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fq-equipe:introduction_ouvrage_document_de_travail [2014/03/14 13:00] – [C) Notion de postmodernité :] manonfq-equipe:introduction_ouvrage_document_de_travail [2018/02/15 13:57] (Version actuelle) – modification externe 127.0.0.1
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 - « Le postmodernisme n’est ni un genre, ni une école. Toutefois, des constantes apparaissent dans les modes de représentation, autour du principe général d’altérité qui engendre des dispositifs d’hétérogénéité et de chaotisation (fragmentation, métissage) dont l’effet de complexification contredit la ‘’pureté’’ de l’esthétique moderniste. Un autre principe récurrent d’un art à l’autre est la mise en doute de la notion d’originalité. Tout travail artistique est un travail de ‘’seconde main’’ (Compagnon) où l’autre, à travers le ‘’palimpseste’’ de la culture (Genette), affirme sa présence dans le moi créateur. D’où la mise en évidence de ce perpétuel recyclage à travers des pratiques variées comme celle de la citation, de la parodie, du simulacre, avec cette distance ironique où s’inscrit la réflexion critique sur l’idée de progrès. La littérature, bien entendu, participe de cette esthétique et constitue l’un des fondements essentiels de la culture postmoderne que l’on peut rejeter mais certainement plus nier. » (2013 : 78) - « Le postmodernisme n’est ni un genre, ni une école. Toutefois, des constantes apparaissent dans les modes de représentation, autour du principe général d’altérité qui engendre des dispositifs d’hétérogénéité et de chaotisation (fragmentation, métissage) dont l’effet de complexification contredit la ‘’pureté’’ de l’esthétique moderniste. Un autre principe récurrent d’un art à l’autre est la mise en doute de la notion d’originalité. Tout travail artistique est un travail de ‘’seconde main’’ (Compagnon) où l’autre, à travers le ‘’palimpseste’’ de la culture (Genette), affirme sa présence dans le moi créateur. D’où la mise en évidence de ce perpétuel recyclage à travers des pratiques variées comme celle de la citation, de la parodie, du simulacre, avec cette distance ironique où s’inscrit la réflexion critique sur l’idée de progrès. La littérature, bien entendu, participe de cette esthétique et constitue l’un des fondements essentiels de la culture postmoderne que l’on peut rejeter mais certainement plus nier. » (2013 : 78)
  
-==== D) Notion d’ « actuel » et d’ « extrême contemporain » ====+==== D) Notion d’ « actuel » ====
  
-===== II- NOTRE THÈSENOTRE MÉTHODENOTRE ANGLE DAPPROCHE =====+Comme telledans le discours critiquela notion nexiste pas. Elle a cependant l’avantage de ne pas être chargée sémantiquement et symboliquement.
  
 +Je soulignerais toutefois que dans //Qu’est-ce que le contemporain ?//, **Giorgio Agamben (2008)** donne quelques définitions du contemporain (dans son court essai, le terme est entendu comme caractéristique ou adjectif d’un individu), dont la première propose que le contemporain serait l’inactuel : 
 +« Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel; mais précisément pour cette raison, précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir son temps. Cette non-coïncidence, cette dyschronie, ne signifient naturellement pas que le contemporain vit dans un autre temps, ni qu’il soit un nostalgique qui se reconnaît mieux dans l’Athènes de Périclès ou le Paris de Robespierre ou du marquis de Sade que dans la ville ou dans le temps où il lui a été donné de vivre. Un homme intelligent peut haïr son époque, mais il sait en tout cas qu’il lui appartient irrévocablement. Il sait qu’il ne peut lui échapper. La contemporanéité est donc une singulière relation avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances; elle est très précisément la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l’anachronisme. Ceux qui coïncident trop pleinement avec l’époque, qui conviennent parfaitement avec elle sur tous les points, ne sont pas des contemporains parce que, pour ces raisons mêmes, ils n’arrivent pas à la voir. Ils ne peuvent pas fixer le regard qu’ils portent sur elle. » (2008 : 10-11, souligné dans le texte)
 +
 +Il semble en effet qu’il y ait deux acceptions théoriques du mot (2 « théorisations ») dont celle-ci qui est en fait une forme d’équivalent du « classique » mais un classique déshistoricisé.
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 +**Daniel-Henri Pageau (2011)** définit le contemporain de la même façon, soit dans une opposition à l’actuel :
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 +« Le contemporain qui m’intéresse ne se confond pas avec l’actuel. Il est d’abord un processus : un texte, une œuvre d’art deviennent contemporains. Doublement contemporain : par sa poétique propre, par ses propres moyens, si l’on peut dire, et par l’action déterminante de la critique. Le contemporain devient alors l’expression d’un rapport, certes, mais entre le temps de l’écriture et le temps de la lecture qui se fait jugement, choix, entre temps de la création et temps de la réception. Et comme il s’agit de temps différents, surgit une autre dimension du contemporain : est contemporain ce qui mérite d’être tenu pour contemporain. Le contemporain est avant tout reconnaissance. Par quelles raisons relevant de l’histoire, de la politique, de l’idéologie, de l’esthétique, un texte ou une œuvre d’art en viennent à partager un autre temps que celui de leur création, au point que ce temps soit reconnu comme une sorte d’autre présent, de présent de substitution. Pourquoi pouvons-nous, pourquoi voulons-nous établir de multiples rapports d’intelligence entre une œuvre du passé, plus ou moins lointain, et notre présent? Le contemporain est d’abord un rapport qui s’institue entre deux contextes différents; c’est surtout le processus par lequel une communauté veut faire siennes des œuvres en les reconnaissant comme des présents possibles, de vie, de culture, de systèmes de penser, de sentir. Le contemporain est ce processus de survie d’une œuvre qui permet son actualisation possible, souhaitée. » (2011 : 13-14)
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 +« Nous avons appelé nouveau présent cette possibilité, par la présentation d’un monde imaginaire, d’offrir une alternative à la vie, à l’actualité. Est contemporain ce qui se substitue à un actuel défaillant, inutile, inadapté. Ce qui donne sens et cohérence au réel dans lequel nous vivons. » (2011 : 25)
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 +==== E) Notion d’ « extrême contemporain » ====
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 +**CHAILLOU, Michel (1987), « L’extrême-contemporain, journal d’une idée ».**
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 +C’est lui qui lance le terme mais il ne le théorise pas du tout. Dans ce court texte, l’auteur assume davantage sa posture de créateur, et c’est en ce sens que l’idée est évoquée. Retenons toutefois quelques idées intéressantes :
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 +- « L’extrême-contemporain? L’affiche à peine décollée du présent. Ça tient encore, ça résiste. » (5)
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 +- « L’extrême-contemporain? Le présent interrogé, saisi aux ouïes, tiré hors de la nasse. Comment? La procédure du comment, du pourquoi pas, celle des naufragés de l’heure. » (5)
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 +- « L’extrême-contemporain, ce qui cesse de l’être par appétit du futur, digestion du passé. […] le gain d’avenir du présent. » (6)
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 +- « L’extrême-contemporain? Ce qui est si contemporain, si avec vous dans le même temps que vous ne pouvez vous en distinguer, l’apercevoir, définir son visage. L’extrême-contemporain, vous sans vous. » (6)
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 +- « L’extrême-contemporain? Le marché aux puces de la modernité, la rouille du futur, son apologie. » (6)
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 +**Viart (2001), « Écrire au présent ».**
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 +• Rappelle que la notion est attribuable à Michel Chaillou qui ne la théorise toutefois pas, mais Viart dit que la notion propose « une sortie du système de pensée dichotomique qui caractérise la modernité » (2001 : 325). 
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 +• La notion propose aussi « un nouveau rapport au passé, à l’héritage culturel et à sa reviviscence. » (2001 : 325) 
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 +• L’extrême contemporain serait finalement une esthétique, car Viart le présente comme une sorte de présentisme (sans utiliser le mot) : « […] est ce souci du présent, qui ne s’aventure plus à décider des esthétiques du lendemain, qui s’invente dans l’instant, sans conscience claire de ce qui doit être ni a fortiori de ce qui “sera” ou “ne sera pas”. » (2001 : 326)
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 +**Viorel-Dragos Moraru (2009)** explique la notion ainsi : 
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 +- 1986 : « En 1986, Michel Chaillou y lance l’idée d’“extrême contemporain”, vu comme “marché aux puces de la modernité” (Po&sie, 1987 : 6), où l’idée moderniste de progrès est remplacée par le sentiment d’une limite. » (228)
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 +- « Plusieurs se réclament de “l’extrême contemporain” (Denis Roche, Chaillou, Michel Deguy, Jacques Roubaud, Florence Delay, Natacha Michel), ils se regroupent en 1989 sous l’égide de la collection “Fiction & cie” et publient en 1990 un recueil, L’Hexaméron, il y a prose et prose, censé repenser le rapport à l’écriture. » (228) [note : ne dit-on pas qu’il n’y a plus de regroupements et plus de manifestes à cette période??]
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 +- « Presque en même temps, Sollers revient à la narration de forme traditionnelle, se présente comme un “joueur” (Portrait du joueur, 1984) et, réagissant contre certaines tendances “dépressives” de son temps, il devient “l’emblème même de l’écrivain postmoderne, brillant, éclectique, désabusé, profitant d’un système qu’en même temps il dénonce” (Tonnet-Lacroix, 2003 : 272). » (2009 : 228-229)
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 +==== F) Notion de « Surmodernité » ====
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 +Je l’ai retrouvée dans le livre de Gontard (2013), mais c’est un concept qui vient de Marc Augé dans Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992. Gontard l’explique ainsi : « [A]u lieu d’analyser le retrait de l’idée de Progrès comme symptôme de l’émergence d’une ‘’condition postmoderne’’, il préfère avancer l’hypothèse d’une Surmodernité qui se caractérise par trois figures de l’excès. » (2013 : 32) : 
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 +1/ « ‘’L’excès de temps’’, c’est la surcharge événementielle du présent qui obscurcit le sens de l’histoire immédiate » (32) 
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 +2/ « ‘’L’excès d’espace’’ correspond à la fois aux changements d’échelle, nés de l’avancée technologique des moyens de transport et à la confusion où nous plonge la surabondance d’images faussement homogènes qui mettent sur le même plan information, publicité, fiction » (32-33) 
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 +3/ « L’excès dans la singularisation de ‘’l’ego’’, qui n’évite pas les pièges de la stéréotypie et du conformisme, se traduit par l’individualisation des références et par les ‘’faits de singularité’’ qui offrent un ‘’contre-point paradoxal’’ aux phénomènes de la mondialisation de la culture. » (33)
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 +===== II- NOTRE THÈSE, NOTRE MÉTHODE, NOTRE ANGLE D’APPROCHE =====
  
 « Où j’ai moins voulu, en somme, avoir la prétention de “penser la littérature contemporaine” (ambition toujours suspecte de dogmatisme) que, plus précisément, penser à partir d’elle – ou mieux, penser avec elle. » (Scarpetta, 1985 : 23) « Où j’ai moins voulu, en somme, avoir la prétention de “penser la littérature contemporaine” (ambition toujours suspecte de dogmatisme) que, plus précisément, penser à partir d’elle – ou mieux, penser avec elle. » (Scarpetta, 1985 : 23)
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 [Je trouve pertinente cette posture de Scarpetta, car il me semble qu’elle rejoint ce que nous-mêmes, implicitement, nous souhaitons faire.] [Je trouve pertinente cette posture de Scarpetta, car il me semble qu’elle rejoint ce que nous-mêmes, implicitement, nous souhaitons faire.]
  
-I- On s’intéresse ici, d’une part, au discours qui construit la littérature comme contemporaine, à ce par quoi le contemporain peut exister parce que le discours critique (au sens large) a un caractère opératoire (partie I).   
  
-II- D’autre part, on se penche sur les œuvres produites dans la période contem¬poraine (pour l’instant : 1980 et après), en France et au Québec, pour repérer certaines mises en œuvre es¬thétiques et poétiques d’un nouvel art narratif (partie II).+---- 
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 +**I- On s’intéresse ici, d’une part, au discours qui construit la littérature comme contemporaine, à ce par quoi le contemporain peut exister parce que le discours critique (au sens large) a un caractère opératoire (partie I).   
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 +II- D’autre part, on se penche sur les œuvres produites dans la période contem¬poraine (pour l’instant : 1980 et après), en France et au Québec, pour repérer certaines mises en œuvre es¬thétiques et poétiques d’un nouvel art narratif (partie II).** 
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 +Notes de lectures :
  
-→ Ruffel signale qu’il faut prendre en compte « un contemporain de la réception tout autant que de la création » (2010b : 14).+→ Ruffel signale qu’il faut prendre en compte « un contemporain de la réception tout autant que de la création » (2010a : 14).
  
 → Samir Badir estime que notre contemporain est pensé sous deux « grandes figures » qui ne seraient que des « préjugés historiques » : répétition et régression (les « retours » et la « fin des avant-gardes », par exemple) : « Or, ces figures marquent l’échec à saisir la spécificité du contemporain, puisqu’elles le vouent en quelque sorte à une non-histoire, à une figure du “vide” historique, semblable à celle par laquelle on s’est longtemps figuré […] l’époque du haut Moyen Âge. » (1999 : 244) → Samir Badir estime que notre contemporain est pensé sous deux « grandes figures » qui ne seraient que des « préjugés historiques » : répétition et régression (les « retours » et la « fin des avant-gardes », par exemple) : « Or, ces figures marquent l’échec à saisir la spécificité du contemporain, puisqu’elles le vouent en quelque sorte à une non-histoire, à une figure du “vide” historique, semblable à celle par laquelle on s’est longtemps figuré […] l’époque du haut Moyen Âge. » (1999 : 244)
  
 ==== Notre thèse (concentration autour du narratif) : ==== ==== Notre thèse (concentration autour du narratif) : ====
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 Partant du présupposé que ce qu’il y a de contemporain est autant dans le discours que dans les œuvres, il s’agira de montrer comment le narratif balise fortement la littérature contemporaine, non via l'hégémonisme du roman comme au 19e siècle, mais par la transversalité et la portée du narratif dans l'écriture contemporaine. Cette transversalité du narratif serait ainsi une des voies privilégiée par la littérature contemporaine afin de retrouver sa transitivité. Partant du présupposé que ce qu’il y a de contemporain est autant dans le discours que dans les œuvres, il s’agira de montrer comment le narratif balise fortement la littérature contemporaine, non via l'hégémonisme du roman comme au 19e siècle, mais par la transversalité et la portée du narratif dans l'écriture contemporaine. Cette transversalité du narratif serait ainsi une des voies privilégiée par la littérature contemporaine afin de retrouver sa transitivité.
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 Certains postulats guideront la réflexion : Certains postulats guideront la réflexion :
-1ère partie : Il nous semble que c’est par une autre voie que celle du discours sur la postmodernité que le discours critique cherche à établir cette spécificité du narratif contemporain+1ère partie : Il nous semble que c’est par une autre voie que celle du discours sur la postmodernité que le discours critique cherche à établir cette spécificité du narratif contemporain [Note : la recherche de la première partie de ce document semble confirmer cette hypothèse]
 2e partie : Qu’il y a un maillage singulier du narratif et de la littérature contemporaine et que cela se traduit par certains usages contemporains du narratif – et vice-versa : certains usages contemporains du narratif traduisent un maillage singulier du narratif et de la littérature contemporaine.  2e partie : Qu’il y a un maillage singulier du narratif et de la littérature contemporaine et que cela se traduit par certains usages contemporains du narratif – et vice-versa : certains usages contemporains du narratif traduisent un maillage singulier du narratif et de la littérature contemporaine. 
  
 ==== Notre méthode : ==== ==== Notre méthode : ====
  
-Afin d’envisager comment le contemporain s’est construit, nous avons choisi de privilégier une posture métacritique. On s’intéresse ici, dans un premier temps, au discours qui construit la littérature narrative comme contemporaine, à ce par quoi le contemporain peut exister parce que le discours critique (au sens large) lui accorde une certaine valeur. On s’intéresse, dans un deuxième temps, aux œuvres narratives contemporaines elles-mêmes pour saisir ce qui, dans leur poétique et leur esthétique, fonde les grandes orientations thématiques et stylistiques de la littérature narrative contemporaine. Nous postulons, en effet, que le contemporain c’est aussi bien un discours sur la production littéraire qu’une production qui s’élabore au dehors de ces discours.+Afin d’envisager comment le contemporain s’est construit, nous avons choisi de privilégier une posture métacritique. On s’intéresse ici, dans un premier temps, au discours qui construit la littérature narrative comme contemporaine, à ce par quoi le contemporain peut exister parce que le discours critique (au sens large) lui accorde une certaine valeur. On s’intéresse, dans un deuxième temps, aux œuvres narratives contemporaines elles-mêmes pour saisir ce qui, dans leur poétique et leur esthétique, fonde les grandes orientations thématiques et stylistiques de la littérature narrative contemporaine. Nous postulons, en effet, que le contemporain c’est aussi bien un discours sur la production littéraire qu’une production qui s’élabore au dehors de ces discours. [Remarque : cela me semble, en fait, être le nœud de l’ouvrage, la « thèse » en quelque sorte et la concentration sur le narratif un « moyen » de parvenir à faire la démonstration]
  
-[À discuter :] Dans cette optique, nous pour¬sui¬vons deux objectifs (sous-jacents), liés à l’idée de « valeur » du contemporain :+Dans cette optique, nous pour¬sui¬vons deux objectifs (sous-jacents), liés à l’idée de « valeur » du contemporain :
  
 1) Questionner les mécanismes de valorisation qui ont cours au sein des diverses instances institutionnelles en identifiant les balises, les caractéristiques, mais aussi certaines apories, points aveugles et frictions du discours critique qui s’attache à définir cette période afin d’apercevoir, entre autres, les biais qu’introduisent les choix théoriques et méthodologiques des diverses critiques. 1) Questionner les mécanismes de valorisation qui ont cours au sein des diverses instances institutionnelles en identifiant les balises, les caractéristiques, mais aussi certaines apories, points aveugles et frictions du discours critique qui s’attache à définir cette période afin d’apercevoir, entre autres, les biais qu’introduisent les choix théoriques et méthodologiques des diverses critiques.
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 * Ainsi, la « valeur », c’est ce qui permet de comprendre la structuration du champ sous le rapport de l’esthétique : (1) qu’est-ce qui est valorisé, qu’est-ce qui échappe dans le discours critique et en constitue la marge ? (2) Qu’est-ce qui est valorisé, qu’est-ce qui échappe dans la démarche esthétique des auteurs contemporains ? En contrepartie, on se demande : est-ce que ces choix sont validés par l’institution (prix, anthologie, collections, éditions) ? * Ainsi, la « valeur », c’est ce qui permet de comprendre la structuration du champ sous le rapport de l’esthétique : (1) qu’est-ce qui est valorisé, qu’est-ce qui échappe dans le discours critique et en constitue la marge ? (2) Qu’est-ce qui est valorisé, qu’est-ce qui échappe dans la démarche esthétique des auteurs contemporains ? En contrepartie, on se demande : est-ce que ces choix sont validés par l’institution (prix, anthologie, collections, éditions) ?
  
-→ La confrontation sera donc discursive dans la première partie et mobilisera les œuvres dans la seconde partie. Deux précisions sont toutefois à apporter en ce qui a trait à notre façon d’envisager le con¬tem¬porain : la relation France/Québec ; la restriction au champ du narratif.+→ La confrontation sera donc discursive dans la première partie et mobilisera les œuvres dans la seconde partie, en plus de construire notre propre lecture du contemporain (par le truchement de nouveaux « vocables »)  
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 +précisions sont toutefois à apporter en ce qui a trait à notre façon d’envisager le con¬tem-porain : la relation France/Québec ; la restriction au champ du narratif.
  
 === A. Choix du corpus : le discours sur le contemporain en France et au Québec === === A. Choix du corpus : le discours sur le contemporain en France et au Québec ===
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 Nous justifions la pertinence de ce regard croisé sur la base, bien sûr, de la langue commune, mais surtout sur celle d’une communauté de pensée, du point de vue des discours, des idéologies qui se développent tantôt en parallèle, tantôt en dialogue.  Nous justifions la pertinence de ce regard croisé sur la base, bien sûr, de la langue commune, mais surtout sur celle d’une communauté de pensée, du point de vue des discours, des idéologies qui se développent tantôt en parallèle, tantôt en dialogue. 
  
-→ Cette dimension sera par ailleurs à interroger : la modernité au Québec s’est-elle vrai¬ment cons¬truite par rapport à la France ?  Et qu’en est-il de l’américanité du Québec ?  Se si¬tue¬rait-elle davantage dans les conceptions de l’écriture, dans les perceptions, dans les types de représentation que dans les œuvres elles-mêmes ?+→ Cette dimension sera par ailleurs à interroger : la modernité au Québec s’est-elle vrai-ment cons¬truite par rapport à la France ?  Et qu’en est-il de l’américanité du Québec ?  Se si¬tue¬rait-elle davantage dans les conceptions de l’écriture, dans les perceptions, dans les types de représentation que dans les œuvres elles-mêmes ?
  
 Nous proposons ainsi que, par la circulation universitaire, par le recours aux mêmes ouvrages de référence, par le partage de certaines idéologies (d’une part, la fin des avant-gardes, la postmodernité ou modernité en réinvention ; d’autre part, la postmodernité littéraire, le structuralisme plus ou moins triomphant, le rejet des avant-gardes ou leur dérive), une certaine perméabilité des discours critiques entre la France et le Québec est perceptible, circulation qui, traditionnel¬le¬ment, allait de la France vers le Québec, mais qui, de plus en plus, se fait dans les deux sens. Nous proposons ainsi que, par la circulation universitaire, par le recours aux mêmes ouvrages de référence, par le partage de certaines idéologies (d’une part, la fin des avant-gardes, la postmodernité ou modernité en réinvention ; d’autre part, la postmodernité littéraire, le structuralisme plus ou moins triomphant, le rejet des avant-gardes ou leur dérive), une certaine perméabilité des discours critiques entre la France et le Québec est perceptible, circulation qui, traditionnel¬le¬ment, allait de la France vers le Québec, mais qui, de plus en plus, se fait dans les deux sens.
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 Il ne s’agit pas ici d’une démarche strictement comparatiste, mais bien d’un regard global sur deux littératures qui présentent des phénomènes similaires mais qui, sans doute, se déclinent différemment.  Il s’agira aussi, par ailleurs, de repérer les conta¬mi¬¬nations dans les œuvres, mal¬gré la diversité des réactions vis-à-vis des mêmes thèmes de réflexions (ex : les « retours à »). Il ne s’agit pas ici d’une démarche strictement comparatiste, mais bien d’un regard global sur deux littératures qui présentent des phénomènes similaires mais qui, sans doute, se déclinent différemment.  Il s’agira aussi, par ailleurs, de repérer les conta¬mi¬¬nations dans les œuvres, mal¬gré la diversité des réactions vis-à-vis des mêmes thèmes de réflexions (ex : les « retours à »).
  
-Dans le même ordre d’idées, il s’agit également d’aller chercher des points de vue plus originaux, qui permettent de « traverser » les deux territoires, d’offrir de nouvelles perspectives. Ainsi, si on remarque de chaque côté une certaine homogénéité des discours critiques (et que l’on pourrait questionner d’ailleurs), il y a certainement beaucoup à apprendre d’une lecture conjointe de ces deux discours, tout comme d’une étude comparée d’œuvres françaises et québécoises réunies selon une problématique commune pour ensuite en saisir les singularités.+Dans le même ordre d’idées, il s’agit également d’aller chercher des points de vue plus originaux, qui permettent de « traverser » les deux territoires, d’offrir de nouvelles perspectives. Ainsi, si on remarque de chaque côté une certaine homogénéité des discours critiques (et que l’on questionnera d’ailleurs), il y a certainement beaucoup à apprendre d’une lecture conjointe de ces deux discours, tout comme d’une étude comparée d’œuvres françaises et québécoises réunies selon une problématique commune (les « vocables » choisis) pour ensuite en saisir les singularités.
  
 === B. Notre angle d’approche du contemporain : le narratif === === B. Notre angle d’approche du contemporain : le narratif ===
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 - une zone d’interaction à examiner, d’abord et avant tout, dans ses traces discursives : quels discours critiques sur ces pratiques ? (partie I) - une zone d’interaction à examiner, d’abord et avant tout, dans ses traces discursives : quels discours critiques sur ces pratiques ? (partie I)
 +
 - une zone d’interaction à examiner dans ses manifestations littéraires : quelles pratiques, quelles oeuvres modelées par la rencontre de la narrativité et du contemporain ? (partie II) - une zone d’interaction à examiner dans ses manifestations littéraires : quelles pratiques, quelles oeuvres modelées par la rencontre de la narrativité et du contemporain ? (partie II)
  
 * Nous posons ainsi comme hypothèse que le contexte contemporain favorise net¬te¬ment la mise en contact (et la contamination) des pratiques narratives et des discours théo¬riques en France et au Québec, mais qu’il ne laisse pas moins jaillir des sensibilités et des intérêts singuliers dont témoignent les oeuvres et les discours dans leurs traits et leurs obsessions. * Nous posons ainsi comme hypothèse que le contexte contemporain favorise net¬te¬ment la mise en contact (et la contamination) des pratiques narratives et des discours théo¬riques en France et au Québec, mais qu’il ne laisse pas moins jaillir des sensibilités et des intérêts singuliers dont témoignent les oeuvres et les discours dans leurs traits et leurs obsessions.
  
-** Qu’est-ce qui jaillira de l’étude de cette zone d’interaction, tant sur le versant critique que sur celui des pratiques ? +* Qu’est-ce qui jaillira de l’étude de cette zone d’interaction, tant sur le versant critique que sur celui des pratiques ?  
 → Il s’agira ici de faire des observations liées à cette zone d'interaction, de faire de cette zone le lieu d'hypothèses spécifiques (ou de points à développer en sous-texte pour les faire valoir en conclusion) → Il s’agira ici de faire des observations liées à cette zone d'interaction, de faire de cette zone le lieu d'hypothèses spécifiques (ou de points à développer en sous-texte pour les faire valoir en conclusion)
  
-Présentation des deux parties de l’ouvrage :+ 
 +==== Présentation des deux parties de l’ouvrage : ====
  
 === Partie I : Radiographie des paradigmes des discours sur le narratif contemporain === === Partie I : Radiographie des paradigmes des discours sur le narratif contemporain ===
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-Dans l’ensemble de cette partie, il s’agira de relire les principaux consensus du discours critique sur la production contemporaine, sous l’éclairage de la situation historique, par exemple, ou des réflexions poétiques et esthétiques.  Il ne s’agit pas simplement de déblayer le terrain, mais de faire un retour sur les grands thèmes de la critique, sans exclure qu’on reprenne plus tard nous aussi les thèmes en question.  En somme, il s’agira d’identifier ce qui « ressasse » dans le dis¬cours afin d’en prendre la mesure, de comprendre, de questionner la valeur de ces discours, de voir si on parle des mêmes choses quand on utilise les même mots, etc. ; mais aussi ce qui « échappe » au discours critique (ex : narrativité des femmes, écriture migrante, fictionalisation de la vie, le rapport au politique, le déclassement de l’écrivain, etc).  C’est par le biais d’une discussion sur les grands « poncifs » des discussions critiques françaises et québécoises (pour les mesurer l’une à l’autre) que l’on va entrer, à notre tour, dans la discussion du/sur le contem¬porain.+Dans l’ensemble de cette partie, il s’agira de relire les principaux consensus du discours critique sur la production contemporaine, sous l’éclairage de la situation historique, par exemple, ou des réflexions poétiques et esthétiques. Il ne s’agit pas simplement de déblayer le terrain, mais de faire un retour sur les grands thèmes de la critique, sans exclure qu’on reprenne plus tard nous aussi les thèmes en question. En somme, il s’agira d’identifier ce qui « ressasse » dans le dis¬cours afin d’en prendre la mesure, de comprendre, de questionner la valeur de ces discours, de voir si on parle des mêmes choses quand on utilise les même mots, etc. ; mais aussi ce qui « échappe » au discours critique (ex : narrativité des femmes, écriture migrante, fictionalisation de la vie, le rapport au politique, le déclassement de l’écrivain, etc). C’est par le biais d’une discussion sur les grands « poncifs » des discussions critiques françaises et québécoises (pour les mesurer l’une à l’autre) que l’on va entrer, à notre tour, dans la discussion du/sur le contem¬porain.
  
-Dans cette perspective, nous souhaitons identifier les « thèmes d’obsession » et montrer comment le discours critique s’engouffre dans ces thèmes. Nous mettons ainsi côte à côte divers phénomènes, mais pouvons par le fait même mettre de l’avant les forces qui mo¬bi¬lisent le discours critique.  L’hypothèse, ici, est qu’il y aurait deux « versants » véhiculés par le discours critique : d’un côté, un versant négatif (deuil, crise, mort, etc.) et, de l’autre, un versant plus positif (mémoire, retour du sujet, transmission, etc.).  Il s’agit donc (dans la première partie, mais aussi, de façon globale, dans l’ensemble de l’ouvrage) de déplacer les enjeux habituel¬lement repérés, de reconsidérer, le cas échéant, les mouvements de crise comme les mouvements dynamiques. [On pourra revenir sur ces questions et hypothèses en conclusion]+Dans cette perspective, nous souhaitons, dans cette première partie, identifier les « thèmes d’obsession » et montrer comment le discours critique s’engouffre dans ces thèmes. Nous mettrons ainsi côte à côte divers phénomènes, mais tentons par le fait même mettre de l’avant les forces qui mo¬bi¬lisent le discours critique. L’hypothèse, ici, est qu’il y aurait deux « versants » véhiculés par le discours critique : d’un côté, un versant négatif (deuil, crise, mort, etc.) et, de l’autre, un versant plus positif (mémoire, retour du sujet, transmission, etc.).  Il s’agira donc (dans la première partie, mais aussi, de façon globale, dans l’ensemble de l’ouvrage) de déplacer les enjeux habituel¬lement repérés, de reconsidérer, le cas échéant, les mouvements de crise comme les mouvements dynamiques. [On pourra revenir sur ces questions et hypothèses en conclusion]
  
 La première partie sera en somme plus une étude des mouvements de transformation (dyna¬mique de changement) que de leurs résultantes. Le postulat sera que le discours met en place des vecteurs de changement autour de certains pôles ; nous nous concentrerons pour notre part sur le narratif contemporain, en disant « voilà ce que le narratif contemporain a fait à l’idée de littérature ».  La première partie sera en somme plus une étude des mouvements de transformation (dyna¬mique de changement) que de leurs résultantes. Le postulat sera que le discours met en place des vecteurs de changement autour de certains pôles ; nous nous concentrerons pour notre part sur le narratif contemporain, en disant « voilà ce que le narratif contemporain a fait à l’idée de littérature ». 
  
-== Objectif(s) : == +**Objectif(s) de la 1ère partie :** 
  
 Simultanément : Simultanément :
-- faire émerger les caractéristiques par lesquelles le discours critique pense le narratif con¬temporain + 
 +- faire émerger les caractéristiques par lesquelles le discours critique pense le narratif con-temporain  
 - mettre en perspective les caractéristiques du narratif contemporain qui dominent dans les discours critiques sur le contemporain.  - mettre en perspective les caractéristiques du narratif contemporain qui dominent dans les discours critiques sur le contemporain. 
  
 Ce qui revient, notamment, à mettre en relief : Ce qui revient, notamment, à mettre en relief :
 +
 - les manifestations [critiques ?] côté France, côté Québec. - les manifestations [critiques ?] côté France, côté Québec.
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 - les zones de recoupement et les zones de singularités (points aveugles, apories, frictions) - les zones de recoupement et les zones de singularités (points aveugles, apories, frictions)
 +
 - les éléments caractérisés positivement, les éléments caractérisés négativement - les éléments caractérisés positivement, les éléments caractérisés négativement
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 - les concepts que l’on retrouve dans les deux discours, mais qui ne caractérisent pas, de part et d’autre, les mêmes phénomènes ; et, inversement, les concepts différents qui caractérisent un même phénomène - les concepts que l’on retrouve dans les deux discours, mais qui ne caractérisent pas, de part et d’autre, les mêmes phénomènes ; et, inversement, les concepts différents qui caractérisent un même phénomène
 +
 - les éléments oubliés ou négligés - les éléments oubliés ou négligés
 +
 - les œuvres et les auteurs d’obsession - les œuvres et les auteurs d’obsession
  
-→ Et à remettre en question l’idée d’homogénéité et de représentativité du corpus privilégiée par les critiques (fixation sur certains auteurs, oubli de certains autres) en ayant recours à une ap¬proche qui soit plus englobante ; nous proposons ainsi des concepts transversaux permettant de relire les caractéristiques du contemporain à un niveau de généralité plus élevé.+→ Et à remettre en question l’idée d’homogénéité et de représentativité du corpus privilégiée par les critiques (fixation sur certains auteurs, oubli de certains autres) en ayant recours à une ap-proche qui soit plus englobante ; nous proposons ainsi des concepts transversaux permettant de relire les caractéristiques du contemporain à un niveau de généralité plus élevé. 
  
 === Partie II : Raconter aujourd’hui : poétiques et esthétiques === === Partie II : Raconter aujourd’hui : poétiques et esthétiques ===
    
 +Les idées défendues dans la deuxième partie sont en conjonction avec les éléments présentés dans la première.  Plus spécifiquement, la deuxième partie a été écrite à partir de thèmes qui permettent de proposer notre propre analyse du contemporain.  En utilisant des termes poétiques et esthétiques qui permettent de mettre les œuvres en perspective, il s’agira, cette fois, de faire dialoguer des œuvres québécoises et des œuvres françaises, mais aussi de détacher les spécificités du narratif contemporain. 
 +
 +**Objectif(s) de la 2e partie :**
 +
 +1- une certaine originalité des points de vue qui puisse mettre en relief, comme dans la première partie, les points de saisie et de diffraction, tout comme les singularités entre les deux corpus. 
 +
 +2- une mise en relief des grands courants, thèmes, motifs (etc.) qui traversent la littérature narrative contemporaine française et québécoise.
  
-Les idées défendues dans la deuxième partie sont en conjonction avec les éléments présentés dans la première.  Plus spécifiquement, la deuxième partie pourrait être écrite à partir de thèmes qui permettent de proposer notre propre analyse du contemporain.  En reprenant des termes poétiques et esthétiques qui permettent de mettre les œuvres en perspective, il s’agira, cette fois, de faire dialoguer des œuvres québécoises et des œuvres françaises, mais aussi de détacher les spécificités du narratif contemporain. Ce qui est recherché, c’est 1- une certaine originalité des points de vue qui puisse mettre en relief, comme dans la première partie, les points de saisie et de diffraction, tout comme les singularités entre les deux corpus. 2- une mise en relief des grands courants, thèmes, motifs (etc.) qui traversent la littérature narrative contemporaine française et québécoise. 
  
 ===== III- LE « DÉBUT » ET LA « FIN » DU CONTEMPORAIN (notre champ d’investigation)===== ===== III- LE « DÉBUT » ET LA « FIN » DU CONTEMPORAIN (notre champ d’investigation)=====
 +« Le classicisme paraît interdit dans un monde où la réalité est si déstabilisée qu’elle ne donne pas matière à expérience, mais à sondage et à expérimentation. » (Lyotard, 1982 : 360)
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 +S’il nous a fallu, en ouverture, départager les concepts et les notions, nous ne saurions toutefois ouvrir cet ouvrage par un exercice de définition trop étroit de notre objet puisque notre propos est justement de saisir le « contemporain », de voir par quoi et comment il se construit. Pour l’instant, nous nous bornerons donc à poser le contemporain comme une période historique ayant débuté au tournant des années 1980. Comment se caractérise-t-il ?
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 +Note : Lionel Ruffel parle du « caractère relativiste » de la vision contemporaine (ses « limites »), construite à partir soit d’un événement historique soit d’un chef-d’œuvre marquant, ce sur quoi chacun aura une opinion différentes pour diverses raisons. Ruffel de conclure : « Bref, ceux qui répondent à la question “Quand commence le contemporain?” nous en apprennent plus sur eux-mêmes que sur l’histoire. » (2010b : 12)
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 +Sur un plan pratique, on peut soutenir que le « contemporain » qui débute en 1980 est un phénomène mondial : « L’ère contemporaine débute plus ou moins en 1980, selon la société, et pour différentes raisons, mais dont certaines sont globales, mondialisation oblige : la dépression économique de 1981-1982, le vieillissement de la population, la dénatalité des sociétés occidentales, etc. Ces facteurs sont peut-être, à première vue, un peu trop éloignés de la littérature, mais un changement sociétal ne peut pas être sans influence sur la production littéraire de cette société. » (Pierre-Luc Landry, rapport de recherche : http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:rapport_1_-_aout_2009#perspectives_globales_ou_le_contemporain_comme_phenomene_mondial )
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 +Il y a en tout cas une modification de la perception, au fil du temps, de ce qui appartient au contemporain et au moderne. À ce sujet, l’article d’Yvan Lamonde (2004) s’achève sur une mise en relation de la définition du contemporain à l’époque du colloque de 1985 et celle qui prévaut deux décennies plus tard : il constate que le contemporain a changé d’objet pendant cette période, puisque les deux grands événements de référence du contemporain qu’étaient le Refus global et la Révolution tranquille ont basculé dans le temps et sont désormais traités comme des événements du passé. É. Nardout-Lafarge (2004) évoque pour sa part le fait que, depuis les années 1980, la tradition contre laquelle s’érigeait la modernité a perdu sa force de repoussoir et qu’on entreprend maintenant de réévaluer cette tradition, en cherchant des traces de modernité avant les années 1960.
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 ==== Le début du contemporain au Québec ==== ==== Le début du contemporain au Québec ====
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 +=== GREIF, Hans-Jürgen et François OUELLET (2004), La littérature québécoise 1960-2000, Québec, L’instant même (Connaître, 4). ===
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 +Deux dates sont essentielles : 1960 et 1980. Pour résumer simplement : 1960  marque d’une part l’avènement de la modernité au Québec (modernité essentiellement introduite par des grandes figures, dont spécialement Anne Hébert, Gérard Bessette et Hubert Aquin), tandis que les années 1980 marquent pour leur part le début du « contemporain ».
 +C’est du moins ce que semblent proposer la plupart des critiques, dont, entre autres, Hans-Jürgen Greif et François Ouellet :
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 +1960 : « Si on considère que la littérature dite “moderne” prend naissance vers 1960 au Québec, c’est parce que cette date marque l’avènement de la “poésie du pays”, caractérisée par l’affirmation, difficile et douloureuse, d’une autonomie nationale vis-à-vis du pouvoir anglophone, et de ce que Gilles Marcotte a appelé “le roman à l’imparfait”, c’est-à-dire une forme romanesque qui substitue le réalisme subjectif et les audaces et innovations esthétiques au point de vue omniscient et au plat naturalisme psychologique ou agriculturiste qui prévalaient depuis cent ans (de 1846 à 1950 environ). » (2004 : 9) 
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 +1980 : « Les années 1970 consacrent de nouveaux écrivains, tandis que la fin de la décennie marque le retour du lyrisme et l’essoufflement de l’engagement politique. La défaite référendaire, mais sans doute aussi le malaise existentiel d’une société qui a évacué trop rapidement les valeurs traditionnelles, accentuent ce virage. Ils entraînent le désengagement des intellectuels et des écrivains et valident la promotion d’une écriture de l’intime et du repli sur soi, l’essor d’une écriture postmoderne (phénomène qui caractérise toute la littérature occidentale contemporaine). » (2004 : 15)
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 +=== DOLQ et Histoire du Québec contemporain : ===
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 +D’instinct, on a tendance à faire commencer le contemporain en 1980. Il semblerait que cette périodisation instinctive soit justifiée : le discours critique ne précise pas de date exacte, mais on constate la fin d’une époque, le début de quelque chose de nouveau, un point de rupture, à partir des années 1980. 
 +Le DOLQ insiste très légèrement sur le référendum de 1980. Le vocabulaire employé par les auteurs de l’Histoire du Québec contemporain (1989) est, quant à lui, sans équivoque : 1980 marque le début d’une nouvelle période dans l’histoire du Québec. Le passage de l’époque précédente à celle-ci n’est pas attribué à la seule défaite du oui au référendum de 1980, mais à d’autres facteurs qui seraient probablement plus symptomatiques du début du contemporain. On pense ici à la dépression économique de 1981-1982, à la remise en question de l’État-providence et à une certaine rupture idéologique qui « tient à divers facteurs, parmi lesquels la récession économique de 1981-1982 et le vieillissement de la génération du baby boom jouent sans doute un rôle important. » (1989 : 687)  
 +Il me semble alors qu’on peut faire débuter la période contemporaine en 1980 au Québec, en raison notamment de la remise en question des acquis de la Révolution tranquille, du désabusement collectif résultant de la défaite du oui au référendum de 1980, de la prise de conscience de la diversité ethnique de la société, etc., mais aussi à cause de phénomènes plus globaux, à saveur internationale. 
 +[source : rapport de recherche de PLL : http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:rapport_1_-_aout_2009#periodisation_du_contemporain ]
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 +=== Anne Caumartin et Martine-Emmanuelle Lapointe (2004), « Présentation », dans Caumartin et Lapointe (dir.), Parcours de l’essai québécois, p. 9-15. ===
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 +Sur la frontière de 1980 : André Belleau, dans Surprendre les voix (1986), « confère à l’année 1980 une valeur symbolique en évoquant les suites du Référendum, parmi lesquelles s’impose la non-définition identitaire. L’événement – ou le non-événement – politique se transforme alors en monument, à la fois signe et trace de la perte identitaire : “J’étais ‘X’ qui n’a pas réussi à devenir Québécois […] [Je] suis une sorte d’apatride. Je navigue sur les mers de l’inexistence avec un pavillon de complaisance. Le mien est canadien au lieu d’être libérien ou panaméen” (1986). À partir de 1980, un nouveau seuil aurait été franchi : après les slogans, les chants, les actions collectives et les luttes, le réel se serait imposé et aurait mis fin à l’utopie, aurait inauguré “l’ère de la sensation vraie” [expression de Nepveu emprunté à Peter Handke, L’Heure de la sensation vraie]. » (12) Par contre, il demeure toujours un soupçon au sujet de cette frontière : « Même si elle fait déjà partie du récit de la littérature québécoise, l’année 1980 n’échappe pas pour autant aux soupçons. N’est-ce pas, d’une part, succomber à une sorte de sociologisme réconfortant que de découper le corpus étudié en choisissant une borne temporelle ferme? Borne temporelle liée de près à l’histoire socioplitique qui plus est… Ne risque-t-on pas de multiplier les ruptures, d’inclure 1980 dans une série de dates emblématiques? » (12) Elles n’apportent bien sûr pas de réponse « hâtive » mais précisent que c’est une question qui habite les différents textes du recueil.
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 +=== Étienne Beaulieu (2004), « Disparition de la disparition dans l’œuvre de Pierre Vadeboncoeur », p.113-126. Dans Caumartin et Lapointe. ===
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 +Frontière des années 1960 et 1980 : « Depuis 1980… Difficile de ne pas appréhender une mythification prochaine de cette date – après celle de 1960… Comme si à ce jour précis l’événement et la structure avaient fait basculer l’histoire dans une nouvelle séquence, différente de celle qui la précède, en rupture avec elle… Comme si l’histoire, après Foucault, ne pouvait se penser qu’en termes de ruptures et de différences, dans l’oubli sans doute de l’impossibilité de penser une série historique exclusivement selon la différence, puisque comment rendre le passé sans y projeter le présupposée même de la différence? Et l’essai québécois fait-il vraiment écho à cette rupture supposée? » (2004 : 113)
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 +=== LaRUE, Monique (1996), L’arpenteur et le navigateur, Montréal, Fides/CÉTUQ, coll. « Les grandes conférences » ===
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 +Une remarque de Larue me donne à penser que le « contemporain », tel que nous l’entendons, apparaît en fait à partir du moment où la littérature québécoise cesse d’être un tout « homogène », soit à partir de l’intégration des littératures migrantes dans les années 1980 : 
 +« Notre littérature a jusqu’à maintenant été l’expression d’un monde commun, d’une expérience commune et relativement homogène, et nous ne nous sommes pas souvent demandé ce qu’était un écrivain québécois. Si, politiquement, nous ne pouvons maintenant penser notre société que comme un monde hétérogène, pluriel, divers et cosmopolite, alors, sur le plan littéraire, quelle sera cette littérature québécoise? Parlera-t-on encore de littérature nationale? Comment penser la greffe de cette littérature telle qu’elle existe jusqu’à ce jour, avec la littérature telle que la conçoit l’autre ou une littérature autre, inconnue, à inventer? La diversité de perspectives forme-t-elle encore “une” littérature, une littérature spécifique parmi d’autres littératures distinctes, ou aurons-nous bientôt autant de littératures que de groupes ethniques? » (1996 : 11) 
 +– Cela viendrait aussi cautionner en partie l’idée que la littérature contemporaine est difficile à définir, traversée par différents courants.
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 +=== Martine-Emmanuelle Lapointe (2013), « Construction et déconstruction d'une borne temporelle. L'année 1980 dans Spirale et Liberté », Tangence, no 102, p. 75-94 ===
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 +Borne de 1980 : « À la lumière de ces observations, force est de constater que la critique a très souvent divisé l’histoire littéraire québécoise en un avant et un après. Chez les auteurs les plus sévères, l’après se présente comme la suite endeuillée des années 1960, son prolongement moribond – topos que l’on retrouve parfois dans la France de l’après mai 1968. L’après se situe donc dans un espace temporel aux contours imprécis. Il aurait un commencement – autour de 1980 – mais pas de fin, car il incarnerait le dénouement sous toutes ses formes, l’épuisement des signes de la culture, la morosité sociétale, la fin des idéologies. Si ces discours dysphoriques débordent largement les frontières du Québec contemporain, ils trouveraient néanmoins une résonance particulière dans l’histoire littéraire québécoise. » (2013 : 78) – Elle renvoie à un article de Barraband : « L’invention de l’écrivain négatif québécois. Lecture de l’essai des années 80 au Québec », dans David Martens et Myriam Watthee-Delmotte (dir.), L’écrivain, un objet culturel, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2012, p. 186. 
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 +« L’année 1980 est forcément devenue une borne temporelle dans l’histoire québécoise parce qu’elle fut celle du premier référendum sur la souveraineté, mené sous le gouvernement péquiste de René Lévesque. 1960, 1980, l’effet d’écho est presque parfait : en amont, selon le grand récit du moins, s’impose l’éveil d’une société tout entière, enfin moderne et laïcisée; en aval, le refus de l’indépendance et de l’autonomie, thèmes qui avaient pourtant été au cœur de presque tous les discours, politiques, sociaux, culturels, littéraires, qui avaient accompagné la Révolution tranquille. » (2013 : 80-81)
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 +Cependant…. : « Dans la perspective d’une mise en récit de la culture québécoise, force est de constater que 1980 ne marque pas le passage à une ère nouvelle modelée par la fin des idéologies et des grands récits, mais bien le prolongement d’un rapport malaisé à l’Histoire et à la souveraineté. » (2013 : 86) « Sans signer la fin d’une époque, l’année 1980 semble plutôt constituer un trait d’union – et encore nous ne pouvons défendre une telle lecture qu’a posteriori. Le combat féministe se concevait dans une continuité. Quant au référendum de mai 1980, comme en témoignent les dossiers sur la question référendaire parus dans les deux publications, il signalait non pas la fin, mais le prolongement d’une époque incertaine. » (2013 : 94)
  
 ==== Le début du contemporain en France ==== ==== Le début du contemporain en France ====
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 +=== VIART, Dominique VIART (2001), « Écrire au présent : l’esthétique contemporaine », dans Michèle Touret et Francine Dugast-Portes (dir.), […] p. 317-336. ===
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 +La frontière de 1980 : 
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 +• « C’est ainsi que le début des années 80 – bien des observateurs s’accordent à le constater – a manifesté une prise de distance envers les écritures expérimentales dominantes des deux décennies précédentes. » (2001 : 319)
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 +• Viart élit 1984 comme année symbolique. 2 événements : 1. Arrêt en 1983 de la publication de Tel Quel, emblématique d’une certaine avant-garde. 2. Parution, en 1984, des Modernes de Jean-Paul Aron, « véritable pamphlet contre les travers de ces avant-gardes » (2001 : 320) ; puis, de 1982 à 1986, plusieurs parutions significatives en lien avec les nouvelles esthétiques : « Toutes ces œuvres soit marquent une nouvelle forme d’écriture chez des écrivains confirmés, soit font advenir sur la scène littéraire des écrivains nouveaux, différents, dont les choix, thématiques et formels, renouvellent sensiblement les productions antérieures. » (2001 : 321)
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 +• 1986-87 = 2 publications qui, selon Viart, constituent « une véritable tentative pour penser le contemporain, et pour le faire en dehors des catégories en usage dans les décennies précédentes » (2001 : 325) : 1. Colloque organisé à l’Université Paris 7 « L’Extrême contemporain », publié en 1987 dans la revue de Michel Deguy, Po&sie (no 41) 2. Numéro de la revue L’Infini dirigé par Alain Nadaud (no 19, été 1987) intitulé « Où en est la littérature ? »
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 +=== MORARU, Viorel-Dragos (2009), « La littérature face à la mondialisation », dans Audet (dir.), Enjeux du contemporain, Québec, Nota Bene, p. 219-234. ===
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 +Caractéristiques du contemporain en France (autour de 1980) :
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 +- 1976 : Foucault annonce déjà la disparition du grand écrivain (« Vers 1980, la mort d’une période semble encore plus sûre. », p. 228)
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 +- 1980 : Constat sévère de Pierre Nora dans Débat : « les modèles intellectuels des décennies antérieures sont dépassés et n’ont rien à dire au nouveau public. » (la formulation est de Moraru, p. 228; référence : « Que pensent les intellectuels? », Le Débat, no1, p. 3-19) [note : la biblio donne 1980 et le corps de l’article 1990]
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 +- 1980 : Philippe Sollers déclare : « C’est devenu académique, l’avant-garde, vous comprenez » (dans « On n’a encore rien vu », Tel Quel, no 85, 1980, p. 9-31)
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 +- 1982 : Fin de Tel Quel en 1982, mais début de la parution de L’Infini chez Denoël, puis chez Gallimard. « Ce titre, qui a une résonnance métaphysique, semble prendre le contre-pied du positivisme sous-jacent à Tel Quel. Il suggère (1983) un rejet de la théorie totalisante (“la pensée de l’infini contre celle du Tout”). L’on se souviendra que Alain Robbe-Grillet appelait Jean-Paul Sartre le “dernier penseur de la totalité” (1984 : 67)
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 +- 1982 : colloque à New York de « nouveaux romanciers », dont plusieurs dénoncent le « terrorisme » de Jean Ricardou et réclament le droit à la représentation.
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 +- « Les choses se muent en même temps en poésie, surtout à partir de la fondation par Miche Deguy de la revue Po&sie en 1977. » (228)
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 +=== GONTARD, Marc (2001), « La postmodernisme en France : définition, critères, périodisation ». ===
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 +Événements qui jalonnent l’avènement du postmodernisme en France :
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 +D’abord du côté des arts plastiques : 
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 +1980 : Biennale de Venise – présentation des travaux de la transavangarde (architecture et peinture). 
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 +1981 : Catherine Millet organise l’exposition Baroques 81 « où les œuvres sélectionnées se caractérisent par les effets kitsch et le métissage des formes » (2001 : 292)
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 +1985 : JF Lyotard organise l’exposition Les Immatérieux au Centre Pompidou – sur les nouvelles technologies de la création plastique.
 +Ensuite dans le domaine littéraire :
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 +1981 : suite à la Biennale de Venise, Jürgen Habermas publie un article dans Critique qui se veut une défense de la modernité 
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 +1982 : réaction de Lyotard à l’article d’Habermas, aussi dans Critique : « Réponse à la question Qu’est-ce que le postmodernisme ? »
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 +1984 : suite à cette querelle, article dans Critique de l’américain Richard Rorty : « Habermas, Lyotard et la Postmodernité »
 +
 +1988 : Suite de la querelle avec un livre pamphlet d’Henri Meschonnic, Modernité, modernité. + les Cahiers de Philosophie publie un numéro spécial « Postmoderne : les termes d’un usage »
 +1989 : Chute du Mur de Berlin – « plonge l’Europe dans le chaos des conflits ethniques à l’impossible arbitrage » (292)
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 +1990 : Christian Ruby publie une synthèse : Le Champ de bataille. Post-moderne/néo-moderne
 +
 +1992 : Alain Touraine publie Une critique de la modernité
 +
 +Etc. – Autres publications critiques.
 +
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 ===== IV- MISE EN CONTEXTE INSTITUTIONNELLE ET SOCIO-ÉDITORIALE ===== ===== IV- MISE EN CONTEXTE INSTITUTIONNELLE ET SOCIO-ÉDITORIALE =====
  
 +__Ligne directrice :__ Cette partie sera l’occasion d’une brève mise en contexte, c’est-à-dire de donner des repères pour tous les publics visés, d’établir les faits et de faire la petite histoire de… Dire par quoi le contemporain se caractérise, ce qui en marque les bornes pour la critique : événements, circonstances, maisons d’édition, collections, grands colloques, prix, etc. Elle sera aussi l’occasion de revenir sur certains lieux communs permettant de définir cette période, afin d’en offrir une synthèse, dont le début en 1980, le lien avec la modernité/la postmodernité, la suprématie du narratif. En somme, un état des lieux. [Rappel : les propositions de la partie précédente et de celle-ci doivent être intégrées en un « tout » - elles n’ont été séparées que par commodité pour la recherche]
 ==== Socio-éditorial (Québec) ==== ==== Socio-éditorial (Québec) ====
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 +__Principales sources :__
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 +• Jacques Michon (dir.) (2010), Histoire de l’édition littéraire au Québec au XXe siècle, Volume 3 : La bataille du livre 1960-2000, Montréal, Fides.
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 +• Recherche sur les événements littéraires québécois par PLL http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:reperage_des_evenements_socio-litteraires_quebecois 
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 +• Recherche sur les événements littéraires par Daniel Letendre : http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:recherche_sur_les_evenements_litteraires 
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 +Note : l’entrée dans le « contemporain » pour le Québec, c’est surtout la mise en place d’une véritable institution littéraire québécoise, avec la création de l’UNEQ, par exemple, et l’implication grandissante de l’état dans le marché du livre et de l’édition. Cependant, la domination par le marché étranger demeure tout au long de l’histoire de l’édition littéraire pour la période 1960 à 2000, même si les nombreux efforts de restructuration qui ont lieu améliorent nettement les conditions de vie du livre québécois : « Malgré ces efforts et l’appui financier des gouvernements, en l’an 2000, les éditeurs ne sont toujours pas maîtres chez eux. Sur dix livres vendus en librairie, six proviennent encore de l’étranger. » (Michon, 2010 : 17) On observe aussi, dans la période, la disparition de certaines figures d’intellectuels et d’écrivains très marquantes.
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 +=== Événements historiques : ===
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 +  * 1980 : Échec référendaire
 +  * 1990 : Accord du lac Meech
 +  * 1992 : Création du Conseil des Arts du Québec
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 +=== Personnages marquants : ===
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 +  * 1981 : Décès de Marie Uguay
 +  * 1982 : Décès de Félix-Antoine Savard
 +  * 1983 : Décès de Gabrielle Roy - d'Yves Thériault et de Gatien Lapointe
 +  * 1985 : Décès de Jacques Ferron 
 +  * 1986 : Décès d’André Belleau
 +  * 1988 : Décès de Félix Leclerc
 +  * 1992 : Décès de Roger Lemelin
 +  * 1996 : Funérailles nationales de Gaston Miron
 +  * 2000 : Décès d’Anne Hébert
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 +=== Événements éditoriaux : ===
 +
 +[[1980]] : 
 +
 +• Création de la Société de gestion des droits d’auteurs. Cette société percevra au nom des auteurs les sommes qui leur sont dues pour ensuite leur verser. Cet intermédiaire entre les auteurs et les maisons d’édition assurera une plus grande régularité dans le versement des droits d’auteurs et la diminution des « oublis » de paiement de la part des maisons d’édition. 
 +
 +• Création, au sein du ministère des Affaires culturelles, d’un Service spécialisé en matière de droits d’auteurs. Publication, par les ministres d’État au Développement culturel et celui de l’Éducation, d’un livre blanc intitulé « La juste part des créateurs ». Différents objectifs y sont énoncé, notamment celui de règlementer l’utilisation d’œuvres dans le milieu scolaire de manière à ce que leurs auteurs, leurs « propriétaires » puissent être rétribués. Dans le futur, Québec aimerait rapatrier le pouvoir législatif sur le droit d’auteur qui est alors un pouvoir fédéral. (La juste part des créateurs. Pour une amélioration du statut socio-économique des créateurs québécois, Québec, Ministère d’État du développement culturel et scientifique, 1980) 
 +
 +[[1981]] : 
 +
 +• Adoption et mise en vigueur de la « Loi 51 sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre ». Cette loi remplace la Loi sur l’agrément des libraires. Après une longue réflexion et de nombreuses commissions parlementaires (débat débuté au début de l’année 1979), l’Assemblée nationale du Québec a adopté une loi qui balise à la fois le milieu de l’édition et celui des librairies. Par exemple, la loi stipule que, pour être agréée et ainsi recevoir une aide du gouvernement, une librairie devra appartenir à 100 % à des intérêts québécois. Aussi oblige-t-elle le « gouvernement et […] diverses catégories d’organismes publics […] d’acheter leurs livres dans des librairies agréées » (Le Devoir, 5 septembre 1981, p. 36).  La Loi demande également aux librairies d’ajuster les prix du livre en fonction du taux de change en vigueur, ce qui a eu pour effet, à sa mise en vigueur, de faire baisser le prix des livres venant notamment de France. En somme, cette loi vise à favoriser l’industrie québécoise du livre dans son ensemble et à encadrer l’octroi des subventions éditoriales. (Voir Le Devoir, 30 septembre 1989, p. D5-6 pour une évaluation des conséquences directes de cette loi sur le marché et l’industrie du livre au Québec.) 
 +
 +1980-1990 : Changement important du marché du livre dans les années 1980 et 1990, notamment avec l’augmentation de l’offre : « Toutes catégories confondues, 80 % des titres nouveaux publiés au Québec de 1960 à 2000 le seront après 1980. » (2010 : 16-17) C’est dans les années 1990 que le roman québécois connaît « sa plus forte croissance, passant de 240 titres publiés en 1990 à près de 500 titres en 2002 [D’après les statistiques de l’édition de la Bibliothèque Nationale du Québec]. » (Michon, 2010 : 137) 
 +
 +Note : je m’en suis tenue ici aux événements qui créent une conjoncture particulière au tournant de 1980. Pour avoir des listes de divers événements littéraires et éditoriaux, on pourra consulter les pages par année du wiki :
 +http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:portrait_du_champ_institutionnel_quebecois 
 +
 +=== Évènements littéraires : ===
 +
 +  * 1977 : Création de l’Union des écrivains du Québec
 +
 +=== Publications marquantes : ===
 +
 +
 +[[1983]] : Laura Laur de Suzanne Jacob Maryse de Francine Noël
 +
 +[[1984]] : Volkswagen Blues de Jacques Poulin  Le Matou d’Yves Beauchemin (1er véritable succès commercial québécois) La maison Trestler ou le 8e jour d’Amérique de Madeleine Ouellette-Michalska
 +
 +[[1986]] : Une histoire américaine de Jacques Godbout Le premier jardin d’Anne Hébert  Le souffle de l’Harmattan de Sylvain Trudel 
 +
 +[[1987]] : Le désert mauve de Nicole Brossard
 +
 +[[1989]] : La Rage de Louis Hamelin Copies conformes de Monique LaRue
 +
 +[[1991]] : Le bruit des choses vivantes d’Élise Turcotte
 +
 +[[1998]] : La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaetan Soucy
 +
 +Note : il est difficile d’établir une liste d’œuvres « marquantes » au-delà du début des années 1990, car c’est avant tout cette décennie qui a été théorisée et étudiée comme « contemporaine ». Peu ou pas d’ouvrages vont au-delà de 1995 et je n’ai retenu ici que des ouvrages pour lesquels il semble y avoir un véritable consensus de la critique.
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 ==== Socio-éditorial (France) ==== ==== Socio-éditorial (France) ====
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 +__Principales sources :__
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 +• OLIVIER BESSARD-BANQUY (2009), La vie du livre contemporain. Étude sur l’édition littéraire 1975-2005, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux et Du Lérot
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 +• BLANCKEMAN, Bruno (2008), « Troisième partie : Retours critiques et interrogations postmodernes », Michèle Touret (dir.), Histoire de la littérature française du XXe siècle, Tome II – après 1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes p. 423-491.
 +
 +• Synthèse - État du discours critique français (notes de lecture) : http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:etat_du_discours_critique_francais_-_notes_de_lecture  
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 +• Repérage des événements littéraires français par Viviane Asselin : http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:reperage_des_evenements_litteraires_francais 
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 +=== Événements historiques : ===
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 +- 1989 : Chute du Mur de Berlin
 +
 +- Fin du communisme, symbolisé par les « statues déboulonnées » de Moscou
 +Personnages marquants :
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 +• 1975, année qui débute l’étude de Bessard-Banquy, est une date importante dans le domaine de l’édition, marquée par « deux événements à la fois dérisoires et symboliques » : 
 +  - L’émission Apostrophes de Bernard Pivot « qui bouleverse totalement le mode de promotion des ouvrages et supplante la prescription par voie de presse écrite » ; Selon Henri Raczymow, la mort de la littérature s’est faite autour de l’année 90, quand Pivot a démissionné du « dernier salon littéraire », son émission Apostrophes (1994).
 +  - Le décès de Gaston Gallimard, « figure légendaire de l’édition des lettres, à qui l’on doit la publication des plus grands auteurs du XXe siècle ». Coïncidence des événements selon l’auteur mais qui, avec le recul, donne une force symbolique à cette année (Bessard-Banquy, 2009 : 8).  D’ailleurs, la parution et le succès du livre de Pierre Assouline, Gaston Gallimard (1984) indiquent « qu’un large public se passionne pour cette aventure familiale qui est aussi celle de la littérature française au XXe siècle » (Bessard-Banquy, 2009 : 97).
 +
 +- 1980 : Mort de Jean-Paul Sartre. Raczymow voit aussi la mort de la littérature avec le décès de Sartre : « Pour nous, aujourd’hui, en France, la littérature est une histoire close. On peut dater précisément cette clôture avec la mort de Sartre, le 15 avril 1980. » (1994 : 196) 
 +
 +- Années 1980 : Décès de plusieurs figures intellectuelle importante : « Dans les années 1980, Malraux, Sartre et Aragon meurent ; de même des théoriciens français au renom international, Roland Barthes, Jacques Lacan, Louis Althusser. Ces disparitions simultanées semblent valoir pour celle de la tradition à laquelle ils se rattachent. La promotion du modèle de l’intellectuel médiatique avec ses porte-voix attitrés, Philippe Sollers, Bernard-Henri Lévy, Antoine Comte-Sponville, accentue l’évolution. » (Blanckeman, 2008 : 435)
 +
 +- Jérôme Lindon, à la tête des Éditions de Minuit pendant les années 1980-1990 « est celui qui a rendu la vie de la petite édition possible dans la France des années 1980-1990. Son combat […] [a été] un combat pour la diversité de la librairie de création, pour que les plus enthousiastes, les plus courageux, les plus militants des libraires aient les moyens de vivre et faire leur métier, garantissant la vitalité de l’édition de recherche ou d’innovation. » (Bessard-Banquy, 2009 : 66) Il est aussi celui qui a milité en faveur d’un droit pour les auteurs lors du prêt en bibliothèque (Bessard-Banquy, 2009 : 275-276). 
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 +=== Événements éditoriaux : ===
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 +- Années 1980 : Démocratisation de la littérature. Par ex : La publication de la série de Régine Deforges inspirée du roman Autant en emporte le vent - Record de vente, mais en plus augmentation des ventes au fur et à mesure que paraissent les nouveaux tomes. Le tome trois, Le Diable en rit encore, bat le record de mise en place (354 000 exemplaires) et est épuisé en une journée : « C’est le record de vente toute catégorie dans l’édition française en un temps si court. » (Bessard-Banquy, 2009 : 93-94).
 +
 +- 1984 : Succès populaire et institutionnel de L’Amant de Marguerite Duras, couronné par le Goncourt. « Pour Lindon, la victoire est bien moins commerciale que tactique ou stratégique. Car la réussite de L’Amant signe la réussite de tout un système éditorial, c’est la preuve que la politique de rigueur, le choix de la publication limitée à quelques titres par an, le souci de défendre chaque livre mis sur le marché finissent par payer. C’est la récompense tardive mais pleine et entière du pari sur le long terme. » (Bessard-Banquy, 2009 : 96)
 +
 +- À partir de 1990, en France, il y a une certaine hégémonie de la forme romanesque (comme au Québec) : Chaque année à la rentrée littéraire sortent quelques 600 titres, pour la plupart des romans, en France. Jamais le roman n’aura été si « hégémonique » dans le paysage littéraire (Rabaté, 2007 : 10).
 +
 +- Milieu des années 1990 : déclin de la publication de la littérature de création par l’arrêt des publications de collections qui s’y rattachent. « L’époque n’est plus au soutien de la création, au mécénat poétique. Partout les poches de pertes sont assainies; les directeurs financiers, les contrôleurs de gestion ne voient pas pourquoi maintenir sous perfusion une littérature de recherche dont le public est toujours moins nombreux. Désormais, pour un auteur soucieux d’écrire une littérature de création destinée par nature à un public restreint, il ne reste plus que les célèbres Éditions de Minuit, sinon POL, au cœur de l’édition parisienne. Pour ceux qui ne parviennent pas à trouver asile au cœur de ces deux sanctuaires de la publication de prestige, le salut ne peut passer que par la publication en régions, avec parfois tous les honneurs, mais sans grands moyens. Ce nouveau manque de visibilité de la littérature de recherche renforce évidemment l’idée que la littérature entière n’est plus que marketing et fabrication. » (Bessard-Banquy, 2009 : 231)
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 +- Fin des années 1990 : les éditeurs réalisent que la rentrée n’est pas le meilleur moment pour lancer les auteurs et certains ouvrages. L’édition se réorganise; automne : nouveaux auteur, hiver : auteurs consacrés; printemps : livres de vacances (policiers ou romans historiques). (Bessard-Banquy, 2009 : 256)
 +
 +- Il y a, fin 1990 - début 2000, une judiciarisation de l’édition : « Désormais, le bon éditeur n’est pas seulement celui qui sait trouver les meilleurs idées de livres et les mettre en œuvre au mieux, c’est aussi celui qui sait éviter autant que possible les tribunaux sans affadir son programme éditorial. » (Bessard-Banquy, 2009 : 293)
 +
 +=== Évènements littéraires : ===
 +
 +- Vers 1980 l’historiographie « s’infléchit du scientifique vers le littéraire » - elle aussi aurait connu un retour au récit. (Demartini, 2007 : 80-81) La littérature, quant à elle, aurait achevé de « se défaire » à l’aube des années 1980 : elle s’est défaite, par exemple, de « certains espaces d’investigation privilégiés, par la psychanalyse et par le développement des sciences humaines ensuite, par l’apparition des sciences cognitives, peut-être. » (Blanckeman, 2002a : 115)
 +
 +- 1982-1983 : La fin du mouvement avant-garde qui voit sa fin en 1982 avec la fin de la revue Tel Quel. En 1983, la décision d’arrêter la publication de Tel Quel coïncide, sur un plan général, avec la crise des idéologies, le reflux des discours théoriques et l’épuisement créatif de la littérature textuelle, autoréflexive et parfois illisible. La période qui s’ouvre, marquée par les trois retours - au récit, au sujet au réel - est caractérisée par la notion de « post-modernisme ». 
 +
 +- En 1984, plusieurs publications marquantes concernant la biographie : Vies minuscules de Michon, Tablettes de buis d’Avitia Apronenia de Quignard. Dans la domaine de la critique, La Biographie  de D. Madelénat, et chez les historiens, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde de G. Duby. En 1989 Pontalis lance la collection L’Un et l’Autre, en 1991 Alain Buisine est le premier à s’emparer de la question et appelle le phénomène « biofiction ». Tout cela crée la « renaissance contemporaine de la fiction biographique » (Monluçon et Salha, 2007 : 10) – Dans les années 1980-1990 une réaction se fait jour : Sarraute et Robbe-Grillet écrivent leur autobiographie, signalant ainsi l’apparition d’une nouvelle génération d’écrivains et d’œuvres centrés sur le « moi ». Cette période est aussi dominée par des romans familiaux.
 +
 +- les années 80-85 sont citées comme moment du tournant intellectuel : mort des maîtres à penser de la modernité, arrêt de Tel Quel, conversion des néo-romanciers à l’autobiographie (Sarraute, Robbe-Grillet, Duras, Sollers). À partir de ce moment, on constate une concurrence de la littérature par l’image. (Baudelle, 2006)
 +
 +- Au delà des années 90, il faut souligner le retour aux romans de génération sur fond d’Histoire ou de chronique, et le récit subjectif, intimiste, centré sur une expérience intérieure avec une dimension de parabole poétique (par exemple chez Millet ou Michon). « Le réel revient avec le sujet, à travers un retour aux sources, aux origines terrines, à tous les enracinements par le terroir ou la famille » (Modiano, Le Clézio) (Gosselin-Noat, 2005 : 222-223) [Extrait d’une fiche de Leppik sur Gosselin-Noat]
 +
 +- Fin des années 1990, début 2000 : déclin des prix traditionnels, apparition de nouveaux prix qui sont le fait de nouveaux jurys, comme les médias et les lecteurs (et non plus les jurys corrompus du Goncourt et autres prix prestigieux), dont le prix RTL-Lire, le prix des lectrices Elle, etc. (Bessard-Banquy, 2009 : 257) B-Banquy affirme que, à cette époque, les « prix littéraires sont définitivement tombés dans “l’ère du soupçon” » (2009 : 288).
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 +=== Publications marquantes : ===
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 +1975 : Publication de Roland Barthes par Roland Barthes ; signerait le retour d'une littérature transitive (Viart, 2001) et d'un renouvellement de l'écriture autobiographique (Badir, 1999)
 +
 +1977 : Publication de Fils (Doubrovsky) et de La mort propagande (H. Guibert) ; ils témoignent du renouvellement des écritures autobiographiques (autofiction…) et, plus généralement, du retour d'une littérature transitive (Viart, 2001)
 +
 +1978 : Publication de La vie mode d’emploi de Perec – « De fait, La vie mode d’emploi apparaît à coup sûr comme un ouvrage de premier ordre, dans la chronologie du roman mais aussi de l’édition littéraire. On le sait aujourd’hui, le grand livre de Perec n’est pas seulement un roman-somme, à l’égal de la Recherche, d’Ulysse ou de L’Homme sans qualités. C’est un chef-d’œuvre qui a, pour ainsi dire indiqué la sortie du labyrinthe de l’écriture desséchée et dégagé les voies d’accès vers une nouvelle forme d’invention romanesque; des auteurs comme Jean Echenoz s’en réclament bientôt. » (Bessard-Banquy, 2009 : 60)
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 +1979 : Parution de l’ouvrage de Lyotard : La condition postmoderne: rapport sur le savoir 
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 +1979 : Premiers romans d'Echenoz (Le Méridien de Greenwich) et de Quignard (Carus) ; ils marquent une renaissance du romanesque [Blanckeman, 2001]
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 +1984 : Goncourt pour Duras, L’amant [canonisation de l'avant-garde]
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 +1984 : Parution des Vies minuscules de Pierre Michon, « aujourd’hui reconnu comme le grand livre des années 1980 » (Bessard-Banquy, 2009 : 104). Va de paire avec la « Vogue biographique » dont parle Bessard-Banquy : « L’écriture biographique en particulier s’épanouit bien davantage que le roman classique ou l’essai historique. Hors champ romanesque, un tiers des best-sellers pour l’année 1984 ont été des biographies et près de 200 titres encore en 1985 sont publiés par les éditeurs qui voient dans ce domaine le dernier refuge de la publication au succès assuré. Nombre de maisons sont persuadées que le public français, féru d’histoire, hier séduit par l’école des Annales, s’est éloigné de l’essai pointu pour mieux se plonger dans le récit biographique. » (Bessard-Banquy, 2009 : 112-114)
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 +1992 : Goncourt pour Chamoiseau, Texaco [autonomisation des littératures francophones selon Salgas, 2002]. Publication de l'essai La nouvelle fiction (J.-L. Moreau), dont le titre renvoie à un « nouveau » courant littéraire qui privilégie le plaisir de la fiction.
 +
 +1998 : Publication des Particules élémentaires (Houellebecq) et L'inceste (Angot) - tapage médiatique [Salgas, 2002] et succès commercial (Bessard-Banquy, 2009 : 250-252) 
 +
  
 ===== Question de la valeur (pour la conclusion de l'ouvrage) ===== ===== Question de la valeur (pour la conclusion de l'ouvrage) =====
 +
 +**Sémir Badir**, dans « Histoire littéraire et postmodernité » (1999) interroge l’idée de contemporain dans une perspective historienne. Il pose d’emblée la question Qu’est-ce que l’histoire de la littérature contemporaine ? et offre une première définition du contemporain : « On peut considérer […] que le contemporain, en tant que tel, n’existe pas mais qu’il est à la fois la trace de ce qui est appelé à passer et un appel à ce qui peut advenir. » (1999 : 241-242). Il poursuit : 
 +« L’historien de la littérature contemporaine devrait pouvoir, dans ces conditions, penser en tant que chose passée ce qu’il regarde d’une position déjà future. Il est vrai que son entreprise confessera plus crûment la part d’aventures et d’intuitions que découvre naturellement toute recherche historique. Il ne pourra pas en effet se dédouaner, par exemple, d’une quasi totale arbitrarité quant au choix de son corpus, de sorte qu’il faudrait plutôt parler des littératures contemporaines, pour que la raison du pouvoir symbolique qui s’exprime à travers lui ne le rende pas dupe des paris, esthétiques, éthiques et politiques, qui fondent son entreprise. N’empêche : la méthode historique, autrement éprouvée, et conscience de toutes les sciences, peut servir de révélateur des pratiques artistiques et sociales contemporaines et, du même coup, exercer sur elles une action d’encouragement et de soutien. C’est là, il faut le reconnaître, dans le risque qu’elle prend, une de ses grandeurs. » (1999 : 242, souligné dans le texte)
 +Je crois que nous pouvons retenir ici l’idée d’une pluralité des littératures contemporaines, idée qui rejoint à la fois ce que les critiques tentent de saisir (d’où la difficulté à trouver des dominantes vraiment centrales) et ce que nous même nous risquons de faire, sans que cela ne soit un véritable problème (car il faut garder à l’esprit que nous ne sommes pas dans une démarche historique).
 +Qui plus est, Badir rappelle que la logique occidentale, dans son fondement essentiel, est fondée sur le binarisme et le positivisme mais que « nous en sommes peut-être venu à ce stade de nos connaissances où le binarisme logique est en train de ne plus suffire à son rôle génératif. » (1999 : 255) La littérature aurait besoin de trouver une autre fonction que celle qu’elle a eu dans la modernité – elle n’explique plus un monde « stable » : « Cette nouvelle fonction n’aura pas comme premier effet de bouleverser ni l’esthétique ni les thématiques de la littérature, mais, bien plus sûrement, elle aura pour nécessité de modifier complètement  le rapport de la littérature à tous ses agents, que ce soient les producteurs (ceux-là que la modernité a appelés les “écrivains”), les produits ou les lecteurs. » (1999 : 256)
 +
 +Dans leur article intitulé « Un projet contrarié. L'histoire de la littérature contemporaine française au tournant du XXe siècle » (2013), **Mathilde Barraband et Julien Bougie** sont attentifs à la vision crépusculaire qui est typique des regards sur le contemporain, depuis que l’histoire littéraire existe comme discipline semble-t-il : « En attendant, l’état des lieux de la situation présente se fait souvent inquiet. La littérature est en pleine mutation, et la plupart des auteurs doutent que ce soit pour le mieux. […] Le mot de décadence, qui traduit cette vision crépusculaire et le sentiment d’une dégradation de la production littéraire, est avancé par plusieurs sur ce mode interrogatif. » (2013 : 42)
 +
 +C’est un peu la même chose avec les « méthodes » envisagées [le terme est de moi] pour étudier, décrire et commenter la production contemporaine : « L’étude des directions, des influences, voilà autant de projets semble-t-il pour une étude historique des faits littéraires actuels. En réalité, les projets d’une histoire sur le vif, voire d’une prospective sont loin d’être légitimes dans la plupart des cas. Ils sont contrariés, frappés d’interdit aussitôt qu’envisagés ou entrepris, et se mènent souvent sous le mode de la prétérition. Dans une contradiction dont elle est coutumière, l’histoire littéraire disjoint préceptes et usages, fait sans dire ce qu’elle fait, et même fait le contraire de ce qu’elle dit. » (2013 : 44)
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 +Et ils résument ces deux postures typiques : « Mais la réticence critique qui s’exprime à l’égard de l’analyse du contemporain n’est pas le propre de l’époque, tout comme, d’ailleurs, les réserves qui se formulent à l’égard d’une littérature actuelle jugée décadente. Au contraire, on ne peut que remarquer la permanence, jusqu’à aujourd’hui, non seulement de clichés sur la littérature qui se fait (effacement des genres, disparition du grand écrivain, fin des chefs-d’œuvre, etc.), mais aussi d’a priori¬ sur l’impossibilité de commenter la littérature récemment publiée. » (2013 : 46)
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 +Dans son article « Les revues et la littérature in flagrante : de Valery Larbaud à la littérature québécoise contemporaine » - qui se veut une réflexion sur la place des revue dans l’étude du contemporain –, **Michel Lacroix** remarque lui aussi certains topoï de la critique actuelle : « La fin des avant-gardes, la disparition de la logique de constitution et de dissolution des groupes, apparaît en effet, explicitement ou implicitement, un topos incontournable, un phénomène emblématique de la littérature contemporaine. Les tables des matières des collectifs consacrés à la littérature des 20 dernières années, au Québec comme en France, consignent à leur manière les effets de ce constat : tout se passe en effet comme s’il n’y avait plus que des monades esthétiques, susceptibles de critiques individuelles, que seules des catégories génériques ou thématiques pouvaient parvenir à intégrer dans des ensembles plus vaste. » (2013 : 59)
 +
 +**D. Viart**, sur les diverses étiquettes liées au « post » et autres : « Les autres formules ici et là avancées telles que “surmodernité”, “postmodernité”, “seconde modernité” ou même “néomodernité” ne proposent rien d’autre qu’une modulation du rapport de l’esthétique contemporaine à la modernité, sans même trancher sur ce qui est ici présenté comme un dépassement, là comme un renouvellement. » (Viart, 2001 : 322)
 +
 +
 +===== BIBLIOGRAPHIE (Introduction) =====
 +
 +
 +AGAMBEN, Giorgio (2008), Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris, Payot Rivages.
 +
 +AUDET, René (2009a), « Le contemporain. Autopsie d’un mort-né », dans Audet (dir.), Enjeux du contemporain, Québec, Nota Bene, p. 7-19. [note : on réservera le « Audet 2009 » pour le collectif lui-même]
 +
 +BADIR, Sémir (1999), « Histoire littéraire et postmodernité », dans Jan Baetens et Dominique Viart (dir.), Écritures contemporaines. États du roman contemporain, Actes du colloque de Calaceite, Paris-Caen, Lettres modernes Minard, p. 241-264.
 +
 +BARRABAND, Mathilde (2013), « Liminaire », Dossier : « L'histoire littéraire du contemporain », Tangence, no 102, p. 5-13.
 +_____________ et Julien BOUGIE (2013), « Un projet contrarié. L'histoire de la littérature contemporaine française au tournant du XXe siècle », Tangence, no 102, p. 31-52.
 +
 +BEAULIEU, Étienne (2004), « Disparition de la disparition dans l’œuvre de Pierre Vadeboncoeur », dans Anne Caumartin et Martine-Emmanuelle Lapointe (dir.), Parcours de l’essai québécois (1980 à 2000), Québec, Nota Bene, p.113-126.  
 +
 +BESSARD-BANQUY, Olivier (2009), La vie du livre contemporain. Étude sur l’édition littéraire 1975-2005, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux et Du Lérot.
 +
 +BESSIÈRE, Jean (2011), « Le roman contemporain. Notes pour une caractérisation et quelques orientations critiques », dans Bessière (dir.), Littératures d’aujourd’hui : contemporain, innovation, partages culturels, politique, théories littéraires, Paris, Honoré Champion, p. 215-224.
 +
 +BLANCKEMAN, Bruno (2008), « Troisième partie : Retours critiques et interrogations postmodernes », Michèle Touret (dir.), Histoire de la littérature française du XXe siècle, Tome II – après 1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes p. 423-491.
 +
 +CAUMARTIN, Anne et Martine-Emmanuelle LAPOINTE (dir.) (2004), Parcours de l’essai québécois (1980 à 2000), Québec, Nota Bene. 
 +
 +CHAILLOU, Michel (1987), « L’extrême-contemporain, journal d’une idée », Po&sie, no 41; Dossier « L’extrême contemporain », Paris, Librairie classique Eugène Belin, p. 5-6.
 +
 +CHÉNETIER, Marc (1994), « Est-il nécessaire d’‘‘expliquer le postmodern(ism)e aux enfants’’? » Études littéraires, vol. 27, n° 1, 1994, p. 11-27.
 +
 +DESCOMBES, Vincent (2000), « Qu’est-ce qu’être contemporaine? », Le genre humain, no 35, p. 21-32.
 +
 +DION, Robert (1993), « Une critique du postmoderne », Tangence, no 39, p. 89-101.
 +
 +FOREST, Philippe (2010), « Décidément moderne. Sept notes dans les marges d’un essai en cours », dans Lionel à
 +Ruffel (dir.), Qu’est-ce que le contemporain?, Nantes, Éditions Cécile Default,  p. 77-92.
 +
 +FORTIER, Frances (dir.) (1993), Dossier « La fiction postmoderne », Tangence, no 39.
 +
 +_____________ (1993a), « Liminaire », Dossier « La fiction postmoderne », Tangence, no 39, p. 5-7.
 +
 +_____________  (1993b), « Archéologie d’une postmodernité », Tangence, no 39, p. 21-36.
 +
 +GERVAIS, Bertrand (2009), « Le contemporain et l'actuel. Réflexions sur le contemporain II », Salon Double, 11 septembre 2009. En ligne : http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-contemporain-et-lactuel  
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 +GONTARD, Marc (2001), « La postmodernisme en France : définition, critères, périodisation », dans Michèle Touret et Francine Dugast-Portes (dir.), Le Temps des Lettres. Quelles périodisations pour l’histoire de la littérature française du 20e siècle ?, Rennes, Presses de l’Université de Rennes, coll. « Interférences », p. 283-294.
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 +GONTARD, Marc (2013), Écrire la crise. L’esthétique postmoderne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences ».
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 +GREIF, Hans-Jürgen et François OUELLET (2004), La littérature québécoise 1960-2000, Québec, L’instant même (Connaître, 4).
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 +HAMEL, Jean-François et Virgine HARVEY (dir.) (2009), Le temps contemporain : maintenant, la littérature, Montréal, UQÀM, coll. « Figura ».
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 +HAVERCROFT, Barbara (2002), « Modernités », dans Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, Paris, PUF, p. 392-394.
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 +HARTOG, François (2003), Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle ».
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 +LACROIX, Michel, « Les revues et la littérature in flagrante : de Valery Larbaud à la littérature québécoise contemporaine », Tangence, no 102, p. 53-73.
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 +LAMONDE, Yvan (2004), « ‘‘Être de son temps’’ : pourquoi, comment ? », dans Ginette Michaud et Élisabeth Nardout-Lafarge (dir.), Constructions de la modernité au Québec, Actes du colloque tenu à Montréal les 6, 7 et 8 novembre 2003, Montréal, Lanctôt Éditeur, p. 23-36.
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 +LAPOINTE, Martine-Emmanuelle (2013), « Construction et déconstruction d'une borne temporelle. L'année 1980 dans Spirale et Liberté », Tangence, no 102, p. 75-94
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 +LaRUE, Monique (1996), L’arpenteur et le navigateur, Montréal, Fides/CÉTUQ, coll. « Les grandes conférences ».
 +LINTEAU, Paul-André, René DUROCHER, Jean-Claude ROBERT et François RICARD (1989) Histoire du Québec contemporain,  Volume II : Le Québec depuis 1930, Montréal, édition du Boréal, coll. « Compact ».
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 +LYOTARD, Jean-François (1979), La condition postmoderne, Paris, Minuit.
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 +LYOTARD, Jean-François (1982), « Réponse à la question : Qu’est-ce que le postmoderne ? », Critique, no 419, p. 357-367.
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 +MICHAUD, Ginette et Élisabeth NARDOUT-LAFARGE (dir.) (2004), Constructions de la modernité au Québec, Actes du colloque tenu à Montréal les 6, 7 et 8 novembre 2003, Montréal, Lanctôt Éditeur.
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 +MICHON, Jacques (dir.) (2010), Histoire de l’édition littéraire au Québec au XXe siècle, Volume 3 : La bataille du livre 1960-2000, Montréal, Fides.
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 +MORARU, Viorel-Dragos (2009), « La littérature face à la mondialisation », dans Audet (dir.), Enjeux du contemporain, Québec, Nota Bene, p. 219-234
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 +NARDOUT-LAFARGE, Élisabeth (2004) « La valeur ‘‘modernité’’ en littérature québécoise : notes pour un bilan critique », dans Ginette Michaud et Élisabeth Nardout-Lafarge (dir.), Constructions de la modernité au Québec, Actes du colloque tenu à Montréal les 6, 7 et 8 novembre 2003, Montréal, Lanctôt Éditeur, p. 285-301. 
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 +NOUDELMANN, François (2010), « Le contemporain sans époque : une affaire de rythmes », dans Lionel Ruffel (dir.), Qu’est-ce que le contemporain?, Nantes, Éditions Cécile Default, p. 59-76.
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 +OUELLET, Pierre (1993), « LE TEMPS D’APRÈS l’histoire et le postmodernisme », Tangence, no 39, p. 112-131.
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 +PAGEAUX, Daniel-Henri (2011), « Réflexions sur la notion de contemporain : une lecture de A Sibila / La Sibylle d’Augustina Bessa Luis », dans Jean Bessière (dir.), Littératures d’aujourd’hui : contemporain, innovation, partages culturels, politique, théorie littéraire. Domaine européen, latino-américain, francophone et anglophone, Paris, Honoré Champion, p. 13-25.
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 +PATERSON, Janet M. (1993), Moments postmodernes dans le roman québécois, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
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 +PATERSON, Janet M. (2004), « Le postmodernisme et la ‘‘pensée migrante’’ au Québec », dans Ginette Michaud et Élisabeth Nardout-Lafarge (dir.), Constructions de la modernité au Québec, Actes du colloque tenu à Montréal les 6, 7 et 8 novembre 2003, Montréal, Lanctôt Éditeur, p. 319-331.
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 +RACZYMOW, Henri (1994), La Mort du grand écrivain. Essai sur la fin de la littérature, Paris, Stock.
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 +ROUSSO, Henry (2012), La dernière catastrophe. L’histoire, le présent, le contemporain, Paris, NRF Gallimard, coll. « NRF essais ».
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 +RUEFF, Martin (2010), « La concordance des temps », dans Lionel Ruffel (dir.), Qu’est-ce que le contemporain?, Nantes, Éditions Cécile Default,  p.93-110.
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 +RUFFEL, Lionel (dir.) (2010a), Qu’est-ce que le contemporain?, Nantes, Éditions Cécile Default.
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 +RUFFEL, Lionel (2010a), « Introduction. Qu’est-ce que le contemporain? » dans Ruffel (dir.), Qu’est-ce que le contemporain?, Nantes, Éditions Cécile Default, p. 9-35. [note : on réservera « Ruffel 2010 » pour le collectif lui-même]
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 +SCARPETTA, Guy (1985), L’impureté, Paris, Grasset et Fasquelle.
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 +VIART, Dominique (2001), « Écrire au présent : l’esthétique contemporaine », dans Michèle Touret et Francine Dugast-Portes (dir.), Le Temps des Lettres. Quelles périodisations pour l’histoire de la littérature française du 20e siècle ?, Rennes, Presses de l’Université de Rennes, coll. « Interférences », p. 317-336.
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 +VIART, Dominique (2013), « Histoire littéraire et littérature contemporaine », Tangence, no 102, p. 113-130.
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 +VIGNEAULT, Robert (2004), « Notre sauvage besoin de libération », dans Anne Caumartin et Martine-Emmanuelle Lapointe (dir.), Parcours de l’essai québécois (1980 à 2000), Québec, Nota Bene, p. 17-30.
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