Pan Bouyoucas, Cocorico, Montréal, XYZ éditeur (Romanichels), 2011, 140 p.
Pertinence : Bonne (quête)
Remarque sur l’oeuvre :
Il s’agit d’une quête abandonnée. Elle n’est cependant pas abandonnée volontairement par le personnage, celui-ci développe malgré lui une sénilité (Alzheimer) qui le rend finalement incapable d’écrire son dernier roman. Dans Cocorico, Léo Basilius cherche à tout prix l’idée géniale qui pourra lui permettre d’aborder les thèmes de la beauté et de la lumière ; ceci afin de s’éloigner de l’habituel polar et de prétendre à la postérité avant de mourir ou de dépérir. Son obsession pour son ouvrage, sa réclusion, ses hallucinations, ses ressassements d’idées, ainsi que les rumeurs qui circulent à son sujet, sont autant de signes manifestes de sa perte de raison. Le dénouement place le personnage de Léo en pamoison devant un coq qui chante ; impossible d’écrire à propos de ce chant, l’homme a oublié le chemin qu’il faut prendre pour retourner chez lui.
Résumé sur le site de l’éditeur :
Pourquoi le coq chante-t-il chaque matin? Cette question toute simple obsède Léo Basilius, un écrivain canadien venu chercher l’inspiration dans l’île grecque de Nysa. À soixante ans, il veut délaisser le polar, qui l’a rendu célèbre, pour écrire le chef-d’oeuvre qui lui conférera l’immortalité. Mais tous veulent le ramener au roman policier: des voisins, qui lui racontent leur vie en espérant qu’elle devienne le sujet de son prochain livre, sa femme, qui ne comprend pas pourquoi il s’entête à délaisser un genre dans lequel il excelle et surtout Vass Levonian, le sergent-détective vedette de ses romans qui le supplie de le sortir du coma où il l’a plongé à la fin du dernier polar et de lui faire résoudre un meurtre ou deux. Mais Leo Basilius fait fi de leurs discours. Le jour où une fillette lui pose une question sur la finalité du chant du coq, il croit avoir enfin trouvé l’élément déclencheur de son futur chef d’oeuvre.
Typologie de Ryan : simple
Modalités narratives :
Narration omnisciente. La narration expose sa neutralité dans sa façon de raconter en expliquant plutôt qu’en faisant ressentir ou en évoquant.
La figure de l’auteur :
Importance de la figure de l’auteur ; un romancier populaire accumule les polars et atteint le sommet de la gloire. Or, au seuil de la vieillesse, s’impose à lui le désir d’explorer une littérature plus humaniste, moins prévisible. Ce roman suggère une réflexion sur la valeur de la littérature de masse versus la littérature consacrée. Réflexion qui s’infiltre entre autres dans le dialogue fréquent entre l’auteur et son propre personnage (le policier fictif de ses polars) halluciné.
Extraits pertinents ou représentatifs:
« Basilius savait bien qu’il ne pourrait rédiger son roman en six mois. Il accepta néanmoins le délai que sa femme lui imposait. L’important était d’échapper à l’oeuvre à laquelle il avait voué trente années, de créer dans son esprit le levain d’un nouvel univers et jeter les bases de son prochain roman. S’il ne réussissait pas à faire cela en six mois, il ferait venir ses enfants et petits-enfants pour quelques jours, et Muriel et lui pourraient rester dans l’île encore six mois. » (p. 13)
« Il se retourna, sûr de voir sa femme. Il arrivait parfois à Muriel de se réveiller pendant la nuit et d’avoir du mal à retrouver le sommeil. Mais plutôt que sa femme, Basilius vit le sergent-détective Vass Levonian, sous les traits de Russel Crane, l’acteur américain qui l’avait incarné à trois reprises à l’écran. Levonian n’avait nullement l’air du comateux que Basilius avait laissé à la fin de son dernier roman, encerclé d’appareils et de tubes qui contrôlaient ses signes vitaux, l’aidaient à respirer et l’alimentaient. L’inspecteur avait sa tronche et son air grognon habituels. » (p. 16-17)
« C’était l’une des raisons pour lesquelles Basilius avait décidé d’abandonner la littérature policière. Il voulait parler désormais de la beauté du monde et de sa lumière, montrer que l’humain n’a pas que des instincts mauvais, que sa tendance à créer est plus forte que ses funestes impulsions à haïr, tuer, violer, détruire et voler. Le plus difficile restait à accomplir : comment exprimer cela sans tomber dans le sentimentalisme et la prédication ? Et surtout, sans servir du réchauffé, ce qu’il avait de plus en plus l’impression de faire avec ses romans policiers. » (p. 32)
« Il avait toujours bâti ses récits à partir d’un fait divers. La seule fois où il était parti d’un thème, l’intrigue lui avait semblé cousue de fil blanc, forcée. Mais tout ce qu’il avait de son nouveau projet était le thème : la beauté du monde et sa lumière, l’humain n’a pas que des instincts mauvais, etc. Il lui fallait trouver un point de départ plus concret, un ressort dramatique autre qu’un crime, pour pouvoir traduire tout cela en fiction, l’incarner en personnages, émotions et situations. » (p. 35)
« Il arrive à tout le monde de se gourer, dit-il. La routine t’étouffe et t’éprouves le désir de changer d’air, de boulot, de vie. Il suffit parfois d’une chanson. Une chanson remplie de ces mots dont tu te sers jamais dans la vraie vie. Mais intelligent comme tu es, tu devrais savoir que même si tu réussis à tout plaquer, pour les dire enfin, ces mots, et les vivre aussi, à toi jamais tu ne pourras échapper. T’es un auteur de polars, Leo, et trop vieux pour te refaire. » (p. 52)
« Cesse de te triturer les méninges. Il est tout là, ton prochain roman. Sacrement plus vendeur que le thème à dormir debout de ton projet. Je sors du coma. Pour récupérer et me refaire une santé, je viens ici, et finis par résoudre un meurtre ou deux. Je mérite bien une escapade au bord de la mer, après tout. Le changement de décor, la mer et le grand air me feront beaucoup de bien. » (p. 60)
« - C’est ce soleil, cette mer, ce festival de cuisses au vent, avec ce chat en plein milieu, dit l’autre. Je te promets de redevenir fidèle à mon personnage, à sa cohérence interne, et de ne dire rien que je ne doive dire, quand je me remettrai à enquêter. Combien de fois ne lui avait-il dit qu’il n’y aurait pas d’autre enquête ? Mais l’autre persistait, lui suggérait même de faire de lui-même, l’auteur, un personnage de son prochain polar. - Paraît que l’autofiction est à la mode, qu’il y a un immense appétit populaire pour le linge sale. […] » (p. 61)
« Parce que c’était d’une telle vanité qu’il rougissait même de le penser. Et il rougit, en effet, quand il avoua enfin à sa femme qu’il n’avait pas abandonné le polar que pour écrire sur la beauté du monde et sa lumière. Il y avait un autre mobile. Un mobile qui, depuis qu’il s’était immiscé dans sa tête, lui avait ravi à jamais la tranquillité d’esprit. Car il s’agissait d’un désir tellement obsédant que, si bons qu’ils eussent été, aucun des polars qu’il avait écrits depuis n’était arrivé à le satisfaire. Il avait donc décidé d’abandonner la littérature policière pour écrire, avant de mourir ou de perdre la raison, quelque chose qu’il n’avait jamais tenté encore, quelque chose d’unique, quelque chose qui n’était pas là avant lui, quelque chose qui passerait à la postérité et assurerait l’immortalité de son oeuvre et de son nom. Mes ses méninges avaient beau turbiner, il n’arrivait pas à trouver l’idée qui l’aiderait à remporter la course qu’il disputait contre le grand silence de l’oubli. Et dans une île baignée de lumière, il avait de plus en plus l’impression d’aller et de venir comme dans un brouillard. » (p. 78)
« - Non. Tu me sors du coma, maintenant, avec les honneurs dus à mes services. Sinon, je reviendrai jour et nuit te hanter et empêcher que la lumière de la création brille sur toi, jusqu’à ce que les ténèbres réclament ton esprit, que tes ouvrages disparaissent dans les marécages de l’oubli et que personne ne vienne plus les ouvrir et me fasse revivre les épreuves auxquelles tu m’as soumis. » (p. 95)
« T’as la jugeote tellement obnubilée par ton thème, poursuivit Levonian en lui emboîtant le pas, tu voudrais tellement que le chant du coq soit un hymne à la vie, que tu arranges et fardes l’évidence pour qu’elle appuie ta théorie, faisant fi de la règle d’or de toute enquête : évacuer toute idée préconçue et ne tenir compte que des faits. Car il n’y a que les faits qui comptent, seuls les faits concrets doivent compter. » (p. 98)
« Levonian était tellement en colère de ne plus pouvoir se faire entendre qu’il en étouffait. Tandis que son créateur, les yeux rivés sur l’écran, disait : « Aide-moi, le coq. Quand tu sens que le soleil se prépare à se lever, le maudis-tu avec ton cri ou chantes-tu un hymne à la vie ? » Pendant deux jours, claquemuré chez lui, les persiennes closes, il fit jouer et rejouer les images et sons qu’il avait rapportés du poulailler, tentant de deviner le sens du cri qui s’échappait chaque aube de la chair du coq, sans venir à bout de la question qui le hantait. » (p. 124)
« Les soeurs Hungerford peuvent bien dire maintenant qu’il aurait dû s’intéresser moins aux poules et davantage au sacrifice de leur paternel, avançant qu’il n’y a rien comme les carnages de la guerre pour vous remettre les pieds sur terre. Pourtant, ce jour-là, quand elles sont rentrées de Pounta, trois heures plus tard, elles ne se sont même pas demandé ce que Basilius faisait encore devant le poulailler, car rien – je le répète – rien ne leur indiquait que si le bonhomme était encore là, c’était parce qu’il ne se rappelait plus le chemin de sa maison. » (p. 134)