Table des matières
Synthèse générale
Tentative : cerner le discours sur la construction du contemporain en littérature québécoise [Pierre-Luc Landry]
Bibliographie :
- Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Tome IV, Introduction
- Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Tome V, Introduction
- Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Tome VI, Introduction
- Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Tome VII, Introduction
- Histoire du Québec contemporain, Tome II, Troisième partie
(Note : on peut consulter les ouvrages en question en cliquant sur les liens concernés sur la page d'accueil du wiki.)
Ma synthèse sur le sujet se déclinera en cinq points :
1. Périodisation du contemporain ;
2. La fin de quelque chose : le contemporain dans les œuvres ;
3. Le roman comme genre de prédilection ;
4. Redéfinir l’adjectif « québécois » à la lumière d’une nouvelle réalité ;
5. Perspectives globales, ou, le contemporain comme phénomène mondial.
1. Périodisation du contemporain
D’instinct, on a tendance à faire commencer le contemporain en 1980. Il semblerait que cette périodisation instinctive soit justifiée : le discours critique ne précise pas de date exacte, mais on constate la fin d’une époque, le début de quelque chose de nouveau, un point de rupture, à partir des années 1980.
Le DOLQ insiste très légèrement sur le référendum de 1980. Le vocabulaire employé par les auteurs de l’Histoire du Québec contemporain est, quant à lui, sans équivoque : 1980 marque le début d’une nouvelle période dans l’histoire du Québec. Le passage de l’époque précédente à celle-ci n’est pas attribué à la seule défaite du oui au référendum de 1980, mais à d’autres facteurs qui seraient probablement plus symptomatiques du début du contemporain. On pense ici à la dépression économique de 1981-1982, à la remise en question de l’État-providence et à une certaine rupture idéologique qui « tient à divers facteurs, parmi lesquels la récession économique de 1981-1982 et le vieillissement de la génération du baby boom jouent sans doute un rôle important. » (Histoire du Québec contemporain, Tome II, p. 687)
2. La fin de quelque chose : le contemporain dans les œuvres
Le DOLQ affirme qu’il n’y a pas de changement majeur dans le contenu des œuvres parues après 1980 : « il n’y a pas de coupure sensible entre les romans publiés à la fin des années 1970 et ceux qui paraissent à la suite du Référendum de 1980, soit de 1981 à 1985 inclusivement » (DOLQ, Tome VII, p. XIX). Toutefois, on constate que, si les thèmes sont sensiblement les mêmes, les œuvres n’expriment plus de ruptures comme le faisaient celles de la période précédente. Il s’agissait de ruptures avec la famille, avec la religion ou encore avec le système d’éducation. Cet aspect n’est pas présent de façon significative dans les œuvres de la période contemporaine.
On assiste, après 1970, au désengagement des artistes. Les auteurs de l’Histoire du Québec contemporain insistent sur ce point :
« Enfin, on note une évolution sensible en ce qui concerne les rôles et les positions politiques ou idéologiques que les intellectuels et les artistes ont tendance à assumer. Jusqu’au tournant des années 1970 environ, ils se voient et sont vus comme des contestataires. Ils militent dans les mouvements d’opposition, les syndicats, les groupes indépendantistes ou marxistes ; ils critiquent ouvertement les institutions ; et ils cherchent volontiers à donner à leurs œuvres une portée subversive. Les écrivains de Parti pris (1963-1968), les peintres et les sculpteurs adeptes de la démocratisation de l’art, les comédiens œuvrant dans les troupes de quartier ou d’usines en sont des exemples. D’ailleurs, certains d’entre eux inquiètent les autorités, au point d’être appréhendés lors des événements d’octobre 1970. Par la suite, toutefois, cette attitude s’atténue, pour faire place progressivement à une forme de désengagement et de repli sur la spécialisation. De plus en plus, les créateurs délaissent les luttes socio-politiques et se préoccupent strictement de questions esthétiques ou professionnelles. » (Histoire du Québec contemporain, T. II, p. 775)
Le DOLQ note la même tendance en affirmant qu’on assiste, lors de la période qui nous intéresse, à un passage de la collectivité à l’individualité. Les « idéologies du moi » (Histoire du Québec contemporain, T. II, p. 687) semblent marquer les années 1980, tout comme la littérature issue de cette décennie. Les thèmes sont individualistes, on se préoccupe davantage de soi que de la collectivité, etc. Ce courant plutôt hédoniste n’est pas exclusif à la littérature, mais celle-ci n’y échappe pas.
Sur un autre ordre d’idées, on a dorénavant conscience que la littérature n’a plus l’impact qu’elle avait avant, elle n’occupe plus la place de choix qui lui était réservée dans la société des années 1960 ; son âge d’or est bel et bien terminé : « En somme, à aucune autre époque [les années 1960] peut-être la littérature et les écrivains n’auront occupé une position aussi centrale dans la vie culturelle du Québec ni n’auront joui d’un tel rayonnement. Par eux passent directement les débats, les prises de conscience, les inquiétudes et les attentes qui définissent l’esprit des nouvelles élites cultivées. » (Histoire du Québec contemporain, Tome II, p. 780)
3. Le roman comme genre de prédilection
Le phénomène n’est pas exclusif à 1980, il prend plutôt ses aises dès les années 1970, mais force est de constater que le roman devient véritablement le genre de prédilection, détrônant ainsi la poésie : « Si l’on tient compte à la fois du nombre de titres publiés, des tirages et de la réception accordée par la critique et le public, le roman devient, au cours des années 1970, le genre littéraire majeur. Il prend ainsi une position qui, depuis les années 1950 et jusqu’au milieu de la décennie 1960 environ, a appartenu plutôt à la poésie. » (Histoire du Québec contemporain, T. II, p. 786) On remarque aussi, pour la période commençant en 1980, que les grandes sagas en plusieurs tomes et les romans historiques occupent de plus en plus d’espace in the big picture ; même : les livres les plus populaires sont souvent imposants en raison de leur nombre élevé de pages (DOLQ, Tome VII, p. XX). Le récit bref explose aussi durant cette période : des maisons d’éditions et des revues spécialisées sont fondées et se consacrent exclusivement (ou presque exclusivement) à la nouvelle. On parle aussi de narration postmoderne. Le DOLQ s’y frotte, sans toutefois expliquer vraiment ce qu’il entend par « postmoderne ». Il y est question d’hybridation, d’œuvres protéiformes, de voix narratives multiples, de mélange des genres, de réflexion sur l’écriture et de pratiques intertextuelles (DOLQ, Tome VII, p. XXVI-XXVII).
4. Redéfinir l’adjectif « québécois » à la lumière d’une nouvelle réalité
Au Québec, la prise de conscience la réalité multiethnique est plutôt tardive, affirment les auteurs de l’Histoire du Québec contemporain :
« Au gouvernement du Québec, la prise de conscience est beaucoup plus tardive. Centrées sur la promotion des Canadiens français et la francisation de la société, les politiques font peu de place aux minorités, dont on voudrait simplement forcer l’intégration à la majorité francophone. Le vent tourne cependant à l’orée des années 1980. La transformation, en 1981, du ministère de l’Immigration en ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration ainsi que l’adoption de programmes d’aide aux divers groupes ethniques marquent la reconnaissance politique de leur apport à la société québécoise.
La prise de conscience de la richesse que représente la diversité ethnique du Québec s’élabore graduellement au cours de la période. » (Histoire du Québec contemporain, Tome II, p. 592)
Cette nouvelle réalité – à tout le monde la prise de conscience de cette réalité – amènera inévitablement à redéfinir la portée de l’adjectif « québécois » : à qui s’adresse-t-il ? qu’inclut-il ? qu’exclut-il ? etc. Ce questionnement est bon pour l’ensemble de la société, notamment la littérature. Qu’est-ce que la littérature québécoise ? se demande-t-on désormais que des poètes, dramaturges et romanciers migrants publient en français au Québec. Le DOLQ rend bien compte de cette nouvelle réalité propre à la littérature de la période contemporaine :
« À l’inverse, il faut remarquer que des poètes migrants qui ont choisi le Québec commencent à développer une prise de parole qui questionne à la fois le sens même de leur exil […], ou la problématique identitaire québécoise, mais surtout celle qui les concerne au premier chef. Que ces poètes viennent d’Haïti, d’Égypte ou d’Italie, les questions restent les mêmes et les réponses aussi flottantes que provisoires : Jean Jonassaint, Serge Legagneur, Anthony Phelps ou Fulvio Caccia ont ouvert la voie à une remise en question de l’identité québécoise qui ne touche plus uniquement ceux et celles qui ont émigré au Québec, mais aussi les Québécois et les Québécoises qui sont appelés à prendre conscience de leur relation identitaire avec les nouveaux arrivants. Cette littérature migrante, comme certains la désignent, regroupe aussi bien ceux qui écrivent de la poésie que du roman, du théâtre ou de l’essai. Peu importe la manière de désigner cette littérature, ce qui ressort avec force de quelques recueils, c’est la mise en place d’un discours qui ébranle les fondements mêmes de la poésie québécoise, voire de la littérature. En effet, qui pourra-t-on dorénavant désigner par “poète québécois” et qu’appellera-t-on “poésie québécoise” ? La question demeure et ne trouvera peut-être jamais une réponse satisfaisante aux yeux de diverses communautés qui composent dorénavant la population du Québec. » (DOLQ, Tome VII, p. XXXIV)
5. Perspectives globales, ou, le contemporain comme phénomène mondial
Le contemporain n’est pas une exclusivité québécoise. À première vue, cette phrase peut sembler un peu inutile, en raison de l’évidence de son propos, mais il est important de le rappeler, il me semble. Dans ma quête de spécificités pouvant aider à définir le contemporain en littérature québécoise, j’ai oublié l’impact de la globalisation sur toutes les sphères de la société. L’ère contemporaine débute plus ou moins en 1980, selon la société, et pour différentes raisons, mais dont certaines sont globales, mondialisation oblige : la dépression économique de 1981-1982, le vieillissement de la population, la dénatalité des sociétés occidentales, etc. Ces facteurs sont peut-être, à première vue, un peu trop éloignés de la littérature, mais un changement sociétal ne peut pas être sans influence sur la production littéraire de cette société.
Il me semble alors qu’on peut faire débuter la période contemporaine en 1980 au Québec, en raison notamment de la remise en question des acquis de la Révolution tranquille, du désabusement collectif résultant de la défaite du oui au référendum de 1980, de la prise de conscience de la diversité ethnique de la société, etc., mais aussi à cause de phénomènes plus globaux, à saveur internationale. Les auteurs de l’Histoire du Québec contemporain insistent d’ailleurs beaucoup sur le rôle de la crise économique de 1981-1982.
La littérature québécoise contemporaine n’est pas une copie de la littérature française contemporaine, on le constatera en comparant mes conclusions à celles des assistantEs qui travaillent la question du côté français. Toutefois, au-delà de leurs spécificités et différences, il n’en reste pas moins qu’elles s’inscrivent tous les deux dans un monde de plus en plus globalisé, sensible aux mêmes phénomènes et événements.
Voilà la conclusion à laquelle j’aboutis.