NFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Pierre MERTENS Titre : Les éblouissements Édition : Paris, Seuil, Collection : «Fiction & Cie», Année : 1987 Appellation générique : Roman Bibliographie de l'auteur : romans, nouvelles, opéra, guide intime sur Berlin, essai sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l'humanité. Quatrième de couverture : oui - inventer, à partir du réel, sept moments de la vie de Gottfried Benn (1886-1956) - médecin et poète expressionniste allemand - en garnison à Bruxelles pdt la 1re Guerre; se rallie au nazisme, se fait conspuer de tous, est réhabilité… Pour dire tout cela : une fiction racontée par une série d'interlocuteurs. Le biographe n'a d'autre choix que de se faire historien et le chroniqueur de devenir romancier. VOIR AUSSI LES REMERCIEMENTS (P. 369), PARTICULIÈREMENT ÉCLAIRANTS EN REGARD DU PACTE DE LECTURE Rabats : non
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTATEXTUELLES):
Auteur/narrateur : l'auteur délègue la parole à plusieurs interlocuteurs, parmi les proches du biographé: un médecin anatomiste, sa première femme, une prostituée, sa fille, sa dernière compagne.
Narrateur/personnage : narrateur parfois omniscient malgré tout
Sujet d'énonciation/sujet d'énoncé : erreur d'une vie et vie d'une erreur
Ancrage référentiel : oui, par les lieux et les dates (voir la table des matières: Knokke-le-Zoute, 1952. La mer; Berlin, 1906. Les corps morts; Bruxelles, 1916. L'extase; Berlin, 1926. Les corps vivants; ,Hambourg, 1936. L'erreur; Berlin, 1946. Les pierres; Berlin, 1956. Les derniers mots)
Indices de fiction : intrusions d'auteur dans la pensée du narrateur qui délègue la parole au biographé («Cette formule, qui clôt une de ses dernières proses, lui revient en mémoire tandis qu'il sort de la salle des fêtes. Comme si le docteur Benn voulait, en toute hâte, regagner l'abri des mots» . 13), citations présumées. «Le poète [c'est le narrateur qui parle de Benn] cherche des yeux des réclames qui lui apprendront où il est. Il se souvient [!] d'avoir baptisé l'un de ses héros Karandash à cause d'une marque de crayons qu'il avait aperçue à Bruxelles, en 1915. […] “Je n'appris que plus tard”, raconte-t-il “quel tel était aussi le pseudonyme que prit un caricaturiste […] dont les excentricités et la séduction étaient proverbiales : il cultivait entre autres, une propension au travestissement et au canular. Après l'affaire de Panama, il avait fait imprimer un chéquier en fac-similé, enrichi de ses commentaires personnels. Je ne savais rien de tout cela. Ce ne fut qu'après l'avoir appris que je découvris que cela allait comme un gant à mon personnage : une sorte d'escroc métaphysique qui se révèle n'avoir jamais de quoi faire commerce avec l'univers! […] Tu vois, Walter, comme le hasard fait bien les choses. Il n'y a pas de coïncidence : nos intuitions échafaudent nos œuvres, comme, hélas, nos cécités compromettent quelquefois nos vies”» p. 35)
«Depuis quelque temps, il imagine un personnage qui, comme lui, séjourne dans une ville occupée. Qui, pareil à lui, est harcelé par un doute sur la réalité des choses et désirerait l'appréhender comme s'il s'agissait d'une nébuleuse. […] ce double, cet alter ego, il allait relater ses allées et venues, il allait décrire ses humeurs corticales. Mais il ne s'agirait qu'en apparence d'un roman. Une autobiographie? Pour sûr, mais au plus profond — là où, chez d'autres, les mots ne franchissent plus certains seuils. Il lui est, depuis quelque temps, advenu tant d'aventures, qui n'en étaient pas au sens courant, qu'il ne pourrait les raconter seulement […] Se racontant alors, il voudrait écrire le contraire d'un roman d'apprentissage puisque ce qu'il a appris, sur son rapport à l'univers, il doit le réapprendre encore et encore. Son roman à lui n'est pas romanesque, son histoire n'est pas historique. Mais il rêve d'un fragment d'histoire détaché de la littérature comme une météorite le serait d'une étoile. Une nuée de prose non prosaïque au travers de laquelle il se mouvrait en toute liberté. » (p. 109)
Son personnage, le poète l'a voulu médecin, comme lui, et médecin des putes […] il a imaginé le moins possible: il s'est flanqué d'un personnage au plus près de lui. Comme si c'était moins même qu'un double. À peine un reflet. Mais c'est bien assez comme garde-fou. On voulait conquérir la réalité de la ville, et on a échoué. (p. 149)
Pourquoi a-t-il cru, Gottfried Benn, que cette saison passée à Bruxelles était la meilleure de sa vie, qu'elle était la vie même, pour toujours mise à l'imparfait? Somptueuse solitude. Orgie d'appartenance à soi. Somnambulisme à midi. Solaire couvre-feu. Quelle débauche. Par comparaison à cette transe négative, tout n'aurait-il donc été que camelote biographique juste bonne à être mise au rebut? Il faut, une dernière fois, supposer le poète allemand en proie à ses intuitions fuligineuses (p. 150)
— Merci, mademoiselle, dit Gottfried Benn, car je suis au bout du rouleau. Je n'écris plus. On ne devrait écrire aujoud'hui qu'en trempant sa plume dans le pus. Quelques poèmes s'écrivent encore tout seuls, malgré moi, en travers de mes blocs d'ordonnances […] (p. 185)
Topoï : l'Histoire et ses ratés, l'écriture et la réalité historique - voir p. 186-187 «Comme si l'essentiel était d'avoir une foi, pour servir n'importe quelle cause» à propos de sa collaboration avec le compositeur Hindemith: «au moment où j'allais lâcher prise, j'ai conçu un poème lyrique dans la ligne de ce que je pensais, à l'époque, sur l'incessant va-et-vient de l'Histoire, l'inéluctable non-sens des événements, l'instabilité hasardeuse de toute existence terrestre, le caractère aléatoire, surfait, de la grandeur et de la renommée… Un hommage, si tu veux [il s'adresse à Nele, sa fille] à l'éternel retour de la connerie des hommes et du cynisme des dieux! » (p. 228) «Il faudrait qu'un jour les historiographes se penchent sur les appréciations et sentences que les divers corps et représentants du Troisième Reich formulaient les uns sur les autres. Quand on serait tenté par les implifications et les amalgames, il conviendrait de s'en souvenir…» (p. 230, Benn à sa fille) Le mot éblouissement a deux sens: l'un renvoie à la lumière, et l'autre à la nuit. Et ainsi va, et tant va notre regard qu'il peut, contre toute raison, confondre l'un avec l'autre… (p. 234) Cela dit, quelle aubaine pour les imbéciles : qu'un grand philosophe (Heidegger) puisse se gourer, cela les rassure. (idem, p. 243)
Biographé : Gottfried BENN
Pacte de lecture : dans le paratexte (4e de couverture) ou… à la toute fin du roman : «Lequel de ces bougres, puisqu'ils vont tous me survire, envisagera-t-il d'écrire ma biographie? se demande le poète. Tous peut-être. Un si beau sujet, n'est-ce pas? Et qui autorise tant d'interprétations diverses… À chacun sa version des faits, et le Diable pour tous. À chacun son Gottfried Benn» [Benn à ses derniers moments] (p. 322)
Transposition du vécu : la vie de Stoker est au service de la fiction. Elle est un élément factuel dans un cadre fictionnel.
Attitude de lecture : ce livre rend très bien compte de la complexité et finalement de l'humanité d'un individu aux prises avec l'Histoire; il est difficile de ne pas perdre de vue qu'il s'agit d'un roman.
Hybridation, Différenciation, Transposition
Autres remarques : CONVIENT PARFAITEMENT AU CORPUS