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FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Moutier, Maxime Olivier

Titre : Rita tout court

Éditeur : Marchand de feuilles

Collection :

Année : 2013

Éditions ultérieures :

Désignation générique : pièce

Quatrième de couverture :

Rita vient de quitter l'amoureux qu'elle fréquentait depuis quatorze ans. Désormais toute seule dans son appartement, elle raconte les événements marquants de cette vie qui est la sienne. Sa peine l'aide à se remémorer des épisodes d'autrefois : ses deux filles qu'elle ne voit plus, le viol dont elle a été victime, ses chiens morts au chenil. Elle entreprend un grand ménage affréné, après avoir accusé le coup, comme elle seule peut le faire. Entre la tristesse et le courage qu'il lui faut retrouver, elle nous parle de Denis, de Carole, d'Isabelle, de Catherine, de Michel le concierge, de sa vadrouille Vileda, puis d'un aquarium qu'elle a l'intention d'acheter pour y installer une tortue. La vie de Rita est une autre manière d'expliquer pourquoi on a raison d'être fou. Ce livre s'inscrit dans le projet d'écriture hyper-réaliste que tente de réaliser Maxime Olivier Moutier depuis la rédaction de son livre Les trois modes de conservation des viandes.

Maxime Olivier Moutier est écrivain et psychanalyste. Né à Montréal en 1971, il a marqué sa génération par la vérité qui émane de ses récits sans excuses. Rita tout court est un hommage aux plus démunis.

II- CONTENU GÉNÉRAL

Résumé de l’œuvre :

Sur douze jours, Rita (obèse, fin quarantaine), assise dans son fauteuil au milieu de ses « dizaine de toutous » ou nettoyant, fait le lent monologue de sa vie, se rappelant et partageant au lecteur ses douloureux souvenirs comme ils se présentent à son esprit, en modifiant parfois sa version. Si les événements rapportés sont douloureux, Rita les raconte avec un naturel un peu naïf qui peut faire ressentir un certain malaise au lecteur devant cet apparent décalage.

Thème(s) : (en ordre décroissant d'importance) La santé-mentale, la solitude, la pauvreté, le pouvoir (contrôle?) que l'on détient sur sa vie, l'amitié et l'amour, le désir de mort, lui-même lié au fatalisme généralisé qui écrase Rita.

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION

Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Socialement et même intellectuellement, Rita est « déconnectée ». C'est annoncé et on le lit dès les premières pages. Mais en plus de l'isolement et de la perspective particulière que créent son retard (déficience semble un peu fort pour qualifier son état), on découvre que cela joue directement sur sa capacité d'agir (celle-là définitivement déficiente!), sa capacité de donner sens au monde (la rendant sans cesse victime des événements qu'elle ne peut que subir sans les prévoir ou les analyser correctement) et ses relations avec les autres, surtout avec Denis.

NOTE: Le texte se présente comme une « pièce », ce qui m'a fait douter de sa pertinence. Cependant, l'avant-propos de l'auteur, où celui-ci avoue que son texte se prête mal à la scène et ne sera sans doute jamais joué, semble justifier d'inclure Rita tout court dans la catégorie des récits.

Appréciation globale : J'apprécie en général peu les romans à tendance misérabiliste, mais ce texte « hyper-réaliste » amène quelque chose d'intéressant : de la confusion de Rita émerge tout de même un certain bonheur de vivre, éphémère peut-être, mais réel, en plus d'une connaissance du monde qui n'est pas la mienne, mais n'en est pas moins valable pour autant. Bref, roman dur, utilisant avec naturel le langage parlé, ne s'apitoyant pas et ne versant pas non plus dans l'idéalisation. À conseiller à ceux qui aiment la littérature plus « violente ». Et c'est court (97 pages).

IV – TYPE DE RUPTURE

Validation du cas au point de vue de la rupture

a) actionnelle : On est en plein dedans avec ce texte. La narratrice l'exprime elle-même douloureusement : « J'ai des idées… comme aller prendre une marche, me faire un chocolat chaud. Mais j'pas capable de passer à l'action. » (21) Est-ce en raison des pilules « qui enlèvent le goût de faire des affaires », du temps qui passe? Elle ne peut qu'émettre des hypothèses. On voit dans ce court exemple tout ce qui est à l'oeuvre dans le roman. D'abord, l'action est privée de tout éclat, de toute ambition. Ce qu'on tente de faire, c'est le ménage (qui prend une place importante, méritant qu'on se prépare, qu'on fasse des plans), prendre une marche ou se nourrir « par instinct ». Ensuite, l'action est un échec dès le départ, par manque de motivation et aussi de capacités. Rita est un personnage qui n'a ni le savoir ni le pouvoir nécessaire d'imprimer des changements significatifs dans le monde. On le voit lorsqu'elle raconte certains épisodes, comme son viol, agression subie et non-désirée par excellence où ses désirs sont réduits à néant, ou l'adoption de ses filles. Dans le premier cas, la rupture actionnelle se double d'un problème d'interprétation : elle lui a dit « j'veux pas », mais par après, elle se dit : « J'me demande des fois si ç'aurait été un viol pareil si y'était revenu me chercher pour aller faire un tour de bateau. » (30). Quant à l'adoption, elle n'a « pas signé en le voulant pour vrai » (67), mais fatiguée par les maisons d'évaluation, les visites devant le juge, convaincue par d'autres de ce qui était le mieux pour ses « bébés ».

a) interprétative: Peu portée à l'introspection abstraite, Rita se définit par ce qu'elle fait. Oui, elle est PMD, « Mais chu pas rien que ça! J'dessine aussi, pis j'fais attention à ma tortue. » (95) C'est un exemple de réponses à côté de ce qui est normalement attendu qu'elle donne à de nombreuses reprises. Son récit s'ouvre alors qu'elle répète à de nombreuses reprises qu'elle ne sait plus : « J'sais pus si j'en vas, si j'men viens. J'sais pas si c'que j'fais est correct, ou pas correct. Je l'sais pus. » (17) On a vu plus haut comment elle peine à donner sens au viol qu'elle subit. Plus loin, elle affirme : « C'était pas un gros, gros viol. Ça a pas duré longtemps. » (31) Une bonne partie du tragique du texte provient de ce gouffre entre l'interprétation naïve du personnage et celle, plus conforme, que se fait le lecteur de sa vie. Une forme de jeu un peu triste s'instaure donc à la lecture pour donner sens au récit. Parfois, au contraire, l'interprétation que se fait le personnage du monde est étonnement lucide, comme avec Denis, que Rita déchiffre au-delà des paradoxes : « Y shake pus, y bave pus, y fait pus rien. Là y est ben correct. Y est fou, mais y est ben correct. » (35) La folie, présente partout dans le texte, n'est qu'un autre filtre qui brouille l'interprétation et donne un sens nouveau à la réalité de Rita. Souvent, elle ne se souvient pas, reviens sur ce qu'elle a déjà dit. Le lecteur peut en venir à douter de ses propos, mais jamais de sa sincérité. Finalement, la rupture interprétative se situe aussi de façon plus formelle du côté du dialogue. Lors de certaines conversations téléphoniques, il est évident que les personnages eux-mêmes n'arrivent pas à se comprendre. À Rita qui lui demande pourquoi il est devenu fou, Denis répond : « C'est l'après-midi. » Il ressort de ces échanges avortés que la communication avec l'autre est difficile, voire impossible. Comment alors lire le monde?

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES

On a affaire à une narration autodiégétique de Rita. Se présentant comme un monologue théâtral, le texte est toutefois divisé en jours plutôt qu'en scènes, donnant de succinctes indications, par exemple : « L'appartement est rangé, presque vide. Toujours des plantes partout. » (85) au début des chapitres. Les quelques dialogues téléphoniques entre elle et Denis sont toutefois intégrés au texte et ne sont pas présentés comme des répliques théâtrales. Les gestes et déplacements, placés entre parenthèses et en italique, semblent en retrait du texte, qui laisse toute la place à la parole.

ranx/rita_tout_court.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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