HAWKSMOOR
FICHE DE LECTURE « Les postures du biographe »
« … for Milton copied Spenser […]. And Spenser copied his master Chaucer. The world is a continued Allegory and a dark Conceit. »
- Nicholas Dyer (Peter Ackroyd) (180)
«Hawksmoor stared at the page, trying to imagine the past which these words represented, but he saw nothing in front of him except darkness.» (214)
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Peter Ackroyd Titre : Hawksmoor [L’architecte assassin] Lieu : London Édition : Penguin Books Collection : Année : 1993 [1985] Pages : 218 p. Cote : BNQ Romans policiers Ackroyd A1829h
Biographé : Nicholas Hawksmmor (architecte qui a construit six églises importantes à Londres après le grand incendie). Ackroyd interchange toutefois les noms; l’architecte du 18e siècle est appelé Nicholas Dyer et le nom de Nicholas Hawksmoor est attribué au policier qui enquête sur une série de meurtres commis aux environs des églises de Dyer. Ils sont donc une version double d’une même personne historique. Toutefois, puisque ce roman est inspiré d’un poème de Iain Sinclair, « Nicholas Hawksmoor and his Churches » dans Lud Heat, nous sommes aussi, à un autre niveau, dans une transposition de l’œuvre qui exclut toutefois l’auteur. Pays du biographe : Angleterre Pays du biographé : Angleterre
Désignation générique : Roman policier. Il est à noter que l’édition que j’ai entre les mains est une édition de poche qui ne donne pas explicitement de désignation générique. Sur la quatrième de couverture de la première édition, cependant, le fait que l’on mentionne « London detective Nicholas Hawksmoor is investigating… » nous conduit vers le genre policier. Quatrième de couverture ou rabats : Ici, des critiques. Préface : Aucune Cependant, en ouverture du roman (avant le début de la « Part one »), un long paragraphe en italique présente le cadre historique de l’œuvre, soit la commande royale de 1711, faite par la reine Anne, pour l’érection de sept nouvelles Églises de paroisse dans les villes de Londres et Westminster, puis présente Nicholas Dyer, l’architecte responsable du premier prototype. Ce cadre pragmatique (ce paragraphe semble en dehors de l’œuvre proprement dite et donc appartenir au paratexte) fait douter de la véritable nature du texte (histoire ou fiction?). Mais la dernière phrase nous introduit directement dans la fiction : « This is the vision we still see and yet now, for a moment, there is only his heavy breathing as he bends over his papers and the noise of the fire which suddenly flares up and throws deep shadows across the room.» (1)
Autres informations : Un « Acknowledgments » à la fin = « Any relation to real people, either living or dead, is entirely coincidental. I have employed many sources in the preparation of Hawksmoor, but this version of history is my own invention. I would like to express my obligation to Iain Sinclair’s poem, Lud Heat, which first directed my attention to the stranger characteristics of the London churches. » (218) Malgré sa brièveté, cette note n’en est pas moins explicite; elle témoigne en tout cas d’une technique propre à Ackroyd, soit son écriture qui s’inscrit toujours dans un réseau intertextuel important (quoi que cela ne se développe jamais de la même manière), mais aussi la rhétorique du « entirely coincidental » propose-t-elle un pacte de lecture entièrement fictif. Il faut dire que, simplement en changeant le nom du biographé, Ackroyd manifestait déjà son intention de s’éloigner de la réalité historique mais, probablement, aussi, de cautionner ce recours à la fiction par l’emprunt d’un nom fictif qui dégage l’auteur de toute responsabilité par rapport aux faits.
Textes critiques sur l’auteur : Voir le dossier joint. Bref résumé = Alex LINK (2004), « “The Capitol of Darkness”: Gothic Spatialities in the London of Peter Ackroyd’s Hawksmoor » : Article écrit de façon quelque peu hétéroclite mais qui reprend bien les éléments signifiants du roman. La première partie s’inspire de la psychanalyse alors que la deuxième entre plus directement dans l’analyse textuelle. Il insiste beaucoup sur la symbolique des églises, l’expérience de « l’étrangeté » (« the uncanny ») dans le roman et le dégoût pour le féminin. — « Hawksmoor suggests at least the following three things : first, that the organization of urban spaces is driven by inherently masculinist processes of abjection; second, that the unruly play of the popular opens urban spaces through the grotesque, foregrounding the uncanny materiality of London’s monumental signifiers and raising, the uneasy possibility that historical progress is an illusion; and third, that the complexity of urban codes opens a space for a multiplicity of possible urban histories that are at once textual constructs and political necessities. » (Link, 2004: 521)
Edward J. AHEARN (2000), «The Modern English Visionary: Peter Ackroyd’s “Hawksmoor” and Angela Carter’s “The Passion of New Eve”»: Article qui offre une analyse séparée des deux romans. La thèse est : « Both novels, though in different ways, are harrowing in linking the pursuit of an ecstatic experience of being to sexual mutilation and murder. » (2000:453-454) / Autre point: «Of course it is Ackroyd who has created this evocation of insanity as the source of enigmatic vision, one leading to the decidedly nonrealistic, non-novelistic experience of transmigration. But, and this is central to my argument, it is precisely through tactics inherent in the writing and reading of novels that the visionary impulse persists in these late twentieth-century works.» (2000: 458)
Dominique COSTA (2001), «The Nature of Time in British Historiographic…»: Sur la nature cyclique du temps dans deux œuvres d’Acroyd, sur « the novelist’s fascination with Time an its elusive nature » (130). Son article fournit surtout des résumés intéressants d’Hawksmoor et de Chatterton, mais ses analyses sont somme toute peu fouillées car ce rapport au temps chez Ackroyd est de toute première évidence. Je crois même qu’Ackroyd en parle très ouvertement dans ses entrevues.
Hypothèse : Dans ce roman, toutes les parties prises séparément ne font pas toujours sens, ou du moins ne méritent pas vraiment l’intérêt (je pense surtout aux deux chapitres consacrés chacun aux futurs victimes d’assassinat). Cependant, lorsqu’on les met en parallèle avec le reste de l’œuvre, on est conduit non seulement à mieux comprendre l’intrigue policière, mais en plus nous constatons que le(s) monde(s) mis en scène par Ackroyd est (sont) en perpétuels imitation d’eux-mêmes – ou, pourrait-on dire, les mêmes événements se reproduisent inlassablement mais toujours sous un jour nouveau, ce qui sous-tend l’idée qu’il n’y a pas d’évolution voire d’historicité, mais plutôt un monde mu par des forces qui dépassent la volonté humaine. Il y a, selon moi, un parallèle à faire entre l’intrigue de ce roman (un des premiers d’Ackroyd) et l’écriture (l’entreprise, le genre) biographique tels que les pratique Ackroyd, en ce sens que, pour lui, rien n’est jamais neuf ou original, mais toujours « réécrit », s’inscrivant dans une tradition et évoluant autour de figures immuables (ici, les 7 églises, mais on peut bien aussi parler des figures d’écrivains « immuables » qu’Ackroyd biographie : T.S. Eliot, Dickens, Chaucer, etc.) En somme – et c’est là l’intérêt d’Ackroyd –, à travers chacun des genres qu’il pratique – et il en pratique beaucoup –, Ackroyd renouvelle sa façon de dire mais pas son propos – il utilise toujours le biographique de la même façon. On y voit donc comme une sorte de mise en abyme ou de métaphore de l’entreprise bio-romanesque d’Ackroyd; son œuvre étant un réseau de signification sur son rapport au biographique. Lui assume entièrement son héritage, sa filiation, sa position de plagiaire en mettant en scène un personnage biographique mais en renouvellant toujours sa façon de dire le biographique.
SYNOPSIS
Résumé ou structure de l’œuvre : L’histoire se passe sur deux époques; le début du 18e siècle (environ 1711-1715) et la fin du 20e siècle. La première époque, racontée par Nicholas Dyer, l’architecte responsable de la reconstruction de sept églises après le grand incendie de Londres, est entièrement autodiégétique. Dyer raconte à la fois son travail à son bureau avec son assistant Walter et fait quelques retours dans le passé pour raconter son enfance et son jeune âge adulte (comment il a vu mourir ses parents de la peste, comment il a dû se sauver de chez lui où ses parents agonisaient afin d’éviter la contagion, comment il a rencontré un certain Mirabillis qui l’a recueilli au sein de sa secte qui se consacre au démon, comment il est devenu apprenti puis architecte officiel de Sir Christopher Wren, etc.). La narration revient ensuite au présent de la narration – pendant la supervision des travaux de construction –, alors que Dyer reçoit des lettres anonymes pour le supplier d’arrêter ses projets (103). Dyer aurait donc été percé à jour, puisque la disposition des sept églises qu’il construit est davantage une perspective « démoniaque » qu’une façon de rendre un culte à Dieu. Voir p.186 où il décrit ses plans. En fait, la religion de Dyer s’appuie sur le principe suivant : « He who made the World is also the author of Death, nor can we but by doing Evil avoid the rage of evil Spirits.» (20-21) And so on… «What is Man? An unchangeable Evil. What is the Body ? The Web of Ignorance, the fundation of all Mischief, the bond of Corrupcion, the dark Coverture, the living Death, the Sepulture carried about with us. » (21) —- «These are the ancient Teachings and I will not Trouble my self with a multiplicity of Commentators upon this place, since it is now in my Churches that I will bring them once more into the Memory of this and future Ages.» (21) L’intrigue se résume en fait à la phrase suivante: «Sathan is the God of this World and fit to be worshipp’d I will offer certaine proof and, first, the Soveraignty of his Worship.» (21) Ses preuves sont donc les Églises et les sacrifices humains qui les consacrent (les meurtres qui auront lieu sur les deux périodes). La deuxième époque (le monde contemporain – les années 80 pourrait-on dire) mettra donc en scène le pouvoir satanique de Dyer qui, au-delà de la mort, sacrifie de jeunes garçons (virgin boys) afin de « consacrer » ses églises. C’est le détective Nicholas Hawksmoor (personnage fictif qui hérite du nom de l’architecte qui a véritablement conçu six des sept églises qui sont au cœur du roman ) qui enquête sur ses crimes sans parvenir à les résoudre. Son incapacité à faire progresser l’enquête conduira ses collègues à le croire maintenant inapte, dépassé qu’il est dans ses méthodes d’investigation. Hawksmoor a tout de même réussit à établir des liens avec les Églises, mais surtout parce qu’il reçoit des documents (par Dyer ?) pour le mettre sur la piste. Il partira ainsi à la recherche d’un vagabond qui se fait appeler « The Architect », mais sans parvenir à le retrouver. Parallèlement, Dyer, qui croit qu’un certain Hayes qui travaille pour lui est le responsable des lettres de menace qu’il reçoit, décide de l’assassiner sur le site même d’une des églises. La mort « accidentelle » du fils du chef maçon – provoquée par Dyer ? – (130) sur un autre site rejoint à son tour le meurtre au 20e siècle d’au moins deux autres garçons anonymes et du meurtre d’un itinérant, Ned, et d’un jeune garçon, Thomas Hill, auxquels sont consacrés chacun un chapitre dans la première partie du livre (description, p.124-125). (Après coup, je me dis qu’il y a dû y avoir au moins 7 meurtres situés chacun sur un site différent, mais j’ai manqué d’attention sur ce point à la lecture…) Finalement, Hawksmoor et Dyer – tout deux diminué par leur angoisse et leur paranoïa – finiront par se rejoindrent à la toute fin du livre, dans une espèce de fusion mystique. Dans l’avant-dernier chapitre (le dernier raconté par Dyer), celui-ci – mais la confusion demeure – se suicide sur le site d’une de ses églises, où ira le rejoindre Hawksmoor dans le dernier chapitre.
Topoï : 1/ La rationalité (représentée par Sir Christopher Wren) et la croyance en des forces supérieures telles l’occultisme (représentée par Nicholas Dyer qui croit en fait que Dieu et le Diable sont le même et que la Bible est le livre de la mort) qui font que l’être humain n’a que peu de contrôle sur sa destinée. Le monde du 18e siècle est dominé par la vision de Dyer, mais la rationalité de Wren qui s’incarne tranquillement grâce aux grandes figures scientifiques de l’époque, tel Darwin et Descartes, finit par triompher dans l’Angleterre du 20e siècle, comme l’affirme Hawksmoor : « “We live in a rational world.” » (158) Le roman, par contre, fait triompher davantage la vision de Dyer puisque son pouvoir transcende les époques et que c’est la difficulté pour le détective Hawksmoor de comprendre ce pouvoir mystificateur des Églises (il cherche une solution rationnelle aux crimes , tout comme ses collègues n’ont foi que dans la technologie) qui l’empêche de triompher du meurtrier et qui le conduira vers une sorte de folie dans laquelle Dyer l’entraînera ultimement. Extrait d’une discussion entre Dyer et Wren : « But Nick, our Age can at least take up the Rubbidge and lay the Foundacions : that is why we must study the principle of Nature, for they are our best Draught. No, sir, you must study the Humours and Natures of Men: they are corrupt, and therefore your best Guides to understand Corrupcion. The things of the Earth must be understood by the sentient Faculties, not bye the Understanding. » (144) Mais en dévoilant ainsi ses idées, Dyer craint de se trahir (148)
2/ L’histoire comme éternelle répétition (la nature cyclique du temps): Dans la majorité des romans d’Ackroyd, non seulement le passé interfère sur le présent, mais le présent aussi détermine le passé. «The persistence of popular voices and popular violence is hardly a nightmarish sign of a world doomed to eternal repetitions.» (Link, 2004: 530) Pour accentuer cet effet, non seulement Ackroyd fait-il se répéter des événements dans des contextes similaires, mais il donne aussi les mêmes noms à des personnages apparentés. Le fils du chef maçon du 18e porte le même nom que le jeune garçon du 20e, les assistants de Dyer et Hawksmoor ont tous deux le prénom de Walter et le nom de Payne/Pyne, Mme Best et West pour leurs propriétaire, les victimes ont des noms similaires (Hayes/ Matthew Hayes, 162) etc. Voici quelques exemples ponctuels de « répétitions » : - Le clochard Ned découvre « an old spherical compass » (72), objet qui aurait pu appartenir à l’architecte Dyer. - Un fou (« madman ») lance un avertissement à Dyer : « I’ll tell you somewhat, one Hawksmoor will this day terribly shake you ! » (100) - Lien (gros, d’ailleurs) entre Dyer et Hawksmoor: «Hawksmoor liked to measure these discrete phases, which he considered as an architect might consider the plan of a building» (113) - Mais c’est parfois plus subtil car, d’une certaine manière, cette fascination d’Ackroyd pour le temps cyclique est assez réaliste : « He grew to understand that most criminals tend to remain in the same districts, continuing with their activities until they were arrested, and he sometimes speculated that these same areas had been used with similar intent for centuries past: even murderers, who rapidly became Hawksmoor’s speciality, rarely moved from the same spot but killed again and again until they were discovered. And sometimes he speculated, also, that they were drawn to those places where murders had occurred before. » (115-116) - Une figurante du 18e et du 20e: «a Woman who stood with her Back against the Wall crying Come John, Come John, Come John (I believe that to be her Son who is dead, Sir Chris. Told me).» (99) / À l’asile où Hawksmoor va rendre visite à son père : « One old woman stood in a night-dress, her back against the wall, and repeated “Come John, come John, come John” into the air in front of her, until she was taken gently by the arm and led away still muttering. » (120) - Le père d’Hawksmoor fait reference à la lettre de menace reçue par Dyer, dévoilant même qui en est l’auteur (le procédé sert donc l’intrigue policière) : « “Nick, is there still more to come ? What happened to that letter ? Did they find you out ?” Hawksmoor looked at him astonished. “What letter, Dad ? Is this a letter you wrote ?” […] “No, not me. Walter wrote it. You know the one.” » (121) - Les témoins qui ont entendu différentes choses le soir du meurtre de Matthew Hayes au 20e siècle ont en fait entendu les événements décrits lors du meurtre de Hayes au 18e siècle. (165) (172) - La phrase « O Misery, They Shall Die », écrite par l’assistant de Dyer (171), Walter Payne, se retrouve sur un livre qu’Hawksmoor aura entre les mains (191)
Par contre, dans ce roman, le mouvement circulaire est tout de même entravé par une certaine linéarité assurée justement par la pérennité du personnage de Dyer qui est, rappelons-le, le meurtrier du 20e siècle qui non seulement choisit des victimes qui lui ressemblent mais qui, aussi, traîne avec lui son époque, du moins dans sa façon d’assassiner ses victimes : « And it was important for him [Hawksmoor], also, to master his subject so thoroughly that he knew the seasons and the rules of death : stabbings and strangulations were popular in the late eighteenth century, for example, slashed throats and clubbing in the early nineteenth, poison and mutilation in the latter part of the last century. This was one reason why the recent cases of strangling, culminating in the third corpse at Wapping, seemed to him to be quite unusual – to be taking place at the wrong time. He did not speak of such things to his colleagues, however, who would not have understood him. » (117)
3/ La perte de l’héritage anglais (l’amnésie culturelle) : « Throughout his critical writing, Ackroyd returns time and again to a sense of a specifically English literary heritage that is based in the textual play, heterogeneity, and mixed modes of the gothic and the grotesque. For him, this heritage is in danger of vanishing in the shadow cast by postmodernism. […] The churches, then, are the emblems of all that has been lost in this abandonment of tradition… » (Link, 2004: 531-532) Mais cet héritage est du moins restauré par les pouvoirs sataniques de Dyer : « …look upon my my Churches […], and do you not wonder why they lead you into a darker World which on Reflection you know to be your own ? » (102) D’ailleurs, ce qu’il reste de Wren n’est qu’une statue : « …past the statue of Sir Christopher Wren… » (152)
4/ L’aliénation de soi : représentée par les divers personnages qui sont toujours « borderline », soit mésadaptés socialement et psychologiquement, marqués par des traumatismes et souvent sur les bords de la folie, que ce soit Dyer lui-même ou son double, le détective Hawksmoor, ou les victimes de Dyer (un enfant solitaire et rejeté, un vagabond paranoïaque, etc.) ou le père d’Hawksmoor qui est dans un asile d’aliénés, ou encore la communauté d’itinérants qui se tiennent autour des églises. Ces types de personnages sont omniprésents dans le roman, même dans les personnages secondaires, comme l’homme venu se présenter au commissariat en s’accusant des meurtres : « And they inhabited small rooms to which Hawksmoor would sometimes called : rooms with a bed and a chair but nothing besides, rooms where they shut the door and began talking out loud, rooms where they sat all evening and waited for the night, rooms where they experience blind panic and then rage as they stared at their lives. » (164) C’est précisément le genre de chambre où habitait Ned le vagabond et qui rappelle, à certains égards, l’appartement d’Hawksmoor, qui est conscient de cette similitude : « And sometimes when he saw such people Hawksmoor thought, this is what I will become, I will be like them because I deserve to be like them, and only the smallest accident separates me from them now. » (164)
5/ La force de la culture orale, matérialisée par la récurrence de diverses chansons à même le texte : « Popular music and verse form the eighteenth century persisting in the twentieth, and the living knowledges of an oral tradition and the everyday, present themselves as more durable and stable than any structure. » (Link, 2004: 528)
6/ La présence de Londres: «The persistence and insistence of the quotidian in London’s streets ultimately poses a significant problem for the reader of Hawksmoor in its refusal to remain quietly in the background while history’s giants battle to possess those streets.» (Link, 2004: 529)
7/ Thème qui relève d’un troisième niveau de lecture (parce qu’on n’a aucune trace explicite dans le roman), le rapport au gothique et à la religion catholique : « Dyer might live in an England stained with the blood rites of the druids and painfully aware of its deep Catholic roots… […] What arises through Hawksmoor’s churches, then, is the specter of nation, of the tradition that grounds the postmodern, and the combination of the two into a national tradition. If the gothic conventionally features the return of the repressed, Hawksmoor’s repressed is the gothic, in its aesthetic practices, its folkloric roots, and its resonance with England’s centuries-long immersion in Catholicism. It is the gothic that Ackroyd fears postmodern England is in danger of forgetting altogether. » (Link, 2004: 532)
Rapports auteur-narrateur-personnage : Résumé : Le livre est divisé en deux parties, la première avec 5 chapitres, la deuxième avec 7. La narration de Dyer alterne d’un chapitre à l’autre avec une narration hétérodiégétique qui, dans la première partie, raconte tour à tour la vie du jeune Thomas, un enfant solitaire et méprisé des autres qui se réfugie à l’église de Spitalfields, et de Ned, un homme souffrant de paranoïa devenu vagabond et se réfugiant dans une maison abandonnée située (si je ne me trompe pas) à côté de l’église de St Anne’s.
Comme je l’ai mentionné, la narration de la période du début 18e siècle est assurée par le personnage principal qui s’exprime avec le vocabulaire et la syntaxe de son temps (en d’autres termes, Ackroyd a rédigé cette partie en ancien anglais). Toutefois, le statut générique de ce texte est relativement ambigu dans la mesure où il oscille entre l’autobiographie, voire les mémoires – puisque l’auteur s’adresse au lecteur – et le journal intime – puisque l’auteur suit un peu les aléas de sa pensée et confesse ses crimes au fur et à mesure. Ce document fait même un peu office de témoignage à travers le temps permettant de faire écho à l’intrigue policière et, à la limite, il est presqu’une sorte d’incantation permettant d’amener le policier Hawksmoor dans sa chute finale, soit sa fusion avec Dyer. Quelques commentaires métatextuels : « For when I trace back the years I have liv’d, gathering them up in my Memory, I see what a chequer’d Work of Nature my Life has been. If I were now to inscribe my own History with its unparalleled Sufferings and surprizing Adventures (as the Booksellers might indite it), I know that the great Part of the World would not believe the Passages there related, by reason of the Strangeness of them, but I cannot help their Unbelief: and if the Reader considers them to be but Dark Conceits, then let him bethink himself that Humane life is quite out of the Light and that we are all Creatures of Darknesse.» (11) «But of this I may speake again in another Place, and I shall return in the mean time to my History for which I will, like a State Historian, give you the Causes as well as the Matter of Facts. I never had any faculty in telling of a Story, and one such as mine is will be contemned by others as a meer Winter Tale rather than that they should be brought to be afraid of another World and subjected to common Terrours which they despised before; for thus, to cut short a long Preambule, I have come to the most grievous story of the Plague.» (13) «It would tire the Reader…» (50) « The Reader may wonder how I, who make no mention of my being there, should be able to relate this as of my own Knowledge; but if he pleases to have Patience, he will have intire Satisfaction in that Point.» (95)
La narration de la période contemporaine est, quant à elle, hétérodiégétique à focalisation interne sur les personnages de Thomas Hill et de Ned dans la première partie et sur le personnage d’Hawksmoor dans la deuxième partie.
I. ASPECT INSTITUTIONNEL
Position de l’auteur dans l’institution littéraire : Voir autres fiches. Je remarquerai toutefois ici à quel point Ackroyd est un auteur aimé de l’institution car chacun de ses livres a été l’objet de nombreux articles scientifiques. Il semble en tout cas être une figure phare des « contemporary British Novelists », mais ses œuvres sont surtout analysés en regard d’une esthétique « post-moderne ». La question de son rapport au biographique n’a que très peu été étudiée. De plus, les articles qui lui sont consacrés sont bien sûr fait par des critiques anglais qui ont une façon bien différente d’analyser la littérature (de façon un peu hétéroclite ce qui les conduit souvent à analyser seulement en surface).
Position du biographé dans l’institution littéraire : Hawksmoor n’est pas un écrivain. Quant à Iain Sinclair, il semble avoir à peu près la même place qu’Ackroyd bien qu’il soit un peu moins connu.
Transfert de capital symbolique : S’applique peu ici, la fictionnalisation des personnages historiques étant très marquée.
II. ASPECT GÉNÉRIQUE
Oeuvres non-biographiques affiliées de l’auteur : Ne s’applique pas.
Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : Centrale, bien sûr. Rien à ajouter pour le moment.
Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : La tension entre différents genres (ou dynamiques génériques) est sans doute un des aspects les plus intéressants de ce roman, mais aussi de toute la production d’Ackroyd. Soulignons, d’abord, une remarque de Link dans son article sur le Londres gothique tel que présenté dans Hawksmoor – remarque qui se détache un peu de son propos centrale mais qui me semble la plus intéressante : « Just like Hawksmoor’s attempt to tell a detective story, they [the churches] will always collapse back into the shadowy chaotic play, characterized by the gothic, that they intend to structure.» (Link, 2004: 534) Je la trouve intéressante parce que la force du roman me semble justement être cette difficulté à se cadrer dans un genre précis. Hawkmoor oscille bien sûr entre le roman gothique et le roman policier, mais cette ambiguïté semble être au fondement même du roman qui cache sa véritable nature derrière ces deux genres. Car Ackroyd ne cherche ni à fournir une intrigue policière satisfaisante (il me semble que la conclusion risque de rendre mal à l’aise tout véritable amateur de genre policier – qui plus est, cette intrigue n’arrive qu’au milieu du roman), ni a proposer au lecteur – comme dans le genre gothique – un univers étrange perturbant son équilibre et sa vision du monde, jusqu’au chapitre final où la raison et l’ordre finissent par replacer les éléments dans un univers cohérent et acceptable ; mais, plutôt, il fait s’affronter deux visions radicalement opposées (le rationalisme et le mysticisme) sans que l’une ne parviennent jamais à véritablement dominer l’autre. Ce roman me semble ainsi davantage appartenir au genre de la biographie fictive à laquelle il emprunte certains codes. Chose certaine, lu sous l’angle du biographique, ce roman, même s’il n’est pas centré sur un écrivain et même si la part de fait est très minime, est riche.
Ackroyd – pour mettre en scène un des thèmes dominants de toute son œuvre, soit l’histoire comme phénomène cyclique de répétitions – construit son roman sur le mode de la répétition et de la reprise. Ainsi, non seulement les noms, les situations et les thèmes sont-ils similaires d’une époque à l’autre, mais il en va de même des propres dires du romancier qui se répètent d’un chapitre à l’autre. Par exemple, il arrive souvent que la phrase de fermeture d’un chapitre soit reprise au début du suivant, ce qui crée une sorte de continuité. Cependant, plutôt que d’assurer une cohérence, ces répétitions (tout comme l’interchangeabilité des personnages et, sur ce point, ils sont peu développés psychologiquement puisqu’une seule figure domine) servent davantage à instaurer un certain malaise, mais aussi une certaine satisfaction puisque ces similitudes constituent véritablement les « indices » que l’auteur sème et c’est à ce niveau, me semble-t-il, que l’intrigue policière se situe vraiment. (Costa évoque ces répétitions dans son article, mais n’en tire pas vraiment les mêmes conclusions : son article porte sur la nature cyclique du temps chez Ackroyd – ce qui, en soit, est évident même au premier niveau de lecture…) Il cite, d’ailleurs, Susanna Onega : « Indeed, as we go reading, we find more and more shocking reduplications of names, events, actions and even identical sentences uttered by characters who live centuries apart, until we are forced to conclude that, in the novel, nothing progresses in time, that the same events repeat themselves endlessly, and that the same people live and die only in order to be born and to live the same events again and again, eternally caught in what appears to be the ever-revolving wheel of life and death. » (1991 : 33) En somme, les critiques semblent voir dans ces répétitions quelque chose de lourd, voire une vision pessimiste du monde et du temps. Moi, j’y vois plutôt le schème fondamental de l’écriture mais aussi de la posture de biographe d’Ackroyd, comme quoi on est toujours héritier du passé mais qu’on réinvente aussi toujours le passé (comme le présente entre autres Regard). Mais cette vision me semble éminemment positive en ce que le biographe met au jour la relation biographique qui le nourrit.
La fin du roman, ou Dyer et Hawksmoor « fusionnent » ensemble en une seule et même figure (et ils ne font, par là, que redevenir l’unité qu’Ackroyd, pour les besoins de son roman, a scindé en deux) peut aussi être vue comme une métaphore du fantasme du double que l’on retrouve chez Ackroyd : « And his own Image was sitting beside him, pondering deeply and sighing, and when he put out his hand and touched him he shuddered. But do not say he touched him, say that they touched him. And when they looked at the space between them, they wept. The church trembled as the sun rose and fell, and the half-light was strewn across the floor like rushes. They were face to face, and yet they looked past one another at the pattern which they cast upon the stone; for when there was a shape there was a reflection, and when there was a light there was a shadow, and when there was a sound there was an echo, and who could say where one had ended and the other had begun? And when they spoke they spoke with one voice. » (216-217) D’ailleurs, comme le fait remarquer Costa qui analyse parallèlement Hawkmoor et Chatterton, on retrouve dans ces deux romans les mêmes schèmes obsessionnels qui fonde toute l’entreprise biographique d’Ackroyd, soit l’identification à l’autre – identification qui passe aussi par l’histoire, l’époque et le pays du biographe/biographé. Costa parle de « recurring haunting image » (2001 : 129) qui hante les personnages « secondaires » de Chatterton, soit l’image de Chatterton elle-même.
Thématisation de la biographie : Non thématisé.
Rapports biographie/autobiographie : Ne s’applique pas.
III. ASPECT ESTHÉTIQUE
Ne s’applique pas sauf en rapport avec le poème de Iain Sinclair. Voir McGill PR6069 I525 L8 1995 Pour point de comparaison, voir la description détaillée des Églises faite par Dyer, p.186)
Oeuvres non-biographiques affiliées du biographé :
Œuvres biographiques affiliées du biographé :
Échos stylistiques :
Échos thématiques :
IV. ASPECT INTERCULTUREL
Affiliation à une culture d’élection :
Apports interculturels :
Lecteur/lectrice : __Manon auger_