Dominic Arsenault, « Video Game Narrative : Concepts and Practices for Structuring and Infusing Story in Games »
Afin d’adapter le discours sur la narrativité aux jeux vidéo, Dominic Arsenault propose trois concepts qui la mettent en relation avec des notions fondamentales pour le médium : l’interactivité et le monde diégétique.
Citant Mary DeMarle, Arsenault commence par distinguer la « low-level story » (ou « immediate-level story »), soit l’histoire déployée par les actions des joueur·ses — donc singulière et changeante —, de la « high-level story », soit l’histoire principale et scénarisée que la première sert généralement à faire avancer. Cette distinction structurera le lien entre narrativité et interactivité, particulièrement au cœur des deux premiers concepts.
« I propose the concept of narrative programme to frame the degree of importance given to the narrative in a game, narrative being understood as the textual discourse (whether written, spoken or audiovisual) that presents a high-level story, and programme as the series of events or activities planned by the game’s creators for their players. » (p. 201)
Le premier concept, le narrative programme, permet de déployer une narrativité « par degré », degré évalué en regardant quatre critères : l’étendue du travail sur le discours textuel (« extensiveness »), « l’immédiateté » avec laquelle l’histoire est livrée (« immediateness »), l’obligation de prendre en compte la dimension narrative du jeu (« compulsoriness ») et le rôle de celle-ci dans l’expérience et l’avancée des joueur·ses (« compellingness »). Un jeu comme Tetris, où la narrativité est absente, sera dit « a-narratif » (a-narrative), alors qu’à l’opposé, une production où elle est essentielle, comme Metal Gear Solid, sera dit « hypernarratif » (hyper-narrative). Entre les deux, la proposition « hypo-narrative » (hypo-narrative) telle que Mario Bros a absolument besoin de son gameplay pour faire avancer l’histoire, et la « mésonarrative » (meso-narrative), comme Assassin’s Creed, présente un équilibre entre high-level story et « programme ».
La narrative structure, le deuxième concept, se définit comme « the way the events and story’s interactive nature are laid out in the game » (p. 197). Résumant les structures narratives proposées par plusieurs chercheur·ses, Arsenault les divise en trois types : 1) « temporelles », lorsqu’elles tournent autour de l’idée de « suivre un chemin », 2) « virtuelles » en ce qu’elles engagent l’idée d’embranchements, et 3) « spatiales », soit favorisant l’exploration d’un monde plutôt qu’une succession prédéfinie d’évènements ou de nœuds narratifs. Ces structures peuvent bien sûr s’hybrider dans chaque jeu particulier.
Cela dit, il ne suffit pas de prendre l’histoire principale ou la série de choix proposés pour comprendre la dimension narrative d’un jeu, suggère Arsenault. La narrative infusion, ultime concept, propose de prendre en compte le monde diégétique, sa richesse et sa profondeur, comme une composante essentielle de la narrativité proposée par l’expérience vidéoludique : « By this term, I refer to the use of discrete and diffuse narrative elements or qualities that can be added to a game’s components without changing the interactive nature ». Des éléments comme des dialogues prégnants avec des personnages — ajoutant un dilemme moral à un choix stratégique, par exemple — ou des collections de textes ou de journaux audio, même s’ils n’interviennent pas sur le déroulement du récit, peuvent gonfler le monde diégétique et bonifier l’expérience des joueur·ses qui y sont sensibles. S’inscrivant nommément dans la tradition narrative cognitiviste de Monica Fludernik et Marie-Laure Ryan, Arsenault propose de voir la narrativité comme « a pervasive phenomenon that is more or less typical and more or less constructed » (p. 212). Chaque élément qui permet au joueur ou à la joueuse d’exercer sa faculté créative d’adhérer à un monde diégétique doit, pour lui, entrer dans le spectre de la narratologie vidéoludique.
« There are many reasons for the need to adopt a wider view of narrativity than a classical narratology to understand video games. Many of them feature a minimal story, but a richly detailed world in which the action takes place, and the narrative experience becomes one of discovering the history of this world and getting to know the factions and people inhabiting it more than experiencing a thrilling tale through scripted events […] This highlights the spatial nature of video games and their reliance on world-building as much as storytelling » (p. 212)
Dominic Arsenault (2023), « Video Game Narrative : Concepts and Practices for Structuring and Infusing Story in Games », dans Paul Taberham et Catalina Iricinschi, Introduction to Screen Narrative: Perspectives on Story Production and Comprehension, Londres, Routledge, 2023, p. 197 à 217, https://doi.org/10.4324/9781003197911.
Mots-clés: narratologie cognitive, narratologie vidéoludique, interactivité, monde diégétique, structure narrative