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I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Nelly Arcan

Titre : Paradis clef en main

Éditeur : Coups de tête

Collection : Aucune

Année : 2009

Éditions ultérieures : Aucune

Désignation générique : Roman

Quatrième de couverture : Une obscure compagnie organise le suicide de ses clients. Une seule condition leur est imposée : que leur désir de mourir soit incurable, pur et absolu… Antoinette a été une candidate de Paradis, Clef en Main. Elle n,en est pas morte. Désormais paraplégique, elle raconte sa vie, elle raconte la compagnie et son processus de sélection, ses tests et ses épreuves, son psychiatre halluciné et son comité de sélection. Mais surtout, elle nous raconte son nouveau désir d'exister. Paradis clef en main est un roman sur le désir de vivre autant que celui de mourir, un roman sur la responsabilité, sur le rapport à l'Autre, sur le rapport au corps et à la vie. Un roman fabuleux écrit d'une plume acérée.

Nelly Arcan est née dans les Canton de l'est. Elle publie un premier récit d'autofiction chez Seuil, Putain (2001), qui se retrouve en lice pour les prix Médicis et Femina. Son deuxième récit, Folle (2004), est également en lice pour le Femina. Puis un roman, À ciel ouvert (2007), qui aborde les grands thèmes qui lui sont chers (le rapport au corps et à sa marchandisation, le désir sexuel et amoureux, la pulsion de mort), tout en rompant avec l'autofiction. Jusqu'à son décès, le 24 septembre 2009, Nelly Arcan vivait à Montréal où elle se consacrait à l'écriture.

II- CONTENU GÉNÉRAL

Résumé de l’œuvre : Une jeune femme, tannée de vivre, décide de suivre les conseils de son défunt oncle et de faire appel à la compagnie Paradis, Clef en Main afin de pouvoir mettre fin à ses jours. L'opération échoue toutefois et la jeune fille se retrouve désormais paraplégique, contrainte à rester étendue dans un lit. Elle décide alors de raconter ce qui lui est arrivé : les épreuves qu'elle a dû subir avant que la compagnie n'accepte de la tuer. Alors qu'elle termine son récit, elle apprend la maladie de sa mère et c'est ainsi, alors que celle-ci est en fin de vie, qu'elle parvient enfin à se réconcilier avec elle.

Thème(s) : suicide, handicap, liens maternels, réussite sociale, corps, alcoolisme

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION

Explication (intuitive mais argumentée) du choix : le personnage en est un qui ne fait aucun effort pour tenter de mieux vivre et qui, par la suite, mettra son suicide entre les mains d'une compagnie. Il est beaucoup question d'abandon et de lassitude, de même que d'incompréhension et d'alcoolisme qui trouble la vision de la réalité.

Appréciation globale : Un livre que j'ai beaucoup apprécié, dont la lecture est beaucoup plus aisée que pour celle de Putain. La fin est étonnement positive lorsqu'on sait que l'auteure elle-même, en bout de route, a pris la décision de se tuer. Le concept n'est pas novateur (ça m'a rappelé Le Magasin des Suicides), mais tout de même bien employé.

IV – TYPE DE RUPTURE

Validation du cas au point de vue de la rupture

a) actionnelle : remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc.

Comment mourir ? Bien qu’elle semble malgré tout plus vouloir mourir que vivre, elle ne parvient pas à se prendre à main : elle ne peut se tuer seule puisqu’elle a peur (32). C’est pourquoi elle décide de se faire prendre en main par la compagnie Paradis, Clef en Main. Son suicide devient alors, paradoxalement, la charge d’une autre personne et elle ne fait qu’attendre que d’autres agissent à sa place.

  • “je n'avais plus rien à faire, qu'à me laisser porter par le vent du professionnalisme.” (45)
  • “j'ai décidé de considérer l'aventure comme m'étant imposée de l'extérieur. Non comme un choix que j'aurais fait, mais comme un act of God. Ou ce qu'on nomme le destin, cette force contraignante et inéluctable contre laquelle personne ne peut rien. Sous cet angle, reculer n'était plus possible : ce que j'avais enclenché par ma volonté me surplombait désormais, me dépassait de telle manière que mon projet devenait le projet de tous. À la limite, mon suicide n'était plus de mon ressort. Il m'avait échappé.” (46)
  • « Ma vie comme ma mort ne m’appartenaient pas, elles ne m’avaient jamais appartenu. » (176)

L’accident Le suicide échouant, pour des raisons techniques avec la guillotine, Antoinette devient paraplégique. Étant le premier échec de la compagnie, il semble que tout autour de la protagoniste se soit accordé à son réel état d’esprit : la passivité. En effet, son oncle Léon lui avait dit : “Si tu souhaite vraiment mourir, tu trouveras ton chemin dans leur labyrinthe jusqu'à la sortie. Tu mourras.” (43) Or, elle ne désirait pas réellement mourir… il semble qu’Antoinette ne puisse vivre pleinement, tout comme elle ne peut mourir pleinement.

La vie en tant que paraplégique Antoinette semble relativement heureuse en tant que paraplégique (en fait, elle mentionne ne plus vouloir se tuer depuis qu’elle est immobile). Elle refuse même, pendant longtemps, l’aide sa mère, qui désire lui acheter une chaise roulante : “Toinette, tu ne peux pas refuser plus d'autonomie. Plus de liberté. Tu dois sortir de l'isolement. Il faut que tu te relèves. C'est tuant, à la fin, ton entêtement à rester au lit, alors que tu pourrais prendre l'air dehors.” (41)

Elle compare son état aux plantes qui l’entoure : “La végétation qui m'entoure fait preuve d'une plus grande activité physique que moi. Du haut de leur autonomie” (20) Elle est moins active qu’une plante puisqu’elle est habitée par une « grande lassitude naturelle » (169).

Revouloir vivre La protagoniste est, à la fin du récit, reprise par le désir de vivre, mais elle n’est encore là pas entièrement certaine : « Je ne sais plus quoi penser, je me trouve faible, je me trouve forte. » (160)

La figure maternelle La mère d’Antoinette est, contrairement à elle, une femme qui a réussi dans la vie et qui a du contrôle. Néanmoins, elle tombe malade et perd ainsi toute sa force : « sa poigne habituelle avait perdu sa force, elle semblait hésiter devant les objets, ne plus savoir les manier. » (186) Ainsi, même un personnage qui, à la base, était fort, perd le contrôle. À la fin, d’ailleurs, sa mère « abdique », pour la première fois de sa vie (215).

“Je m'appelle Antoinette Beauchamp, mais mon nom ne compte pas. N'ayons pas peur : je n'en ai plus besoin. Quand la vie sociale se résume à une mère, mieux vaut ne pas en avoir, de nom.” (10)

“Ma mère m'a toujours fait vivre […] Je n'ai rien fait de ma vie, sauf la rejeter.” (11)

paraplégique, ne vit que dans son lit, en tout temps, dans sa “prison haut de gamme” (21)

Trouve le bonheur via une bouteille de vodka

  • “Mon Triangle des Bermudes où je m'enfonce joyeusement en me perdant de vue. C'est ça, être saoule. C'est ça, la drogue en général : échapper à soi-même en essorant son propre corps, faire voler en éclats sa barque alors même que l'on reste couché sur le dos, immobile, au fond du néant.” (36)
  • Au lieu d'être morte, je suis paraplégique : la différence n'est pas très claire.“ (32)
  • “Il faut se prendre en charge pour se tuer” (141)

“je vais jeter l'éponge, m'avouer vaincue” (77) “avant que je ne concède, par lassitude, à y toucher” (77) “je me foutais de tout” (83) “passivité” (88) “la catatonie et le côté lymphatique de l'être” (104)

“j'étais persuadée que je restais parce que je voulais rester, que c'était par autonomie et indépendance […]. Avec le recul, je crois que c'était parce que j'étais trop saoule et que je n'étais plus en mesure de considérer les conséquences” (78)

“Je ne le méprisais plus, car il [un caniche] me dominait” (80)

“pantin” (82)

“Ce dont vous manquez, enfin je le crains, c'est d'une force vitale, une force de volonté, celle de vouloir, de découvrir, d'aimer, de croire.” (99)

“l'idée même d'agir me demandait des efforts insurmontables.” (138)

Relation avec Léon “Mon histoire avec lui n'est pas une histoire d'action. C'en est une de brouillard dans lequel je dois avancer à tâtons.” (116)

Quitte son corps (123) Pour s'en sortir : “mieux valait donc agir en soldat, en robot” (57)

b) interprétative : difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc.

Désir de vivre ou désir de mourir ? “Il y a des gens pour lesquels ces pensées ne passent pas. Elles se coincent dans l'embrayage. Elles s'imposent, elles s'impriment, elles les suivent pas à pas, dans leur dos, elles les attendent à chaque tournant, […]. Pour eux, la vie est une impasse, un cul-de-sac […] parce que la vie est naturellement, de tout temps, invivable.” (7-8) Le personnage n’arrive pas à déterminer si elle désire vivre ou mourir. Alors qu’elle mentionne à plusieurs reprises qu’elle doit mourir, il semble pourtant, par la suite, que son désir ne soit pas aussi clair qu’elle ne tente de le laisser paraître. Ainsi, même en ce qui concerne son envie la plus profonde, son but le plus ultime, ses intentions ne sont pas claires. Elle dit en effet « il n’est pas sûr, dans toutes ces suppositions, alors que je ne faisais que naître au monde, que j’aie vraiment désiré mourir. » (149) Elle a juste envie… de rien (194).

Mourir, mais pourquoi ? Antoinette n’a pas de raisons claires et identifiables de se suicider (31). Elle dit vouloir se tuer par simple fait d’être en vie (32). Elle dit aussi que la vie est une maladie qu’il faut soigner. Une fois de plus, on voit que son plus grand désir, mourir, n’est pas motivé par des intentions nettes, mais plutôt par une volonté plus grande qu’elle.

Alors qu'elle entreprend les démarches pour entrer en contact avec Paradis, Clef en main, il est clair qu'elle ne comprend pas du tout ce qui lui arrive. L'entreprise lui fait faire des “épreuves” auxquelles elle n'arrive pas à apposer une signification quelconque. Elle ne comprend pas ce qui se passe lors des “convocations” entre elles et les employés de la compagnie : “Les façons de faire de la compagnie échappaient à toute compréhension.” (81)

Elle boit de la vodka et de l'alcool, ce qui lui fait perdre le sens de la réalité : “Mais c'était peut-être l'alcool. C'était peut-être l'affabulation. C'est peut-être, qui sait, l'un de ces faux souvenirs rafistolés avec des images vues en rêve ou à la télévision” (81)

Elle dit “je n'entendais rien, rien n'entrait ni ne sortait de moi. J'étais un bocal scellé sous vide.” (192) Elle ne parvient pas à entrer en contact intime avec les autres, comme si elle était entourée d'une mur de ouate qui l'empêchait de voir le monde et de l'entendre. Tout autour d'elle, toutes les conversations, ne sont que du bruit et n'ont aucun sens (192).

Elle dit finir par trouver un sens à la vie, mais que celui-ci arrive trop tard : elle devait supporter sa mère dans la mort, mais au moment où elle le réalise, sa mère est presque morte (209)

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.)

La forme n'a rien qui sorte de l'ordinaire, mis à part peut-être qu'il s'agisse d'une légère mise en abyme. Il y a une résolution. La narratrice n'est pas toujours fiable puisqu'elle est régulièrement droguée ou saoule, ce qui fait en sorte qu'elle s'évanouit parfois (et ignore ainsi le déroulement de plusieurs événements) ou que son jugement est troublé.

ranx/paradis_clef_en_main.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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