FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Gérard BONAL Titre : Colette par moi-même Lieu : Paris Édition : Ramsay, coll. «Affinités Électives» Année : 1982 Pages : 181 p. Cote : PQ 2662 O56C6 1982 Désignation générique : Aucune
Bibliographie de l’auteur : Quelques romans, d’autres œuvres sur Colette (Colette intime, 2004), une biographie de Gérard Philippe.
Biographé : Colette
Quatrième de couverture : Présentation de l’auteur suivie d’une présentation du livre : «25 ans ! Oui, depuis 25 ans, Gérard Bonal et Colette entretiennent une pudique et fervente histoire d’amour – un “amour, dit-il lui-même, sans froideur ni éclipse”. De sa bibliothèque d’écolier jusqu’à celle de l’adulte et du romancier, Gérard Bonal a poursuivi, à travers Sido, La maison de Claudine, et tant d’autres livres, le visage et le cœur de cette femme qui lui a appris à observer, à analyser et à aimer passionnément la nature humaine. “Cette religion de mon adolescence, ce guide de mon éducation première” que Colette attribuait à Balzac, Bonal l’applique à Colette, fidèle compagne de littérature, mais aussi d’existence.»
Préface : Aucune
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Le texte est suivi d’un appendice dans lequel on retrouve une «petite chronologie» mais, surtout, un index de citations – incluant la reprise de la citation - qui se retrouvent dans le texte. Comme on le verra, il est important pour Bonal de mêler la voix de Colette à la sienne sans s’encombrer de références mais pas au point d’effacer complètement la trace de celles-ci. Il ajoute même : «Loin de croire que reprises ici, les citations que j’utilise dans le texte pouvaient créer une répétition inutile, il m’a semblé qu’au contraire, mises bout à bout, elles constituent une sorte de “morceaux choisis”. Je les ai donc recopiées, restituant à certaines une forme originelle tronquée pour les besoins du récit.» (p.151)
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Le titre s’avère ici très révélateur ; il s’agit de Colette mais telle que se l’approprie le vécu et la subjectivité de l’auteur ; il se met donc abondamment en scène et se charge de la narration.
Narrateur/personnage : Le narrateur (l’auteur) dialogue en quelque sorte avec Colette par le biais de son œuvre, soit en introduisant dans son propos des citations extraites de l’œuvre de Colette ou en présentant les réflexions résultant de ses lectures et relectures. Ces citations ne trouvent leur référence que dans l’appendice, mais Bonal utilise toutefois le guillemet pour marquer le passage de l’un à l’autre.
Biographe/biographé : Lorsqu’il découvre les livres de Colette à l’adolescence, Bonal ne révèle sa passion à personne et fait même exprès d’emprunter à la bibliothèque de son école une grosse pile de livres dans laquelle il dissimule ceux de Colette et il commente : «J’aime qu’ai débuté de la sorte, dans le secret, entre elle et moi, un amour qui n’a connu depuis ni froideur ni éclipse.» (p.14) […] «Coup de foudre ? Peut-être, et peut-être non… La seule question qui m’importe, c’est la question que je me pose encore, faute d’avoir su jusqu’à présent lui apporter une réponse : vers quel vivant, depuis cette rencontre, suis-je allé avec autant de confiance, de foi et de résolution tranquille ?» (p.19) À travers l’œuvre de Colette, c’est lui-même qu’il cherche à comprendre : «Tout au long de Sido, de Journal à rebours, de la Maison de Claudine, pour ne citer que ces titres, c’est ma trace que je cherche et que parfois je trouve, avant de la perdre, puis de la reprendre un peu plus loin et de la perdre encore […].» (p.46) En fait, la relation du biographe au biographé est centrale dans cette œuvre et c’est elle qui conditionne en grande partie le récit. Bonal parlera aussi «d’un premier amour dévastateur» : «M’ayant comblé trop tôt, ne m’a-t-elle pas, du même coup, éloigné de tout le reste ? Tout ce qui, à mes yeux, ne l’égalait pas.» (p.133)
Autres relations : L’auteur-narrateur s’adresse, à quelques reprises, au «lecteur» ; celui-ci, implicitement, doit être familier avec l’œuvre de Colette pour pouvoir faire les liens qui s’imposent et suivre avec plus de clarté le fil de la pensée de l’auteur : «Lecteurs, voyez-vous où je veux en venir ?» (p.52) et il fait alors un parallèle entre une anecdote autobiographique et un passage de la vie de Sido. / «Je pourrais ainsi multiplier les citations, mais je préfère, afin que l’on me comprenne tout à fait, renvoyer mes lecteurs aux récits de la Maison de Claudine.» (p.89)
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : Le récit, qui emprunte d’abord la forme de l’autobiographie puis ensuite celle de l’essai, est divisé en trois parties et ne suit pas une courbe chronologique. La première partie porte toutefois presque exclusivement sur l’enfance et l’adolescence de Bonal, moment où il découvre les livres de Colette. Par la suite, il est fait parfois référence à des moments de la vie de l’auteur (des conférences qu’il a donné, une visite à une bibliothèque, ses rencontres avec la fille de Colette, etc.), mais le fil conducteur est davantage sa pensée, celle-ci se trouvant à accuser les bonds que les extraits de l’œuvre de Colette l’oblige à faire.
Ancrage référentiel : Le caractère autobiographique de l’œuvre. Quelques lieux de la France.
Indices de fiction : Malgré la part d’autobiographique, Bonal se méfie du travail de déformation qu’opère la mémoire : «J’imagine, j’invente, j’inscris presque au hasard, sous des images tenaces qui ne m’ont pas livrées leur sens définitif, des légendes et des explications que je ne songeais pas à demander à ma grand-mère du temps qu’elle vivait.» (p.54) - (voir aussi p.56) / L’auteur invente une rencontre entre lui et Colette alors qu’il est nouveau-né et qu’elle se présente à lui comme une sorte de fée (p.62-63)
Rapports vie-œuvre : La vie de Colette est à peine exposée ici ; l’auteur avoue lui-même s’intéresser bien davantage à son œuvre, là où se révèle une Colette bien plus fascinante. Le seul rapport vie/œuvre est d’un genre plus particulier : l’auteur rapproche sa grand-mère du personnage de Sido, mère de Colette dépeinte dans son œuvre. Il reprend ainsi une anecdote (la fascination respective des deux femmes pour leur jardin, leurs fleurs surtout qu’elles ne veulent pas partager) qu’il reproduit sous forme de scène avec dialogues et qui présente une forte parenté thématique et sémantique avec une scène d’une œuvre de Colette (p.50-53). / «Et puisqu’à chaque conte il faut la présence féerique qui l’éclaire – la présence tutélaire disait Colette à propos de Sido -, je choisis ma grand-mère. Car celle-ci, sans en connaître le premier mot, parlait couramment le langage de Sido, abrégé sans doute, incomplet, semé d’erreurs et d’omissions. Mais tel je l’entendis et l’interprétai, tel je le restitue à présent. Et si j’en comble les blancs et les lacunes, si j’en redresse les fautes dans un sens littéraire, ce n’est pas seulement par tendresse et par fierté, mais aussi par souci de donner forme à une leçon où je puise encore, n’ayant pas fini de la déchiffrer.» (p.58)
Thématisation de l’écriture et de la lecture : Son histoire d’amour avec Colette passe avant tout par la lecture : «Nos meilleures rencontres, elles me sont venues du hasard. Je veux dire, du hasard de la lecture.» (p.81-82) / Il fait aussi des parallèles entre son devenir écrivain et celui de Colette : «Ne devient-on pas, presque toujours, écrivain sans le savoir ? Et peut-être sans le vouloir ? Et pourquoi parler avec gravité de ce qui n’est pas grave ? Bref, c’est sur cette humeur que je voulais régler la mienne, pour dire à mon tour et du même ton : “C’est ainsi que je suis devenu écrivain.” Et je me serais estimé quitte de toute autre explication.» (p121-122) / L’écriture de l’auteur est également thématisée car lorsqu’il écrivait un épisode particulier de son roman l’Amateur d’images il avait en tête un épisode de La naissance du jour de Colette (p.125-126).
Thématisation de la biographie : C’est bien davantage l’entreprise autobiographique qui est thématisée : «Mais c’est folie de croire qu’un livre, que quelques lignes même, fussent-elles claires comme un aveu, peuvent nous mener au cœur de la vie d’autrui. Pour avoir eu affaire à elle deux ou trois fois, je sais que la vérité autobiographique n’est qu’un leurre, une tentation de plus parmi toutes celles qui s’offrent à l’écrivain – comme le mensonge ou l’impuissance –, une sorte de péché d’orgueil, en tout cas une délectation morose. Mais la simple et saine routine du travail, heureusement, lui marque ses limites : elle ne tient pas longtemps devant l’obligation d’organiser un récit qui se moque bien de la vérité.» (p.76) À cet égard, il trouve la fiction plus révélatrice : «Dire “je”, ressusciter des décors abolis, des lieux abandonnés ou seulement désaffectés, des êtres perdus qui furent et demeurent chers, réveiller pieusement leurs paroles et leurs gestes, ce n’est pas cela qui vous trahit le mieux un homme, ou une femme. La fiction, pernicieusement, par des avis souterrains et détournés, est souvent meilleure conseillère.» (p.83)
Topoï : L’enfance («À propos de l’enfance, Colette a-t-elle dit autre chose ?» p.55) ; le souvenir et la mémoire («Que l’on se rassure : ce n’est pas le récit d’une enfance que j’entreprends ici. Quand je le voudrais, il me faudrait compter avec l’amnésie.» p.56) ; la lecture ; comprendre sa propre vie à partir de ce qu’un autre a dit de la sienne («Si je peux encore, malaisément certes, me frayer un passage parmi ses épisodes divers, si je peux me le raconter à la manière d’un conte, c’est-à-dire en lui conservant ses zones d’ombre, d’effroi ou de mystère séduisant, c’est parce que Colette, avant moi et pour son propre compte, fit de même avec le sien. Je n’ai eu qu’à imiter sa manière.» p.51) ; etc.
Hybridation : Entre autobiographie et essai.
Différenciation : Tentative de se différencier de l’entreprise autobiographique par le recours à une autre figure, en l’occurrence celle d’un écrivain.
Transposition : Transposition de l’œuvre du biographé : l’œuvre est transposée sous forme d’extraits qui se juxtaposent à la pensée et à la voix de l’auteur. À l’occasion, ce dernier expliquera ou justifiera ses choix. Par exemple : «Si je me sers, afin de raconter aujourd’hui le choc de cette rencontre, des termes que Colette utilise pour décrire sa première lecture de Proust, c’est que… [etc.]» (p.20) De façon plus précise, il s’en servira pour décrire et parler de sa propre enfance, de la façon de percevoir celle-ci (voir, p.29 ; 32 ; 35 ; 38) ou, mieux encore, pour donner à sa réflexion sur l’enfance une portée plus générale : Après une citation de Colette, il écrira : «Je suis souvent revenu sur ces lignes, et c’est à dessein que je les rapproche de celles que je viens d’écrire. À quel moment, quel jour finit l’enfance ? Si elle meurt, de quoi meurt-elle ? [etc.]». (p.40) Il explique ainsi sa recherche : «Mais ils ne savent pas que je traque un secret aussi vieux que moi-même, qui chaque fois se montre un peu mieux et chaque fois se dérobe : comment et de quoi se forme un enfant, ou plutôt – car, après tout, l’enfance n’est qu’une passage périlleux, un tunnel étroit mais qu’on franchit sans dommage la plupart du temps – comment se forme un être, de quels reniements et de quels apports. À défaut de trouver la réponse en moi-même, c’est chez Colette que je la cherche. Vaine étude sans doute, d’autant que je m’attarde à contempler les paysages qu’elle dépeint […]. N’importe : je m’entête et je recommence. Car je ne reviens jamais bredouille de Saint-Sauveur, même si l’essentiel m’échappe : un mot, une odeur nouvelle, une couleur, une nuance née de mon humeur du jour me font un butin dont je me contente. D’autres fois, c’est un panneau tout entier de mon passé qui remonte au jour inopinément, intact, conservé avec tous ses détails dans la pénombre fraîche de ma mémoire […]» (p.47-48)
Autres remarques : Il ne définit jamais très clairement son projet, mais il précise : «Exagérations, lacunes, erreurs… Après tout, ce n’est pas une biographie de Colette que j’ai projeté d’écrire. Je n’apporterai aucun élément inédit à la connaissance de sa vie. Car mon savoir, c’est d’elle seule que je le tiens : de ses confidences, précises ou voilées, de ses sous-entendues, de ses mensonges parfois, de ses hésitations, de ses répétitions qui sonnent à mes oreilles comme une alarme, de ses silences […]» (p.98)
LA LECTURE
Pacte de lecture : Pas nécessairement clair puisqu’il s’agit d’une œuvre à l’appartenance générique confuse. Mais le pacte de lecture ne pose pas d’enjeux particuliers.
Attitude de lecture : Convient sans doute dans la mesure où le biographe prend tout le pas sur le biographé, mais très peu intéressant en soi. La place accordée à Colette est très mince.
Lecteur/lectrice : Manon Auger