Pour informations ponctuelles supplémentaires, on consultera avec profit la chronologie - histoire littéraire, histoire culturelle, histoire des idées, histoire générale - présente dans l'ouvrage de Touret (Histoire de la littérature française du XXe siècle, tome II - après 1940, 2008), ici scannée.
Dans cette section, je retiens ceux qui associent explicitement la période contemporaine à la postmodernité.
S'il est vrai que « [l]e roman se donne pour ce qu'il est peut-être, au fil des siècles : un réceptacle du monde et de son chaos, où la littérature désespère de trouver un fil conducteur » (Viart, Le roman français au XXe siècle, Paris, Hachette (Les fondamentaux), 1999, p. 148), on peut penser que la période dite postmoderne trouve, d'une façon ou d'une autre, à surimprimer la production littéraire.
Comme plusieurs autres, Tonnet-Lacroix a recours à Lyotard (1979) pour définir la période qui commencerait à la fin des années 1970 - même si, déjà en 1973, le choc pétrolier change le contexte socio-économique, met un terme à l'euphorie des années 60 et aux « Trente Glorieuses » (9) (pour Gontard, c'est aussi là le signe de l'entrée dans la crise qui caractérise la période postmoderne - « Le postmodernisme en France. Définition, critères, périodisation », p. 292). Mais Lyotard, donc : l'auteure reprend ainsi l'étiquette « postmoderne » qui, en France, « est caractérisée par la perte de confiance dans les idéaux révolutionnaires, la crise des idéologies, l'abandon de l'avant-gardisme. La littérature retrouve les charmes du récit et du sujet » (10). C'est aussi ce que prétend Viart : « Comme le montre bien le philosophe Jean-François Lyotard (La condition postmoderne, 1979), les grands systèmes d'explication du monde ont failli - et l'on revient aux vérités partielles, partiales, parcellaires. Un tel phénomène sociologique n'est pas sans favoriser dans la littérature, un certain retour du sujet » (Viart, Le roman français au XXe siècle, Paris, Hachette (Les fondamentaux), 1999, p. 114).
Tonnet-Lacroix admet par ailleurs que la notion de « postmoderne » demeure floue et équivoque, entre prolongement du moderne et rupture avec lui selon les postures, avec comme résultat un présent marqué par « la confusion (des genres sans doute, mais aussi des idées, des valeurs). […] Mais si l'on considère, comme Valéry, que le “moderne” est par nature composite, contradictoire même, juxtaposant divers système de pensée, cette fin de siècle, dite postmoderne, serait donc à cet égard particulièrement moderne, mais d'un modernisme doutant de lui-même, peut-être moribond » (16). Suggérant à la fois l'idée d'une succession temporelle et d'un changement d'état, le préfixe « post » souligne enfin la sortie « d'une phase triomphante, conquérante, sûre d'elle, pour entrer dans une ère de désillusion ou tout au moins d'abandon des certitudes et des ambitions » (256). Ainsi, « [d]ésenchantement et ironie, mélancolie et cynisme, scepticisme et éclectisme ludique marquent la fin de ce siècle, endeuillée par de nombreuses catastrophes ainsi que par des guerres et des violences de toutes sortes » (10). À ce titre, l'auteure convoque Blanchot. Dans L'écriture du désastre (1980), celui-ci affirme que, après Auschwitz, dont la fin du siècle renouvelle tout particulièrement le souvenir selon Tonnet-Lacroix, « seule est possible une “écriture du désastre”, écriture fragmentaire, inachevée » (251).
L'auteure pose également que, sur le plan de la sensibilité, l'anticipation de la fin du siècle a vraisemblablement créé un « syndrome “fin-de-siècle” : hantise de la fin et angoisse du futur, crise des valeurs morales, faillite des idéaux collectifs et pessimisme, exacerbation du moi, culte de la sensation et obsession du sexe, brouillage des genres, goût du fragment, du texte bref, comme la nouvelle, et des jeux intertextuels » (10-11).
Elle précise toutefois que les littératures francophones connaissent à peu près le même cheminement car, « malgré les spécificités locales, les bouleversements politiques et idéologiques s'y modèlent sur des rythmes plus vastes qui les englobent » (11). Ainsi, au Québec, elle affirme que « les désenchantements idéologiques de la fin du siècle ont trouvé leur écho dans […] [les] espoirs [qui] se sont heurtés à l'échec » (11). Elle y reconnaît également les traits qui définissent l'esprit postmoderne « (goût de l'intertextualité, tendance marquée à l'hybridation des formes, des cultures, des références), ce qui n'est guère surprenant à une époque de mondialisation et d'uniformisation » (11-12). Il faut cependant avouer que cette impression de ressemblance presque parfaite serait susceptible d'être nuancée si l'auteure avait accordé autant d'espace et d'énergie aux littératures francophones qu'à la littérature française ; on peut supposer que les différences ont échappé à son examen de survol.
Si la modernité « est fondée sur un ordre binaire de type dialectique qui permet de penser l'unité-totalité » (285), la postmodernité « naît de la prise de conscience de la complexité et du désordre […]. Mais l'exploration du désordre ne devient vraiment systématique que dans les années 70 avec l'apparition des sciences du chaos […] » (285). Gontard identifie deux événements historiques qui mettent à leur tour un terme à l'ordre binaire : la chute du Mur de Berlin et l'effondrement du bloc communiste à l'Est. La philosophie n'est pas non plus en reste, notamment avec le travail de déconstruction de Foucault, de Derrida et de Deleuze. Bref, la « pensée postmoderne met […] au premier plan, contre l'idée de centre et de totalité, celle de réseau et de dissémination. Tandis que la modernité affirme un universel (unique par définition) la postmodernité se fonde sur une réalité discontinue, fragmentée, archipélique, modulaire où la seule temporalité est celle de l'instant présent, où le sujet lui-même décentré découvre l'altérité à soi, où à l'identité-racine, exclusive de l'autre, fait place l'identité-rhizome, le métissage, la créolisation » (285-286).
Ce dépassement de la dichotomie moderne justifie, selon Viart, que l'on préfère à l'étiquette « postmoderne » celle d' « extrême contemporain », celle-ci ayant l'avantage d'échapper aux antinomies et de sortir du système de pensée dichotomique qui caractérise justement la modernité. « Cette sortie est sans doute l'une des singularités de notre temps, qui se veut plus une époque de l'articulation voire de la synthèse […] que de la division » (p. 325) (Viart, « Écrire au présent : l'esthétique contemporaine », dans Michèle TOURET et Francine DUGAST-PORTES [dir.], Le temps des Lettres. Quelles périodisations pour l'histoire de la littérature française du 20e siècle?, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Interférences), 2001, p. 317-336).
Les années 1980-1981 marqueraient l'entrée dans l'ère postmoderne - le conditionnel est de Mitterand lui-même, lequel avoue qu'il s'agit là d'un mot commode mais peu consistant (99). Il ne le retient pas moins, faute de mieux, pour décrire une époque en déficit d'espoir et d'utopie, qui vit sur « les ruines des idéologies » (112). « L'esprit moderne croyait à l'émancipation de l'homme, en tous lieux. L'histoire contemporaine a accumulé assez de barbaries pour justifier le scepticisme de l'esprit postmoderne » (99). Il dresse ainsi la liste des bouleversements de la période : la chute du mur de Berlin, l'éclatement de l'URSS, la fin des régimes de « démocratie populaire » en Europe, les guerres dans l'ancienne Yougoslavie, les crises et les rééquilibrages du Proche-Orient, les cataclysmes qui accompagnent l'appauvrissement de l'Afrique, la montée de l'islamisme, la faillite de l'espoir d'une société sans classes et d'une économie libérale, de même qu'en la fin des famines et des massacres dans le tiers-monde et en Europe (99)… On notera que ces événements ne sont pas spécifiquement français (on peut donc se demander s'ils n'ont pas également marqué l'imaginaire québécois). Mais Mitterand se montre déjà un peu plus spécifique lorsqu'il énonce le chômage, les violences urbaines, les faillites de l'école… qui font planer le doute sur la fin du siècle.
Blanckeman postule que la renarrativisation qui caractérise la période contemporaine est la conséquence de toutes les crises qui secouent l'époque, comme une volonté de se « reconstruire » : « Fictions renaissantes et autofictions inventives : les événements historiques majeurs du temps polarisent ces orientations littéraires, en agissant sur leur dominante esthétique commune, le phénomène de renarrativisation. Le cumul des crises (économiques, géopolitiques, biologiques), le profil “Trente piteuses” [du titre de Nicolas Baverez, 1997] de la période, chargent la narration d'une urgence anthropologique : un sujet inquiété, une humanité civile vulnérable tentent de se refonder, par récits interposés » (2001: 78).
Il semble ainsi que la période contemporaine soit ponctuée de crises, dont chacune « suscite une action en retour de la littérature » (2008 : 429).
À la lumière de ces crises, Blanckeman conclut que « [à] époque incertaine, récits indécidables » (440) (voir fiche Histoire de la littérature française du XXe siècle, tome II - après 1940 pour la description de ces récits indécidables).
Dans cette section se trouvent les informations collectées à l'été 2010 ; si elles disent bien quelque chose des spécificités socio-historiques et/ou culturelles contemporaines, elles s'intègrent a priori difficilement à ce qui précède, en raison, entre autres, du fait qu'elles ont été notées à une étape préliminaire de la réflexion, donc dans un esprit un peu plus exploratoire que les recherches qui ont suivi. Je ne conserve pas moins pour l'instant trace de ces lectures, car elles sont susceptibles d'être utiles ; leur pertinence pourra toujours être poussée plus avant pour la suite des choses. [VA]
Dominique Rabaté, Le Chaudron fêlé. Écarts de la littérature, Paris, José Corti (Les Essais - Rien de commun), 2006. [VA]
- Selon Rabaté, les diverses formes de pluriel que l'on observe aujourd'hui ont commencé à se dessiner à l'époque de Flaubert, alors que l'idéal du Tout est remis en question:
- Le constat de cette perte marque l'époque contemporaine et conduit les écrivains à faire montre « d'un scepticisme [hérité de la génération précédente], d'un doute porté contre les pouvoirs de la littérature » (45) :
- Confrontés à l'impossibilité du tout unificateur, les écrivains multiplieraient les stratégies pour tenter - en vain - de combler le vide :
Marc Dambre et Monique Gosselin-Noat (dir.), L'éclatement des genres au XXe siècle, actes du colloque tenu à Paris du 19 au 21 mars 1998, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle (Société d'étude de la littérature française du XXe siècle), 2001. [VA]
- La thèse d'«éclatement des genres« s'inscrit dans une perspective historique française et occidentale. D'une part, elle est étroitement liée à la modernité littéraire française, dans la mesure où elle se comprend «par rapport à un âge classique défini sous la forme d'un canon générique» (Schaeffer, 12), ce qui n'est pas le cas de toutes les littératures nationales. D'autre part, la culture littéraire occidentale situe l'évolution de la littérature sur la base de ruptures, le nouveau remplaçant l'ancien :
- Selon Combe, l'éclatement des genres se comprend par le déclin, depuis le siècle dernier, de l'empire rhétorique. Ce déclin s'intensifie et s'accélère surtout au cours des années 1960, alors que la « combinaison du structuralisme sémiotique et du marxisme althussérien conduit Sollers, comme d'ailleurs Kristeva, à considérer les genres comme “rhétorique promue au niveau idéologique” de la bourgeoisie. La critique des genres et, plus généralement, de la rhétorique relève d'une critique de l'idéologie au nom du matérialisme historique » (50). Aussi les modernes en viennent-ils à refuser les «cloisonnements génériques, au nom du “texte” pluriel, de l'oeuvre polyphonique - c'est-à-dire essentiellement “impure”- […], au nom d'un absolu : la “Littérature”, débarrassée de ses genres, qui sont censés faire écran à son unité et à son univers » (58). Combe ne se prononce pas spécifiquement sur l'époque contemporaine.