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diffraction:effritement_du_sujet_narrant_de_l_evenement_narre_du_monde_represente

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Effritement du sujet narrant, de l'événement narré, du monde représenté

La littérature inculte serait altérée (aux yeux de certains prescripteurs) parce que plutôt que de considérer comme incorruptible et pure, sûre de sa signification, elle est au contraire perméable à tout ce qui lui permet de se réinventer, d'opérer des connexions inédites. ”[L]a littérature inculte n'est jamais l'expression d'un sens qui lui préexisterait, que ce soit d'un message ou d'un “propos sur le monde”. En cela, elle est à la fois affirmative et soustractive: l'écriture, sa matérialité, la pensée-matière qui l'impulse, sont ouvertes à tout ce qui arrive, tout ce qui advient, à l'accidentel chaotique et sensible de l'advenue; elles travaillent le sens à même son jaillissement, elles agencent ses oscillations, renversent les perspectives, désordonnent la signifiance, la recomposent autrement, la déplacent, elles soustraient le texte au moment où s'érigerait un sens barricadé, identique à lui-même; au moment où s'opérerait la clôture du signe.” (346-7) Dans l'ensemble, ces jolies propositions passablement vagues et répétitives suggèrent que Larnaudie réclame pour la littérature inculte un sens perpétuellement ouvert grâce à une certaine porosité du matériau littéraire.

Par la création commune, la littérature inculte cherche à neutraliser l'autorité de l'auteur par la multiplication des auteurs: “le texte est alors le lieu d'une opération de disruption par laquelle la pluralité des voix, des énonciateurs, des contributeurs, rompt avec l'homogénéité supposée de l'instance créatrice et ordonnatrice du texte” (353).
“Il n'y a plus, dès lors, un cerveau organisateur qui dispense la circulation du sens, mais un échange de forces et de désirs […]: le texte se nourrit d'accidents, d'échos, de résonances plus ou moins concertées, aussi bien que d'effets d'étrangeté, au hasard de sa mise en oeuvre” (353). L'écriture collective fait advenir une singularité plurielle, un monde commun.

→ LARNAUDIE, Mathieu, "Propositions pour une littérature inculte", dans Nouvelle Revue française, no 588 (février 2009), p. 338-354.


Romans de la modernité : le roman, genre majeur des années 1970, se caractérise par une déconstruction de l’intrigue linéaire, l’hétérogénéité des styles et des tons, la fusion des genres, la superposition des époques et une profonde mutation des personnages. La forme et le travail sur le langage (l’aventure de l’écriture) prennent le dessus sur le récit : « On trouve généralement dans ces récits multiformes une pluralité de voix narratrices, symboles de l'éclatement de l'autorité du narrateur, une narration fragmentée, un humour propre à désamorcer le sérieux du récit - et du réel -, la suppression de la syntaxe traditionnelle et une ponctuation libéralisée, sans oublier un ton pouvant allier le lyrisme et la bouffonnerie. » (p. 210)L’autoreprésentation et la narration à la première personne fait du roman la voix de l’inconscient. On assiste en plus à une mutation du genre : l’œuvre amalgame poésie, contes, journaux intimes et roman, en plus d’être marquée par l’intertextualité. La langue romanesque, quant à elle, emprunte beaucoup à l’oralité, proche de la réalité quotidienne. (210)

→ LAURIN, Michel, Anthologie de la littérature québécoise, Anjou, CEC, 1996.


Narration : la narration dans le roman postmoderne est caractérisée par l’infraction du code narratif établi par le premier narrateur. Les interventions multiples d’autres voix narratives forcent le lecteur à d’incessants efforts pour décoder la narration et rendent difficile le fonctionnement de l’illusion référentielle.

Les narrateurs les plus fréquents dans ce type de textes sont les narrateurs intradiégétique ( « je ») et extradiégétique ( « il »). Le premier cas témoigne d’un endossement de l’acte d’écriture, le second d’une distanciation entre le personnage principal et la prise de parole.

p. 47 : « La pluralité des voix narratives « installe plusieurs visions de l'histoire ou des valeurs en cause […] rend[ant] difficile toute interprétation totalisante du récit »

→ MAGNAN, Lucie-Marie, et Christian MORIN, Lectures du postmodernisme dans le roman québécois, Montréal, Nuit blanche éditeur, 1997.


Paterson établit une typologie du roman PM, qui expose différentes formes d'hétérogénéité :

Énonciation : narrateur L'acte d'énonciation dans le roman PM se caractérise par « une pluralité de voix narratives. Ces voix sont soit scindées, dédoublées, fragmentées […], soit carrément multiples […]. [C]es voix produisent rarement un discours unifié. Elles refusent, au contraire, d'admettre une seule vision et une seule autorité et elles subvertissent toute notion de contrôle, de domination et de vérité » (18). Cela permet « de remettre en question au niveau de l'énonciation - et donc au niveau du dire - les notions d'autorité et de vision totalisante » (19).

→ PATERSON, Janet M., Moments postmodernes dans le roman québécois, édition augmentée, Ottawa, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 1993 [1990].


Rabaté ne semble pas croire à un effritement du sujet narrant.
De façon générale, la pluralité résulterait de la combinaison du retour au récit, à la fiction, au sujet, et de l'héritage des « contestations des années précédentes » (93). D'où que Rabaté a recours aux stratégies des années avant-gardistes pour situer et définir le pluriel aujourd'hui :

  • « Il ne s'agira donc plus de déconstruire le genre, mais plutôt de le faire fonctionner en exhibant ses procédés, en jouant de ses codes » (93).
  • « Au lieu de récuser les codes de la représentation comme dans les années 1960, le romancier cherche à les traverser, à les pervertir en les faisant jouer les uns contre les autres » (103).
  • « Tentation autobiographique, autofiction, transposition plus classique, mise en scène manipulée ou perverse d'un narrateur presque équivalent à l'auteur sont donc les signes de ce retour du sujet, même si on comprend bien qu'il ne peut tout simplement se dire comme “je” unifié » (105).

→ RABATÉ, Dominique, Le roman français depuis 1900, Paris, PUF (Que sais-je?, 49), 1998.


“Quel qu'en soit le programme, cette aspiration à produire, par des dispositifs encyclopédiques ou des grands récits, des mondes possibles englobants, qui semblent vouloir déjouer le principe de non-complétude des univers de fiction, est le point commun d'oeuvres dont le titre même propose l'idée d'un monde substitutif (Univers, univers; CosmoZ; Ward (Frédéric Werst); L'Univers, etc.) Ces oeuvres-univers immenses ou visant l'immensité sont sans légitimité ni explication: elles disent l'instabilité du monde qu'elles démarquent, le nôtre, sans jamais chercher à le réorganiser en un sens définitif” (265).

Enfin, Samoyault et Gefen évoquent Le grand incendie de Londres de Jacques Roubaud (2009 pages, héhé), qui “fabrique une sorte d'infini en ne proposant que des fins “provisoires” ou “possibles”.

Leur conclusion est riche en termes liés à la diffraction: “la longueur aujourd'hui vaut comme forme de détours, comme marque des faiblesses et comme malédiction du langage. Elle avoue ensemble le besoin et l'impossibilité de porter un monde senti comme en demande d'expression, mais écrasant d'une complexité contradictoire. Déclinant les mots “vies”, “cosmos” ou “univers” dans des dispositifs holistiques protéiformes et variés, mêlant des périples fantasmatiques, historiques, biographiques ou encore anthropologiques, infiniment ambitieux et renouvelés, le roman contemporain propose ainsi des totalités non totalisées*, des fantômes ou des spectres de mondes, qui sont autant d'ombres gigantesques de formes de complétude et d'intelligibilité perdues portées sur la littérature, comme si la fiction devait en décliner à la fois la prégnance, la richesse et l'inaccessibilité.” (267)

→ SAMOYAULT, Tiphaine et Alexandre GEFEN, "Longueurs du XXe siècle. Du roman-fleuve au roman contemporain", dans Alexandre GEFEN et Tiphaine SAMOYAULT, La taille des romans, Classiques Garnier (Théorie de la littérature), 2012, p. 241-267.


Blanckeman met en garde ne pas voir dans les récits dits indécidables un avatar de l'oeuvre totale, grand fantasme de la modernité, car « l'idée de totalité est compromise par la structure erratique d'ouvrages qui jouent en priorité du couper-coller, du montage par juxtaposition, d'un mode de composition résolument fragmentaire, comme s'il s'agissait moins d'enserrer le monde dans une structure qui lui tiendrait lieu de tuteur que d'en rassembler des traces dans un rapport aux formes littéraires résiduel » (440). La littérature semble ainsi parcourue par une tension entre une esthétique « ruiniforme, qui pousse à terme la tension vers l'épuisement propre à une certaine modernité », et une esthétique « effervescente par laquelle l'écrivain exploite de façon tournante, à l'intérieur d'un même ouvrage, les différents supports génériques, typologiques, tonaux dont il dispose, pour atteindre à quelque ordre de vérité prismatique »

→ TOURET, Michèle (dir.), Histoire de la littérature française du XXe siècle, tome II - après 1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Histoire de la littérature française), 2008.

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