Notice bibliographique : GRÉGOIRE, Paul, Un hiver au P'tit Hippolyte, Montréal, Hurtubise, 2011, 167 p.
Résumé de l’œuvre :
Ce roman raconte l'hiver d'un itinérant à Montréal. Le vrai nom du narrateur n'est jamais révélé, mais il se fait surnommé Kiki, car il se promène avec la médaille d'un chien qui portait ce nom. Kiki habite dans un immeuble baptisé le P'tit Hippolyte en référence au pavillon psychiatrique Louis-Hippolyte-Lafontaine. Dans ce logement, personne n'est tout à fait sain d'esprit. Kiki est parfois emporté par des délires et ses voisins ont tous un surnom qui résume leur condition mentale. Père Vert est un prêtre défroqué souffrant d'une déviance sexuelle, Fuck the Wolrd est violent et colérique, Steph-y-Cut est un vendeur et consommateur de drogues fortes, Béate est une enfant dans un corps d'adulte et Marcel est agoraphobe et passionné par les livres. Le lecteur est donc témoin des épreuves et des rencontres de Kiki au cours d'un hiver. Une fois par semaine, il travaille à livrer des circulaires pour gagner 20$. Dans ses temps libres, il marche beaucoup, il rêvasse, il pense à des façons de s'enrichir ou il discute avec Marcel qui l'initie à la lecture et l'encourage à écrire un livre. Il n'y a pas de véritable intrigue, les péripéties sont minimes : trouver l'argent pour s'acheter des bas, survivre au froid de l'immeuble ou se faire accepter par la société. Une complicité se développe entres Kiki et ses voisins, jusqu'au jour où Steph-y-Cut est arrêté pour possession et vente de stupéfiants. À partir de ce moment, les habitants du P'tit Hippolyte s'éloignent et retournent à leur solitude. Sans trop savoir pourquoi, Kiki finit par disparaître avant d'avoir pu écrire son livre. Il ignore s'il est mort ou s'il ne s'agît que d'un rêve et il finit par se demander s'il a déjà existé.
Narration :
Autodiégétique
Explication :
Le narrateur est le personnage principal, Kiki. Il raconte autant ses rencontres, ses activités, que ses rêves et ses états d'âme.
Personnage(s) en rupture :
Kiki est en rupture, mais il s'agit d'une rupture mineure. (Les voisins de Kiki sont tous en rupture, toutefois ces personnages ne sont pas assez approfondis pour pouvoir être étudiés de façon pertinente.)
A) Nature de la rupture :
Actionnelle et interprétative
Explication :
En tant qu'itinérant, Kiki vit en marge de la société. Il y agit de façon singulière, car sa condition est singulière. Il a également une drôle de façon de se voir dans le monde. Il a des délires qui brouillent son interprétation de la réalité. Il ressent un malaise inexpliqué chez un homme aveugle, il a l'impression d'être hanté par quelqu'un de vivant. Lorsqu'il rencontre l'homme, celui-ci devient le diable en personne. Kiki ignore toutefois si cette hallucination est le fruit d'une drogue ou de son imagination trop fertile. Il voit également des signes partout : un oiseau mort sur sa route signifie de la malchance pour lui. Il se voit toujours comme une victime.
B) Origine de la rupture :
Mondaine et Psychique
Explication :
Kiki est en rupture avec le monde sur deux volets. D'abord, son statut d'itinérant le place en marge de la société. À plusieurs reprises, il se voit rejeté ou traité différemment à cause de son apparence de clochard. Il a également une façon singulière de voir le monde. Il est superstitieux et croit pouvoir dire l'avenir à travers des signes que la vie lui envoie. Il part parfois dans des délires : il s'imagine être riche ou être enlevé par des indigènes. Cet aspect est étrange, mais pourrait aussi ne tenir que du rêve. L'état de conscience du narrateur durant ces extraits est difficile à cerner, tout comme la fin où il disparaît physiquement. Il devient invisible et immatériel au monde. Aucune explication n'est fournie à ce sujet. Nous ignorons s'il s'agît d'un rêve ou d'un autre délire.
C) Manifestations :
Volitives, Affectives
Explication :
La rupture de Kiki se manifeste dans son manque de volonté. Il voudrait lire, il voudrait écrire, il voudrait s'acheter des bas, mais les obstacles que la société lui envoie sont trop pour lui, il abandonne. Dans l'un de ses délires, il s'imagine expliquer pourquoi il voudrait que la société lui donne plus d'argent. Il n'a aucune raison de ne pas travailler autre que sa lâcheté. Il tente de se dépeindre comme une victime de la société qui n'a pas eu de chance, mais il n'arrive pas à se convaincre lui-même. De plus, la rupture se manifeste dans son besoin d'affection qui n'est pas assouvie. Il n'a de support que de ses voisins qui sont encore plus marginaux que lui. Il rencontre une femme qui est gentille avec lui et il est chamboulé par sa douceur. À la fin du roman il réalise qu'il n'a pas été touché par personne depuis très longtemps. Il est donc conscient de sa rupture et de ces manifestations.
D) Objets :
Projets qui ne se forment pas ou n'aboutissent pas: la lecture, l'écriture, l'achat de bas, perte d'emploi
Explication :
Tous le long du roman, Marcel tente de pousser Kiki vers la lecture et l'écriture. Toutefois, ce dernier ne va jamais jusqu'au bout de ses projets. Il va dire à Marcel qu'il a lu un livre, alors qu'il a sauté les descriptions et n'a lu que les dialogues. Il va aussi dire qu'il avait vraiment l'intention d'écrire un livre, mais il est disparu avant de pouvoir le faire. Une des grandes péripéties du roman est également sa recherche d'argent pour s'acheter des bas de laine. Il mendie toute la journée pour gagner 4.47$. Une fois au magasin, lorsqu'il réalise que les bas coûtent 4.52$, il prend son argent et va s'acheter une bière par frustration. Il perd aussi son emploi. Il livrait des circulaires une fois par semaine, mais son employeur le prend à jeter les circulaires pour ne pas avoir à monter les escaliers pour les livrer au deuxième étage.
E) Manifestations spatiales : Lieux représentés :
La maison du père de Sam (l'employeur pour les livraisons de circulaires), le P'tit Hippolyte
Explication :
La première fois qu'il entre chez le père de Sam, Kiki ne le rencontre pas, mais il ressent un inexplicable malaise. Il se sent hanté par cet homme qui est pourtant encore vivant. Il a l'impression que la pièce lui parle. La seconde fois qu'il doit y aller, Kiki aperçoit le vieil homme et son malaise se transforme en hallucination. Le vieillard se transforme en satan. Le P'tit Hippolyte est le lieu le plus important du roman. C'est à cet endroit que Kiki et ses voisins se retrouvent, là où ils peuvent tous vivre leur marginalité sans être jugés par la société. Cet immeuble agit comme un repère. Il est également à l'image de ses occupants, croche, délabré, froid, sale. Chaque pièce est aussi le reflet de la déviance de chacun. Les murs de la chambre de Fuck the World sont pleins de trous, la chambre de Béate est trop colorée et surchargée, celle de Marcel est suffocante à cause de la trop grande quantité de livres et celle de Kiki est vide et froide.