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Impressions de lecture sur Sévère de Régis Jauffret

Contrairement aux romans de première manière de Jauffret, Sévère est un roman uni et plus traditionnel, c'est-à-dire qu'il poursuit une histoire d'amour sordide et, bien que la diégèse soit anachronique, l'histoire se dessine et l'évolution des personnages se comprend bien. Le traitement du personnage se voit inévitablement influencé.

La narration est autodiégétique et la focalisation interne vise l'amante meurtrière d'un prince des finances européen. Elle raconte leur histoire d'amour malsaine qui l'a menée à tirer une balle dans la tête de son amant. Ils ont été présentés par un antiquaire avec qui elle avait déjà eu une aventure. Son amant se montre violent et cruel, mais ceci ne fait qu'attiser la flamme de la femme qui l'aide à réaliser tous ses fantasmes, allant du sadomasochisme aux orgies, en passant par l'admiration d'un petit garçon. Lorsqu'elle n'est pas avec lui, il la traque et l'attaque dans son sommeil pour son plus grand plaisir.

Il lui demande parfois de le dominer. Elle accepte, mais demeure soumise, puisqu'elle le fait pour lui, sans retirer de plaisir pour elle-même. Comme elle ne travaille pas et que son propre mari doit tout payer pour elle, elle demande à son amant de lui offrir un million de dollars. Comme elle se donne entièrement à lui, elle souhaite qu'il lui prouve son amour en lui donnant une infime partie de sa fortune. Il accepte, mais change ensuite d'avis. La femme est bouleversée, puisque ce million de dollars avait une valeur sentimentale. Elle ne l'aurait jamais dépensé, mais son refus froisse ses sentiments. Elle décide donc de l'anéantir par amour. Elle l'entraine dans un jeu sexuel auquel ils ont l'habitude de jouer, mais, cette fois, elle le tue. Elle tente de se sauver, mais elle est arrêtée et elle continue de défendre ses actions en affirmant qu'elle a posé ce geste par amour et qu'il n'est pas vraiment mort, qu'il est avec elle pour toujours, qu'elle l'a libéré et que c'est ce qu'il voulait.

Les personnages sont beaucoup plus développés, puisque le lecteur suit les mêmes protagonistes du début à la fin. De plus, le désespoir est moins omniprésent que dans Fragments de la vie des gens; le couple est tout à fait dysfonctionnel, mais ils sont bien ainsi. J'ai eu l'impression que les personnages étaient beaucoup plus actifs dans ce roman; ils posent tous des actions concrètes et font avancer la diégèse. Ils ont des motivations, des buts, ils ne font pas qu'attendre que leur vie se termine. Ils ne se morfondent pas dans leur manque d'intérêt, ils évoluent, ils se transforment.

Encore une fois, on retrouve un rapport malsain avec la sexualité. Dans ce cas-ci, la soumission, l'humiliation et la cruauté sont liées à l'amour. La femme est prête à toutes les souffrances pour assouvir les fantasmes de son amant. Pourtant, elle a une entente avec son mari qui la libère de tout devoir conjugal. Elle refuse même de partager son lit avec lui. Avec son amant, elle se laisse violenter et accepte de dominer ce dernier. Son amant affirme aimer avoir peur et avoir mal, elle aime le laisser faire ce qu'il veut d'elle. On retrouve donc dans le même personnage l'envie et le besoin viscéral d'une sexualité débridée présente chez certains personnages de Fragments de la vie des gens autant que le dégout de la sexualité conjugale des autres personnages féminins de ce roman de première manière.

Les personnages n'ont toutefois toujours pas de prénom, ils se définissent à travers des il et des elle.

Je note au passage un préambule signé par R.J. dans lequel l'auteur explique comment, malgré les ressemblances avec un fait divers, son roman n'est que fiction et qu'il serait absurde de le voir autrement.

Les temps de verbe sont plus réguliers; ils passent du passé au présent selon le chapitre. La femme raconte simultanément plusieurs moments de l'histoire : sa fuite après l'assassinat, sa rencontre avec son amant, sa décision de le tuer, son interrogatoire par la police, sa vie en prison, sa vie avec son amant, sa relation avec son mari. Le passage entre ces époques n'est pas marqué par des signes textuels, il n'y a pas de titres aux chapitres ou de datation. Le lecteur doit les déduire par rapport à ce qui est raconté et quels personnages sont mis en scène.

En somme, j'ai bien aimé, j'ai trouvé le roman bien écrit, très efficace, comme Fragments de la vie des gens, mais moins larmoyant et plus divertissant, bien qu'il demeure extrêmement noir.

ranx/severe.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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