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fq-equipe:murasaki_par_dalby

FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Liza DALBY Titre : Le Dit de Murasaki Lieu : Paris Édition : Robert Laffont Collection : Pavillons Année : [2000] 2003 Pages : 550 p. Cote : BNQ DALBY D137d Désignation générique : Roman

Bibliographie de l’auteur : L’auteur, une américaine, est spécialiste du Japon. Il s’agit de son premier roman.

Biographé : Murasaki Shikibu (973- ???), écrivaine et poétesse japonaise, elle écrivit ce qui fut reconnu comme étant le premier roman de la littérature mondiale, Le Dit de Genji. Elle a également laissé à la postérité un journal fragmenté et plusieurs poèmes.

Quatrième de couverture : Présentation de la biographée et du projet biographique de l’auteur : «Il y a mille ans, au Japon, Dame Murasaki Shikibu inventa un héros, “le lumineux prince Genji”, lui attribua des amours voluptueuses et un destin fulgurant… […] Liza Dalby a imaginé les circonstances de cette création et a réinventé la vie de Murasaki Shikibu à partir de ses poésies et de son journal.» Suivie d’un résumé du livre et d’une notice biographique de l’auteur.

Préface : L’auteur présente d’abord brièvement en quoi consiste un «dit» et affirme que le plus célèbre est Le Dit du Genji dont il sera question ici. Elle décrit ensuite son projet biographique : «À partir du fragment de son journal qui est parvenu jusqu’à nous, j’ai composé une réminiscence imaginaire, un peu comme on pourrait reconstituer un vase ancien en plaçant les fragments d’origine sur un vase moderne en argile – une sorte d’archéologie littéraire. La forme des tessons dicte la structure du récipient, de sorte que mon histoire a pris la forme d’un journal poétique, un genre littéraire en vogue à l’époque de Murasaki. Le matériau de la reconstitution est neuf, mais j’y ai intégré la sensibilité, les croyances et les préoccupations du XIe siècle.» (p.13) L’auteur parle ensuite des poèmes qui se trouvent dans le roman et qui sont «soit de Murasaki, soit des personnes avec lesquelles elle entretenait un dialogue poétique.» Elle conclut en décrivant son travail : «J’ai imaginé Murasaki rédigeant ses Mémoires à la fin de sa vie et Katako, sa fille, les découvrant après la mort de Murasaki.» (p.14)

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : En fin d’ouvrage, une note de l’auteur qui raconte les circonstances de sa première lecture du Dit du Genji puis comment elle a été peu à peu fascinée par la figure de Murasaki, figure entourée d’une auréole légendaire au Japon. Elle précise que l’on dispose aujourd’hui de quelques documents sur Murasaki (fragments de journaux, correspondances et œuvre), mais qu’il y en a évidemment beaucoup de perdus : «L’idée fascinante qu’elle avait sans doute noté bien plus de choses sur elle-même au cours de sa remarquable vie m’a incitée à imaginer son histoire.» (p.546) La suite de la note contient des informations sur un séjour de recherche que l’auteur a fait à Kyoto (anciennement appelée Miyako) Le roman est également accompagné d’une liste des personnages (fort utile pour se retrouver dans ce foisonnement de noms étrangers !), des cartes du Japon et de Miyako et d’une section «Remerciements» à la fin où l’auteur rappelle qu’il s’agit d’une œuvre de fiction mais qui «contient de longs passages tirés du journal historique de Murasaki et plus ou moins tous les waka de son recueil de poèmes.» (p.549) Elle donne ensuite des précisions sur les différentes éditions disponibles de ces poèmes, mais aussi du Dit et d’autres œuvres de l’époque. Elle termine par les remerciements d’usage.

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : L’auteur n’étant évidemment pas le narrateur, je donnerai ici quelques précisions sur les instances narratives de ce roman. Les Mémoires de Murasaki constituent presque tout l’ensemble du roman, mais il s’agit d’un récit enchâssé dans une lettre écrite par Katako, la fille de Murasaki, à sa fille. Katako présente donc (pour le bénéfice de sa fille mais aussi, quelle chance, du lecteur !) les grands événements de la vie de Murasaki et lui fait le récit de la découverte des Mémoires secrets composés par la vieille femme pendant qu’elle s’était retirée dans un ermitage. Ayant gardé précieusement ces papiers, Katako les lègue à sa fille : «Maintenant que tu as fini de grandir, tu devrais lire les Mémoires de ta grand-mère afin de comprendre qui tu es en vertu de tes origines. Je te conseille de les garder précieusement jusqu’à ce que tu puisses les léguer un jour à ton propre descendant littéraire. À l’avenir, si le Dit du Genji est toujours lu, les lecteurs sensibles seront peut-être intéressés par les pensées intimes de Murasaki, et les commérages seront trop anciens pour nuire à quiconque.» (p.25-26) Les Mémoires, quant à eux, commencent par un récit d’introduction et se termine, cinq cent pages plus loin, par le retrait de Murasaki de la vie sociale. Une nouvelle lettre de Katako suit la fin des Mémoires, racontant les derniers événements significatifs de la vie de Murasaki qu’elle n’a pas mentionnés dans ses écrits. Outre cela, elle mentionne la découverte d’«un fragment d’une histoire qui semble apparentée à la fin des chapitres d’Uji» (p.520), chapitre qu’elle lègue aussi à sa fille pour qu’elle le rende public le moment venu. Ce dernier chapitre, fort probablement inventé de toute pièce par Dalby, nous est offert en guise d’épilogue. Mentionnons également que la première histoire de Genji nous est donnée par Murasaki elle-même à l’intérieur de ses Mémoires (p.54-58)

Narrateur/personnage : Trois narrateurs prennent donc le relais les uns des autres, mais la prédominance est bien sûr accordée à Murasaki qui domine tout le récit. Elle porte sur elle-même un regard honnête, franc, fouillée et détaillée. Il y a une foule de personnages au point de s’y perdre…

Biographe/biographé : L’auteur est une érudite et maîtrise parfaitement son sujet. Cependant, pas de lourdeur dans le propos… Ce roman se lit… (eh oui !) comme un roman. En d’autres termes, il m’apparaît que la relation du biographe à la biographée est à la fois empreinte de respect, de cohérence et de réalisme tout en ne déniant pas l’apport d’une fictionnalisation, voire d’une romanisation nécessaire au succès du récit.

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Les Mémoires de Murasaki débutent avec le décès de sa mère, alors que la jeune fille n’a que 15 ans. Bénéficiant des leçons de culture chinoise (la culture érudite pour les Japonais de l’époque) que reçoit son frère un peu taré, Murasaki se fait une réputation de femmes lettrées qui éloignent les prétendants possibles. Heureuse de pouvoir mener le ménage de son père, Murasaki se sent de toute façon peu attirée par le mariage et entretient avec différentes amies, rencontrées chacune dans des circonstances particulières, des relations vaguement homosexuelles en attendant que chacune se résignent au sort d’être mariée, ce qui entraîne inévitablement la séparation (la première se verra mariée de force et abandonnée en province, la seconde se suicidera, la troisième entrera dans les ordres). En compagnie de ses amies et grâce aux récits sur la Cour que son père est en mesure de lui rapporter grâce à sa position d’érudit, Murasaki commence à écrire les histoires du Prince Genji, à la fois inspirée de fantasme romantique et de la vie de la Cour impériale. Au bout de quelques années, son père se trouve une nouvelle épouse et entreprend des démarches pour marier sa fille à un vieil ami à lui qui a déjà de nombreuses femmes. Murasaki se montrant plutôt réticente et le père plutôt compréhensif, ce dernier accepte de lui donner un délai de quelques années avant d’ordonner le mariage et l’emmène avec lui et toute sa nouvelle famille en province où il a obtenu un poste à cause de sa connaissance du chinois. À Echizen se trouvent réunis plusieurs marchands chinois et Murasaki a l’occasion de développer une relation amoureuse, quoique platonique au niveau physique, avec un jeune chinois qui lui donne un éclairage différent sur diverses réalités de son propre monde. Puis le temps vient où Murasaki a la nostalgie de la ville et retourne à Miyako où son mariage se révèle un succès de bonheur tranquille. Son mari lui offre une maison pour elle seule et la naissance de sa fille la comble. Devenue veuve quelques années plus tard, elle mène une existence tranquille et continue, comme elle l’a fait toute sa vie, d’écrire des histoires de Genji et d’en distribuer quelques copies qui ont fini par se rendre jusqu’à la Cour et entre les mains de Michigana, le Régent qui tire les rênes du pouvoir derrière l’Empereur. Convoquée pour ses talents d’écrivaine, Murasaki devient suivante de l’Impératrice et doit intégrer la vie de la Cour. Vivre dans l’entourage impériale est le rêve de toutes les jeunes japonaises, mais Murasaki, plus vieille et plus sage que la moyenne, s’y résigne désormais avec peine. La dernière partie du livre se déroule donc à la Cour où Murasaki entretient une relation ambiguë avec le Régent, mais elle finit par s’apercevoir que ce sont davantage les profits qu’il peut tirer de son talent littéraire qui intéresse Michigana que sa personnalité. Après plusieurs années de cette vie partagée entre les cérémonies officielles, les assauts des gentilshommes de la Cour et les mesquineries de plusieurs suivantes, Murasaki décide de se retirer dans un couvent, non sans avoir assuré l’avenir de sa fille qui, à son tour, sera dans l’entourage impérial.

Ancrage référentiel : Plusieurs personnages historiques ; les lieux, les événements et les dates historiques sont exacts ; descriptions des us et coutumes de l’époque, etc.

Indices de fiction : Introductions de personnages fictifs à travers les personnages historiques. Procédés narratifs propres au roman : introduction de Mémoires fictifs, accès aux pensées de personnages, etc.

Rapports vie/œuvre : Assez prégnants et assez bien dosés. Les histoires de Genji sont inspirées des événements qui touchent de près ou de loin la narratrice, mais l’univers recréé en est un fantasmé et embelli, un univers qui permet à ses nombreux lecteurs (dont l’Impératrice elle-même) de s’échapper d’une réalité parfois monotone et ennuyeuse. Mais le rapport vie-œuvre peut aussi être vue comme la contamination de l’un par l’autre, telle que l’exprime justement Katako : «Je suis certaine que ma mère choisit d’être recluse pour se dépêtrer du Genji. L’œuvre avait fini par envahir sa vie. Et pourtant le Genji était aussi son enfant. Elle l’avait créé et nourri, ensuite, comme tous les enfants, il avait grandi et avait fini par échapper à son contrôle.» (p.20) Ou encore, inversement, par la scission de l’un et l’autre : «Pendant plus de vingt ans, éberluée, j’avais vu Genji s’épanouir jusqu’à, en fin de compte, me considérer moi-même comme un simple instrument de sa personnalité radieuse. Était-ce moi qui créait Genji ? Ou était-ce Genji qui se servait de moi ?» (p.509)

Thématisation de l’écriture et de la lecture : L’écriture est bien sûr le moteur narratif du roman : «J’ai pensé que je devrais fouiller mes anciens journaux et rédiger l’histoire de ma vie, y compris celle de ma longue fréquentation du Prince Genji. Peut-être qu’en m’attaquant à la réalité de ma fiction je pourrais enfin parvenir à une sorte de vérité. Cela suffira-t-il, cependant, à racheter ce gâchis de papier ?» (p.27) L’écriture est aussi au centre de la vie du personnage, dessinant par là son destin singulier : «Pour quelque raison profondément enfouie dans mon karma, j’ai toujours éprouvé le besoin de coucher sur le papier ma propre façon de ressentir ce que j’avais vu et entendu. La vie elle-même n’a jamais suffi. Elle ne devenait vraiment réelle que lorsque je la métamorphosais en histoires. Cependant, malgré tout ce que j’ai écrit, la véritable nature des choses que j’ai essayé de saisir dans ma fiction parvient toujours à glisser à travers les mots et à se poser, comme de petits tas de poussière, entre les lignes.» (p.26-27) Mentionnons aussi l’importance accordée, dans la culture japonaise, à l’écriture et à la lecture. Il est en effet étonnant de voir qu’à cette époque cette civilisation marquait un avantage culturel important par rapport à la culture occidentale. Déjà, plusieurs femmes lisent, écrivent et publient, bien que l’érudition de Murasaki représente pour ses prétendants possibles un facteur désengagent et que cela lui attire des quolibets lorsqu’elle est à la Cour. Mais Michinaga, le Régent qui mène la Cour par le bout du nez, ne voit pas d’objection à faire de Murasaki sa «scribe officieuse», si je puis dire, reconnaissant en elle un grand talent de conteuse. Il ira même jusqu’à lui confier que «la poésie avait perdu une grande partie de son importance à cause de la naissance de Genji» (p.348). Pour lui, c’est Murasaki le «Grand écrivain» de son époque.

Thématisation de la biographie : N’est pas thématisée.

Topoï : Le japon antique et ses us et coutumes, la naissance et l’écriture du premier roman internationale, la vie à la Cour impériale, la condition et les relations entre femmes, la disparité entre la réalité et la fiction, difficulté à capter l’essence des choses, la culture chinoise, la poésie, etc.

Hybridation : Biographie qui prend la forme romanesque.

Différenciation : Pas de différenciation marquée.

Transposition : Tout le roman est une immense et formidable transposition de l’œuvre entière de Murasaki ; son roman, son journal et ses poèmes. C’est en effet à partir de l’œuvre que Dalby a recréé et imaginé la vie de Murasaki. Le journal, d’abord, lui a sans doute donné des indications directes (toutefois, il n’y en a jamais de mentions explicites, ce qui fait que la transposition du journal est très discrète), tandis que les poèmes, des waka (l’ancêtre du haïku), se sont révélés des lieux d’inspiration fort intéressant pour recréer le vécu. L’auteur, dans sa préface, explique : «Tous les poèmes sont soit de Murasaki, soit des personnes avec lesquelles elle entretenait un dialogue poétique. La poésie […] était le mode principal de communication pour les hommes et les femmes appartenant au milieu de Murasaki. Les waka que contient le recueil de ses poèmes sont souvent précédés d’un bref en-tête faisant allusion aux circonstances dans lesquelles ils ont été composés. C’est à partir de ces allusions que j’ai construit mon histoire.» (p.14) Tout le roman fourmille de ces merveilleux poèmes à la fois dans leur langue originale et en traduction française. Je n’en donnerai donc pas d’exemple, mais je me contenterai de signaler que les poèmes fournissent une structure fort intéressante qui permet d’appuyer et de relancer l’action. Ils sont toujours justes et bien adaptés au contexte, ce qui me permet d’émettre un commentaire personnel comme quoi la transposition est réussi. Le Dit du Genji a également joué un rôle considérable dans la recréation du vécu. Dans la section «Remerciements», la biographe explique: «Les lecteurs familiers de la littérature de l’époque Heian remarqueront que j’ai intégré de nombreux échos du Dit du Genji à ma version de la vie de Murasaki.» (p.549) Évidemment, comme je ne connais pas cette œuvre, il m’est difficile de donner des exemples autres que ceux qui sont explicites comme lorsque Murasaki partie en province transpose ses sentiments face à l’exil dans l’histoire de l’exil de Genji (p.192) ; ou lorsque la biographée surprend une conversation entre son frère et ses amis et rédige quelques «variations» inspirées de ce qu’elle a entendu (p.313) ; ou encore lorsque le portrait de Genji est de plus en plus influencé par Michigana (p.377). De plus, Liza Dalby a son propre site Internet dont une section est consacrée à son œuvre (www.lizadalby.com) Ce site donne de précieux renseignements sur la forme qu’a pu prendre la transposition, entre autres dans la section où elle présente les personnages historiques et les personnages fictifs. Voici quelques exemples : «Ruri is fictional. I took her name, meaning “lapis lazuli,” from the “Jeweled Chaplet” chapter of the Tale of Genji, where Murasaki Shikibu uses it for the character of the young woman who first appears as “Lady Ruri” but eventually comes to be known by the name Tamakazura. This is a case of plucking something from the Tale of Genji and planting its root in Murasaki's life. The poems I identify as Ruri's are all in Murasaki's Collected Poems, attributed merely to “someone.”» «In my book, the scene in which the two [Ming-Gwok l’amant chinois et Murasaki] talk about their parting is drawn from the chapter entitled “Suma” in the Tale of Genji, where Prince Genji takes leave of his young wife Murasaki before embarking on self-imposed exile-another case of reverse engineering a scene from the Genji tale into the author's life. When Murasaki sends Ming-gwok a poem about plovers at dawn, entrusting it to the priest Jakusho who travelled to China in 1003, that poem is also drawn from the “Suma” chapter of Genji. Ming-gwok's reply, coming a year later in a box of writing brushes, comes from the “Wizard” chapter of the Tale of Genji. Genji himself composes it as he gazes at wild geese flying overhead and thinks sadly of his Murasaki who had died the previous year.» Ce travail de transposition se trouve métaphorisé par l’expérience d’écriture de Murasaki qui affirme : «J’étais la chenille qui se dissimule dans l’ombre, qui digère lentement son expérience et la transforme.» (p.365)

Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture : Pacte fictionnel assumé. Fiction tout de fois bâtie sur des faits historiques mais si lointains qu’on dispose de peu de sources.

Attitude de lecture : Roman volumineux fort intéressant mais qui ne suscitera jamais des masses de commentaires critiques. Toutefois, il me semble très pertinent pour le projet à cause de la transposition de l’œuvre qui en est le moteur.

Lecteur/lectrice : Manon Auger

fq-equipe/murasaki_par_dalby.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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