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diffraction:propositions_pour_une_litterature_inculte

LARNAUDIE, Mathieu, "Propositions pour une littérature inculte", dans Nouvelle Revue française, no 588 (février 2009), p. 338-354. [SH - 17-09-2013]

Mathieu Larnaudie, "Propositions pour une littérature inculte"

Cet article est mentionné par Tiphaine Samoyault et Alexandre Gefen dans La taille des romans (voir autre fiche) et semble s'inscrire particulièrement bien dans la veine de la diffraction en littérature. Les mots en gras sont d'ailleurs certains mots-clé ou expressions liés à celle-ci. Voici donc les principales articulations et idées de semblant de manifeste pour une littérature inculte :

1- Introduction

Larnaudie s'oppose à une certaine pratique du roman qui, à l'heure du storytelling de masse, “se distingue avant tout par une immuable fidélité à la formule unique de la narration linéaire et [qui] consiste à organiser, dans un langage le plus transparent possible, selon le principe d'une causalité chronologique plus ou moins continue, le récit des péripéties psychologiques, morales et sociales d'un personnage sur fond de réalité localisée” (338). On retrouve ici sensiblement la même critique que les Nouveaux Romanciers ont en leur temps adressée au “roman traditionnel”, ce que Larnaudie tente de nuancer sans être cependant bien convaincant.

2- Littérature profane: la question de la légitimité, de l'autorité

1ère proposition de ce que serait cette littérature “inculte”:

“Nous désirons une littérature inculte: c'est-à-dire qui se refuse à toute forme de culte, de dévotion; qui ne se fasse pas une idée statique, contemplative et définitive de ce qu'est la “culture”, de ce qui la compose et la mobilise; qui n'ait pas de révérence à faire, ni à des instances légitimantes, ni à l'air du temps; qui soit infidèle aux normes romanesques […]; qui soit inadéquate aux termes du débat ambiant, insoluble dans le dispositif imposé; qui soit expérimentatrice et informée, libre; en prise avec le réel et à la mesure du possible.” (342)

Larnaudie propose donc de désacraliser la littérature. Le sacré étant, selon Giorgio Agamben, ce qui a été soustrait à l'“usage commun” des hommes et a été “transféré dans une sphère séparée”, la littérature souffrirait en quelque sorte d'un “défaut d'usage”, à cause a) de la fétichisation du livre comme marchandise intellectuelle à l'âge du capitalisme cognitif (i.e. du manque d'approfondissement de la pensée); b) de la subtilisation du discours littéraire par le versant médiatique de la société du spectacle; c) de la muséification de la culture. Et l'opération inverse de la muséification, c'est la profanation“. Larnaudie veut une littérature profane, profanée et profanatrice, bref “faire de la littérature une instance de profanation: le lieu d'une expérience de l'usage du langage et du monde. Inculte […] est la littérature qui profane, contourne, retourne à son propre usage la fétichisation marchande, la subtilisation médiatique, la muséification de la culture et du monde.” (344-5) En somme, la littérature profane/inculte est celle qui ne se prévaut d'aucune légitimité, de se justifie d'aucune autorité, qui est, donc, souveraine: n'importe quel objet est bon pour elle en autant que soit “sensible l'intensité du désir” (345).

3- Une littérature altérée: la question du sens, porosité

La littérature inculte serait altérée (aux yeux de certains prescripteurs) parce que plutôt que de considérer comme incorruptible et pure, sûre de sa signification, elle est au contraire perméable à tout ce qui lui permet de se réinventer, d'opérer des connexions inédites. ”[L]a littérature inculte n'est jamais l'expression d'un sens qui lui préexisterait, que ce soit d'un message ou d'un “propos sur le monde”. En cela, elle est à la fois affirmative et soustractive: l'écriture, sa matérialité, la pensée-matière qui l'impulse, sont ouvertes à tout ce qui arrive, tout ce qui advient, à l'accidentel chaotique et sensible de l'advenue; elles travaillent le sens à même son jaillissement, elles agencent ses oscillations, renversent les perspectives, désordonnent la signifiance, la recomposent autrement, la déplacent, elles soustraient le texte au moment où s'érigerait un sens barricadé, identique à lui-même; au moment où s'opérerait la clôture du signe.“ (346-7) Dans l'ensemble, ces jolies propositions passablement vagues et répétitives suggèrent que Larnaudie réclame pour la littérature inculte un sens perpétuellement ouvert grâce à une certaine porosité du matériau littéraire.

4- Littérature immodeste: littérature difficile, de recherche

Lanaurdie affirme que la littérature se fait souvent dire de ne pas excéder le rôle et l'espace qui lui sont impartis, de ne pas en demander trop au lecteur (348). Or, la modestie ne change pas de monde: aucune oeuvre d'importance ne s'est écrite, inventée ou conçue en se contenant de la modeste place qui lui était faite a priori”(349). Les tenants de la littérature inculte, pour leur part, souhaitent plutôt “lire et défendre des auteurs et des textes immodestes, difficiles, qui cherchent à sortir de la place et des formes qui leur sont assignées, qui provoquent le lecteur, le bousculent, qui, même, lui en demandent trop. Qui bouleversent [la] manière de lire et de voir le monde.” (349-50).

“Nous désirons une littérature immodeste (qui ne reste pas à sa place; et qui ne laisse pas la littérature dans l'état dans lequel elle l'atrouvée en entrant), impétueuse et impure, une littérature ambitieuse, équivoque (qui ne délivre aucun message mais qui déstabilise le sens, le malmène, qui dérègle les distributions établies), désirante, foisonnante et ludique, exigeante et baroque, littérale et exubérante, critique […]; une littérature de poétiques stratifiées, enchâssées; une littérature nécessaire et superflue, excessive; en un mot, nous désirons une littérature de recherche.” (350)

5 - Littérature multiple : la question du réel

Le réel est multiple, et la littérature se doit de se mesurer à la multiplicité du réel. Il n'y a pas de réalité simple et identifiable qu'il suffirait de “montrer”, tâche à laquelle devrait être limitée la littérature, “comme s'il y avait, donc, un réel pur, immaculé, original et authentique, en deçà des représentations et des médiations, en deçà de ses modes d'appréhension et du sujet qui s'y met en jeu. Bref, il ne suffit plus de promener son miroir au bord de la route pour restituer la réalité comme si la langue était transparente et que la littérature faisait croire au réel.

“Nous désirons une littérature plurielle, multiple, qui ne se distingue pas du réel, mais engage une expérience du réel dans toute sa complexité. La littérature n'est aucunement un reflet du monde; elle fait intégralement partie du monde. La littérature fabrique du réel; elle l'agence, elle le rend lisible et le suscite; en tant que pensée sensible, elle participe, pleinement, de ce qui le compose.” (352)

6 - Littérature collective: effritement de l'instance créatrice individuelle

Par la création commune, la littérature inculte cherche à neutraliser l'autorité de l'auteur par la multiplication des auteurs: “le texte est alors le lieu d'une opération de disruption par laquelle la pluralité des voix, des énonciateurs, des contributeurs, rompt avec l'homogénéité supposée de l'instance créatrice et ordonnatrice du texte” (353).
“Il n'y a plus, dès lors, un cerveau organisateur qui dispense la circulation du sens, mais un échange de forces et de désirs […]: le texte se nourrit d'accidents, d'échos, de résonances plus ou moins concertées, aussi bien que d'effets d'étrangeté, au hasard de sa mise en oeuvre” (353). L'écriture collective fait advenir une singularité plurielle, un monde commun.

diffraction/propositions_pour_une_litterature_inculte.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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