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1005-h2019:copyfraud

Le Copyfraud

Définition de la notion

Le copyfraud, terme amené par Jason Mazzone (https://law.illinois.edu/faculty-research/faculty-profiles/jason-mazzone/) en 2006, professeur associé de droit à la Brooklyn Law School et à l' Université de l'Illinois, se veut d’une appropriation frauduleuse de droit d’auteur sur une œuvre quelconque issue du domaine public, soit d’une œuvre exempte de droit d’auteur ou dont ce dernier est expiré1). Une œuvre provenant de la sphère publique devrait habituellement se trouver à la disposition libre des usagers, cependant, par une déclaration erronée de possession de droit d’auteur, ladite œuvre est sous le contrôle entier du ou des détenteurs de la déclaration. Elle induit donc des frais de la part des usagers quant à l’utilisation d’œuvres appartenant au patrimoine culturel qui leur reviendrait de droit2). Le copyfraud est cependant facilement accessible à cause du manque de réglementation entourant cette appropriation frauduleuse3).


Mise en perspective

Volet théorique

Il existe plusieurs manières de se dérober à la loi lorsqu’il est question des droits d’auteur. Le créateur du terme copyfraud, Jason Mazzone4), affirme qu’il existe plusieurs moyens d'en faire, comme par exemple:

  • en déclarant avoir des droits d'auteur sur un contenu qui est désormais dans la sphère publique.
  • en imposant des restrictions d’utilisation qui n’ont pas été émises par la loi
  • en déclarant avoir des droits d'auteur alors qu’on détient des copies ou des archives du contenu en question
  • en reprenant un contenu tombé dans la sphère publique et en le publiant par le biais d’un autre support, mais dans l’optique d’en tirer un bénéfice5).

Si l’on commence à la base, avec le terme copyfraud, celui-ci nous ramène à la fraude. Commettre un acte frauduleux, c’est utiliser des moyens déloyaux afin de s’approprier un consentement ou afin d’obtenir de quelconques avantages matériels ou moraux, dans la ferme intention d’échapper à la loi6). Lorsqu’on ajoute le mot « copy » à « fraud », il est question de copier quelque chose, de reproduire fidèlement. Les deux mots additionnés ont une signification qui se veut davantage péjorative. On copie frauduleusement, on imite sans consentement, on se proclame propriétaire de quelque chose qui n’est pas nôtre. Les propriétaires de contenus en ligne ont, pour la plupart, les mêmes inquiétudes, tournant autour de quatre sphères diverses: la perte des revenus associés à l’oeuvre, la menace à l’authenticité des documents (due à la manipulation du document, à la perte de contexte ou à un mauvais sous-titrage), la compromission de la réputation du dépositaire du contenu et la crainte de la responsabilité juridique qui vient avec l’utilisation d’un contenu7).

Volet historique

Au début des années 2000, aux États-Unis, des spécialistes du droit d’auteur dont Jason Mazzone, remarquent une relative augmentation d’appropriation d’œuvres issues du domaine public par des individus ou des groupes. Le problème viendrait entre autres de l’absence du domaine public au plan légal, donc d’un manque de réglementation à ce sujet8), ainsi que des critères émis par le Congrès afin d’assurer une utilisation équitable des œuvres protégées par le droit d’auteur sans restreindre l’accès à l’information de la communauté. Cette utilisation équitable est donc entraînée par :

  • « l’usage, qu’il soit commercial ou éducationnel ;
  • le caractère de l’oeuvre protégée ;
  • l’importance et la quantité de l’oeuvre utilisée par rapport au tout ;
  • l’effet de l’utilisation sur la valeur marchande potentielle de l’oeuvre protégée9) ».

Selon Mazzone, ces critères sont cependant flous et, par ce manque de clarté quant à une utilisation juste des œuvres protégées, ils permettraient aux dits groupes ou individus profitants de flouer les usagers en les incitant à penser que toute utilisation serait une contrefaçon10). Par le fait même, les possesseurs de déclaration de droit d’auteur sur des œuvres du domaine public accompliraient une fraude, d’où le néologisme « copyfraud », qu’il faudrait, selon Mazzone, décourager par l’imposition de nouvelles sanctions. Plus récemment, certains spécialistes, notamment Jean-Carl Langlais, parlent d’une institutionnalisation du copyfraud, entre autres en France, où des instances culturelles officielles s’adonnent à une privatisation du domaine public. Par exemple, la Bibliothèque nationale de France diffuse des documents sur la plateforme Gallica à l’aide d’une fausse licence qui sous-entend, pour un usager non informé, qu’il s’agit d’une possession de l’institution, alors qu’il s’agit plutôt d’un bien libre11). Cependant, certaines personnalités politiques s’emploient à réviser les réglementations entourant le domaine public, comme Isabelle Attard, députée à l’Assemblée nationale française, qui, en 2013, proposa une loi « visant à consacrer le domaine public, à élargir son périmètre et à garantir son intégrité12)».

Enjeux

Les spécialistes de la question du droit d’auteur s’entendent sur la nécessité de réformes au plan légal afin d’adapter les lois existantes à ce sujet, car le problème majeur du copyfraud vient du détournement que certains acteurs font des lois déjà en place. Mazzone, dans l’ouvrage où est défini le concept de copyfraud, avance deux idées, soient la création d’une nouvelle agence gouvernementale visant à protéger l’usage équitable des œuvres et d’un nouveau bureau au département de la justice ainsi que la possibilité d’intenter de nouvelles actions civiles contre les « copyfraudeurs ». Cependant, ses propositions ne font pas l’unanimité et d’autres, comme Pamela Samuelson, y voient un aspect idéaliste et irréaliste par le coût élevé nécessaire à l’imposition de nouvelles instances judiciaires, alors que le problème ne touche les usagers que sur un plan idéologique et moral, car la plupart d’entre eux ne prêtent pas une grande attention aux déclarations (fausses dans le cas du copyfraud) de droit d’auteur avant d’exploiter par exemple un article disponible sur la plateforme Gallica en l’imprimant13).

Pour d’autres spécialistes comme David Nimmer, les réformes judiciaires devraient se faire par la création d’une commission propre à la question du droit d’auteur qui viserait à développer des propositions afin de mieux régir certaines utilisations frauduleuses14). La création de traités pourraient aussi être envisageable, car ils ont souvent une incidence importante sur la compréhension des lois déjà en place en donnant des interprétations qui aident à cibler les utilisation incorrects, dans ce cas-ci du droit d’auteur15). Enfin, Samuelson voit dans les normes et pratiques sociales des outils pouvant aussi influencer la réglementation en place, car il existe un écart entre ce que les industries du droit d’auteur et les usagers pensent de celui-ci et de la façon dont on devrait l’utiliser. Par exemple, les normes sociales ont permis l’acceptation croissante du contenu généré par des utilisateurs, comme des remixes et des fan-fiction d’œuvres protégées, bien que les industries du droit d’auteur aient réussi à convaincre le Congrès de percevoir le partage de fichiers, tant musical que cinématographique, comme une violation16).

En somme, la réforme des lois entourant les droits d’auteur se révèle être nécessaire, car la majorité de celles-ci ont été faites avant la montée d’internet et sa démocratisation. Cependant, le concept de copyfraud reste très récent, il reste donc une certaine réflexion à faire sur les façons d’actualiser la réglementation afin d’assurer la protection du domaine public et de permettre un usage moral des œuvres s’y trouvant.


Notions corrélées

  • Fraude
  • Plagiat
  • Droits d’auteur (copyright)
  • Trademark (marque de commerce)
  • Copie
  • Usurpation
  • Domaine public

Exemples / illustrations / ...

Dans son article « Copyfraud: Poisonning the public domain » (https://www.theregister.co.uk/2009/06/26/copyfraud), Charles Eicher annonce qu’il est en mesure de démontrer comment on peut commettre un copyfraud. Il donne l’exemple du « Project Gutenberg » : comment il est possible de télécharger un des textes présents sur le site, de le reformater en format PDF, et de le vendre sur Amazon, après l’avoir enregistré comme étant un nouveau livre avec son propre ISBN. Il continue de la sorte, incluant au passage la possibilité d’inclure le livre sur Kindle et Google Books. Il met alors l’accent sur les profits éventuels qui seraient générés par la vente du livre, bien qu’il en revienne au final au consommateur de faire le choix de ses achats dans ce domaine.

En Angleterre, le Times ne permet l’accès à ses archives depuis 1785 que par l’abonnement des usagers, marquant les pages de l’inscription « © Times Newspapers Limited ». Cependant, selon la loi anglaise, les journaux ne sont protégés de droit d’auteur que durant 25 ans. Il s’agirait donc d’une fausse déclaration visant la privatisation d’archives publiques17).

Dans un même ordre d’idées, la bibliothèque numérique de l’Institut National d’Histoire de l’Art (France) appose à toutes les images qu’elle présente l’inscription « © – Institut National de l’Histoire de l’Art », alors que les œuvres qu’elles exposent sont du domaine public. Il devient alors difficile pour des étudiants, des enseignants d’utiliser ces images bien que l’objet dont il est question soit libre de droits18).

Le site The Public Domain Review(https://publicdomainreview.org/), qui propose des essais, différentes collections et un laboratoire d’expériences de formes et de méthodes historiques, tous libres de droits et libres d’utilisation comporte une section boutique dans laquelle les images des affiches, t-shirts, tasses, cartes postales et livres à vendre sont impossibles à copier. Est-ce que c’est légal de bloquer la fonction copie pour des images libres de droits?

Project Gutenberg Canada est présentement en litige avec NAFTA, qui impose une extension de 20 ans pour les droits d’auteur, qui traditionnellement étaient de 50 ans. Est-ce que cela implique que certains livres qui étaient libres de droits, et conséquemment publiés en format PDF sur le site Gutenberg Canada, maintenant illégaux, parce qu’ils encouragent le copyfraud?


Références critiques

ATTARD, Isabelle, et. al., « Proposition de loi visant à consacrer le domaine public, à élargir son périmètre et à garantir son intégrité », Assemblée nationale, [en ligne], http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1573.asp, [texte consulté le 6 mars 2019].

BRAUDO, Serge, « Fraude », dans Dictionnaire juridique, Dictionnaire du droit privé, [en ligne]. https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/fraude.php [page consultée le 5 mars 2019].

CALIMAQ, « Fêter le patrimoine, mais laisser disparaître le domaine public ? », S.I.Lex, [en ligne]. https://scinfolex.com/2012/09/15/feter-le-patrimoine-mais-laisser-disparaitre-le-domaine-public/, [texte consulté le 6 mars 2019].

DRUMMOND, Tim, « Understanding Copyright and Fair Use in the Music Classroom », Music Educators Journal, vol. CII, n० 2 (décembre 2015), pp. 48-53.

DRYDEN, Jean, « Copyfraud or Legitimate Concerns? Controlling Further Uses of Online Archival Holdings », The American Archivist, vol. LXXIV, n० 2 (automne / hiver 2011), pp. 522-543.

EICHER, Charles, « Copyfraud: Poisonning the public domain », The Register, [en ligne]. https://www.theregister.co.uk/2009/06/26/copyfraud, [texte consulté le 8 mars 2019].

ILLINOIS COLLEGE OF LAW, Jason Mazzone, [en ligne]. https://law.illinois.edu/faculty-research/faculty-profiles/jason-mazzone/, [page consultée le 5 mars 2019].

LANGLAIS, Pierre-Carl, « L’inverse du piratage, c’est le copyfraud, et on n’en parle pas », L’Obs, [en ligne]. https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-hotel-wikipedia/20121014.RUE6257/l-inverse-du-piratage-c-est-le-copyfraud-et-on-n-en-parle-pas.html, [texte consulté le 6 mars 2019].

MAZZONE, Jason, Copyfraud and Other Abuses of Intellectual Property Law, Stanford, Stanford Law Books, 2011.

SAMUELSON, Pamela, « Is Copyright Reform Possible ?», Harvard Law Review, vol. CXXVI, n० 3 (janvier 2013), pp. 740-779.

VAUTHEROT, Audrey, Qu’est-ce que le copyfraud?, [en ligne]. https://www.gralon.net/articles/internet-et-webmaster/multimedia/article-qu-est-ce-que-le-copyfraud--6567.htm, [page consultée le 5 mars 2019].


Rédactrices

Par Corinne Gagnon, Maude Paradis et Laurence Rodrigue

1)
Tim Drummond, « Understanding Copyright and Fair Use in the Music Classroom », Music Educators Journal, vol. CII, n० 2 (décembre 2015), p.49.
2)
Jason Mazzone, Copyfraud and Other Abuses of Intellectual Property Law, Stanford, Stanford Law Books, 2011 p. 1026.
3)
Ibid., p. 1029.
4)
Illinois College of Law, Jason Mazzone, [en ligne]. https://law.illinois.edu/faculty-research/faculty-profiles/jason-mazzone/ [page consultée le 5 mars 2019].
5)
Audrey Vautherot, Qu’est-ce que le copyfraud?, [en ligne]. https://www.gralon.net/articles/internet-et-webmaster/multimedia/article-qu-est-ce-que-le-copyfraud--6567.htm [page consultée le 5 mars 2019].
6)
Serge Braudo, « Fraude », dans Dictionnaire juridique, Dictionnaire du droit privé, [en ligne]. https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/fraude.php [page consultée le 5 mars 2019].
7)
Jean Dryden, « Copyfraud or Legitimate Concerns? Controlling Further Uses of Online Archival Holdings », The American Archivist, vol. LXXIV, n० 2 (automne / hiver 2011), p. 538.
8)
Pamela Samuelson, « Is Copyright Reform Possible ?», Harvard Law Review, vol. CXXVI, n० 3 (janvier 2013), p. 740.
9)
traduction libre de Tim Drummond, « Understanding Copyright and Fair Use in the Music Classroom », art. cit., p.49.
10)
id.
11)
Pierre-Carl Langlais, « L’inverse du piratage, c’est le copyfraud, et on n’en parle pas », L’Obs, [en ligne], https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-hotel-wikipedia/20121014.RUE6257/l-inverse-du-piratage-c-est-le-copyfraud-et-on-n-en-parle-pas.html [texte consulté le 6 mars 2019].
12)
Isabelle Attard et. al., « Proposition de loi visant à consacrer le domaine public, à élargir son périmètre et à garantir son intégrité », Assemblée nationale, [en ligne], http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1573.asp, [texte consulté le 6 mars 2019].
13)
Pamela Samuelson, « Is Copyright Reform Possible? », art. cit., p. 753-754.
14)
Ibid., p. 765.
15)
Ibid., p. 767.
16)
Ibid., p. 768.
17)
Pierre-Carl Langlais, « L’inverse du piratage, c’est le copyfraud, et on n’en parle pas », ibid.
18)
Calimaq, « Fêter le patrimoine, mais laisser disparaître le domaine public ? », S.I.Lex, [en ligne], https://scinfolex.com/2012/09/15/feter-le-patrimoine-mais-laisser-disparaitre-le-domaine-public/, [texte consulté le 6 mars 2019].
1005-h2019/copyfraud.txt · Dernière modification : 2019/03/11 17:07 de cogag33

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