylvain SIMARD et Robert VIGNEAULT (dir.) (1992), Le roman québécois contemporain, 1960-1985, Montréal, Fides. (Coll. « Archives des lettres canadiennes », tome 8.)

GAUVIN, Lise et Franca MARCATO-FALZONI (dir.) (1992), L’âge de la prose. Romans et récits québécois des années 1980, Rome/Montréal, Bulzoni/VLB.

HAMEL, Réginald (dir.) (1997), Panorama de la littérature québécoise contemporaine, Montréal, Guérin.

HAREL, Simon (1989), Le voleur de parcours : identité et cosmopolitisme dans la littérature québécoise contemporaine, préface de René Major, Longueil, Le Préambule. (coll. « L’univers des discours »).

HAREL, Simon (2006) : Braconnages identitaires : un Québec palimpseste, Montréal, VLB Éditeur.

HUGLO, Marie-Pascale et Sarah ROCHEVILLE (dir.) (2004) : Raconter? Les enjeux de la voix nar¬ra¬tive dans le récit contemporain, Paris, l’Harmattan. ( ??)

KYLOUŠEK, Petr, Max ROY et Józef KWATERKO (dir.) (2006), Imaginaire du roman québécois contemporain, Actes du colloque Brno, 11-15 mai 2005, Brno/Montréal, Masarykova univerzita/Université du Québec à Montréal.

NEPVEU, Pierre (1999 [1988]), L’écologie du réel : Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine, essai, Montréal, Boréal Compact.

« Section roman », Voix et Images, depuis 1980.

B) Lecture du corpus

Me retrouvant devant un corpus assez considérable et assez disparate (ces ouvrages abordent tous de façon très différentes la littérature contemporaine), j’y suis tout d’abord allée quelque peu à tâtons, privilégiant toutefois non pas une lecture chronologique, mais une lecture aléatoire entre ce qui m’apparaissait déjà être des « périodes » différentes pour la critique (soit, environ 1985-1994 / 1995-2001 / 2002-2008). Mes trois premières lectures ont donc été, dans l’ordre : 1) NEPVEU, Pierre (1999 [1988]), L’écologie du réel : Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine, essai. 2) DION, Robert (1997) : le Moment critique de la fiction. Les interprétations de la littérature que pro¬po¬sent les fictions québécoises contemporaines 3) BIRON, Michel, François DUMONT et Élisabeth NARDOUT-LAFARGE (Dir.) (2007), « Cinquième partie : Le décentrement de la littérature (depuis 1980) », dans Histoire de la littérature québécoise

Comme il s’agissait pour moi d’un premier survol, j’ai fait pour chacun de ces titres de brèves fiches de lecture permettant d’identifier le propos de chacun, sa méthodologie, ainsi que les conclusions générales. (Je note que ces fiches sont plus ou moins utilisables pour un tiers.)

Le choix de mes lectures suivantes a été motivé par le même principe, soit trois ouvrages des trois « décennies » : 1) HAREL, Simon (1989), Le voleur de parcours : identité et cosmopolitisme dans la littérature québécoise contemporaine. 2) HAMEL, Réginald (dir.) (1997), Panorama de la littérature québécoise contemporaine. (note 1) 3) AUDET, René et Andrée MERCIER (dir.) (2004) : la Narrativité contemporaine au Québec. 1. La littérature et ses enjeux narratifs.

À ce stade, certaines configurations semblent déjà se dessiner. Les fiches de lecture de ces ouvrages comportent donc, outre les éléments mentionnés précédemment, des notes diverses et des hypothèses de lecture (voir la section « bilan provisoire »).

Pour la poursuite du travail, j’envisage procéder de façon semblable. Mes lectures suivantes devraient être :

1) GAUVIN, Lise et Franca MARCATO-FALZONI (dir.) (1992), L’âge de la prose. Romans et récits québécois des années 1980. 2) ALLARD, Jacques (1997) : le Roman mauve : microlectures de la fiction récente au Québec. 3) KYLOUŠEK, Petr, Max ROY et Józef KWATERKO (dir.) (2006), Imaginaire du roman québécois contemporain.

J’envisage également de commencer très bientôt la lecture de la section « Roman » dans la revue Voix et Images, depuis 1980, afin de voir comment le « discours immédiat » sur le contemporain est construit, comment il évolue selon les périodes mais aussi selon les auteurs successivement en charge de la section.

C) Bilan provisoire des premières lectures

Dans le mouvement de constitution d’un discours critique sur le contemporain, l’ouvrage de Nepveu (1988) semble faire figure de pionnier. Par sa vision avant-gardiste et son travail minutieux, Nepveu « annonce » en quelque sorte la littérature contemporaine (entendons pour notre part « d’après 1980 »), en dépit du fait qu’il soit, par sa proximité historique, évidemment incapable de mesurer concrètement ce qu’elle « sera » après 1988. Si pour Nepveu le « contemporain » recouvre la période de 1960 à 1988, il a cependant conscience du schisme que constitue le tournant de 1980 et le sentiment de « l’après » qui constituera l’essence de la conscience collective de la période.

L’intérêt de l’ouvrage de Nepveu est qu’il constitue non seulement une synthèse et une mise au point, mais aussi une sorte de « balayage » de la période passée (une « liquidation », si l’on peut dire, de la Révolution tranquille). Concrètement, Nepveu tente de voir comment la littérature et les idéaux de la Révolution tranquille, principalement à travers les figures qui l’ont hanté, préparent le terrain à de nouvelles formes et de nouvelles incarnations de et dans la littérature contemporaine. Il propose ainsi une synthèse et une réflexion sur la période contemporaine en expliquant son avènement dans une continuité historique et esthétique. En d’autres termes – et pour le paraphraser, l’auteur tente de faire le point au moment où cette littérature contemporaine « apparaît », « meurt » et « naît ». Déjà, Nepveu annonce le triomphe de la prose sur la poésie, l’importance de la figure de Jacques Poulin et la force symbolique et esthétique de l’écriture migrante (entendue dans son sens large : « mouvement culturel pour lequel, justement, le métissage, l’hybridation, le pluriel, le déracinement sont des modes privilégiés, comme, sur le plan formel, le retour du narratif, des références autobiographiques, de la représentation. » - 202), trois « événements » qui seront perçus et commentés très souvent par la suite.

Publié seulement un an après L’écologie du réel, l’essai de Simon Harel (1989) ressemble et s’éloigne tout à la fois de celui de Nepveu. Il s’en éloigne parce qu’il est, d’un point de vue théorique et méthodologique, beaucoup moins synthétique, se concentrant sur un seul des aspects relevé par Nepveu (la force de l’écriture migrante entendu au sens du cosmopolitisme dans la littérature) et cela principalement à travers le genre romanesque. Par contre, les deux œuvres sont aisément comparables du point de vue historique et métacritique qui est le mien, puisqu’elles représentent un premier mouvement critique de configuration du contemporain par l’étude en continue de phénomènes qui annoncent une partie de la littérature à venir.


Mais, avant de poursuivre, une réflexion sur le terme de « contemporain » s’impose. Ce mot désignant toujours une réalité fluctuante selon l’énonciateur mais chaque fois bien légitime, il m’est malaisé, au cours de mes lectures, de charger ce terme de significations balisées. Par exemple, s’il me semble naturel de voir désigner la période s’étendant de 1980 à nos jours comme étant la période contemporaine (cela faisant consensus au moment où je porte un regard critique sur celle-ci), je me vois fortement obligée d’assouplir cette vision lorsque je lis un ouvrage comme celui d’Harel, cela afin de constater que, pour lui, l’idée d’une « littérature contemporaine » ne nécessite aucune explication particulière, qu’il s’agit simplement d’un concept que les critiques utilisent pour désigner ce qui est du même temps que soi. Cela pose déjà en soi un certain problème d’appréhension des textes critiques puisque le discours sur la « littérature contemporaine » émane chaque fois de corpus d’études différents (environ 30 ans tout dépendant de la situation de l’énonciateur) – sans pour autant que les commentateurs prennent la mesure de ce que cela signifie de faire une telle découpe temporelle.

Cependant, il n’est pas exclu que l’idée de « contemporain » au Québec soit tout de même marquée par une certaine prise de conscience et un effet de rupture très prononcé après 1980 – ce qui fait qu’on date maintenant le début de la littérature contemporaine en 1980, mais depuis quand exactement date-t-on la période depuis cette date ? Car on pourrait dès lors se poser la question à savoir si les commentateurs utilisent le terme simplement parce que cette littérature leur est « contemporaine » ou s’ils voient vraiment l’avènement d’une contemporanéité qui n’a pas encore trouvé de termes moins versatiles pour la désigner ? Petit fait intéressant : en faisant un survol des ouvrages critiques comportant le titre « littérature contemporaine » dans les catalogues de bibliothèque, je remarque que même des titres du 19e siècle emploient le terme, ce qui tend à confirmer que sa seule définition est « ce qui est du même temps que soi ». Cependant, tous ces ouvrages portent sur la littérature française, anglaise, russe, etc. Il me semble intéressant dès lors de poser la question : Quand voit-on l’épithète de « contemporain » apparaître au Québec ? (Note 2) Il se peut, bien sûr, que je pose des questions qui n’ont pas de réponses précises, mais il m’apparaît tout de même pertinent de les poser et de prendre la mesure des ambiguïtés qu’elles soulèvent, d’autant plus que toute réflexion métacritique doit tenir compte de ces paramètres.


L’étude du contemporain (quel qu’il soit), par la proximité historique de son commentateur, se pose souvent selon l’idée d’une « constitution », d’une « formation », d’un « mouvement », voire d’un « avènement ». Si je reprends l’idée que le « contemporain » peut avoir deux définitions différentes (1- ce qui nous est immédiat 2- une époque donnée qui s’étend d’une date déterminée à « nos jours »), force m’est de constater que, pour Nepveu et Harel, c’est la première définition qui prédomine, alors que les écrits critiques des années 2000 semblent employer la deuxième définition (NOTE 3). Le choix implicite (inconscient peut-être) a, sur le plan théorique et méthodologique, des répercussions différentes.

D’abord, dans la forme. Les premières tentatives de définition du corpus contemporain (entendons ici depuis 1980), soit celles de Nepveu et d’Harel, empruntent la forme de l’essai parce qu’elles témoignent de phénomènes qui leur sont immédiats. Ce faisant, les auteurs cherchent un langage pour décrire cette période, mais ils cherchent aussi, semble-t-il, à donner le ton du discours critique à venir sur cette période. En ce sens, ils auront une influence majeure sur les générations suivantes dans la définition et la compréhension du corpus contemporain, permettant à ces nouveaux discours critiques de prendre appui sur un discours déjà existant et d’émettre leurs commentaires avec beaucoup plus d’aplomb dans des formes de discours qui relèvent désormais du scientifique.

Ensuite, dans la façon de lire le contemporain. Pouvant difficilement cerner de façon globale les innovations ou les avant-gardes sur le plan strictement littéraire ou poétique (qui sont encore à venir), les études de Nepveu et d’Harel s’intéressent à une thématique d’ensemble de la littérature québécoise pour voir en quoi les œuvres contemporaines s’inscrivent en continuité ou en discontinuité avec ce qui, de ce point de vue, les précède. Par exemple, Harel, qui étudie la formation imaginaire de l’identité québécoise par le biais de la figure de l’étranger dans le roman, a choisi un corpus qui va des écrits du mouvement Partipris (années 1960) jusqu’aux romans des années 1980. Le choix de ce corpus lui permet de lire les œuvres des années 1980 à la fois dans une continuité (l’étranger y est toujours représenté) mais aussi dans une rupture (le passage à l’américanité et au métissage, l’Autre s’éloignant de l’Anglais) (NOTE 4). En généralisant, on peut affirmer que ces deux études ont une thématique commune, soit celle de l’identité québécoise à travers la littérature (spécifions, dans le cas de Nepveu, de l’identité de la littérature québécoise), mais qu’elles ont surtout en commun le fait de considérer leur période comme la naissance d’une nouvelle identité québécoise – qui se répercute (ou prend forme ?) dans la littérature. En cela, elles me semblent bien de leur époque, toute démarche critique d’une saisie d’ensemble de la littérature québécoise semblant mener à un questionnement sur l’identité québécoise. Ainsi, la façon de faire d’Harel (soit unir le texte et le social, faire du discours romanesques un allié de l’identité québécoise, ce qui fait que sa méthodologie pourrait être qualifiée de socio-psychanalytique) – que l’on retrouve sous une forme proche chez Nepveu – est sans doute fort représentative de son contexte ; je veux dire que, si à partir des années 1980, la littérature elle-même se détache du collectif (le projet national) pour investir l’individualité sous toutes ses formes, il n’est pas impossible que le discours critique marque quant à lui un certain retard en ne conférant une « autonomie » à la littérature qu’à partir du milieu des années 1990 (cela n’est bien sûr qu’une hypothèse).

La perspective et la démarche seront tout autres dans les ouvrages des « générations » suivantes, bien que cela ne se fasse évidemment pas de façon brusque, les ouvrages de la deuxième moitié des années 1990 marquant une sorte de pont entre l’esthétique critique de la fin des années 1980 et celle des années 2000. Par exemple, si la perspective de Dion (1997) rejoint celle d’Harel en ce sens où c’est l’étude d’un phénomène « isolé » (NOTE 5) qui permet de poser un regard d’ensemble sur la littérature contemporaine (dans ce cas-ci, « les interprétations de la littérature que proposent les fictions québécoises contemporaines » [NOTE 6]), elle s’en éloigne par un souci plus net de construire un regard théorique sur l’objet, regard théorique qui emprunte davantage à l’analyse du discours et aux théories épistémologiques, plus générales dans leur façon de lire et d’interpréter les œuvres, et s’éloignant donc de la perspective sociologique (NOTE 7). Par contre, les œuvres sont encore ici rassemblées parce qu’elles témoignent d’une époque, mais d’une époque de la littérature et de la culture, si je puis dire : « L’époque est au décloisonnement général, et c’est dans le fait que chaque œuvre propose une réponse à cette nouvelle donne culturelle et littéraire que mon corpus trouve sa cohérence. » (1997 : 618)

Remarquant lui aussi la réorientation esthétique qui s’opère à la fin des années 1970 (du nationalisme au pluralisme), Dion a une distance critique plus importante (bien qu’encore fragile) que celle qu’avait Nepveu et Harel, distance qui lui permet de se limiter à des œuvres postérieures à cette période décisive. Mais la différence la plus fondamentale de l’étude de Dion d’avec celles qui la précède est qu’elle tente de cerner non pas ce que la littérature québécoise a de particulier, mais bien comment elle s’inscrit dans un mouvement plus global de la littérature postmoderne.

En cela, cette étude rejoint celles des années 2000 (Audet et Mercier, 2004 / Biron, Dumont, Nardout-Lafarge, 2007) qui font cohabiter les considérations théoriques avec la lecture du corpus contemporain de manière à inscrire la littérature québécoise dans la littérature occidentale et d’en démontrer le caractère universel. Ainsi, à cette période, il ne s’agit plus de lire la production contemporaine dans une continuité (donc, par rapport à la production d’une époque antérieure), mais bien de façon transversale, par l’étude d’un phénomène particulier qui est représentatif de la période contemporaine, comme le fait de façon exemplaire La Narrativité contemporaine au Québec. En effet, dans ce collectif, la définition du corpus contemporain doit passer par une réflexion théorique sur l’usage du narratif et la façon de raconter dans les productions récentes. Il y a donc un important mouvement de balancier entre la théorie et le corpus : d’un côté, la perspective théorique permet de rendre compte du contemporain (« Cette attention portée à la narrativité des œuvres contemporaines permet d’en dresser un portrait global et transversal à partir des modulations du narratif dans les textes. » - 7) (NOTE 8) ; de l’autre, l’étude du corpus contemporain québécois permet des acquis sur le plan théorique – acquis qui sont profitables à l’ensemble de la littérature :

« Nous avons demandé à nos collaborateurs une réflexion sur le corpus actuel basée sur l’analyse d’œuvres exemplaires ; c’est dire que les études rassemblées ici ne visent pas tant à magnifier la singularité des textes qu’à contribuer à une meilleure compréhension de la place et de la fonction de la narrativité dans la littérature contemporaine. » (8)

Ainsi, chaque étude de La narrativité contemporaine au Québec comporte un volet descriptif et un volet théorique, le corpus québécois devenant à la fois exemplaire des courants majeurs au Québec et exemplaire du fonctionnement de la littérature contemporaine d’une façon générale.

Dans ce contexte, l’idée d’une littérature nationale, spécifiquement québécoise, semble devenue obsolète (NOTE 9). En ce sens, l’hypothèse de Nepveu, comme quoi la littérature québécoise est « morte » dès après sa naissance est corroborée en quelque sorte par le discours critique sur le contemporain. De même, la recherche d’une spécificité québécoise ne semble plus être pertinente dans ce contexte de mondialisation. La problématique québécoise s’inscrit ainsi de plus en plus dans une réflexion générale où le fait québécois ne se démarque plus de la production mondiale, mais, au contraire, en représente dignement les tendances.

Dans un autre ordre d’idée, le fait de considérer que la période contemporaine débute en 1980 instaure une distance relative permettant aux critiques des années 2000 de proposer – mais toujours avec prudence – des synthèses, des discours d’ensemble, des vues panoramiques. Cependant (conséquences de l’éclectisme actuel ou du manque de distance historique ?), les commentateurs se voient souvent obligés de multiplier les différents « portraits » de phénomènes littéraires (isolés ou non) puisque la production contemporaine, par son éclectisme et son décentrement, devient elle-même difficile à définir dans une vision totalisante :

« Qui dit pluralisme dit bien sûr un ensemble de voix singulières qui ne se laissent pas aisément réduire à des catégories ou à des courants comme ce pouvait être le cas dans les périodes antérieures. Toute synthèse paraît vouée à l’échec, tant les nuances d’écriture sont nombreuses. Comment rendre compte de l’éclatement contemporain sans tomber dans la simple énumération ? Comment parler en détail d’écrivains singuliers si aucun d’entre eux ne se démarque franchement, si l’effet dominant demeure “l’égalité des voix” dont parle André Brochu à propos de la poésie ? » (Biron, Dumont, Nardout-Lafarge, 2007 : 535)

Ces critiques choisiront donc d’adopter la même posture que le phénomène qu’ils décrivent ; le chapitre sur « Le décentrement de la littérature » propose plusieurs petits chapitres sur divers courants qui ne se recoupent ou ne se prolongent pas nécessairement, mais qui dessinent, selon les auteurs, certaines grandes lignes de force – celles-ci s’amalgamant essentiellement selon diverses logiques génériques.

En terminant, je tiens à souligner le fait que la figure de Jacques Poulin occupe une place exceptionnelle dans l’esprit des critiques en ce qui concerne la construction du contemporain. En effet, on lui accorde très souvent une place plus grande que tous les autres écrivains. C’est ce qui se produit, par exemple, dans le chapitre « Le roman en mode mineur » dans Histoire de la littérature québécoise ou l’œuvre de Poulin devient déterminante pour définir un courant de la littérature québécoise contemporaine, courant dans lequel s’inscriront d’autres écrivains mais qui seront d’abord situés par rapport à Poulin. C’est aussi ce qui se produit dans Le Voleur de parcours de Simon Harel où l’analyse de Volkswagen blues est la plus longue et la plus minutieuse - le roman étant analysé de façon autonome, puis les autres romans (dont celui de Jacques Godbout), comparé au premier.


Note 1: Titre en cours de dépouillement.

Note 2: Selon les quelques catalogues consultés rapidement, l’occurrence la plus ancienne remonte à 1977 avec une série de numéros de la revue Études françaises revue des lettres françaises et canadiennes-françaises Montréal. Les titres portent sur les divers genres littéraires et datent le contemporain de 1960 à 1977.

Note 3: À preuve, la synthèse proposée par Biron, Dumont et Nardout-Lafarge situe la période contemporaine « depuis 1980 » et que les auteurs insistent beaucoup sur le fait que le contemporain ne se bâtit pas tant avec l’avènement d’une nouvelle génération mais sur une nouvelle façon de penser, de dire et d’écrire qui caractérise la période et qui « contamine » tant les auteurs qui ont écrits dans les périodes précédentes que les nouveaux auteurs.

Note 4: « Il m’a semblé que dans cette littérature québécoise de “l’arrivée en ville” ou de l’extra-territorialité, la présence agissante, ou silencieuse, de l’étranger s’avérait particulièrement fascinante. De la thématique de l’aliénation propre aux écrits du mouvement Parti pris, sous-entendant la description d’une pathologie de l’univers urbain, aux textes d’Antonio D’Alfonso, Poulin, Godbout, Basile, Robin, Nepveu ou encore Gérard Étienne, une modification radicale des points de vue portés sur l’identité québécoise est perceptible. » (Harel, 1989 : 290, je souligne)

Note 5: Je n’entends pas l’expression « phénomène isolé » en tant qu’il s’agit d’une manifestation marginale dans l’ensemble de la production littéraire, mais bien en ce sens où l’étude privilégie l’analyse d’une composante des textes littéraires de la période, composante qui serait significative d’un phénomène littéraire plus large.

Note 6: Dion précise toutefois que le phénomène qui l’intéresse n’est pas une « poétique dominante » dans la littérature québécoise et ne serait pas non plus une production qu’il aurait isolée dans la littérature contemporaine. Par contre, il ne précise pas quelle est la place exacte de ce phénomène « passionnant qui consiste, pour la fiction, à produire un discours sur une autre œuvre littéraire, à en faire en quelque sorte la lecture critique » (Dion, 1997 : 12) dans l’ensemble de la littérature québécoise contemporaine. Il explique toutefois un peu plus loin que ce phénomène se retrouve dans plusieurs œuvres québécoises récentes, d’où son choix d’en faire une lecture critique (Dion, 1997 : 18).

Note 7: « Je m’intéresse à la littérature de fiction en ce qu’elle représente un point de vue sur la littérature, à la littérature en tant que foyer d’interprétation du corpus littéraire, ce qui revient en somme à la considérer tel un genre (de la) critique. » (Dion, 1997 : 12)

Note 8: Cependant, les directeurs ont conscience que cette façon de faire « oriente » le propos et souhaite donc inscrire leur ouvrage en complémentarité des autres réflexions sur le contemporain : « Combinant une perspective théorique à l’objectif de considérer l’ensemble de la littérature actuelle, le présent ouvrage constitue un panorama nettement orienté, qui vient compléter des initiatives voisines, certaines envisageant les enjeux contemporains d’une seule pratique générique, d’autres proposant un exposé des tendances associées aux principaux genres de la littérature actuelle. » (2004 : 8)

Note 9: L’article d’Elizabeth Haghebaert, qui porte sur les romans récents de Réjean Ducharme mais plus largement sur la figure de Ducharme dans la littérature québécoise, tend à renforcer cette hypothèse. En effet, l’auteure estime que Ducharme aurait non seulement « contribué à introduire la littérature québécoise dans une continuité littéraire “classique” » (2004 : 228) mais surtout « à faire de la littérature québécoise davantage une littérature contemporaine qu’une littérature nationale » (2004 : 229)

fq-equipe/rapport_de_recherche_1_-_decembre_2007.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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