Bruno BLANCKEMAN (2010), « Objectif : réel »
dans Barbara HAVERCROFT, Pascal MICHELUCCI et Pascal RIENDEAU (dir.), Le roman français de l’extrême contemporain. Écriture, engagements, énonciations, Québec, Nota Bene, coll. “Contemporanéités”, p. 223-233 Par Mariane Dalpé
RÉSUMÉ
Retour historique : dualité entre littérature référentielle et littérature spéculative, qui se perpétue jusqu’à nous. Néanmoins, dans les dernières décennies, on constate que le réel revient en force.
« Qu’est-ce que le réel pour Annie Ernaux, François Bon, Olivier Rolin, Sylvie Germain, Michel Houellebecq ? Un mixte de données matérielles et de circonstances sensibles, d’états de vie collectifs et d’éclats de voix singuliers, de faits avérés, d’événements en devenir, de situations historiques, culturelles, intimes, mais aussi une somme de phénomènes intangibles, par leur nature, décisifs par leur effet : des croyances, des désirs, des rêves, des intuitions, des angoisses, toute une part de vie impalpable que tentent aussi d’approcher des écritures à la crête du familier et du merveilleux – Marie Ndiaye, Emmanuel Carrère –, du politique et de l’épouvante – Antoine Volodine, Morgan Sportès. » (2010 : 224)
« C’est parce que le réel ne constitue pas un domaine institué mais un chantier perpétuel que son objectif se situe loin de toute velléité mimétique, à la croisée d’expériences probatoires qui l’authentifient et d’expériences scripturales qui éprouvent les formes possibles de sa configuration. » (2010 : 226)
Blanckeman défend l’idée que la littérature d’avant 1980 était loin d’être aussi coupée du réel qu’on le prétend. Ainsi, au lieu de parler de retour au réel, l’auteur évoque plutôt une « modification profonde du contenu et des contours de cette notion » (2010 : 228).
« Ne pas pouvoir dire le réel tout en multipliant les énoncés qui tentent de le sérier, ne pas pouvoir l’objectiver tout en entrecroisant les récits d’expériences qui le prélèvent à la pointe des faits et l’inscrivent à ras les phrases, ne pas pouvoir le totaliser mais jouer des effets de fragmentation et d’ellipses pour générer une dynamique du vide qui mette en relief la prise des mots, pour marquer des blancs qui contractent la mesure des signes : à leur façon, combien de romans obéissent à cette injonction […]. » (2010 : 229)
Approches minimalistes ou maximalistes ; écart entre une pulsion de compréhension et une expérience de l’indétermination.
« Ni refus ni retour, ni replis ni redites, objectif réel, donc : une littérature qui travaille le réel en éprouvant la tension entre ce à quoi il renvoie – de l’illimité – et ce qu’elle peut en dire – du sélectif –, tension fertile en cela qu’elle oblige les écritures à se situer – quel imaginaire du réel est le leur ? – tout en les incitant à s’enchanter – l’illimité comme une variante de l’infini, que seules la fable, la musique, la rythmique des récits peuvent pressentir –; un réel qui travaille, alors, la littérature comme l’une de ses composantes, du réel en mode virtuel, qui accomplirait le fantasme, parvenir à s’objectiver, à l’image de l’œil qui rêve de se regarder lui-même. » (2010 : 231-232)
Dans ce texte somme toute assez général, Blanckeman fait au fond le constat de l’importance et de la multiplicité des approches du réel dans la littérature française contemporaine, tout en soulignant que cette tendance n’est pas n’est pas complètement en rupture avec la production de la période précédente.