I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Jean-Philippe Toussaint
Titre : Nue
Éditeur : Les éditions de minuit
Année : 2013
Désignation générique : Roman
Quatrième de couverture : «La robe en miel était le point d’orgue de la collection automne-hiver de Marie. À la fin du défilé, l’ultime mannequin surgissait des coulisses vêtue de cette robe d’ambre et de lumière, comme si son corps avait été plongé intégralement dans un pot de miel démesuré avant d’entrer en scène. Nue et en miel, ruisselante, elle s’avançait ainsi sur le podium en se déhanchant au rythme d’une musique cadencée, les talons hauts, souriante, suivie d'un essaim d’abeilles qui lui faisait cortège en bourdonnant en suspension dans l’air, aimanté par le miel, tel un nuage allongé et abstrait d’insectes vrombissants qui accompagnaient sa parade.»
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Dans la première partie, le narrateur revient de l’île d’Elbe où il vient de passer des vacances en compagnie de son ancienne copine, Marie, avec qui il a espoir que les choses s’arrangent (qu’ils recommencent bientôt à vivre ensemble). Deux mois s’écoulent pendant lesquels le narrateur attend qu’elle l’appelle, et seul dans son nouvel appartement, désœuvré, il se remémore les quelques jours au Japon qui ont suivi leur rupture, où il y est resté à l’insu de Marie, allant à son vernissage sans qu’elle ne le sache. Il raconte également l’histoire d’un étrange malentendu subvenu lors de cette soirée : celle d’un certain Jean-Christophe de G. qui voulait séduire Marie sans la connaître et qui a fait la connaissance d’une autre Marie.
Dans la deuxième partie, Marie appelle finalement le narrateur. Elle veut aller prendre un café avec lui, car elle a quelque chose à lui annoncer. Lors de ce rendez-vous, elle lui apprend que Maurizio, l’ouvrier de sa maison à l’île d’Elbe est décédé, et qu’elle voudrait qu’il l’accompagne pour les funérailles. Sur place, ils rencontrent Giuseppe, un des fils de Maurizio, qui n’est pas très agréable, et qui semble avoir quelque chose à se reprocher (peut-être l’incendie criminel qui a détruit la chocolaterie de la place pendant la nuit). La chambre de Marie a été occupée pendant son absence, cela lui fait peur, ils louent une chambre d’hôtel dans la ville. Lors des funérailles, ils se perdent dans le cimetière et Marie annonce violemment au narrateur qu’elle est enceinte. Ils arrivent à la fin de la cérémonie, Marie embrasse l’épouse de Maurizio et ils retournent finalement dans la maison de Marie, faute d’avoir un chauffage adéquat à l’hôtel. Ils font l’amour dans la chambre occupée par le narrateur au début de l’été et réalisent finalement qu’ils s’aiment.
Thème(s) : Amour, mode, mort, temps, naissance, désœuvrement.
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Le personnage du narrateur est effectivement déconnecté, et il semble que cela soit provoqué par l’absence de Marie. Lorsqu’il est laissé à lui-même, il est désœuvré, le temps est étrange et superposé dans l’universel, la foule devient angoissante et le monde est inatteignable.
Appréciation globale : Charmant et drôle, ce roman laisse une heureuse impression après la lecture, sans toutefois être vide de sens. L’impression de légèreté provient peut-être simplement de la fin heureuse (Marie retrouvée).
IV – TYPE DE RUPTURE
A) Le narrateur est un personnage qui se meut dans l’existence par Marie (Marie est un personnage connecté et même, elle est décrite comme étant en symbiose avec le monde). Sans elle, il est désœuvré. Après leur rupture, il ne revient pas au pays, prend une chambre à Kyoto et ne fait rien avant de revenir à Tokyo. Il erre dans les rues de la ville, se perd, a de la difficulté à s’orienter, et lorsqu’il entrevoit finalement Marie, de loin, son angoisse est apaisée. Puis, lorsqu’il revient de l’île d’Elbe, il est totalement désœuvré, attend l’appel de Marie sans succès. Mais il semble que les premiers pas doivent venir de la femme qu’il aime puisqu’il n’envisage à aucun moment la possibilité de l’appeler, lui. Les actions ne proviennent jamais véritablement du narrateur (c’est Marie qui lui demande de venir la trouver à l’île d’Elbe, c’est elle encore qui initie leur premier rendez-vous après deux mois, c’est elle qui décide de prendre une chambre en ville lorsqu’elle réalise que sa chambre a été occupée, c’est elle encore qui initie les deux relations sexuelles évoquées dans le romans, etc.). Le narrateur a des espoirs de changement (retrouver sa relation amoureuse avec Marie), mais il ne pose aucune action pour cela. Le monde est transformable, oui, mais par une autre instance que le «je» qui parle.
B) La capacité à interpréter le monde par le narrateur fonctionne de la même façon que sa capacité à agir : tout se met en place, tout est familier et temporellement stable lorsque Marie est présente. Sans cela, le temps devient nébuleux, il ne sait pas combien de jours se sont écoulés depuis qu’il est arrivé chez lui (p.42), son visage lui semble étranger à lui-même lorsqu’il se regarde dans le miroir, les individus croisés dans la foule sont craints, les bribes de dialogue sont des «fragments incohérents» (p.48), le personnage se sent «écartelé» (p.59) de la réalité et est incapable de s’insérer dans le temps. Marie représente son seul ancrage avec le monde. Lui-même est très plat au point de vue de sa personnalité. On sait qu’il aime Marie, c’est tout. Bref, il semble que le personnage soit partiellement déconnecté, puisqu’il possède Marie comme ancrage, et que Marie est en adéquation avec le monde dans lequel elle vit. Sans elle, par contre, il s’agit d’un personnage en rupture avec son univers.
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES Le récit est orienté vers Marie, et non linéaire (surtout des analepses, mais aussi une prolepse lorsqu’ils prennent un café ensemble, comme si le narrateur savait déjà que Marie allait lui annoncer quelque chose de plus grave que la mort de Maurizio). Le temps se met en place en présence de Marie et par elle, tout comme les actions. La narration est autodiégétique, et il s’agit presque toujours de Marie.